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Des veines dans le granite - Tome 3: Le cycle d'Alban
Des veines dans le granite - Tome 3: Le cycle d'Alban
Des veines dans le granite - Tome 3: Le cycle d'Alban
Livre électronique347 pages5 heures

Des veines dans le granite - Tome 3: Le cycle d'Alban

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À propos de ce livre électronique

Alban devra apprendre à maîtriser ses pouvoirs, caché des hommes...

Alban est un garçon qui a le don de rentrer en communion avec les courants telluriques, des flux d’énergie traversant le sol permettant de soigner ou de tuer. En grandissant, il apprend à maîtriser ses pouvoirs dans le secret, comme son père et sa sœur avant lui qui ont développé d’étranges facultés au fil des années. Le garçon qui entrevoit des relations secrètes entre le ciel et la terre doit connaitre l’ampleur de ses capacités, avant qu’il ne devienne dangereux. Dans les coulisses des religions, des mythologies et des fables, des indices parlent de ce don aujourd’hui oublié de tous mais que la famille d’Alban cherche à déchiffrer pour reconstruire une religion.
Vivant caché des hommes, Alban apprendra à exercer ses pouvoirs aux côtés d’Erin, son amour d’enfance, dans une nature somptueuse mais sauvage, au cœur du monde. Ce 3è roman des Veines dans le granite met en scène l’aventure épique et intimiste de l’apprentissage d’Alban.

Emboitez le pas d'Alban dans ce fantastique roman initiatique !

EXTRAIT

Le coucou chante à nouveau, et sa voix flûtée enchante les lieux en vous apprenant que rien de mauvais ne peut vous arriver. Dans le silence du bois, la forêt rêve. Les arbres étendent leurs branches sur l’eau comme de longs parasols. Je saute sur le premier rocher. Le courant entre dans mes sandales. Ouh, elle est froide. Est-ce que je continue ? Je suis toute seule à présent. Je sais nager. Vas-y, Erin. L’écroulement d’eaux que génère la cascade surgit dans un fracas continu. Il m’enivre. J’ai envie d’aller au milieu du barrage, pour bien tout voir depuis son centre et dominer la cascade en hauteur. Avoir le meilleur point de vue de la chute des eaux. Je poursuis précautionneusement. Le bruit se fait assourdissant. J’arrive au milieu à présent, juste au bord, là où l’eau arrive très fort. Mes sandales glissent et je ne peux plus bouger sans risquer de tomber. Je suis prise entre les mains de la rivière. Je n’ai pas compris que ce coin joli était dangereux. Mince, je suis coincée là. J’ai froid. Maintenant j’ai peur. Papa ? Si je l’appelle, m’entendra-t-il ?
— Papa ? je risque.
Rien, mes mots fleurissent à peine dans ce gros déversement. Pourquoi est-ce que je me suis laissé entraîner comme une sotte ?

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Un roman un peu terroir sur la sortie de l'adolescence dans une nature mystérieuse. - Annatlantique, Babelio

À PROPOS DE L'AUTEUR

Après avoir fait des études de droit, Rémy Lasource est devenu fonctionnaire. Il a travaillé quelques années en banlieue nord de Paris au contact des policiers et des magistrats. Il vit aujourd'hui en Limousin.
LangueFrançais
ÉditeurEx Aequo
Date de sortie23 mars 2020
ISBN9782378739188
Des veines dans le granite - Tome 3: Le cycle d'Alban

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    Aperçu du livre

    Des veines dans le granite - Tome 3 - Rémy Lasource

    cover.jpg

    Rémy Lasource

    Des veines dans le granite

    Le cycle d’Alban

    ISBN : 978-2-37873-918-8

    Collection Atlanteis

    ISSN : 2265-2728

    Dépôt légal : mars 2020

    © couverture Ex Aequo

    © 2020 Tous droits de reproduction, d’adaptation et de

    traduction intégrale ou partielle, réservés pour tous pays.

    Toute modification interdite.

    Éditions Ex Aequo

    6 rue des Sybilles

    88370 Plombières les bains

    www.editions-exaequo.com

    Pour Ulysse et Armand, deux soleils

    qui me nourrissent de leur lumière. 

    Les arbres murmurent autour de nous. La lumière perce les frondaisons et étire de longs doigts poussiéreux dans l’obscurité. Je lève mon regard vers les cimes où le soleil se répand en une pluie d’étincelles. Dans la toiture de la forêt, il joue un feu d’artifice volubile, mais sans bruit, en secret, dans le velours du silence où coulent les rivières de poussière. Je ne peux m’empêcher de courir en ouvrant la bouche pour avaler des taches de soleil, et je fais la folle comme ça autour de papa qui me demande de me calmer. Mais plus je cours et plus je saute et plus j’ai envie de me dépenser. Un coucou réveille le silence des bois. Je m’arrête pour l’écouter, il recommence son chant répété trois fois. Je respire fort.

    — Calme-toi, me demande mon père d’une voix calme.

    Mais j’aime le bruit soyeux de ma robe contre les herbes hautes. Je les froisse et elles caressent mes jambes comme une soie fraîche. Je reprends mes sautillements.

    — Attention aux serpents, Erin. Je ne te fais plus venir si tu n’écoutes pas.

    Le vent secoue les bras des arbres qui se tordent lentement dans un effeuillement d’air et je reçois des flèches de lumière crue dans l’œil. Je ris. Ici les châtaigniers, les frênes et les chênes sont hauts comme des monuments.

    — Oui, papa.

    Il poursuit sa descente vers la rivière, en bas de la vieille forêt barbue où personne ne va. Le meilleur coin à poissons selon lui. On s’approche du cours d’eau qui gargouille comme un gros monstre après les pluies de mars.

    — Parfois, tu ne fais pas tes huit ans. On te prendrait pour un gros bébé.

    Je suis sage cinq minutes. Mais un démon tiraille mes jambes aujourd’hui, il faut qu’elles courent.

    — Erin ! crie mon père.

    Je me force à l’attendre. Il me désigne un coin sablonneux où le courant est moins fort. On arrive sur la plage où il sort son attirail de pêche à la mouche. Le coucou nous salue pendant que mon père met ses cuissardes. Il commence à faire sa danse d’avant en arrière avec son bras et je regarde le fil de soie tourner au-dessus de nous.

    — Je peux aller me promener ?

    — Non.

    — S’il te plaît ?

    — Cette forêt est hantée.

    — Pfft !

    — Cette rivière est maléfique.

    — Pfft !

    — Moque-toi de ton vieux père. Quand j’étais petit, elle ne passait pas là, elle a dévié de son cours quand j’ai eu vingt ans. Et elle a charrié des tas de carcasses de moutons. J’en ai des souvenirs horrifiés.

    — Je resterai au bord et à portée de vue.

    — Non.

    — Et puis je dirai aux fantômes que je te connais.

    — Bon, vas-y, mais ne t’éloigne pas !

    — Oui, papa !

    Tu parles. Cet endroit m’attire. Je me retourne plusieurs fois en marchant pour faire signe à mon père, mais bientôt il ne me surveille plus. La rivière a des eaux noueuses qui ne cessent de mélanger leurs bras comme des muscles changeants où le soleil se reflète avec des joyaux de lumière. J’imagine que l’hiver elle est une cape diamantée de givre où dansent des êtres secrets, mais là au printemps elle ressemble plutôt à un dragon géant à la couleur changeante. Je descends en longeant le courant. Plus bas les eaux arrivent sur un barrage pierreux qui donne naissance à une cascade.

    J’approche des berges. Cette digue de pierres me fait envie, les eaux passent peu profondes dessus avant de se déverser plus bas. La rivière, j’ai l’impression qu’elle m’appelle.

    Le coucou chante à nouveau, et sa voix flûtée enchante les lieux en vous apprenant que rien de mauvais ne peut vous arriver. Dans le silence du bois, la forêt rêve. Les arbres étendent leurs branches sur l’eau comme de longs parasols. Je saute sur le premier rocher. Le courant entre dans mes sandales. Ouh, elle est froide. Est-ce que je continue ? Je suis toute seule à présent. Je sais nager. Vas-y, Erin. L’écroulement d’eaux que génère la cascade surgit dans un fracas continu. Il m’enivre. J’ai envie d’aller au milieu du barrage, pour bien tout voir depuis son centre et dominer la cascade en hauteur. Avoir le meilleur point de vue de la chute des eaux. Je poursuis précautionneusement. Le bruit se fait assourdissant. J’arrive au milieu à présent, juste au bord, là où l’eau arrive très fort. Mes sandales glissent et je ne peux plus bouger sans risquer de tomber. Je suis prise entre les mains de la rivière. Je n’ai pas compris que ce coin joli était dangereux. Mince, je suis coincée là. J’ai froid. Maintenant j’ai peur. Papa ? Si je l’appelle, m’entendra-t-il ?

    — Papa ? je risque.

    Rien, mes mots fleurissent à peine dans ce gros déversement. Pourquoi est-ce que je me suis laissé entraîner comme une sotte ?

    Je m’accroupis pour mieux quitter le barrage de rochers glissants. Revenir doucement. Mes mains, mes genoux sont glacés. Je lève la tête pour voir que je me rapproche, mais c’est justement ce qu’il ne fallait pas faire, ne pas se déséquilibrer. Immédiatement fauchées par le courant mes jambes pendent dans le vide, mais mes mains s’agrippent au rocher. Je suis couchée sur le ventre dans le courant qui engloutit mon visage et je ne peux pas respirer sans risquer de tomber. Mes mains glissent. Je sens la mousse rentrer sous mes ongles. Je sais que je vais tomber plus bas. Je serre tout ce que je peux pour me retenir à ma vie, et lentement, très lentement ma prise cède et je tombe.

    Un instant dans l’air je fais face aux rideaux argentés d’eaux, mais déjà j’entre dans l’onde.

    C’est profond, heureusement. Le froid comprime mon torse, mon pied tape sur un rocher, j’ai mal, je remonte vers la surface. Ma jambe est douloureuse. J’ouvre la bouche comme un poisson hors de l’eau, mais je n’ai pas de prise dans les courants contraires, et j’essaie de nager comme on me l’a appris à l’école, mais l’onde glacée tétanise mes muscles.

    — Au secours ! je crie.

    Je n’arrive pas à nager, j’essaie, mais je n’y arrive pas. La panique s’empare alors de moi. Mais je suis sans force dans ce ventre froid qui m’entraîne et me retourne en lui. Je n’ai plus assez de souffle pour crier. La rivière me garde dans ses bras, voilà plus rien ne m’amuse à présent et je m’affole en dépensant mes dernières forces contre un élément qui m’avale en m’affaiblissant. Je le comprends trop tard. Ma gorge est douloureuse d’avaler l’eau en croyant trouver de l’air et de tout recracher dans des spasmes. Maintiens ta tête hors de l’eau, Erin. Pas de berge, pas de tronc mort où s’agripper. Rien que ma conscience qui diminue.

    Alors la rivière change de nature, car deux bras me portent soudain, comme si elle devenait humaine. Mes sens sont désorientés. Ma tête se trouve relevée hors de l’eau près d’une épaule, non je ne rêve pas, quelqu’un est dans les flots et me sauve de la noyade. J’étais épuisée, mais je reprends de l’air. Je retrouve peu à peu mes esprits. J’essaie de comprendre. C’est un garçon que je crois connaître qui nage contre moi en me portant. Lui, la rivière, elle lui obéit. Il fend l’eau comme un poisson avec moi contre son corps chaud. J’ai le temps de voir le soleil jouer entre les feuilles. Je me détends enfin, je pense être hors de danger. Je sens ses jambes palpiter sous les miennes et commander notre trajectoire. Il nous maintient un petit peu au centre du courant et je peux voir comme elle est belle cette rivière, avec ses allées d’arbres monumentaux. Et nous défilons entre eux. Un moment nous passons sous des marronniers en fleurs et j’ai envie de rire rien qu’à voir leurs grappes fragiles figées dans une explosion florale immobile. L’enfant rivière nous laisse dériver quelques secondes où je profite vraiment de la beauté des lieux sans plus aucune peur, ça semble si facile pour lui, puis de violents battements de ses jambes nous conduisent vers une plage, avec maîtrise et précision.

    Je suis morte de froid. L’enfant rivière tourne la tête et je le vois. C’est Alban, un copain de classe. J’y crois pas. Pourtant il semble différent ici. Tout ce qui m’arrive est différent. Ça vient de ces lieux, ils sont beaux, mais dangereux comme dans les contes. Papa avait raison en fait, cette forêt est hantée. Je n’ai plus la force de parler. L’enfant rivière s’approche de moi comme si ce qui nous arrivait était naturel, et il pose sa main sur mon front, pour me réchauffer. Mes forces reviennent très lentement. Je peux mieux l’observer. Il est en maillot de bain. Mais ce qui est étrange c’est son regard. Alban n’a plus ses yeux verts de d’habitude. Avec l’obscurité du sous-bois et le contre-jour, j’ai du mal à bien comprendre ce que je vois. Ses yeux sont beaucoup plus clairs, beaucoup trop pâles, ils ne sont plus humains, en fait je crois qu’ils sont transparents. Comme la surface de l’eau me dis-je. Comme ceux d’un monstre. Je cligne mes yeux et me rapproche de lui qui ferme ses paupières quand j’approche trop près. Le soleil chauffe nos visages et lui grogne de plaisir comme un animal sauvage se plaît à ne rien faire. Quand il les ouvre à nouveau ses yeux sont redevenus normaux. Pourtant je n’ai pas rêvé ce que j’ai vu. Quand il m’a sauvée, il était cette autre chose.

    J’ouvre la bouche pour lui parler, mais le monde tourne légèrement et sa main qu’il pose à nouveau sur ma tête m’apaise. Je m’allonge et m’endors. Il caresse mes cheveux qu’il lisse doucement. Et je sens cette source chaude qui arrive depuis sa paume et qui me soigne. J’ai le sentiment ou plutôt l’intuition qu’Alban appartient à cette forêt magique. C’est un prince monstre ou un être du monde fabuleux des fées, mais il est gentil. Il me sauve, je le comprends à cette lumière qui vient de sa main et pénètre ma tête dans la nuit de mon sommeil.

    Quand je me réveille, mon père affolé me secoue avec ses grosses mains pour me réchauffer. Il est paniqué, et comme je vais très bien je le rassure immédiatement. Je bafouille un mensonge à propos d’un bain que j’aurais fait, mais sans lui dire que j’ai failli me noyer. Quand il s’aperçoit que mon regard est apaisé et que je n’ai pas froid malgré mes vêtements mouillés, il se calme un peu. Il me demande de me lever et déclare que nous rentrons. Sa peur a gommé toute colère à l’égard de ma désobéissance.

    Sur le retour je sens une présence près de nous. Sans rien dire, je me retourne et j’aperçois quelqu’un sourire et s’approcher sous les feuilles. Puis son regard apparaît et je peux m’assurer que je n’ai pas rêvé. Alban a des yeux inhumains, mais beaux, des yeux transparents avec une lumière qui vibre autour de sa tête, comme si l’air se tordait à son contact quand il est dans cet état. Et je crois que cela me plaît. Je viens d’être sauvée par un personnage magique.

    Le lundi quand je retrouve Alban à l’école il est proche de moi, sans que nous ayons besoin de reparler de cet évènement. Comme si ce secret était trop lourd pour des mots. Mais aussi comme si quelque chose de très grand au-dessus de nos vies nous rendait complices, à présent.

    Livre I

    L’héroïne

    J’ai toujours aimé l’eau. J’adore la regarder s’écouler, ou fermer mes yeux pour mieux l’écouter. Le ruissellement est un poème sensoriel. Une source qui chante dans le silence me remplit de son harmonie. Et puis il y a les couleurs qu’elle véhicule, elle est un conducteur de ce qui nous entoure, car elle s’approprie le monde autour, le vole et le reflète ensuite à sa façon, en le peignant, parfois en le déconstruisant avec ses courants changeants, mais sans que nous ne connaissions sa nature profonde. Tantôt miroir reflétant l’azur, tantôt peinture plane comme une nature morte, parfois transparente, tantôt grise ou glauque, on sait toujours ce qu’elle veut nous montrer d’elle, mais jamais ce qu’elle est.

    J’ai toujours aimé l’eau. Les images de surf m’ensorcellent ! Le mouvement de la houle dans les clips de folk, Jack Jonhson qui filme son ami Slater, j’adore ! Les vagues quand elles se forment prennent la lumière du verre tout en recelant les lumières par transparence… puis elles roulent et prennent un bleu profond, miroirs d’un paradis, pour ensuite se fracasser enivrées par leur élan, affolées et joyeuses de leur propre course, fortes et heureuses dans leur débordement d’énergie. Des vitraux vivants, voilà ce que sont les vagues, les vitraux d’une cathédrale, celle de ce grand monde autour. L’eau est le vitrail de la cathédrale que nous habitons. Mais je crois que les vagues sont aussi autre chose. Je me le dis ? Vais-je pouvoir me l’avouer ? Elles sont une respiration océanique.

    J’ai toujours aimé l’eau. Dans les magazines psychologiques, on dit que cela nous vient de notre mémoire intra-utérine. C’est certainement vrai, j’étais bien dans le ventre de ma maman, enfin, je crois. Pourtant je pense qu’il y a autre chose me concernant en plus de cette vérité qui nous concerne tous. Je n’ose à peine me l’avouer par crainte d’être fou. Mais comment formuler cela ? L’eau me parle. Et moi je la comprends un petit peu, en tout cas j’apprends.

    Depuis tout petit je cours dans les herbes hautes de l’été, dans la boue l’hiver, à croire que je suis né pour ça, courir. La campagne je la connais, je la visite comme un apiculteur ses abeilles, comme un docteur de campagne ses vieux patients. La nature m’appelle, elle veut toujours me voir, elle est toujours curieuse de moi, et moi qu’est-ce que je veux ? Je veux prendre soin d’elle. Parfois je cueille des fleurs à la tombée de la nuit, entouré d’un ballet de lucioles et je sens les grosses veines des collines se chauffer au petit feu de mes jambes, même si c’est de mon père qu’elles ont besoin. Elles me réclament, me donnent des forces que les autres hommes n’ont pas et elles sont là pour faire grandir mon don en me demandant de prendre soin d’elles. Je marche toujours sur les veines qui remontent des profondeurs du monde et qui effleurent les pierres.

    Mon père le sait. Il m’a toujours laissé faire, mais à une condition, je dois cacher ça aux hommes. Je ne peux dire ce que je vis qu’à ma proche famille, parce que les gens ne comprendraient pas nos secrets. Pourtant quand j’ai vu ma copine Erin tomber dans l’eau il y a huit ans je n’ai pas hésité. Je voyais bien que la rivière jouait avec elle comme elle le faisait avec moi. Mais Erin n’est pas comme nous. La rivière allait avaler et digérer ma copine. Erin… elle a des yeux particuliers, je les aime tellement que je refuse de me dire ce qu’ils signifient pour moi. Quoi ? Laisser Erin à l’eau pour protéger mes dons, abandonner sa personne aux courants ? Et ses yeux ? Deux pierres mortes roulant au fond de ma rivière ? Alors là non. J’ai plongé et pris Erin dans mes bras. Je repense souvent à ces instants avant de m’endormir le soir. Qu’est-ce que j’aurais dû faire, hein, papa ? La laisser se noyer ? Non, ni toi ni moi ne sommes comme ça. Pourtant je n’en ai jamais parlé. C’est comme si cet évènement m’avait dépassé, comme si de minuscules choses en mouvement avaient été minutieusement agencées, et que j’avais juste eu le temps d’écouter mon cœur.

    Ne jamais parler de nos dons. J’ai écouté papa, je n’en ai pas parlé à Erin même si ma nature véritable lui est apparue naturellement, avec une spontanéité et une franchise qu’à l’adolescence on est en train de perdre. Papa m’amuse parfois. Il dit que mon don va évoluer. Que je suis en train de devenir un adulte. Alors il fait de la musique avec un bout de bois pour me protéger de mes crises. Il est mystérieux avec ses histoires de totem. Il voulait me cacher le sien jusqu’à ce que je hausse les épaules en lui disant qu’il était un gros loup. Là il a toussé sous la surprise en me demandant s’il ne me faisait pas peur. « Même pas quand tu tues les autres », ai-je répondu. Alors là, il m’a fait « chut ! »

    Mais effectivement, je remarque plus de choses depuis quelque temps. Dans les plis du vent. J’essaie de sonder les courants d’air. Les arbres, je les observe se comporter au changement de temps. Ils se parlent, j’en suis sûr ! À ne pas aborder avec la prof de biologie. Même si on parle des alliances entre champignons et arbres, il est trop tôt pour dire aux hommes ce que nous sentons.

    Ce soir, le crépuscule happe tout mon esprit. C’est à cause de cette chaleur qui change. On traîne après l’école comme tous les soirs ce printemps, et on mange les fruits du cerisier communal. On est quelques élèves avec Erin. Elle aussi a changé. Avec ses yeux singuliers et les traits de son visage elle dégage quelque chose qui me scelle à sa personne. J’aimerais me libérer de son emprise. J’ai de plus en plus de mal à la regarder dans les yeux. Elle est vive, il suffit de la voir planter des essais pendant ses matchs de rugby pour comprendre qu’elle a du sang viking. Elle a une hargne héroïque, déterminée, et parfois la voir jouer me fait vibrer. Je l’admire un peu c’est vrai. Enfin je l’aime sans oser l’approcher. Moi je ne fais pas de sport, sauf à l’école, en prenant soin de cacher mes dons. Et puis je deviens ringard pour tout le monde, je suis dans ma période « église ». J’y vais souvent, sans savoir pourquoi, pour le silence ? J’y lis un peu les Évangiles, parfois, mais rarement. J’assiste à des messes, mais je n’aime pas trop les offices religieux. Je vais dans les églises à la recherche de quelque chose. Les mythes, j’adore les mythes. Les récits, je cherche à sentir ce qu’ils cachent. Et la Bible c’est ça, la dernière compilation de mythes plus anciens. Alors pour Erin qui est une star dans l’équipe, un grand cul-terreux comme moi, ça ne signifie plus rien. Elle brille dans le monde des garçons branchés, alors que moi, je dois tout faire pour en vivre à l’écart. En acceptant de vivre mon don, c’est comme si j’abandonnais le rêve de vivre pleinement avec les miens et que j’étais séparé malgré moi d’Erin. Comme un curé avec sa foi.

    On est quatre ou cinq à grappiller les cerises sous l’agacement des moineaux. Au fur et à mesure que le soleil descend, mon don me force à ressentir de nouvelles choses. Je retiens mes yeux de monstre que j’ai depuis tout petit, ce qui a enchanté mon père, au moins autant que la descente de mes testicules. Le bus des étudiants se gare dans notre dos. Erin va encore avoir le droit de se faire courtiser. Plutôt que souffrir je reste concentré sur ce qui passe sous le gros tilleul. Il a poussé sur une veine de pierre qui conduit à un nœud de courants telluriques, juste sous l’église. Les changements de température me font rentrer dans un ravissement. Les feuilles murmurent au ciel quelque chose comme un poème.

    — Eh, le curaillon, t’écoutes ?

    Je ne prête pas attention à Stéphane, le grand étudiant qui fanfaronne autour d’Erin. À moins qu’il ne s’adresse à moi. Mais le crépuscule est magnifique, il happe toute mon attention, des nuages de gouache s’amassent à l’horizon pour former un berceau soyeux au soleil qui s’arrondit en énorme boule rouge, et elle descend avec majesté. Mon don me montre quelque chose, mais quoi ?

    Je reçois une tape derrière la tête. Surpris qu’on s’intéresse à moi je me retourne. C’est Stéphane, mais qu’est-ce qu’il me veut ce grand con ? Les autres enfants de mon âge sont déjà partis, il ne reste qu’Erin soudain très pâle, qui descend de l’arbre.

    — Qu’est-ce que je t’ai fait ?

    — Toi, curaillon, tu sais pas que Dieu est mort ?

    Il fait le dur pour Erin. Je dois sortir de ce mauvais pas, d’autant que mon don m’attire vers le coucher de soleil, et que je deviens complètement indifférent à cet idiot. C’est sans me rendre compte que je détourne mon visage pour observer le crépuscule, et c’est là que Stéphane me crache au visage.

    — T’es un petit PD ? Un curaillon pédophile, c’est ça ?

    — Pourquoi est-ce que tout ce que tu dis semble sorti d’un cerveau de singe en surproduction hormonale ?

    — Quoi ?

    — Tais-toi, je regarde le ciel.

    Je m’essuie la joue. Il me lance un grand coup droit que j’esquive de justesse.

    — T’as peur, pédale ? Bats-toi qu’on en finisse. Ah non, tu vas me tendre l’autre joue, c’est ça le catho ?

    Et il se marre de toute sa méchanceté idiote.

    — Écoute Stéphane, je ne veux pas me battre, dis-je poliment.

    Je sais que si je me concentre en usant du pouvoir des lignes, je peux rentrer dans ses yeux puis dans son esprit, je peux le convaincre, voir le commander l’espace d’un court instant. Vas-y, mais sans lui montrer ton vrai regard. Mais le soleil m’attire, allez, Alban, reste concentré.

    Stéphane se marre.

    — Quoi, tu me fais les gros yeux ?

    Le soleil appelle mon attention et ce que j’admire est les funérailles d’un dieu. L’horizon est devenu un brasier. Mais je me fais encore cracher dessus. C’est là qu’il tombe à la renverse à côté de moi, le temps de regarder ce qui se passe, je vois Erin accrochée à ses genoux qui plaque mon agresseur magistralement. Puis elle monte sur lui à califourchon, arme son poing qu’elle lève haut et lui décoche un grand coup dans sa gueule. La vache, quelle fille ! Elle a les yeux encore plus bleus que d’habitude sous la colère, et elle ne retient pas son deuxième coup sur le nez de Stéphane qui crie « stop ! »

    Lui se lève tandis qu’elle l’insulte « dégage pauvre con, dégage de mon copain et t’approches plus de nous ou je t’envoie mes frères ». Mon agresseur se redresse comme un chien battu, l’air déconfit, sa main contre son nez en sang, face à cette fille dressée sur ses appuis avec une force intérieure sur le point d’exploser.

    Une fois Stéphane parti elle se retourne furieuse après moi et me commande de m’essuyer. Mais je n’ai pas à m’excuser de mon comportement.

    — Merci quand même, je lâche.

    — J’aurais préféré que tu règles ça tout seul.

    Puis elle se détend.

    — Pourquoi tu t’es pas battu ?

    — Je sais pas. Je crois qu’essayer de convaincre est plus important que de s’imposer.

    — Dis-moi, ça te chiffonne pas qu’une fille se batte pour toi ?

    — Non. T’avais l’air de bien t’en sortir toute seule.

    On ne s’est pas regardé dans les yeux comme ça depuis des années. Je suis en train de me sentir tout chose.

    — Pourquoi, t’es PD ?

    — S’il te plaît, ne ramène pas le courage à la sexualité.

    — Ah bon. T’es homosexuel alors ?

    Là elle me cherche en faisant de l’esprit, ça me détend, et je peux l’observer à loisir. L’expression de son visage a quelque chose de splendide, enfin je trouve.

    — Et toi, tu es préhistorique ?

    — Non. Mais je voulais savoir si tu t’intéressais aux filles.

    — Pardon ?

    — Ben, les PD s’intéressent pas aux filles.

    En posant cette question, je comprends trop tard que je suis tombé dans son piège, d’autant qu’elle se rapproche dangereusement de moi comme un grand veut faire peur à un plus petit. Je sens ses lèvres venir trop près et ses yeux poignarder les miens. L’idée qu’elle essaie de m’impressionner comme l’a fait Stéphane m’amuse soudain, et son jeu a le mérite de briser la gêne entre nous en créant une intimité qu’on n’osait plus avoir.

    — Je vais te dire, petit non-violent. Ce qui me plaît, c’est que tu n’es pas une brute.

    — Comme toi ?

    — Oui, comme moi. Parce que sinon on n’arrêterait pas de se chercher. Non ce qui me plaît dans ta non-violence, c’est que tu n’es pas lâche, tu as peut-être eu peur un peu je ne sais pas, et ça aurait été normal après tout, moi aussi j’ai eu les chocottes juste le temps de partir pour taper tout ce que je pouvais, mais en tout cas je sais que tu es valeureux, courageux, parce que je le sens dans tes yeux.

    — Et c’est ça qui te plaît, toi qui te prends pour une amazone ?

    — Exactement. J’aime pas les idiots brutaux, et j’aime pas les mauviettes. Toi tu es ni l’un ni l’autre et j’ai envie de voir ce que ça donne.

    Son jeu soudain me donne envie de lui montrer qu’elle me plaît. Sa provocation déclenche quelque chose en moi que je contrôle mal, et sans crier gare je la fauche en la tenant dans mes bras puis je la soulève comme si elle ne pesait rien, mais elle se débat en vain et s’énerve. C’est ce que je voulais, d’ailleurs je crois que c’est ce que nous voulions tous les deux ; alors d’une force contre laquelle elle ne peut rien je la couche sur le dos, délicatement, et je la maintiens fermement par les épaules ma tête penchée sur elle. Je pourrais l’embrasser si j’osais. L’herbe est constellée de fleurs blanches autour de sa chevelure. Je sais que le soleil est en train de s’abîmer dans le monde.

    Enfin elle arrête de se débattre et me regarde. Je lui souris.

    — Merci, lui dis-je.

    Elle essaie encore de se dégager, de me frapper, mais je la bloque sans difficulté.

    — Tes yeux changent quand tu te bats, lui dis-je.

    — Et toi ? Je t’ai connue avec un autre regard.

    Quand je me relève, elle me frappe à coups de poing. J’en laisse certains venir sur mon torse, histoire qu’elle sente mes muscles. Je bloque ceux qui s’approchent de mon visage et finalement je garde ses deux poignets serrés dans mes mains. Elle enrage, essaie de se libérer prise entre la joie de me sentir fort et la colère d’être prisonnière. C’est moi qui m’approche d’elle. Elle lève un genou vers mes parties que j’évite, et je resserre ma prise qui lui provoque un cri de douleur.

    — Je ne veux pas me battre. Et je ne le ferai pas. Si tu veux voir ce qu’un non-violent et non mauviette peut donner, alors accepte qu’un pacifiste soit plus fort que toi, espèce de petite brute du rugby.

    — T’es qu’un petit con qui bat les filles. Je te hais.

    — Oui, moi aussi, tu me plais.

    Elle se débat toujours et sa tête est tout échevelée. Des fils d’or passent sur ses yeux bleus. Un moment je crois que je vais l’embrasser.

    Je la libère.

    — Erin ?

    — Quoi ! elle essuie son tee-shirt plein d’herbe séchée. J’essaie de ne pas trop regarder ses seins.

    — Tu voudrais pas qu’on aille se promener vers Malmort un jour ?

    — C’est un rancart ?

    Je ne sais pas quoi lui répondre. Et j’ai du mal à soutenir ses yeux, mon vrai regard veut surgir, et j’ai envie de me blottir près d’elle, comme ce jour à la rivière, quand nous avions huit ans.

    Et elle me frappe d’un grand coup de poing dans l’épaule.

    — Salut, Alban. Viens me voir jouer un match un samedi si t’as rien à faire.

    De retour chez moi je suis toujours perdu dans mes pensées, ou plutôt tout à ma contemplation du monde. Quand je rentre à la maison, Ondine, ma mère, caresse ma joue comme elle faisait quand j’étais enfant. Je mets la table. Quand Papa finit de rentrer ses bêtes, il arrive pour le dîner. J’ai les yeux qui cherchent tout le temps une fenêtre pour voir le ciel. Quelque chose est en train de changer avec le soir.

    Je vois que mon père aussi est différent. Il est plus apaisé que d’habitude, happé dans un étrange bien-être. Maman a l’air de savoir ce

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