Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Descente aux enfers (Chroniques célestes – Livre III)
Descente aux enfers (Chroniques célestes – Livre III)
Descente aux enfers (Chroniques célestes – Livre III)
Livre électronique287 pages3 heures

Descente aux enfers (Chroniques célestes – Livre III)

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Forcée d’intégrer l’armée céleste dès son retour au Palais et privée du soutien d’Abrahel, Eleanor commence à se demander si elle sera vraiment capable de vaincre les Abysses.
Il lui faudra descendre au cœur des Enfers pour arracher à la terre la seule faiblesse de Lucifer. Une faiblesse qu’il a pris grand soin d’enfouir au plus profond de sa crypte pour la soustraire aux yeux du monde.

Mais s’il existait un démon plus puissant et plus terrible encore que Lucifer ?
Et si ce démon était capable de tout détruire en un claquement de doigts ?
Alors, ils seraient tous perdus.

Après « Les clés du paradis » et « La chute de l’ange », découvrez le troisième tome de la saga « Chroniques célestes ».

LangueFrançais
Date de sortie22 mai 2017
ISBN9782370115454
Descente aux enfers (Chroniques célestes – Livre III)

En savoir plus sur Marie Sophie Kesteman

Auteurs associés

Lié à Descente aux enfers (Chroniques célestes – Livre III)

Titres dans cette série (4)

Voir plus

Livres électroniques liés

Fantasy pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Descente aux enfers (Chroniques célestes – Livre III)

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Descente aux enfers (Chroniques célestes – Livre III) - Marie-Sophie Kesteman

    cover.jpg

    Descente aux enfers

    Chroniques célestes – Livre III

    Marie-Sophie Kesteman

    Published by Éditions Hélène Jacob at Smashwords

    Copyright 2017 Éditions Hélène Jacob

    Smashwords Edition, License Notes

    This ebook is licensed for your personal enjoyment only. This ebook may not be re-sold or given away to other people. If you would like to share this book with another person, please purchase an additional copy for each recipient. If you’re reading this book and did not purchase it, or it was not purchased for your use only, then please return to Smashwords.com and purchase your own copy. Thank you for respecting the hard work of this author.

    Cet ebook est vendu pour une utilisation strictement privée. Cet ebook ne peut être revendu ou donné à d’autres personnes. Si vous souhaitez partager ce livre avec une autre personne, merci d’acquérir une copie additionnelle pour chaque bénéficiaire. Si vous lisez ce livre et ne l’avez pas acheté, ou s’il n’a pas été acheté pour votre utilisation personnelle, merci de retourner sur Smashwords.com et d’acheter votre propre copie. Merci de respecter le travail de cet auteur.

    © Éditions Hélène Jacob, 2017. Collection Fantastique. Tous droits réservés.

    ISBN : 978-2-37011-545-4

    img1.png img2.png img3.png Je ne comprends pas pourquoi on ferait un travail de deuil : on ne se console pas de la mort de quelqu’un qu’on aime.

    Michel Houellebecq

    Prologue

    Il faut que je sorte.

    — Chers amis, chères amies, commença Gabriel d’un ton solennel, nous sommes tous réunis ce soir pour rendre un dernier hommage à Abrahel. Il a offert sa vie pour protéger celle qui nous sauvera tous. Par sa mort, c’est notre peuple tout entier qu’il a protégé.

    — Gloire, répondit en chœur l’assistance.

    Les anges de la cour s’étaient rassemblés dans la salle du trône qui avait été agrémentée pour l’occasion de colossales gerbes de fleurs. Les lys et les orchidées exhalaient un parfum lourd. Cette fragrance sirupeuse, Eleanor ne la supportait plus. Elle se retrouvait projetée des cycles solaires plus tôt, dans une église à la nef étriquée, au pied d’un cercueil en chêne blanc qu’elle désirait oublier.

    On l’abandonnait à nouveau. Mais aujourd’hui, elle était adulte et elle ressentait cette ignominieuse douleur à l’apogée de sa puissance.

    D’élégants candélabres éclaboussaient le sol d’une lumière tremblotante et projetaient des ombres tristes sur le visage fermé d’Oonel. Eleanor serrait si fort les poings sur ses genoux que ses jointures étaient livides.

    La plupart des anges présents avaient répondu à l’invitation lancée par leur roi et leur prince par obligation. Rares étaient ceux venus honorer la mémoire de celui qu’ils n’avaient jamais apprécié.

    — Abrahel avait un certain mépris pour l’étiquette, se souvint l’archange. Il était l’un des seuls à ne pas m’encenser de ces pompeuses formules destinées à la royauté et à m’exprimer ses désaccords. Et ils étaient nombreux. Il était… surprenant.

    Il passa un doigt sur le bord du pupitre en chêne et jeta un regard au fronton de l’assistance où attendaient Oonel et Eleanor.

    — Je l’ai admiré pour sa force de caractère et son sang-froid, mais je ne l’ai jamais intimement connu. C’est pourquoi je laisserai dès à présent la parole à ses plus proches amis.

    Saint Pierre quitta son siège à l’extrémité de la première rangée. À la droite du vieil ange, Hisolda et Oonel avaient les yeux baissés. La chamane avait appris la funeste nouvelle de Gabriel en personne, quelques jours auparavant, et elle était arrivée au Palais le matin même de la cérémonie. Eleanor n’avait pas encore eu l’occasion de la saluer et, à dire vrai, elle n’en avait aucune envie. Elle se sentait coupable de la mort de l’angelot et redoutait d’affronter Hisolda. Le regard nébuleux, la chamane ne prêtait pas la moindre attention à ce qui se passait autour d’elle ; elle se trouvait à des lieues de la salle du trône.

    Saint Pierre s’avança sur l’estrade avec raideur. Sa bonne humeur usuelle l’avait quitté à l’instant même où ses yeux s’étaient posés sur Eleanor et Oonel. Il avait cherché Abrahel du regard avant de demander où était son imbécile d’assistant. Lorsque le Seigneur lui avait appris l’inévitable, le vieil ange ne l’avait pas cru. Il avait ri. Puis son visage s’était fermé.

    Derrière le pupitre, saint Pierre prit la parole d’une voix chargée de chagrin. Il sembla soudain à Eleanor qu’il était très âgé et très las. Les rides, dessinées sur sa peau par les éternités, paraissaient plus creusées que jamais. La lueur chancelante des bougies conférait à son discours un voile solennel presque intolérable. Les premiers mots de l’ange surprirent tant Eleanor et Oonel qu’ils redressèrent brusquement la tête.

    — Abrahel était un apprenti exécrable. Le pire qu’on puisse avoir ! Il n’obéissait jamais aux directives, il n’écoutait pas les conseils, il disparaissait sans un mot et il semblait toujours dans un autre monde. Quand je me fâchais contre lui, il levait les yeux au ciel. Il était taciturne, revanchard, provocateur, manipulateur et nonchalant. Une vraie tête de mule !

    Le murmure qui se répandit dans la salle s’agrémenta d’odieux lazzi.

    — Cependant, reprit le vieux saint d’un ton sec, c’était un garçon entier qui, contrairement aux jeunes anges d’aujourd’hui, accomplissait son devoir avec honneur. Il méprisait ceux qui brisaient leurs promesses et ne rechignait jamais sur les efforts à fournir pour respecter les siennes. Sa disparition creuse une plaie exceptionnellement douloureuse au fond de mon cœur. Abrahel laisse, à mes côtés, un vide qui demeurera éternel (il pointa un doigt accusateur sur l’assistance), car aucun de vous ici présent n’aura jamais l’étoffe pour le remplacer.

    Et sans ajouter un mot de plus, saint Pierre regagna sa place. Hisolda avait refusé de prononcer un discours. Personne ne s’en était formalisé. Après tout, elle avait considéré Abrahel comme son fils.

    Sur l’estrade, Oonel déplia son parchemin sur le pupitre. Eleanor retint son souffle alors qu’il fixait son texte d’un air absent. Ses yeux vert feuille, d’ordinaire si lumineux, semblaient presque gris et son sempiternel sourire avait disparu. Lorsque sa voix s’éleva enfin dans la salle, toute l’assemblée frémit.

    — Quand j’étais petit, j’étais rejeté par les garçons de mon âge parce que j’étais trop différent. Je passais mon temps, caché derrière les arbres, à les regarder jouer ou alors, je restais avec les angelines.

    Eleanor percevait la détresse du maître d’harmonie comme si c’était la sienne. Aujourd’hui, Oonel était plus vulnérable que jamais. Dans la salle, quelqu’un toussa.

    — Quand j’avais quelques dizaines d’années, les sentinelles sylvestres ont ramené un gamin, continua-t-il. Je les ai observés traîner ce gosse le long des ponts jusque devant la Sensei. Il s’est débattu comme un sauvage durant tout le trajet. C’était d’ailleurs à ça qu’il ressemblait : à un sauvage. Son visage était noir de crasse, il avait les cheveux poisseux et son short déchiré était couvert de boue. Il était maigre à faire peur.

    Oonel eut un sourire sans joie.

    — Ce qui m’avait surtout fasciné, à l’époque, était la fermeté du regard qu’il lançait aux sentinelles tandis qu’elles le traînaient à travers la ville. Il se débattait sans faiblir un instant. J’avais l’impression que ce gamin ne ressentait pas la moindre once de crainte. Pour moi qui avais toujours été effrayé par tout, c’était sidérant. (Il marqua une pause) Oui… Je pensais qu’il n’avait peur de rien. Mais je m’étais trompé sur toute la ligne ! Parce que, dès que les sentinelles détournaient les yeux, son regard se métamorphosait et ses yeux brillaient des larmes qu’il se forçait à ravaler. Il était terrorisé. Ce jour-là, j’ai découvert en lui ce qu’était véritablement le courage.

    Oonel se tut un moment. Il posa ses mains de part et d’autre du pupitre et s’y appuya de tout son poids. Ses épaules étaient agitées par des sanglots silencieux. Un murmure désapprobateur se répandit dans la foule. Eleanor se leva et le rejoignit sur l’estrade. Elle prit sa main dans la sienne et la serra. Le sylve inspira avec mesure, puis poursuivit.

    — D’une certaine manière, je trouvais que cet enfant-là me ressemblait. Je pressentais qu’il pouvait devenir mon ami. Alors, quand la Sensei a demandé qui accepterait de s’occuper de lui, je me suis proposé. On nous a enfermés à double tour dans une hutte pour que je l’aide à se laver et à passer des vêtements propres. Il y avait des gardes postés à l’entrée. Le gamin s’était tassé dans un coin de la cabane d’où il me lançait des regards farouches. Dès que j’essayais de l’approcher, il brandissait ses poings comme des coutelas. J’ai parlé tout seul pendant une éternité en lui promettant qu’il n’avait rien à craindre de moi, que j’allais l’aider. Je lui ai même parlé de ma vie de solitude, mais il restait muet. Si bien que j’avais fini par croire qu’il l’était. Ce n’est que lorsque le soleil a rasé l’horizon ce soir-là qu’il a enfin prononcé ses premiers mots : « Abrahel. Mon nom, c’est Abrahel ».

    Des ricanements s’élevèrent du fond de la salle et l’ange sylvestre y lança un regard réfrigérant.

    — À Sylvius, il n’a pas eu la vie facile. Les sylves s’écartaient sur son chemin en lui jetant des coups d’œil scandalisés. Malgré les cycles solaires, il restait, pour eux, l’angelot orphelin qui avait survécu seul dans la forêt d’Angohrn, le « contre nature », et il n’avait rien à faire dans leur capitale. Il gardait pourtant un air fier et défiait du regard quiconque osait l’observer de travers. Il était comme moi : différent. Et nous sommes vite devenus inséparables. On dormait, jouait et se moquait des autres, ensemble. Nous étions les deux angelots les plus brillants de notre classe et les deux meilleurs épéistes, ce qui attisait encore un peu plus la jalousie des adolescents de notre âge. Mais nous n’en avions plus rien à faire. Nous n’étions plus seuls. Finalement, Abrahel m’a rapidement surpassé en tout. Nous étions d’un niveau très différent. Et un jour, on l’a chassé…

    L’ange sylvestre passa une main tremblante dans ses cheveux blonds.

    — Parce qu’il était devenu trop puissant et que les citoyens en avaient peur, la Sensei l’a envoyé ici, au Grand Palais. Vous ne pouvez même pas imaginer la solitude dans laquelle son départ m’a plongé. Pendant des dizaines de cycles solaires, je n’ai plus eu aucune nouvelle de lui… Puis un jour, Eleanor est arrivée à Sylvius pour quérir mon enseignement.

    Le sylve sortit son mouchoir de sa poche et se dégagea le nez bruyamment.

    — Je sais que la plupart d’entre vous ne l’aimaient pas. Parce qu’il vous faisait peur, parce que vous le jalousiez, ou tout simplement parce qu’il avait mauvais caractère. Et c’est vrai, il avait un caractère abominable. Il ne semblait se préoccuper que de lui, mais sachez qu’il s’est toujours soucié des autres. À sa manière. Il n’a jamais hésité à risquer l’impossible et à se mettre lui-même en danger pour aider quiconque en aurait eu besoin, serait-ce un parfait inconnu. Abrahel a été le meilleur ami que je puisse avoir.

    — Gloire, murmura la foule, alors que l’ange sylvestre repliait son parchemin.

    Un certain malaise s’était abattu sur l’assemblée. Oonel se tourna vers Eleanor qui se tenait toujours à ses côtés. Il posa la main sur ses cheveux châtains.

    — Pour terminer, je voudrais te remercier.

    Le sourire du sylve se fana et il serra les mains de sa compagne entre les siennes. La lourde fragrance des fleurs pesait sur l’atmosphère et rendait Eleanor nauséeuse.

    — Il ne te l’a sans doute jamais dit parce que l’effusion de sentiments, tu le sais presque mieux que moi, il détestait ça. Mais… tu étais très importante pour lui.

    Eleanor serra les mâchoires et essaya de penser à autre chose, mais, déjà, les larmes roulaient sur ses pommettes. Le visage d’Abrahel se matérialisa devant ses yeux de façon si précise qu’elle tressaillit. La douleur qui lui incendiait le ventre et le cœur était effroyable. Elle avait si mal qu’elle avait envie de hurler.

    Sa respiration était haletante. Elle sentait encore les mains puissantes d’Oonel qui la maintenaient sur cette estrade, mais son âme tout entière tentait de prendre la fuite. À côté de l’estrade, Gabriel avait le regard brillant. Il inspira par petits à-coups. La douleur de sa protégée lui transperçait également le cœur.

    Le sylve serra les doigts de son amie encore plus fort. Lui aussi pleurait. Lui aussi ravalait les hurlements qui couvaient dans sa gorge. Lui aussi avait aimé Abrahel plus que tout.

    — Je te remercie de l’avoir tant de fois surpris, reprit-il, au point de lui avoir ôté la parole. Ce qui chez lui était plutôt rare. Je te remercie de l’avoir fait rire. Je te remercie d’avoir su voir au-delà de son masque d’austérité et de lui avoir donné ta confiance et ton amitié sans compter. Je te remercie de ne pas t’être offusquée de ses réactions parfois étranges. Et surtout, je te remercie du plus profond de mon cœur (des larmes tombèrent sur sa chemise) de m’avoir permis de renouer avec lui avant la fin.

    Oonel serra une nouvelle fois les mains d’Eleanor avant de l’abandonner sur l’estrade en s’essuyant le visage sur sa manche. La princesse fouilla dans ses poches à la recherche de son propre discours et après quelques instants d’un silence pesant, elle déplia, sur le pupitre, le parchemin dont les bords ne cessaient de se replier.

    Elle posa un regard sur l’assistance. Tous les yeux étaient braqués sur elle. Dans la foule d’anges, quelqu’un chuchota « C’est elle, la fiancée du monstre ? » Elle serra les poings. Elle s’apprêtait à lâcher une remarque cinglante quand elle sentit une main sur son épaule. Gabriel posa deux doigts sur le parchemin qu’elle tentait de dérouler.

    — Ne le fais pas parce que le protocole l’exige, dit-il à son oreille. Fais-le parce que tu en as envie.

    Eleanor fixa un instant le texte qu’elle avait rédigé d’une écriture tremblotante. Les mots qu’il contenait auraient fait grimacer Abrahel. La respiration de la jeune fille était pénible et son cœur palpitait dangereusement dans sa poitrine. Abrahel. Abrahel. Abrahel. Après une hésitation, elle regagna sa place.

    Le seigneur Hüring épilogua un moment sur la première impression excessivement négative qu’il avait eue d’Abrahel à cause de son manque d’enthousiasme. Il raconta à l’assistance comment il avait refusé son travail à cinq reprises et comment l’angelot l’avait invité à se battre contre lui pour qu’il comprenne ce dont il avait besoin.

    — Ah ! s’exclama avec satisfaction le vieux nain. Je n’avais jamais vu pareille maîtrise ! On aurait cru qu’il dansait tant ses mouvements étaient fluides, naturels, superbes ! Croyez-moi si je vous dis que j’eus honte du travail que je lui avais présenté jusqu’alors. Je lui ai donc immédiatement forgé les meilleurs et les plus belles lames que je n’aie jamais forgées ! Sacrebleu ! J’y ai passé un quart de lunaison, presque sans dormir ! Si vous aviez vu l’expression de surprise qu’a affichée le gamin. Mon cœur a bien failli s’arrêter !

    Le seigneur nain soliloqua un moment encore sur la manière exemplaire dont Abrahel prenait soin de ses lames, avant de se rasseoir.

    L’archange Michaël, qu’Eleanor avait appris à apprécier, raconta à l’assemblée les nombreuses tentatives de l’angelot pour s’échapper du palais quand il était encore adolescent. Les anges rirent de bon cœur lorsqu’il leur expliqua comment il avait un jour volé les habits de saint Pierre pour se faufiler entre les grilles d’argent des jardins avant.

    Lorsque Métatron eut plaisanté sur le fait qu’Abrahel exerçait une véritable attraction sur ses séraphins, les rendant parfois incontrôlables, Gabriel clôtura la cérémonie. Il y eut un lâcher de colombes blanches et Eleanor observa longuement les oiseaux qui s’envolaient à tire-d’aile vers le firmament.

    Le repas qui suivit la commémoration fut particulièrement éprouvant pour elle et Oonel, qui demeurèrent aux côtés du Seigneur, de Gabriel et de Métatron. Autour d’eux, les anges échangeaient des remarques acerbes concernant l’exécrable individu qu’était Abrahel. Certains s’insurgeaient contre la tenue d’une telle cérémonie en l’honneur d’un si sombre personnage. Hisolda avait quitté la salle avant le lâcher de colombes. Pour elle, qui pouvait entendre les ignobles pensées des anges présents, la séance devait avoir été un calvaire. La jeune humaine serrait les poings, se refusant à jeter le moindre regard aux sinistres personnages qui parlaient dans son dos. Ils ne méritaient même pas sa considération. Ils n’étaient rien.

    Gabriel posa une main sur le sommet de son crâne.

    — Ce n’est pas en restant ici à écouter les complaintes de tous ces imbéciles que vous honorerez la mémoire d’Abrahel.

    Métatron leur adressa un clin d’œil.

    — Et soyons cohérents : il aurait détesté toutes ces singeries.

    Eleanor savait qu’il avait raison. Abrahel. Les syllabes de son nom lui causaient une douleur sourde, comme si chacune des lettres se gravait au fer rouge sur son cœur. Des larmes de rage se perdant dans ses cheveux, elle emmena Oonel hors de la salle du trône.

    Un silence revigorant régnait dans les couloirs et ils coururent jusqu’à la grille d’argent où ils s’effondrèrent sur l’herbe, leur cœur battant à se rompre les côtes.

    — Je les déteste ! s’écria soudain Eleanor, alors qu’elle récupérait son souffle.

    L’ange sylvestre s’allongea sous les frondaisons, le regard perdu dans les ramures des bouleaux. Au-dessus d’eux, des oiseaux gazouillaient avec insouciance. Ils n’avaient aucune idée du drame qui hantait les vies des deux jeunes gens qui les écoutaient chanter.

    Eleanor savait qu’ignorer les anges était la meilleure chose à faire. Mais c’est si difficile ! Elle tourna la tête vers le sylve.

    — Je ne savais même pas que tu avais été chargé de lui quand il vivait à Sylvius, dit-elle pour dissiper ses sombres pensées.

    — Je l’ai aidé à prendre son premier bain et il était tellement sale que j’ai dû le frotter avec une brosse à poils de sanglier ! Il s’est débattu comme un zoas ! Tu aurais dû voir son expression à ce moment-là : on aurait cru que j’allais le tuer !

    Eleanor sourit. L’ange sylvestre fourragea parmi les plis de sa tunique de cérémonie et sortit un morceau de papier sur lequel avait été peint le portait d’un petit garçon. La princesse céleste reconnut, dans les traits poupins de l’enfant, le visage d’Abrahel.

    — C’est vraiment lui ? Il était… différent.

    Oonel acquiesça.

    — À cette époque-là, il était encore capable de s’amuser.

    Ses cheveux noirs, légèrement ondulés, mais beaucoup trop longs, cachaient en partie ses grands yeux azur. Il dévisageait l’artiste avec malice. Un sourire taquin fendait son visage, comme s’il avait préparé un mauvais coup. Ce qui était sûrement le cas.

    — Il avait déjà une tête de canaille, murmura Eleanor en caressant les pommettes d’Abrahel.

    — S’il y avait une bêtise à faire, c’était toujours lui !

    Oonel tapota le portrait d’un air triste.

    — Si Abrahel avait vécu, ton fils aurait sans doute ressemblé à ça. Et tu aurais eu beaucoup de mal à l’élever sereinement, ajouta-t-il avec une esquisse de sourire, crois-moi !

    Les épaules de la jeune fille furent secouées d’un sanglot incontrôlable. Elle inspira profondément, serrant la peinture dans sa main.

    — Je…

    — Je sais, termina le sylve. Je sais.

    Jusqu’au coucher du soleil, ils parlèrent de l’angelot, comme il est coutume de le faire lors des funérailles et leurs souvenirs avaient un goût amer.

    Le crépuscule s’installa peu à peu et les ténèbres gagnèrent en puissance. Les merles et les grives se turent alors que les chouettes et les hiboux entamaient leurs sérénades.

    — Et son carnet de cuir rouge…, souffla Oonel. Je me demande encore ce qu’il y écrivait.

    — Tu sais, des choses…

    — Et d’autres.

    Il y eut un moment de silence.

    — Il est temps de rentrer, s’attrista Eleanor en observant l’obscurité qui s’épaississait. Gabriel va finir par s’alarmer.

    L’inquiétude de l’archange pouvait être telle que, par instants, sa protégée la sentait percer au travers du lien entre leurs âmes. Oonel hocha la tête et ils reprirent la direction de la verrière et celle de ces anges qui, même Abrahel mort, continuaient à lui manquer de respect.

    Alors qu’ils arrivaient en haut des marches de marbre, une silhouette remua dans l’ombre de l’arche. Eleanor porta la main à la garde de son cimeterre. Mais ses doigts ne brassèrent que de l’air. Il était irrévérencieux de se présenter armé à une cérémonie de

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1