Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Les clés du paradis (Chroniques célestes – Livre I)
Les clés du paradis (Chroniques célestes – Livre I)
Les clés du paradis (Chroniques célestes – Livre I)
Livre électronique371 pages5 heures

Les clés du paradis (Chroniques célestes – Livre I)

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Eleanor menait une vie paisible jusqu’à ce qu’une mystérieuse missive fasse tout voler en éclats. La jeune fille se trouve alors projetée dans un monde qui lui est inconnu.
Le paradis, les enfers, les anges et les démons ébranlent ses croyances. Le roi des cieux lui fait une terrible demande : « Deviens le plus puissant guerrier que ce monde ait porté et combats à nos côtés ». Ce choix changera sa vie à jamais.
Loin au nord, au cœur des Plaines sauvages, les grands maîtres de l’Édénie demeurent, n’attendant que de lui enseigner ce qu’elle devra maîtriser. Le voyage serait aisé, si le conseil des archanges ne lui imposait le pire compagnon qui soit : Abrahel. Un angelot aussi détestable qu’habile au combat. Mais pour la protéger, Eleanor ne peut compter que sur lui.
Plongée au cœur d’une bataille ancestrale, où s’affrontent les deux plus grandes puissances de ce monde, Eleanor devra transcender ses faiblesses. Et devenir celle que tous attendent.

LangueFrançais
Date de sortie17 juil. 2015
ISBN9782370113429
Les clés du paradis (Chroniques célestes – Livre I)

En savoir plus sur Marie Sophie Kesteman

Auteurs associés

Lié à Les clés du paradis (Chroniques célestes – Livre I)

Titres dans cette série (4)

Voir plus

Livres électroniques liés

Fantasy pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Les clés du paradis (Chroniques célestes – Livre I)

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Les clés du paradis (Chroniques célestes – Livre I) - Marie-Sophie Kesteman

    cover.jpg

    Les clés du paradis

    Chroniques célestes – Livre I

    Marie-Sophie Kesteman

    Published by Éditions Hélène Jacob at Smashwords

    Copyright 2015 Éditions Hélène Jacob

    Smashwords Edition, License Notes

    This ebook is licensed for your personal enjoyment only. This ebook may not be re-sold or given away to other people. If you would like to share this book with another person, please purchase an additional copy for each recipient. If you’re reading this book and did not purchase it, or it was not purchased for your use only, then please return to Smashwords.com and purchase your own copy. Thank you for respecting the hard work of this author.

    Cet ebook est vendu pour une utilisation strictement privée. Cet ebook ne peut être revendu ou donné à d’autres personnes. Si vous souhaitez partager ce livre avec une autre personne, merci d’acquérir une copie additionnelle pour chaque bénéficiaire. Si vous lisez ce livre et ne l’avez pas acheté, ou s’il n’a pas été acheté pour votre utilisation personnelle, merci de retourner sur Smashwords.com et d’acheter votre propre copie. Merci de respecter le travail de cet auteur.

    © Éditions Hélène Jacob, 2015. Collection Fantastique. Tous droits réservés.

    ISBN : 978-2-37011-342-9

    Aux anges d’ici et d’en haut qui m’ont aidée à écrire ce récit en déposant des plumes tout le long de mon chemin.

    « Combien de corps célestes se meuvent en secret sans jamais se montrer aux yeux des hommes : Dieu n’a pas fait toutes les choses pour l’homme. »

    Sénèque

    Prologue

    La fin était proche et Gabriel exultait.

    En cette fraîche nuit d’été, la pluie tombait dru sur le petit village de Lostmar’ch. Et à cette heure tardive, le hameau surplombant la côte du littoral était désert. Tout semblait indiquer qu’il s’agissait d’un dimanche comme les autres. Tout, si ce n’étaient ces cris qui strièrent soudain la nuit. Aucun individu humain n’aurait été capable de distinguer cette voix des hurlements du vent. Mais humain, il ne l’était pas.

    Il se dirigea sans bruit vers la source des lamentations, tendant l’oreille au-dessus des bourrasques. Les plaintes provenaient des ruines d’une maisonnette accrochée au bord d’une falaise au pied martelé par la mer en furie.

    — Il n’y a aucune raison pour que ça se passe mal, murmura un homme d’âge mûr.

    Protégée du vent par l’abri précaire, une jeune femme gisait sur une couverture, les mains crispées sur son ventre arrondi.

    — Je n’en peux plus… Fais en sorte que ça cesse !

    Gabriel sauta avec légèreté sur un pan de mur en partie effondré pour s’octroyer une vue dégagée de la scène.

    Le visage de la jeune femme était couvert de sueur et la douleur déformait ses traits. L’homme remonta la jupe qui couvrait les jambes de la future mère et inspecta d’un œil expert le périnée.

    — Il n’y en a plus pour très longtemps.

    — Si jamais ta femme apprend quoi que ce soit…

    Elle fut interrompue par une violente contraction. Il chassa ses propos d’un geste fébrile de la main et étendit des linges humides entre les jambes de la jeune femme. À cet instant, la malheureuse étouffa un cri en mordant dans un chiffon roulé.

    Gabriel retint son souffle alors qu’il regardait, le cœur palpitant, ce couple mettre au monde celui qu’il avait tant cherché. Celui qu’il attendait depuis si longtemps.

    Depuis quelques jours, de vigoureuses vibrations émanaient des environs, mais leur source n’avait jamais été claire, jusqu’à aujourd’hui. Au crépuscule, les ondes avaient gagné en vitalité et leur point d’émergence s’était peu à peu défini. En cet instant, les vagues d’énergie semblaient au paroxysme de leur puissance et émanaient du ventre fécond de la jeune femme.

    Et à en juger par la force des ondes qu’émettait cet enfant, il serait un guerrier puissant, il n’y avait aucun doute. Il incarnait tout ce dont ils avaient besoin.

    Gabriel observa attentivement les deux créatures qui s’agitaient devant lui, se demandant une nouvelle fois ce qui avait poussé son père à leur donner vie. Cette race était un échec. « Les humains ont été créés à l’image des anges » lui avait un jour opposé son géniteur, mais l’archange avait eu beau leur prêter la plus grande attention, il ne leur avait jamais trouvé la moindre ressemblance avec les anges. Leur fragilité si perceptible était désespérante et leur acuité intellectuelle, précaire. Gabriel secoua la tête de dépit. Il ne comprendrait jamais l’intérêt et l’amour que son père nourrissait à l’égard de cette sous-espèce.

    — Le voilà, souffla l’humain dont le pantalon s’élimait sur le sol rocailleux.

    Des pleurs retentirent enfin, emportés par les embruns nocturnes. Si l’archange avait encore su pleurer, il n’aurait pas tenté de tarir ses larmes. Pas aujourd’hui. Sa quête aboutissait enfin. Cent longues années à errer entre les trois mondes, en vain… Mais il était là, sous ses yeux, à s’agiter dans les bras de son père qui tentait de couper le cordon ombilical de sa main libre.

    Toujours perché sur le muret, Gabriel se pencha de façon vertigineuse pour observer, par-dessus l’épaule de l’humain, le petit tas de couvertures dans lequel il emmitouflait l’enfant.

    — C’est une fille ! s’exclama l’homme, un sourire aux lèvres.

    L’archange se figea. Une fille ? Le nourrisson hurlait contre l’air marin qui lui embrasait les poumons. Mais le vent criait bien plus fort que lui.

    Gabriel se laissa choir sur la maçonnerie. Une fille. Et pourtant, les ondes qu’émettait la petite gagnaient encore en puissance.

    Pour un ange, une année paraissait s’écouler en quelques jours, mais cette nuit-là, le temps durant lequel les humains demeurèrent terrés dans leur abri en ruine parut durer une éternité. Assis en tailleur, l’archange expira bruyamment.

    — On se presse, marmonna-t-il, de mauvaise humeur, en martelant la pierre de ses doigts fins.

    Comme s’il l’avait entendu, l’homme se redressa enfin et empaqueta leurs maigres effets. Sa compagne se releva avec peine et, avec une grimace, elle s’appuya lourdement contre lui.

    — Tu es certaine d’y arriver ? Tu ne devrais pas te lever si tôt…

    Gabriel haussa les yeux vers le ciel sinistre. Il n’était pas question qu’il attende un instant de plus.

    — Après, le jour sera levé, opposa la jeune femme à son compagnon.

    L’archange soupira d’aise. Si elle avait pu le voir, il l’aurait certainement embrassée. Cependant, l’humaine était encore faible et elle fit un premier pas hésitant. À cette allure, ils allaient y passer la prochaine éternité.

    Sa limite de patience depuis longtemps outrepassée, Gabriel sauta en bas du mur et s’avança vers le couple. Il approcha la main du ventre de la jeune femme et propulsa une infime quantité d’essence vitale au travers de sa paume. Presque instantanément, la mortelle se redressa et, s’appuyant prudemment au bras de son compagnon, elle pointa le sentier du doigt.

    — Je vais pouvoir le faire. Vas-y !

    Ils remontèrent lentement le chemin côtier qui progressait le long des falaises escarpées. Peu à peu, la pluie cessa de molester le sol et le ciel s’apaisa. L’archange suivit les humains d’un air distrait. Il ne se souciait pas des violentes bourrasques qui obligeaient le couple à se courber sous leurs assauts. Cette bise n’avait aucune prise sur lui. Aux alentours, les bruyères s’agitaient avec fureur, tel un sombre parterre où louvoieraient d’ignobles serpents.

    — Un instant encore, geignit la jeune femme, pour la troisième fois.

    — Bien sûr, la rassura son compagnon. Prends le temps qu’il te faudra.

    Sa peau était moite et son teint pâle sembla inquiéter l’homme. À nouveau, Gabriel céda à l’humaine une infime parcelle de son énergie. Dans les bras de son père, le nourrisson continuait de pleurer, ses cris irritant les tympans trop sensibles de l’archange.

    Si seulement ce n’était pas cette enfant ! Il pourrait abandonner ces créatures là où elles étaient et rallier le confort de ses appartements. Cependant, il ne le pouvait pas. Trouver cette petite était sa mission depuis bien trop longtemps et, tant qu’il ne la tiendrait pas dans ses bras, sa tâche ne serait pas accomplie.

    — Ça va, lâcha l’humaine.

    — Ne te dépêche pas tant ! Nous avons le…

    — Nous n’avons plus de temps, Alex ! Regarde : l’obscurité faiblit déjà.

    Après une marche pénible, les humains atteignirent une modeste chapelle de campagne érigée au cœur de la lande.

    — Vite, souffla la jeune femme en poussant son compagnon à l’intérieur.

    Elle jeta un regard aux alentours pour s’assurer qu’ils n’avaient pas été suivis et s’infiltra par la porte entrouverte. Ils ne pouvaient se douter que leurs moindres faits et gestes étaient épiés par un être qu’ils n’étaient pas en mesure de discerner. Aucun humain ne le pouvait.

    Une fille. Un frisson parcourut l’échine de Gabriel. Qui avait-il offensé pour qu’un tel coup soit à nouveau porté à leur royaume en cette ère déjà si sombre ? Comment allait-il annoncer pareille nouvelle à son père ?

    — Dépêche-toi ! s’impatienta la jeune femme. Que je puisse rentrer chez moi…

    Elle ne cessait de jeter des coups d’œil affolés par la fenêtre alors que l’homme lavait l’enfant dans le bénitier. Le nourrisson protestait contre la morsure de l’eau glacée autant que contre la brusquerie de son père. Il l’emmitoufla dans d’épais draps de laine et déposa l’enfant avec précaution sur l’autel. La fillette continuait de hurler à pleins poumons et Gabriel hésita un instant à lancer un sort de mutisme.

    L’homme jeta un regard indécis à la boule de tissu au creux de laquelle l’enfant se débattait avec force.

    — Peut-être que nous pourrions…

    — Non ! le coupa la jeune femme, les yeux emplis de panique. Tu es vraiment prêt à en assumer les conséquences ?

    Son compagnon soupira, ramassa ses affaires et sortit de la chapelle sans un regard en arrière. Les épaules courbées sous les assauts du vent, il s’éloigna, l’humaine sur les talons.

    — Enfin ! s’exclama Gabriel en s’approchant des couvertures.

    En leur sein, un petit être aux traits grossiers et au visage violacé s’agitait tel un poisson, projetant ses poings minuscules contre un ennemi invisible. L’ange sourit malgré lui devant l’inanité de cette crise de colère.

    — Quel terrible guerrier voilà !…

    Le nouveau-né ouvrit ses immenses yeux bleus, des larmes prisonnières de ses cils. Son monde n’était encore formé que d’ombres aux couleurs fades, mais ses iris se fixèrent néanmoins sur Gabriel.

    L’archange agita doucement les doigts devant le regard de la fillette et, à sa grande surprise, deux petites mains les saisirent. Une forte chaleur se propagea alors dans ses veines et le picota jusqu’au bout des orteils. L’enfant prit l’index de Gabriel dans sa bouche et le suçota avec délice, avant de s’endormir.

    Une profonde colère le gagna et il souhaita un instant que les parents soient à jamais hantés par ces yeux clairs. Le nourrisson se mit à pleurer à grand renfort de cris.

    — Chut, souffla Gabriel. Je suis là.

    Le son de sa voix apaisa la petite qui, après avoir repris l’index dans sa bouche, s’endormit dans le creux de ses bras. L’archange berça la jeune humaine durant un long moment, dévorant son visage rond du regard. Il y avait dans l’imperfection de ses traits une grâce presque insoutenable.

    Mais il était à présent de son devoir de contacter Urielle, leur prophétesse et juge. Elle saurait que faire de la fillette. Presque à contrecœur, il ferma les yeux et transmit un message télépathique à son amie.

    Quelques instants plus tard, une magnifique angeline apparut à ses côtés. Le claquement sec de sa matérialisation réveilla l’enfant.

    — Ce n’est rien, dors, murmura Gabriel à l’oreille du nourrisson.

    Sa compagne se pencha gracieusement au-dessus du tas de couvertures et la petite suivit de ses yeux intéressés l’épaisse mèche blonde qui se balançait au-dessus d’elle.

    — Urielle, la salua Gabriel. C’est une fille.

    L’angeline eut un sourire entendu et haussa les épaules.

    — Tu le savais ! Tu le savais et tu ne m’as rien dit ?

    Urielle posa sur son ami un regard dur.

    — Si je t’avais fait part de ce détail, tu n’aurais pas mis autant de cœur à l’ouvrage.

    Gabriel soupira.

    — Sans doute pas…

    — De quel péché est-elle issue ?

    — Une enfant illégitime et abandonnée, grogna l’archange, contrarié.

    — Nous savions de quoi il retournerait.

    — L’acte n’en est pas moins odieux.

    Urielle prit l’enfant dans ses bras avec une infime délicatesse.

    — Où vas-tu l’emmener ?

    — Cette enfant a besoin de soins et…

    Un éclair de stupeur traversa les yeux de la jeune femme.

    — Tu l’as touchée !

    — Techniquement parlant, c’est elle qui m’a…

    L’archange s’interrompit, le visage livide.

    — Tu ne penses tout de même pas que nous ayons… ! Ce ne sont que des légendes, Urielle !

    La jeune femme secoua la tête d’un air hébété.

    — Cette petite est, elle aussi, une légende. Je peux sentir ton odeur émaner d’elle, Gabriel… La mère de cette enfant l’a touchée avant toi ?

    — Non, rétorqua-t-il en passant une main lasse dans ses cheveux blonds.

    — En ce cas, bien des tracas t’attendent, mon cher prince.

    Elle adressa à son compagnon un sourire moqueur avant de se volatiliser.

    Gabriel jeta un coup d’œil par la fenêtre crasseuse. Le soleil pointait déjà à l’horizon et rosissait le ciel, là où il caressait la mer avec sensualité. L’archange sut qu’il était l’heure de partir et de laisser l’astre diurne déverser son tapis de lumière sur cette triste nuit. Il disparut dans un claquement sec.

    La chapelle était vide.

    Chapitre 1 – Missive

    Depuis qu’elle était entrée dans le bar, ce bougre ne l’avait pas quittée des yeux. Et il lui restait encore une bonne demi-heure à patienter avant que son père ne quitte son agence de voyages.

    Le Take-Off avait toujours été le point de chute préféré d’Eleanor et son ambiance tamisée était devenue sa résidence secondaire. Nicolas, le barman, essuyait distraitement une corne à bière, le regard rivé sur la télévision qui diffusait un match de football. Il grommela un instant contre les piètres performances de l’attaquant et servit un café à celui que l’on surnommait « Le Sioux », pilier de bar attitré de l’établissement.

    Les murs garnis de lattes de bois renvoyaient les basses du vieux rock qui crépitait dans les haut-parleurs. Eleanor jeta un coup d’œil à une autre table où un groupe d’amis jouait aux cartes.

    La musique criarde du flipper s’éleva soudain dans les airs. L’homme assis à côté de l’entrée continuait de la lorgner d’un air intéressé. D’une main tremblante, elle saisit son verre de mojito et en avala une généreuse gorgée. La boisson lui glaça la gorge.

    Vingt minutes. Si seulement cet effroyable gaillard pouvait partir avant ce laps de temps ! Un mauvais pressentiment la tenaillait. Et dans les yeux du client brûlait une lueur presque avide qui fit frémir la jeune fille.

    — Salut, Nico. La même chose que d’habitude.

    — Subito presto.

    — Salut, le Sioux.

    D’un geste peu assuré, l’Indien leva une main au-dessus de sa tête. Le nouvel arrivant lui tapa amicalement dans le dos. Accoudé au comptoir avec nonchalance, se tenait celui qui était sans doute la plus grande célébrité du Take-Off : Arch.

    Son nom avait toujours intrigué les clients. Nicolas avait un jour dit à la jeune fille qu’il s’agissait d’un pseudonyme. Mais il s’était toujours présenté comme tel et personne ici ne connaissait son véritable nom.

    En échange de son étrange cocktail, il tendit au barman un billet bleu foncé.

    — Garde la monnaie, petit.

    Nicolas le remercia avec une déférence cérémoniale avant de s’enfoncer dans son arrière-boutique, sans doute pour jubiler. Arch passa devant la table d’Eleanor sans lui jeter le moindre regard et prit place dans le coin sombre qui avait toujours été le sien.

    Il devait avoir la trentaine, tout au plus, mais son visage était empreint d’une sagesse bien plus ancienne. Ses habits étaient toujours de couleur noire, contrastant de façon étrange avec ses cheveux clairs relevés en queue-de-cheval et ses yeux azur. Il était beau. Sans doute le plus bel homme qu’Eleanor ait rencontré. Il ne parlait que très peu et se contentait de siroter son verre en analysant une immense pile de documents qu’il avait toujours sur lui.

    Arch leva les yeux vers l’entrée du café. Là, l’homme avait toujours son regard fiévreux braqué sur Eleanor.

    Dix minutes.

    — Pars, marmonna-t-elle. Pars.

    Comme s’il l’avait entendue, l’individu se redressa et quitta le café. La jeune fille se laissa aller contre le dossier de bois de la banquette. Juste à temps.

    — Un drôle de type, celui-là, lâcha Nicolas alors qu’elle le payait. Fais attention à toi ; il ne t’a pas lâchée des yeux.

    — À mercredi, Nico, acquiesça Eleanor.

    Dehors, le ciel était menaçant et l’air semblait lourd. Les rares passants se hâtaient de rentrer chez eux.

    Alors qu’elle tournait à l’angle de la rue Pont d’Avroy, la jeune fille dut se rendre à l’évidence : quelqu’un la suivait. Les vitrines ternies par la pollution renvoyaient l’écho d’un pas qui se voulait discret, mais qui s’adaptait de façon étrange au rythme de ses propres foulées.

    Feignant d’admirer la devanture de la maroquinerie, Eleanor jeta un coup d’œil furtif dans son dos et tressaillit. Marchant à petits pas sur les pavés humides, le sinistre bonhomme du Take-Off s’avançait dans sa direction. Elle déglutit et reprit sa route en pressant le pas.

    Le boulevard était en vue. Cette fois plus que toute autre, elle pria pour que son père ne soit pas en retard. Cependant, lorsqu’elle déboula à l’intersection, la voiture ébène n’était pas là.

    — Merde !

    Elle sortit maladroitement son téléphone portable de sa poche. La rue était presque déserte et seuls quelques passants circulaient encore sur les trottoirs.

    — Mademoiselle ! la héla une voix rauque.

    Eleanor fit mine de ne pas l’avoir entendue.

    — Eh ! Mademoiselle ! Toi, là-bas, je te parle !

    Une main rendue noueuse par l’abus d’alcool se posa avec rudesse sur son épaule et elle fit volte-face. Quelqu’un, s’il vous plaît ! Mais aucun des citadins ne semblait lui prêter attention.

    — Je vais t’offrir un verre. Fais pas ta timide ! Je t’ai vue au bar, tu n’as pas arrêté de me regarder !

    — Je dois y aller, bafouilla-t-elle en se dégageant de son étreinte.

    — Non, pas déjà, grogna-t-il.

    Son haleine empestait la bière et la cigarette. Mais, alors qu’il l’attirait à lui, une main ferme s’abattit sur son avant-bras. Surpris, l’homme lâcha la jeune fille qui recula derechef.

    — Te voilà, Bill ! Je t’attendais, mon ami ! s’écria son sauveur.

    Sa queue-de-cheval tressautait derrière son crâne tandis que l’ivrogne se débattait entre ses bras. Son regard d’un bleu surprenant croisa celui d’Eleanor.

    — Mademoiselle, nous vous souhaitons une bonne fin de journée. Mon ami et moi devons aller discuter un peu plus loin.

    Sans se retourner, Arch tira l’homme titubant en direction des ruelles insalubres de la ville qui, à cette heure, étaient encore désertes. La jeune fille s’autorisa à respirer. Sous sa paume, son cœur palpitait. Ça avait été juste.

    ***

    Eleanor martelait le sol de la pointe du pied. Son empathie était dépassée, alors que son père était une nouvelle fois en retard de plus d’une heure. Et si Arch n’était pas intervenu, qui sait ce qui aurait pu lui arriver ? Ses yeux bleu ciel hantaient sa conscience.

    Les nuages bas présageaient encore une de ces trop nombreuses averses et l’idée de rester dehors ne plaisait pas à la jeune fille. L’air de la ville embaumait les gaz d’échappement et lui irritait la gorge.

    — Si dans cinq minutes, il…

    Un bruit sourd fit vibrer l’air, de plus en plus fort, de plus en plus proche et une Audi noire surgit à l’angle de la rue.

    — Il était temps.

    Elle fit mine de ne pas l’apercevoir et fixa sa montre avec insistance. Mais dès que les pneus crissèrent sur le revêtement humide de la chaussée, elle monta sans un mot et claqua la portière avec ferveur.

    — Le travail ? maugréa-t-elle en jetant son sac sur la plage arrière.

    Son père sourit d’un air désolé.

    — Le travail.

    Eleanor ne prononça pas le moindre mot de tout le trajet. Mais elle prit soin de frotter ses pieds boueux sur le tapis de sol du rutilant et détestable coupé. Elle n’en pouvait plus de ce travail. Si cette agence de voyages était la fierté de la famille, elle la haïssait plus que tout.

    Au-dessus de leurs têtes, le ciel s’assombrissait. La grille de la maison s’ouvrit sur une allée de pavés qui serpentait jusqu’à une imposante villa plantée au sommet d’une butte.

    La voiture s’immobilisa devant le porche et la jeune fille sauta à bas du siège.

    — Je vais faire des courses pour le dîner.

    Eleanor rattrapa de justesse les clés que son père lui lança et regarda la grille se refermer derrière lui, sur le jardin silencieux. Elle soupira. Tout était trop paisible ici. Il n’y avait pas l’ombre d’un bruit la renseignant sur la présence possible d’homo sapiens sapiens à proximité. En réalité, il y en avait bien un, de bruit : le bourdonnement sourd de la ligne de fil barbelé du pré d’à côté. Un pré lui-même désert.

    Le mois de juillet commençait à peine. La température aurait dû être caniculaire, mais c’était sans compter sur les latitudes belges. La brise trop fraîche était saturée d’humidité et de relents d’humus. Frissonnante, Eleanor se pressa de glisser la clé dans la serrure.

    Elle abandonna son sac et sa veste sur le fauteuil de l’entrée et s’étira. Son regard s’arrêta un instant sur la photo d’une petite fille assise sur les genoux de sa maman : une magnifique femme aux yeux bleus et au visage encadré d’un rideau de cheveux roux et lisses. Eleanor avait l’impression d’être bien fade à ses côtés, avec ses longs cheveux bruns qui encadraient un visage aux pommettes toujours trop roses. Aujourd’hui, sa mère n’était plus là pour éclairer la maison de son sourire désarmant. Un accident la lui avait prise des années auparavant.

    Tandis qu’Eleanor préparait une collation sur la table de la cuisine, un coup franc fut frappé à la porte. Elle releva la tête, surprise. Ce ne pouvait pas déjà être son père. Après s’être essuyé les mains en hâte, elle se dirigea vers l’entrée. Le grondement sourd du tonnerre agitait l’atmosphère.

    — Oui ?

    Elle n’obtint aucune réponse. Eleanor réitéra son appel, mais à nouveau, seul le silence lui répondit. Curieuse, elle entrouvrit les stores qui masquaient les vitres latérales. Il n’y avait personne sous le ciel sombre, mais sur la première marche du perron trônait une enveloppe de parchemin.

    La jeune fille se glissa avec précaution par l’entrebâillement de la porte et ramassa la missive. Au-dehors, l’électricité était presque palpable et les feuillages s’étaient figés dans l’attente de l’orage.

    Tracé d’une belle écriture calligraphiée, le prénom d’Eleanor était couché sur le papier. Elle soupesa la lettre, surprise. Personne ne lui écrivait jamais. Et pour cause : sa vie sociale était un véritable désert. La jeune fille regagna la cuisine, tournant et retournant l’enveloppe entre ses mains. Le papier était précieux et l’écriture lui rappelait étrangement les courbes manuscrites des anciennes abbayes.

    Elle hésita quelques instants avant d’ouvrir le pli. Cependant, il dégageait une fragrance florale si entêtante que, sans y penser, Eleanor la décacheta. À l’intérieur s’étirait la même écriture élégante.

    Chapelle Maranhata

    Bois du chevreuil, Stinval

    Ce dimanche à 10 h 07

    Ne sois pas en retard et sois prudente.

    Et en guise de signature, il n’y avait qu’une seule lettre majuscule : G. Eleanor lut à nouveau la missive, perplexe. Qui pouvait bien être ce G qui lui fixait rendez-vous à la chapelle du bois ? Et pourquoi à 10 h 07 ? N’était-ce pas une heure étrange pour se rencontrer ?

    La porte d’entrée claqua, faisant sursauter la jeune fille. Elle fourra la lettre dans la poche arrière de son pantalon et fit volte-face. Deux sacs déversèrent leur contenu sur la table et un homme de bonne stature se laissa tomber sur le tabouret. Il portait les cheveux courts, blonds comme le soleil du Sud, et était vêtu d’un complet noir corbeau.

    — Papa, je t’ai déjà dit de mettre une cravate de couleur avec ce costume ! Tu ressembles à un croque-mort.

    Gilles sourit et entreprit de ranger ses achats.

    — Comment s’est passée ta journée ?

    — Peu constructive.

    Eleanor aida son père à trier leurs nouvelles denrées et, après avoir paressé quelque temps devant la télévision, elle se mit aux fourneaux. Gilles déplia son journal dans la cuisine et en feuilleta distraitement les pages.

    — Ce sera prêt dans une minute, le prévint Eleanor alors qu’une délicieuse odeur de viande rôtie se répandait dans la pièce.

    Son père ne répondit pas. Elle expira avec humeur et se retourna.

    — Papa !

    Affalé sur la table, il avait les yeux écarquillés et ses bras pendaient mollement dans le vide. La jeune fille courut vers lui, affolée. Un rictus étira la bouche de Gilles, disparut et revint, avant de s’effacer à nouveau. Eleanor grogna, irritée.

    — Imbécile.

    Il se releva, hilare.

    — J’ai fait deux attaques cardiaques et je suis mort une fois de cause naturelle pendant que tu bavais au-dessus de tes plaques de cuisson.

    Le repas se passa dans le calme. Ils n’avaient aucune anecdote digne d’intérêt à échanger, mais le silence leur suffisait. Pour certains, les mots sont superflus.

    — Je monte, bâilla Eleanor quand ils eurent rangé la vaisselle.

    — Tu as déjà fait tous tes devoirs ?

    — Papa, j’ai fini les cours depuis deux semaines… J’allais chercher mon bulletin aujourd’hui.

    — Et ?

    — À moi l’université ! cria-t-elle depuis la cage d’escalier.

    Elle ouvrit la porte de sa chambre à la volée et se jeta sur le lit, attrapant son portable sur la table de nuit. L’ordinateur s’alluma trop lentement à son goût. Elle était impatiente de pouvoir replonger dans l’univers fantastique de son roman électronique.

    La jeune fille grimaça de frustration. Internet ne fonctionnait pas, encore une fois. Eleanor se laissa aller sur le dos ; la dose d’adrénaline de ce soir tombait à l’eau. Ses quatre murs blancs l’étouffaient, comme si chaque jour son espace s’étrécissait un peu plus.

    Eleanor s’arrêta devant la fenêtre qui pointait hors du toit et donnait une vue magnifique sur le jardin arrière. Le réveil affichait 21 heures. Ce

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1