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Les êtres du chaosPolux
Les êtres du chaosPolux
Les êtres du chaosPolux
Livre électronique234 pages3 heures

Les êtres du chaosPolux

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À propos de ce livre électronique

Les choses ayant été clarifiées avec son frère, Polux parcourut des centaines de kilomètres et frôla la mort, pas une mais deux fois pour retrouver Tara. Il espère maintenant que la Tueuse et lui pourront être réunis, et que le rythme effréné de leur vie se calmera quelque peu. Malheureusement, l’adolescente n’a pas renoncé à l’idée de faire face à son passé, et la route qui les mène à la tribu des Tueurs est parsemée d’embûches. Le danger rôde… Et cela, bien plus près que le Rôdeur ne pourrait l’imaginer. Comme si ce n’était pas assez, voilà que Polux devra encore une fois se battre pour sa survie, tentant d’échapper aux griffes de Diego, un Tsaye cruel et avide de pouvoir qui convoite la pierre; mais, surtout, il se verra engagé dans une bataille pour le coeur de Tara.
LangueFrançais
Date de sortie26 juil. 2013
ISBN9782897333171
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    Aperçu du livre

    Les êtres du chaosPolux - Aude Vidal-Lessard

    Prologue

    T out était silencieux. Les loups du Nord comme les ours blancs, depuis longtemps endormis, à l’abri dans leur tanière, osaient à peine respirer. Les belettes et les lièvres, pourtant pressés de profiter de la lumière des jours qui ne cessaient de s’écourter, n’avaient toujours pas mis la pointe de leur museau hors de leur terrier. Le vent, qui se déchaînait à la moindre occasion, s’était tu. Le soleil lui-même retenait ses rayons, voulant se faire le plus discret possible. Car quelque chose se tramait. Quelque chose qui aurait même fait frissonner les Grandes Montagnes. Oui… Même les Grandes Montagnes.

    — Oh, merci à vous tous ! Vous avez fait de l’excellent travail ! Si vous saviez comme je suis heureuse !

    La voix stridente d’Annsala résonna aux oreilles de Castor, envoyant des ondes de douleur jusqu’au plus profond de son crâne. Réprimant une grimace, le jeune homme se força à poser — ou à traîner — un pied devant l’autre. Ce simple geste lui demanda tant d’efforts que la ligne d’horizon vacilla devant ses yeux. Si cela n’avait été de ces deux balourds de gardes qui le soutenaient chacun par un bras, il se serait sans doute écroulé, ses mains toujours solidement liées dans son dos, le visage dans la neige. L’air aurait fini par manquer, et il serait mort là, au beau milieu de nulle part. D’un autre côté, avec le sang qui battait à ses tempes, sa tête sur le point d’imploser, le goût de la bile qui lui remontait dans la gorge et la sensation qu’on lui sciait les poignets, offrir sa carcasse en casse-croûte à un lynx errant aurait été une délivrance.

    — Il est tellement séduisant ! reprit la princesse en joignant les mains dans un claquement sec. Au moins 100 fois plus que dans mes souvenirs !

    — Et probablement 100 fois moins célibataire, aussi…, ne put s’empêcher d’ajouter le Fugitif entre ses dents serrées.

    Son commentaire lui valut une claque de la part du Chasseur à sa droite. Le coup, qui l’atteignit à la nuque, fut si violent que sa tête partit en avant et qu’il faillit en perdre l’équilibre. « Moi et ma grande gueule… », marmonna-t-il intérieurement alors que tout son champ de vision s’embrouillait.

    — Doucement ! s’écria une voix aiguë quelque part devant lui. Vous allez me l’abîmer…

    Une ombre apparut alors devant Castor, et quelque chose lui effleura la pommette et le menton. Une caresse douce et délicate, mais aussi empreinte d’un sentiment indéchiffrable qui le fit frissonner. Cette sensation désagréable eut pour effet de loger une boule dans la gorge du jeune homme, avant de brusquement redonner toute sa netteté au paysage de glace. Réprimant un sursaut à la dernière seconde, Castor découvrit le visage d’Annsala tout près du sien. Beaucoup trop près.

    — Ne t’inquiète pas, chéri, susurra la princesse en faisant de nouveau glisser son doigt sur la peau du Fugitif. Je prendrai bien soin de toi.

    Un frisson parcourut Castor de la tête aux pieds alors que l’ongle pointu de son interlocutrice lui frôlait la lèvre inférieure.

    — Je vais m’en passer, merci.

    Il se préparait à recevoir un autre coup, ou au moins à être fusillé du regard, mais sa réplique ne suscita pas plus de réaction chez les gardes que chez la princesse. En fait, le Fugitif comprit qu’Annsala ne portait pas de réelle attention à ce qu’il disait ou faisait — elle était probablement trop occupée à s’écouter parler. D’ailleurs, la voilà qui s’éloignait de lui, agitant les bras dans tous les sens, les mots sortant de sa bouche à toute vitesse :

    — Tu verras, nous formerons un couple absolument magnifique. Nous gouvernerons les Chasseurs, le peuple nous vénérera et nous admirera…

    « Oui, bien sûr. » Un petit soupir s’échappa d’entre les lèvres de Castor. À quelques pas de là, la princesse continuait de divaguer, faisant allusion au somptueux palais qu’ils habiteraient une fois mariés, à la valeur des vêtements qu’on confectionnerait pour eux… Le jeune homme cessa toutefois rapidement d’écouter, préférant diriger son attention et le peu d’énergie qui lui restait sur quelque chose de plus pertinent ; les liens de cuir qui lui enserraient les poignets, par exemple. Car, peu importe toutes les promesses qu’Annsala pouvait bien lui faire et tous ces guerriers qui les escortaient et le surveillaient du coin de l’œil, Castor n’avait pas du tout l’intention de trottiner gentiment jusqu’à la tribu des Chasseurs pour y épouser une femme qu’il n’aimait pas. « Et c’est pas en m’enlevant qu’elle va améliorer les choses… », songea le Fugitif alors qu’un liquide chaud lui poissait les mains. L’odeur métallique du sang atteignit rapidement ses narines, lui tirant une grimace ; le cuir de ses liens entamait sa peau, la rongeait et rouvrait ses blessures les plus récentes — celles qu’il avait subies lors de l’attaque des lynx des Grandes Montagnes. À ce souvenir, quelque chose se tortilla dans le ventre de Castor. Ces bêtes, aussi sauvages et agressives soient-elles, ne quittaient pas leur territoire à moins d’y être forcées, et adoptaient généralement une attitude plutôt défensive. Leur invasion chez les Fugitifs consistait en un phénomène inhabituel, voire anormal. Le jeune homme était probablement le seul à connaître la véritable cause de la présence des félins en ces lieux : quelqu’un, ou quelque chose, les avaient envoyés dans un but précis ; but qu’ils avaient atteint. Les légères ecchymoses entourant le cou de Castor en étaient la preuve. « Cette pierre que Zéphyr t’a remise, il ne doit rien lui arriver. » C’étaient les mots qu’il avait adressés à Polux avant qu’ils ne se séparent. Des mots très importants. Car Castor, lui, n’avait pas réussi à veiller sur la pierre qu’il possédait. Désormais, il n’y avait plus que le Rôdeur pour s’assurer que la dernière gemme ne tombe entre de mauvaises mains. « J’espère que tout va bien pour toi, p’tit frère… », se dit le Fugitif en revenant au moment présent. Son regard croisa alors celui d’Annsala, qui avait cessé de fanfaronner depuis un moment, et un frisson remonta le long de son échine. « Parce que moi, compléta-t-il intérieurement devant l’air sombre de la princesse, je suis dans de beaux draps. »

    La sueur perlait à ses tempes, trempait sa nuque. Ses paumes étaient moites, la plaque de métal qui renforçait son arc glissait sous ses doigts. La corde, qu’elle retenait du bout de l’index et du majeur, était tendue au maximum. Les muscles de ses bras et de son dos hurlaient de douleur sous l’effort, et la flèche de bois noir tremblotait, sa pointe scintillant sous la faible luminosité du soleil.

    — Chinook, fit Tara dans un souffle.

    Aucune réponse. Si le Tsaye avait été dans son état normal, un murmure aurait suffi à attirer son attention, même à cette distance. Mais il n’était pas dans son état normal.

    — Chinook.

    Toujours rien. Un grondement sourd s’éleva sur la droite de la Tueuse. La jeune fille ne détacha toutefois pas son regard de sa cible pour ordonner :

    — Anouka.

    De nouveau le silence. Puis le vent. La brise chuchota en s’infiltrant entre les branches dépouillées des arbres, emmenant avec elle les feuilles mortes qui n’étaient toujours pas tombées. Les brins d’herbe s’étendirent et ondulèrent contre le sol, telle la fourrure frémissante d’un animal sauvage. Des aiguilles de sapin furent soulevées de terre et allèrent s’emmêler dans les cheveux de Tara qui, sous la fraîcheur de la bise, soupira et ferma les yeux. Un long frisson parcourut la Tueuse de la tête aux pieds, et tout son corps se détendit. Sa poigne se raffermit sur le manche de son arc, ses doigts se recourbèrent sur la corde, la flèche s’immobilisa. Elle rouvrit les yeux. Et son regard rencontra le sien. Polux ne bougeait plus. Il avait cessé de se débattre entre les mains de Chinook, ses jambes ballantes sous lui, ses doigts enserrant faiblement le bras du Tsaye qui le maintenait à 30 centimètres du sol. Il était parfaitement immobile et il la regardait — la regardait vraiment. Comme jamais personne ne l’avait fait auparavant. Comme s’il posait les yeux sur elle pour la première fois. Comme si elle était la seule chose au monde à capter son attention en cet instant. Comme s’il souhaitait qu’elle soit la dernière chose qu’il voie avant de fermer les yeux. Le cœur de la Tueuse fit un bond dans sa poitrine, assez haut pour aller se loger dans sa gorge et y rester coincé. Le sang se mit à battre à ses tempes, marquant chaque seconde et la pressant à agir. Alors, lentement, l’adolescente ferma un œil et ajusta la position de sa flèche. Lorsque la pointe métallique fut bien en place, parfaitement alignée pour atteindre l’épaule gauche de Chinook, Tara inspira profondément. « Pourvu que ça fonctionne », espéra-t-elle. Puis, avec un calme et un naturel qui la déconcerta elle-même, elle ouvrit la bouche :

    — Chinook ?

    Comme elle l’avait prévu, il n’y eut aucune réponse. Alors, en y mettant toute la force, toute la détresse et toute l’énergie dont elle fut capable, elle poussa un hurlement qui emplit l’air autour d’elle, qui fut plus puissant que les cris du vent, et qui représentait son dernier espoir :

    — KINNZYO !!!

    — NON ! s’écria immédiatement Chinook en tournant la tête vers elle. PAS SON NOM !

    Mais Tara l’ignora. Elle vit les yeux de Polux s’embuer, puis ses paupières se fermer.

    Elle tira.

    1

    Kinnzyo

    I l ouvrit les yeux. Rien, comme d’habitude. Il n’y avait que les ténèbres, toujours les ténèbres. Kinnzyo battit des paupières en laissant échapper un soupir — avant d’en retenir un second lorsqu’il prit conscience de ce qu’il faisait. C’était futile. Il n’avait jamais été en mesure de voir quoi que ce soit avec ses yeux — ou, du moins, pas ce que les gens normaux avaient l’habitude de distinguer —, et ce n’était pas un ou deux clins d’œil qui allaient changer les choses. Le Tsaye se redressa doucement, la couverture de laine qui l’avait gardé au chaud durant la nuit glissa le long de ses bras nus. Il resta un instant immobile, l’échine courbée, son menton touchant presque ses jambes qu’il avait ramenées contre lui. Lentement, le froid et l’humidité qui imprégnaient les lieux s’infiltrèrent par les pores de sa peau, et il frissonna. Puis la chaleur du soleil, bien qu’elle fût encore faible et repoussée par les murs de pierre, l’enveloppa, faisant naître cette sensation de brûlure si familière au milieu de sa poitrine. L’adolescent serra les dents. Les rayons du soleil pointaient à peine à l’horizon, mais cela suffisait à le réveiller ; cela suffisait donc aussi à réveiller l’Autre. Kinnzyo secoua la tête, préférant éviter de trop y penser — les flammes qui ondulaient sous sa chair, tout près de son cœur, lui rappelaient déjà bien assez la présence de celui avec qui il vivait chaque jour, avec qui il devrait vivre jusqu’à sa mort. Enfin, cela faisait tout de même un moment qu’il lui résistait, lui refusant la domination de son corps et de son esprit. Alors, une journée de plus … Kinnzyo se glissa hors du lit, silencieusement, ne voulant pas déranger la silhouette emmitouflée dans l’autre moitié de la couverture. Puis, sans un bruit de plus, il marcha jusqu’à la porte de la chambre, saisissant au passage son bandeau et ses deux ceintures auxquelles étaient fixées ses armes. La poignée ne cliqueta même pas lorsqu’il referma la porte derrière lui.

    Les rayons du soleil couraient sur sa peau, tels un millier de petits doigts brûlants aux ongles acérés. Ils ouvraient des dizaines de plaies béantes sur tout son corps, des plaies qui le démangeaient, des plaies qui s’élargissaient jusqu’à mettre même ses os à nus. Des plaies qu’il savait n’exister que dans sa tête. Des plaies qui n’étaient pas réelles — enfin, pas pour l’instant. Un long soupir s’échappa d’entre les lèvres de Kinnzyo alors qu’il serrait les dents, les muscles de sa mâchoire crispés à lui faire mal. Mais il devait rester allongé là, sur le flanc de cette colline, et attendre encore un peu, résister ne serait-ce qu’une minute de plus. C’était comme si sa vie en dépendait. L’odeur froide et humide de la terre s’infiltra dans les narines du Tsaye qui s’aperçut que, sous l’effort et la concentration, il avait replié les doigts, les enfonçant dans le sol jusqu’à la deuxième jointure. Lorsqu’il les extirperait de là, de la boue se serait glissée sous ses ongles. Il détestait ça. Cela rendait son psychisme beaucoup trop sensible au monde dans lequel il vivait, et de drôles de choses s’infiltraient alors dans son esprit. Le genre de choses que les autres Tsayes ne voyaient pas, n’entendaient pas, ne sentaient pas jusqu’au creux de leurs veines. Mais il n’était pas comme les autres, bien sûr. Avec un grognement, l’adolescent s’empressa de retirer ses doigts de la terre meuble, sachant pertinemment qu’il était trop tard ; déjà, des images apparaissaient et se mouvaient derrière ses paupières closes — un renard gris, suivant la piste laissée par une souris un instant plus tôt ; un écureuil, se saisissant d’un gland tombé parmi les fougères ; un jeune lynx, sa patte avant droite s’enfonçant dans le sol, créant une empreinte bien nette ; un Tueur, qui s’était baladé dans le coin en espérant trouver un peu de tranquillité. Par un simple contact, Kinnzyo pouvait voir tout cela, et bien plus encore. En fait, il n’avait souvent qu’à faire le vide dans sa tête, à se concentrer sur ce qui se trouvait autour de lui et non en lui, pour voir, entendre et sentir tout ce qu’il voulait. Qu’il s’agisse des toits du village, que Diego observait lui-même en ce moment par l’une des énormes fenêtres de la salle du trône ; de la voix de cette vendeuse, qui maudissait un gamin qui s’enfuyait en courant, le collier de perles qu’il avait dérobé et qui se trouvait maintenant entre ses mains ; ou du vent frais et revigorant qui gonflait les plumes de l’aigle qui planait à quelques centaines de mètres de là. Le seul problème était que laisser son esprit vagabonder de la sorte, alors qu’il était étendu sous les rayons ardents du soleil, risquait de lui coûter une ou deux brûlures de plus. C’est donc en maugréant et en agitant ses doigts, dont les muscles commençaient à être douloureux, que Kinnzyo s’obligea à revenir au moment présent. Lentement, toutes ces choses qu’il était le seul à percevoir retournèrent à leur place, à l’horizon de ses pensées, redevenant aussi diffuses et imprécises que la brume qui s’étendait aux pieds des Grandes Montagnes. Les sons, les odeurs, les sensations ; tout se mélangea jusqu’à former un bruit sourd, quelque chose qui serait toujours présent dans la tête du Tsaye, mais qu’il pourrait oublier en dirigeant son attention sur autre chose de plus… concret. Les sourcils de Kinnzyo se froncèrent au-dessus de ses yeux fermés. Le vent s’était levé, s’enroulant autour de ses membres, faisant claquer le tissu usé de son pantalon et jouant dans les mèches inégales de ses cheveux blancs. La caresse de la brise aurait pu être agréable — aurait dû l’être —, si cela n’avait été de tout ce qu’elle amena avec elle : une chaleur accablante, une odeur de peur, un long frisson d’inquiétude, un sentiment de danger… et un cri de détresse, étouffé par la distance, mais parfaitement audible parmi les vibrations de l’air :

    Kinnzyo…

    Avant même qu’il ne comprenne ce qui se passait, le Tsaye s’était déjà remis sur ses pieds et s’était mis à courir. Les arbres défilaient à la lisière de son champ de vision, le vent sifflait à ses oreilles et faisait claquer les pans de son bandeau, collait son pantalon à sa peau, les brindilles et les feuilles mortes craquaient sous ses pieds, la terre meuble explosait en gerbes à chacun de ses pas… Et, en une seconde, tout fut terminé. Il déboucha dans une clairière, où il fut assailli par les odeurs de la peur, de la colère et de la haine ; celles du sang et de la mort étaient bien plus fortes. La sensation de chaleur s’accentua dans la poitrine de Kinnzyo jusqu’à se transformer en une intense brûlure. Le Tsaye sut qu’il n’arriverait pas à lui résister. Le feu s’étendit à son ventre, à sa gorge, à ses membres. Puis, les images qu’il percevait derrière ses paupières closes s’assombrirent, et un frisson le parcourut alors que l’Autre prenait peu à peu le dessus. L’excitation de ce dernier gagna Kinnzyo, qui eut à peine conscience qu’un grondement montait désormais de sa gorge. Le Tsaye franchit la distance qui le séparait de son but en un battement de cils, sans que plus de deux enjambées soient nécessaires. Puis il tendit le bras devant lui. Lorsque ses doigts se refermèrent autour de la flèche au bois noir, le monde, qui avait semblé figé tout au long de sa course, se remit soudainement à tourner.

    La flèche fila vers sa cible, fendant l’air dans un sifflement. Tara n’eut même pas le temps d’abaisser son arc qu’elle le vit : jaillissant de l’ombre, se faufilant entre les troncs serrés des arbres, ce n’était pas une silhouette, ni même une forme floue, mais plutôt une ondulation, comme l’air qui semble ondoyer lorsqu’il est brûlant. Et, durant ce court instant où elle eut l’impression de distinguer même le mouvement du vent, alors que tout le reste — qu’il s’agisse des maigres branches dépouillées des feuillus ou de la poussière qui voletait devant ses yeux — paraissait parfaitement immobile, Tara crut qu’elle pourrait enfin inspirer profondément et emplir ses poumons au maximum. Mais alors, l’onde qui traversait l’espace entre l’orée de la forêt et la flèche, qui avait presque atteint sa cible, se modela en quelque chose de plus précis. Et tout recommença à bouger.

    — Kinnzyo ! répéta Tara au moment où le Tsaye se saisissait de la flèche en plein vol.

    Mais l’adolescent ne lui jeta pas un regard, pivotant immédiatement vers Chinook.

    — Non ! s’écria ce dernier en tendant sa main libre dans sa direction.

    À peine avait-il esquissé ce geste que Kinnzyo était déjà sur lui. Dans un nouveau mouvement si rapide qu’il en parut flou aux yeux de Tara,

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