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LE TESTAMENT DE KATE
LE TESTAMENT DE KATE
LE TESTAMENT DE KATE
Livre électronique357 pages5 heures

LE TESTAMENT DE KATE

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À propos de ce livre électronique

«Mes trésors à qui saura comprendre !»

À la suite du décès de leur tante excentrique, Jake et Sarah Donovan sont convoqués chez Me Rosenberg pour la lecture du testament. Alors que Sarah hérite de la prospère compagnie navale Pegasus Corp., son cousin Jake, qu’elle déteste depuis toujours, devient le propriétaire de Donovan’s Manor, de la clé d’un coffret de sûreté à Genève, d’une horloge antique ainsi que d’un vieux manuscrit intitulé «20 avril 1721».

Jake apprend vite que sa portion de l’héritage est convoitée par d’autres. C’est que le manuscrit contient des renseignements pouvant mener à la découverte d’un trésor, celui de son ancêtre Richard Deneuve qui a côtoyé le célèbre pirate Olivier Levasseur dit «La Buse». Ce Richard du XVIIIe siècle, qui a frôlé la mort à plusieurs reprises, perdu la femme pour laquelle son cœur brûlait et parcouru les mers, a peut-être plus en commun avec le jeune Jake qu’avec cette pimbêche de Sarah…

Aidé d’un ami antiquaire, Jake tente d’assembler les pièces du puzzle laissé par sa tante entre Genève, l’île de la Réunion et la Nouvelle-Angleterre. Mais le temps presse: des gens sans scrupules sont prêts à tout pour mettre la main sur le magot… estimé à plus de quatre milliards de dollars!

Deux époques, un trésor: êtes-vous prêts pour l’aventure?
LangueFrançais
Date de sortie7 juin 2017
ISBN9782897583095
LE TESTAMENT DE KATE
Auteur

Julie Vachon

Julie Vachon a fait des études en littérature française à l’Université Laval avant de compléter un baccalauréat en droit. Elle a pratiqué quelques années comme notaire à Granby, sa ville natale, avant de se diriger vers l’écriture. Sa double formation lui sert à merveille pour construire un univers romanesque empreint de recherches, d’aventures… et de piraterie! Son intérêt pour les sources documentaires l’a mené à écrire ce premier roman fertile en rebondissements que vous ne pourrez délaisser avant de connaître le fin mot de l’histoire.

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    Aperçu du livre

    LE TESTAMENT DE KATE - Julie Vachon

    L’AUTEURE

    1.

    Newport, Rhode Island

    14 mai 2012

    Jake Donovan consulta sa montre: 16 h 10. Seulement dix minutes de retard, songea-t-il, satisfait, en prenant place dans l’un des confortables fauteuils de cuir du bureau d’avocats Flaherty, Rosenberg et associés, où il avait été convoqué pour 16 h. Il apprécia la souplesse du cuir qui craquait sous son poids. Il avait franchi la distance entre Boston et Newport en une heure et dix minutes, ce qui n’était pas si mal compte tenu des embouteillages et de l’état de sa vieille Volvo.

    Sa cousine, quant à elle, était bien sûr arrivée à l’avance.

    Toujours impeccable, Sarah avait croisé ses jambes fuselées emprisonnées dans un bas de soie nacrée. Elle appliquait en petits coups de pinceau précis un rose translucide sur ses lèvres. L’ivoire de son teint, associé à un nez aristocratique, la faisait ressembler à une statue grecque. Aussi froide que le marbre qui la composait. Bien qu’elle fût loin d’être son type – il les aimait un peu plus pétillantes –, il concédait le fait que plusieurs la considéraient comme l’une des plus belles femmes de la haute société de Newport.

    Elle rangea soigneusement son tube de rouge dans son minuscule sac Louis Vuitton qu’elle referma d’un claquement sec.

    Ayant ainsi achevé sa tâche, elle tourna la tête vers Jake et posa sur lui ses grands yeux pâles. Elle détailla avec condescendance le tricot de coton noir qui s’ouvrait à l’encolure sur un t-shirt acheté en France l’été où l’équipe de soccer célébrait sa victoire. Il portait son sac de toile en bandoulière, dans lequel il transportait ses livres et notes de cours. Il étudiait le droit à Harvard et elle ignorait toujours comment cet abruti avait réussi à se rendre en troisième année. Le moins que l’on pouvait dire, c’est qu’il n’avait pas le physique de l’emploi. Ses cheveux châtains étaient trop longs, il n’était pas rasé et son haleine exhalait une vague odeur d’alcool. Elle plissa dédaigneusement le nez. Mais malgré la nonchalance vestimentaire de son cousin, force lui était de constater que cela ne diminuait en rien son élégance naturelle. Même ses Nike usées lui seyaient bien.

    Il soutint le regard de sa cousine durant tout le temps que dura son examen. Et lorsqu’elle en eut terminé avec lui, il lui décocha un clin d’œil qui décomposa son sourire condescendant.

    Toi, ma belle, tu n’en as pas terminé avec moi, songea-t-il en son for intérieur.

    En effet, puisqu’ils étaient les seuls héritiers de leur tante, la richissime Katherine Ann Donovan, décédée quelques jours plus tôt, ils devenaient ainsi, tous les deux, les nouveaux dirigeants de la prestigieuse société Pegasus Corp. Et il y avait fort à parier que les prochaines réunions d’actionnaires seraient pour le moins explosives: sa cousine le détestait depuis qu’ils étaient jeunes.

    Elle rapportait systématiquement à leur tante le moindre écart de conduite: une vitre brisée par une balle de tennis, des nids ou des grenouilles dissimulés sous son lit, de la nourriture volée aux cuisines. Puis, ses bagarres dans les bars, le nom des filles avec qui il sortait, les cours séchés, les examens échoués, les accidents de moto, les beuveries…

    Mais Jake répliquait…

    Kate avait exigé de Sarah qu’elle le parraine pour son admission au New York Yacht Club. Ce club très sélect avait accueilli toutes les générations de Donovan depuis plus de cent vingt-cinq ans, ainsi que divers autres membres au prestige indiscutable: les Astor, Edward Kennedy Jr, David Rockefeller, Franklin Roosevelt, Cornelius Vanderbilt. Il séduisit les amies de Sarah, subjuguées par le charme d’un jeune homme d’une décennie de moins qu’elles; il fit du grabuge à la course de yachts et au pique-nique annuel du club, et chanta, accompagné de sa bruyante bande d’étudiants éméchés, des chansons grivoises lors de la remise des trophées. Kate, aussitôt prévenue par le coup de fil hystérique de Sarah, mit un terme définitif à ces enfantillages. S’il était incapable de se tenir en société, jamais il ne pourrait diriger l’empire Donovan. Il avait digéré la leçon qui lui avait néanmoins laissé un goût amer dans la bouche. Il s’était juré de ne plus jamais laisser sa rivalité avec sa cousine anéantir ses perspectives d’avenir.

    Elle devait songer à la même chose que lui, car elle pinça les lèvres et plissa les yeux dans une attitude combative.

    Ce serait une redoutable adversaire, il n’en doutait pas.

    Mais il choisit pour le moment d’ignorer sa cousine et s’attarda plutôt sur le décor en attendant Me Rosenberg. La couleur chaude du mobilier d’acajou massif s’agençait parfaitement au cuir tan des fauteuils capitonnés. Sur les murs tapissés, des tableaux, dont deux superbes estampes japonaises, étaient mis en valeur par la lumière feutrée de deux lampes murales. Au fond du bureau, des rideaux de velours vert fougère se tendaient sur de larges baies vitrées. D’où il était, Jake pouvait distinguer l’entrelacement complexe des motifs d’inspiration espagnole de la rambarde de fer forgé du balcon sur laquelle un télescope avait été installé afin de profiter de la vue qui donnait sur l’océan Atlantique. À droite de la fenêtre, sur un guéridon, un flacon de cognac, accompagné de quatre verres de cristal ciselé, trônait dans un plateau d’étain. À la vue de l’alcool, Jake détourna vivement le regard en sentant monter traîtreusement un vague haut-le-cœur. La veille, malgré la période des examens qui s’annonçait, lui et quelques amis s’étaient retrouvés au pub. Des Canadiennes en vacances pour le week-end s’étaient jointes à eux et la soirée s’était joyeusement prolongée jusqu’aux petites heures du matin. Il fouilla dans ses poches de jeans à la recherche d’une gomme ou d’un bonbon à la menthe.

    Des bruits de pas dans le couloir les firent se redresser. Me Marcus Rosenberg pénétrait dans son cabinet avec la même superbe qu’un monarque se présentant devant sa cour pour distribuer ses faveurs. L’illustre avocat avait pris la peine de présider lui-même l’ouverture du testament de Kate plutôt que de désigner un subalterne de l’étude.

    De taille moyenne, il portait un impeccable complet anthracite signé Armani qui tombait élégamment sur des chaussures en cuir fin d’Italie. Une montre à l’épais bracelet d’or jaune (Jake supposa qu’il s’agissait d’une Rolex) ceignait son poignet, et de la poche de son veston apparaissait le coin d’un mouchoir jaune paille, assorti à sa chemise. Son crâne dégarni luisait de sueur, malgré le système de climatisation. Une persistante odeur de musc et de cèdre le précéda lorsqu’il traversa la pièce pour rejoindre son bureau.

    Me Rosenberg sourit chaleureusement à la nouvelle succession des dirigeants de la Pegasus Corp. en prenant place derrière son bureau, tournant ainsi le dos à l’immensité bleutée de l’océan Atlantique qui emplissait toute la baie vitrée derrière lui.

    Après avoir offert les condoléances d’usage, Me Rosenberg ouvrit le dossier devant lui et en retira une enveloppe cachetée: le testament de Katherine Ann Donovan, qu’il entreprit de lire sans plus tarder.

    Il récitait d’un ton monocorde, mais expéditif, les passages plus généraux et clauses usuelles en levant régulièrement les yeux au-dessus de ses lunettes pour s’assurer de la bonne compréhension de ses clients. Arrivé aux clauses relatives aux legs, l’avocat ralentit délibérément le débit de sa voix, en articulant chacun des mots:

    «Et je lègue à ma nièce Sarah, fille de mon frère David Donovan, toutes les actions et tous les intérêts que je possède dans la société Pegasus Corporation Ltd.»

    Une chape de plomb s’abattit sur Jake. Il cligna des yeux quelques fois, sous l’effet de la stupeur. Avait-il bien entendu?

    Le regard triomphant de sa cousine lui confirma ce qu’il avait peine à croire. Sa tante l’avait déshérité!

    Il encaissait l’affront, le cœur battant. Son cerveau, comme insensible à sa douleur, lui répétait inlassablement, en détachant et rythmant les syllabes à la manière de ces comptines obsédantes: Kate t’a déshérité… Kate t’a déshérité.

    C’était absurde de sa part, mais il ne pouvait s’empêcher de supposer que Kate avait eu, au dernier moment, des scrupules à léguer sa fortune à un bâtard… Ce mot, qui n’avait jamais rien signifié pour lui sinon les derniers vestiges d’une société snobinarde et élitiste à laquelle il n’appartenait pas, l’atteignait maintenant au plus profond de son être.

    Et pourtant, le fait que Jake soit issu d’une relation extraconjugale n’avait jamais semblé gêner Kate, qui n’était guère le genre de femme à s’attarder aux conventions sociales…

    Me Rosenberg s’était interrompu pour offrir à Sarah un sourire professionnel entendu. Elle devenait ainsi, grâce à ce legs, seule actionnaire du puissant empire naval. Il s’assurerait de conserver le privilège de demeurer son principal conseiller juridique. Cette société constituait un véritable filon d’or pour l’étude Flaherty, Rosenberg et associés…

    Au fil des ans, les dirigeants de Pegasus Corp. avaient su s’adapter aux circonstances et à l’histoire, et l’entreprise s’était toujours distinguée par sa capacité à saisir les occasions. C’est ainsi notamment qu’en marge de ses activités initiales de transport de bois provenant des côtes canadiennes et de sucre du Brésil, elle avait mis à la disposition des Yankees une partie de sa flotte lors de la guerre de Sécession et entrepris de ravitailler toute la colonie en charbon à l’ère de la révolution industrielle. L’annonce de l’ouverture d’un puits en Pennsylvanie en 1859 marqua le début de l’intérêt de ses actionnaires pour les ressources pétrolifères, et la société décida rapidement de concentrer la majeure partie de ses activités au transport de ce précieux combustible.

    Cette décision s’avéra judicieuse: en 1920, la consommation de pétrole remplaça celle du charbon et les États-Unis détrônèrent même la Grande-Bretagne. Malgré le krach de 1929, 275 millions de tonnes de pétrole étaient produites et transportées à travers la planète, de la mer du Nord, de l’Alaska et du Venezuela jusqu’en Europe ou au Japon, empruntant le détroit de Malacca, contournant le cap de Bonne-Espérance ou passant sur le canal de Suez.

    À ce jour, des centaines d’employés de la société appartenant aux Donovan veillaient à coordonner les mouvements de ces superpétroliers qui sillonnaient les mers du monde entier.

    Et Pegasus Corp. devait en partie cette formidable réussite au professionnalisme des avocats de Flaherty, Rosenberg et associés qui assistaient, négociaient et établissaient les liens nécessaires avec l’Arabie saoudite, la Russie et les autres puissances énergétiques de la planète.

    Me Rosenberg était suffisamment perspicace pour comprendre que la nouvelle dirigeante, qui se trouvait assise devant lui, ne serait pas facile à amadouer. Il maudit intérieurement Kate Donovan de n’avoir pas suivi ses conseils quant à l’établissement de la relève potentielle de l’empire familial.

    Il reprit la lecture:

    «Je lègue à mon bien-aimé neveu, Jake Donovan, le contenu d’un coffret de sûreté détenu à la Banque patrimoniale de Genève, en Suisse, dont les coordonnées lui seront remises par mon avocat, Me Rosenberg.»

    Jake sentit sa gorge se desserrer d’un seul coup. Son orgueil, quoique profondément écorché par son déshéritement, était partiellement réhabilité. Sa tante avait prévu quelque chose pour lui.

    «Dans le cas où ma nièce Sarah me prédécéderait ou ne me survivrait pas trente jours, sa part appartiendra à mon neveu Jake. Le résidu de tous mes biens meubles et immeubles sera légué en entier à une fiducie sociale de bienfaisance envers les personnes nécessiteuses, laquelle sera choisie selon les volontés de mon liquidateur, Me Marcus Rosenberg.»

    — Je vous fais grâce des détails concernant la fiducie, reprit Me Rosenberg en toussotant pour camoufler son malaise.

    En effet, l’expression ahurie de Sarah à la lecture des derniers paragraphes ne lui avait pas échappé.

    Car malgré l’importance du legs dont Sarah bénéficiait, la fortune personnelle de Kate en termes de possessions immobilières était l’une des plus considérables de la côte est américaine. Elle possédait plusieurs parcs immobiliers, des immeubles à revenus, condominiums et propriétés luxueuses, plusieurs actions dans différentes sociétés à travers le monde et la fabuleuse demeure familiale érigée en front de mer par leur ancêtre Richard Donovan, le fondateur de Pegasus Corp. Un siècle et demi plus tard, d’illustres fortunes, tels les Astor et les Vanderbilt, s’étaient bâties le long de ces mêmes terres.

    — À qui ira Donovan’s Manor? s’enquit Sarah d’un ton pincé.

    Érigé dans un parfait assemblage de pierres pâles et de fines colonnes de marbre respectant le style néo-classique, le château était saisissant. Il avait été entièrement rebâti en 1730 après qu’un incendie eut ravagé la première résidence des Donovan. Beaucoup plus imposante, plus somptueuse, la seconde demeure surclassait, et de loin, toutes celles de la côte. Rien n’avait été laissé au hasard pour démontrer la puissance de l’empire Donovan.

    De l’extérieur, son architecture massive en imposait. Mais la délicatesse des frises, la finesse des sculptures et la parfaite régularité des motifs allégeaient l’ensemble et conféraient à la demeure une sobre magnificence. Une rampe carrossable dallée bordait toute la façade du manoir sur laquelle se succédaient une vingtaine de hautes fenêtres en arches. En plein centre, trois lions sculptés importés d’Italie crachaient leurs jets d’eau au milieu d’une fontaine.

    Des ailes s’étaient rajoutées à la résidence initiale qui conservait néanmoins le même cachet au fil des siècles. Dans ce qu’on avait toujours appelé l’ancienne partie, on retrouvait, entre autres, la salle de bal éclairée d’une succession de lustres de cristal ainsi que la bibliothèque avec son âtre suffisamment profond pour brûler un tronc d’arbre mature et dans laquelle étaient conservés sous verre des livres et pièces de collection tous liés au thème du chantier naval ou de la navigation, ainsi que les archives familiales. Et, bien sûr, le célèbre cellier où Kate entreposait des bouteilles millésimées inestimables.

    La demeure actuelle comptait maintenant plus d’une trentaine de chambres toutes équipées de leur propre salle de bain, deux cuisines dignes des meilleurs restaurants, une bibliothèque avec foyer dans la nouvelle aile, plusieurs salons et séjours, une piscine intérieure, un gymnase et des bains turcs.

    Dans le jardin, des verrières avaient été rajoutées au fil des années, abritant des espèces exotiques d’arbres et de fleurs, mais aussi de fruits provenant de tous les endroits de la planète qui réussissaient à croître grâce à la constante chaleur dégagée par des tuyaux enfouis dans le sol.

    Alexander Donovan, le père de Kate, avait en outre fait ériger pour son épouse, Jane Elisabeth, une ravissante maison de thé de pur style japonais. La pagode blanche et bleu de Sienne, érigée à l’extrémité du domaine, donnait l’impression de jaillir des ondes.

    Un peu en retrait, à travers un massif d’arbres centenaires, une statue représentant l’emblème de l’empire Donovan avait été érigée trois siècles plus tôt: Pégase, le cheval ailé, surplombant les flots. Les sabots du cheval s’appuyaient sur un socle de pierre moussue au milieu d’un bassin d’eau où plongeaient les branches tombantes d’un vieux saule pleureur. Cette fontaine, érigée en même temps que la seconde demeure, semblait oubliée par le temps, envahie par la végétation et polie par les éléments, mais surtout éclipsée par les immenses bassins rectangulaires de baignade, par le terrain de tennis, par le charme des écuries et la splendeur des jardins bien entretenus.

    Donovan’s Manor demeurait, sinon la pièce maîtresse de l’empire Donovan, du moins la plus emblématique de sa formidable réussite. C’était aussi la demeure où Sarah et Jake avaient passé tous leurs étés. Elle représentait pour eux beaucoup plus qu’un investissement: c’était l’écrin qui préservait leurs derniers souvenirs d’enfance.

    Sarah lissait avec application ses cheveux blonds coupés au carré qui reposaient de façon impeccable sur ses épaules. Jake reconnut ce geste qui lui était caractéristique lorsqu’elle était contrariée. Me Rosenberg toussota, visiblement mal à l’aise.

    — Votre tante a légué le manoir à monsieur Jake Donovan.

    Jake releva la tête avec étonnement et rencontra le regard méprisant de Me Rosenberg.

    — Ainsi, elle m’a déshéritée, conclut sèchement Sarah. La colère lui raidissait les mâchoires. Elle ne pouvait concevoir que Kate l’eut spoliée de cette manière! Elle savait pourtant à quel point elle le méritait! Ses études en administration et en gestion où elle avait excellé, ses relations haut placées, son acharnement au travail. Comment Kate avait-elle pu avantager son idiot de cousin qui était plus occupé à boire et à courir les femmes qu’à s’occuper de l’entreprise familiale? Elle était convaincue qu’il ignorait jusqu’au nom des membres du conseil d’administration!

    — Pas tout à fait, mademoiselle, reprit Me Rosenberg d’un ton qu’il voulait conciliant. Vous devenez la seule actionnaire d’un empire colossal…

    — Est-ce vous qui avez rédigé ce testament? coupa Sarah. Son regard était d’acier, ses paroles désobligeantes, et même Me Rosenberg commençait à s’agiter nerveusement sur son siège.

    — Non, mademoiselle, il a été entièrement rédigé de sa main et signé en présence de deux témoins. Hum… Mademoiselle Adèle Mc Dermott, déchiffra-t-il et madame Alicia Van Eyke.

    Sarah s’était emparée du document et le parcourait rapidement des yeux. Madame Mc Dermott était la gouvernante de Kate et madame Van Eyke une amie de longue date. Son regard s’attarda sur la date de sa confection.

    — Le 22 février 2012. Il date de quelques mois seulement, Me Rosenberg…

    Me Rosenberg ne releva pas la remarque.

    — Comme je vous le disais il y a quelques instants, mademoiselle, vous héritez tout de même d’un empire fabuleux! Et d’ailleurs, à ce propos, intervint Me Rosenberg, il serait préférable de convoquer rapidement les membres du conseil d’administration afin d’établir les nouvelles modalités de gestion de l’entreprise et les rassurer quant à la transition…

    Mais déjà, Sarah se levait, très digne dans son tailleur gris souris bien cintré.

    — Je crois, Me Rosenberg, que l’essentiel a été dit. Pour les détails, nous verrons tout cela plus tard. Je vous recontacterai en temps opportun. Si toutefois nous considérons justifié de poursuivre notre relation d’affaires avec votre étude…

    Jake demeura assis pendant que l’avocat escortait sa cliente en lui déclinant les dernières condoléances d’usage et en lui réitérant son support dans le règlement de cette triste affaire.

    Lorsqu’enfin il revint, il avait perdu sa mine obséquieuse. Il retira de l’enveloppe une clé ainsi qu’une enveloppe plus petite marquée à l’effigie de la Pegasus Corp. et les tendit à Jake, demeuré assis.

    — Je vous souhaite bonne chance, monsieur Donovan.

    Visiblement, l’entretien était terminé. Déjà, il feuilletait un autre dossier qu’il avait retiré d’une crédence.

    Jake s’empara de la clé et de l’enveloppe et ignora les salutations distraites de Me Rosenberg, qui ne prit même pas la peine de le raccompagner.

    Le juriste entendit Dorothée, sa secrétaire, répondre poliment aux salutations du jeune homme, puis attendit que résonne le carillon de la porte.

    Il déposa le dossier sur son bureau et se leva prestement; un simple coup d’œil lui assura que Jake était bien sorti.

    — Je ne veux être dérangé sous aucun prétexte, Dorothée, ordonna-t-il avant de refermer sur lui la porte capitonnée. Il se dirigea vers son bureau.

    Il inspira un grand coup, puis décrocha le combiné.

    Ses doigts pianotaient nerveusement sur la vitre protectrice de son bureau. Il réprima un sursaut nerveux lorsque son interlocuteur décrocha l’appareil. Mais il se ressaisit rapidement. Il s’entendit articuler:

    — Une clé et un numéro de coffret de sûreté à la Banque patrimoniale de Genève. Ce qui vous intéresse doit sans doute se trouver dans ce coffret.

    — Oui, reprit-il après un silence, Jake Donovan n’a hérité que de cette enveloppe et du manoir. Mis à part les actions dans la Pegasus Corp., tout le reste de la fortune a été dévolu à une œuvre de bienfaisance.

    Me Rosenberg raccrocha le téléphone. Cet appel, qui ne lui avait pris que quelques secondes, lui avait rapporté la somme de 250 000 dollars.

    2.

    Genève, Suisse

    16 mai 2012

    Le Boeing atterrit à Genève à 8 h 15 du matin; contrairement à ses habitudes, Jake n’avait pu fermer l’œil du vol. Les événements des derniers jours le déconcertaient, partagé qu’il était entre l’excitation du voyage et le chagrin que lui avait causé le décès subit de sa tante.

    Personne n’ignorait la malformation cardiaque qui affligeait Kate Donovan, mais il ne s’était jamais attardé à l’éventualité de sa mort. Son cœur se serra au souvenir du corps frêle de sa tante, exposé aux regards indécents de tous ceux qui s’étaient déplacés pour rendre un dernier hommage à cette femme remarquable.

    Car Katherine Ann Donovan était véritablement une femme d’exception. Elle avait réussi là où beaucoup avaient échoué. Elle avait su, grâce à sa force de caractère et à sa détermination, mais aussi à son optimisme et à son goût du risque, se hisser à la tête de l’empire familial. C’était elle, la petite, comme ses frères la surnommaient – contrairement à la lignée des Donovan, Kate ne mesurait pas un mètre cinquante –, qu’Alexander Donovan avait désignée pour lui succéder à la tête de l’entreprise. C’était en s’opposant à son père en premier lieu, puis à ses frères, Michael et David, puis éventuellement à tous ceux avec qui elle devait négocier, sans faiblir et sans se plaindre, qu’elle en était venue à se faire respecter. Plusieurs la considéraient comme une femme implacable et froide…

    Mais elle était d’une grande générosité et accueillait chaque été avec un réel plaisir ses neveux pour les vacances estivales. Donovan’s Manor devenait alors le théâtre de somptueuses réceptions, où des femmes élégantes en robes de soirée et couvertes de bijoux buvaient du champagne, couvées des yeux par les plus puissants hommes d’affaires de la côte est sous les feux discrets des lanternes chinoises qui éclairaient les jardins comme autant de lunes… Au petit matin, on la retrouvait, seule femme au milieu des hommes, à discuter affaires, chevaux ou bateaux en savourant un scotch ou un whisky dans le salon de chasse. Elle s’était toujours sentie plus près des hommes que des femmes. Élevée seule au milieu de deux frères turbulents et compétitifs pour qui chaque activité devenait l’occasion de se démarquer, de gagner, de vaincre, elle n’avait pu faire autrement que s’adapter.

    Désavantagée physiquement, elle avait dû user de finesse, de rapidité et d’esprit. Elle avait développé un solide sens de l’argumentation et excellait dans l’art du bluff. Et malgré son sale caractère, ses frères l’adoraient. Car elle pouvait aussi être drôle, vive et chaleureuse avec les siens. Personne ne demeurait insensible à cette dame. Surtout pas Jake.

    Il avait un jour surpris une conversation où sa tante, en parlant de Sarah, avait confié à une amie: «Je suis navrée de le dire, mais cette jeune fille est réellement insipide. Ce n’est pas qu’elle soit sotte, mais elle se comporte comme si c’était le cas et ses propos sont d’une rare ineptie…»

    Alors, pourquoi l’avoir préférée pour diriger la société familiale? Pourquoi ne pas lui avoir fait confiance à lui? Toutes ces questions demeuraient sans réponse et le torturaient. La clé se trouvait sans doute dans un coffret de sûreté en Suisse…

    Mais alors, que pouvait-il bien contenir pour justifier son déshéritement? De l’argent? Des bijoux de famille? Des titres immobiliers? Des actions de compagnies? Des concessions de diamants au Kenya? Malgré lui, un frisson d’excitation le saisit. Car venant de Kate, tout était possible!

    N’ayant aucune valise autre que son bagage à main, il échappa à l’attroupement de voyageurs exténués après le vol, massés autour du carrousel. Quelques instants plus tard, il était à l’extérieur et attrapait un taxi qui le mena directement au 11, quai du Mont-Blanc à l’Hôtel de la Paix où il avait déjà réservé une chambre depuis Newport.

    Cet établissement réputé, bâti en 1865 sur les berges du lac Léman, était bien connu de la famille Donovan. L’endroit plut immédiatement à Jake. Le lobby ressemblait à l’intérieur d’un palais de l’Antiquité avec sa succession d’arcs et de voûtes déclinés en arcades et soutenus par des colonnettes ornées de frises et de volutes sculptées dans le marbre. La structure ainsi formée composait un balcon intérieur à la balustrade ajourée sur lequel déambulaient les clients de l’hôtel qui pouvaient ainsi admirer le lobby en contrebas. Le carrelage était composé d’un assemblage de dalles noires et blanches. L’ensemble faisait penser à une salle de bal du siècle dernier, n’eût été l’ameublement résolument moderne et le choix d’un rouge chatoyant comme couleur dominante.

    Après avoir parcouru rapidement le journal en avalant un café bien tassé au bar de l’hôtel, il était monté à sa chambre pour se changer.

    Lorsqu’il y pénétra, il laissa échapper un sifflement. Au milieu de la pièce trônait le lit recouvert d’un épais édredon blanc orné d’un cortège d’oreillers et de traversins immaculés. Au pied du lit, un banc de velours vert en demilune était disposé pour accueillir les coussins pour la nuit. Une imposante armoire en bois d’acajou massif dissimulait un écran de télévision gigantesque et accaparait presque tout un pan du mur. Bien que visiblement coûteuse et de bon goût, la chambre bénéficiait comme attraction principale de la vue majestueuse sur le lac Léman et sa fontaine. Il s’avança jusqu’à la porte française qui donnait sur le petit balcon et l’ouvrit.

    Le soleil éclatant de mai faisait chatoyer les filets argentés crachés par l’imposante fontaine érigée au milieu du lac Léman, nourri par les eaux du Rhône descendues des Alpes. Sur les ondes, des cygnes majestueux glissaient avec grâce. Des massifs végétaux bien entretenus ourlaient les berges du lac, au milieu desquels pointaient des brassées de tulipes aux éclatants coloris.

    Au loin, la masse diffuse du mont Blanc se dressait derrière les rangées d’édifices de verre du quartier d’affaires de Genève. Les rues, les édifices, les parcs, tout le décor était ordonné, paisible et majestueux, en parfaite symbiose avec le peuple helvète. En contrebas, des yachts et des voiliers amarrés formaient un agencement rafraîchissant de couleurs et de formes.

    Jake consulta sa montre d’un rapide coup d’œil. Il n’avait pas beaucoup de temps avant sa rencontre à la banque et il tenait à parcourir le trajet à pied, promenade incontournable selon André, le préposé à la réception de l’hôtel. Tout en réintégrant sa chambre, il enleva son t-shirt qu’il jeta négligemment sur le lit et revêtit rapidement une chemise sur son jeans. Il claqua la porte derrière lui et dévala les escaliers vers le lobby. Une bouffée d’air frais lui caressa le visage lorsqu’il descendit dans la rue.

    Même s’il ne connaissait Genève que par l’entremise d’un guide de voyage, il s’était tout naturellement imaginé que la Banque patrimoniale de Genève se trouverait dans la cité d’affaires, que les Genevois appelaient les Rues-Basses. Ce quartier regroupait les meilleurs joailliers, horlogers de précision, marchands de cigares et d’alcools rares, chocolatiers et boutiques de prêt-à-porter. Et constituait, en outre, le bastion de la haute finance.

    Dans ces immeubles cubiques de grès olivâtre siégeaient les fameuses banques suisses qui accueillaient depuis le XIIIe siècle des banquiers et des commerçants de tous lieux.

    Mais la Banque patrimoniale de Genève, institution presque aussi ancienne que la ville elle-même et profondément ancrée dans la tradition bancaire, était située dans les vieilles rues de Genève.

    Il se dirigea donc

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