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La chute de l’ange (Chroniques célestes – Livre II)
La chute de l’ange (Chroniques célestes – Livre II)
La chute de l’ange (Chroniques célestes – Livre II)
Livre électronique425 pages5 heures

La chute de l’ange (Chroniques célestes – Livre II)

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À propos de ce livre électronique

Au cœur des Plaines sauvages, le pouvoir des Enfers grandit de jour en jour, mais Eleanor se sent désormais prête à affronter sa destinée et à quitter Illendil pour Néboà, la ville où elle doit poursuivre sa formation.
Aux côtés d’Oonel et Abrahel, elle pense pouvoir envisager son avenir avec sérénité. Malheureusement, sur le territoire andoïe, cette sérénité n’est plus qu’un mirage et cède la place à une série d’épreuves.
Eleanor croit ne plus rien avoir à perdre. Elle est certaine que les Enfers lui ont déjà tout arraché.
Mais il existe toujours une faille. Une faille par laquelle l’impossible peut s’infiltrer et tout détruire...

Après « Les clés du paradis », découvrez le second tome de la saga « Chroniques célestes ».

LangueFrançais
Date de sortie6 mai 2016
ISBN9782370114563
La chute de l’ange (Chroniques célestes – Livre II)

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    La chute de l’ange (Chroniques célestes – Livre II) - Marie-Sophie Kesteman

    cover.jpg

    La chute de l’ange

    Chroniques célestes – Livre II

    Marie-Sophie Kesteman

    Published by Éditions Hélène Jacob at Smashwords

    Copyright 2016 Éditions Hélène Jacob

    Smashwords Edition, License Notes

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    © Éditions Hélène Jacob, 2016. Collection Fantastique. Tous droits réservés.

    ISBN : 978-2-37011-456-3

    « Il y a toujours une faille par laquelle s’infiltrer et tout détruire ».

    Marie-Sophie Kesteman

    Résumé du livre précédent

    Depuis cent longues années, l’archange Gabriel arpente la terre des Hommes et celle des anges à la recherche de celui qui sera capable de vaincre Lucifer et confiner ainsi le peuple des ténèbres dans les abysses.

    Gabriel commence à croire en l’échec prochain de sa mission lorsqu’il découvre enfin l’« enfant du péché » que mentionne l’ancestrale prophétie. Cependant, une bien malheureuse surprise l’attend : celui qui doit devenir l’un des plus puissants guerriers du peuple céleste… est une fille. Humaine, qui plus est.

    À 18 ans, Eleanor vit une vie monotone aux côtés de son père adoptif. Un soir de juillet, elle découvre sur le seuil de sa porte une étrange missive lui fixant une entrevue le lendemain matin, à 10 h 07, au beau milieu des bois. Curieuse de nature et en quête d’aventures, elle honore le rendez-vous. Elle est alors projetée contre son gré au cœur d’un monde qui lui est totalement inconnu : l’Édénie.

    Elle découvre avec effroi que ce monde est peuplé par les anges, ceux qui appartiennent aux légendes humaines. Mais ils sont bien différents des portraits de ces dernières. Eleanor rencontre aussi pour la première fois Gabriel, l’archange qui fut chargé, durant dix-huit années, de veiller sur elle. Et, ahurie, elle prend connaissance de l’existence de la prophétie qui la concernerait :

    « Sept millions d’éternités après la fin du premier

    Naîtra un puissant guerrier qui est enfant du péché

    Quatre jambes, deux âmes, quatre bras et deux cœurs

    Son choix déposé vous couronnera vainqueurs

    Voulant être éveillée, sa puissance gronde

    Alors de sa force, percevez les ondes

    Car lorsque les Abysses se lèveront

    Seules ses forces vous sauveront. »

    Ce monde la fascine et l’éblouit de sa magie. Elle se sent dès lors très impatiente, lorsque Gabriel lui annonce qu’il se doit de la présenter à son père. Jusqu’à ce qu’elle apprenne que le père de l’archange n’est autre que celui que les humains appellent « Dieu ». En chemin, elle fait la connaissance d’Abrahel, un angelot au regard outremer, qui ne la quitte pas un instant du regard. Il est l’apprenti de saint Pierre, le gardien des clés.

    Le Seigneur ne ressemble pas à ce vieillard barbu au visage empreint de sévérité qu’Eleanor se représentait. Jovial et taquin, il l’accueille à bras ouverts. Mais la jeune fille semble être la seule à remarquer l’étincelle de douleur qui couve au fond du regard du roi des cieux. Aussi, lorsque ce dernier lui demande de « sauver le monde », est-elle presque prête à accepter cette mission, malgré ses réticences. Pour devenir le guerrier dont ont tant besoin les armées célestes, Eleanor doit parcourir le vaste territoire de l’Édénie à la recherche des maîtres qui feront d’elle l’arme ultime. La plupart d’entre eux vivent en Plaines sauvages, le territoire humain, au-delà de la chaîne montagneuse des Metendors.

    À son grand désarroi, c’est Abrahel qui est chargé de la protection d’Eleanor pendant son temps de réflexion. Aux côtés de ce sombre angelot, sa vie devient un véritable enfer. Abrahel est rude, agressif, et la présence de la jeune fille semble l’indisposer au plus haut point. Cependant, quelques jours plus tard, il l’aide à échapper à une attaque perpétrée chez elle par les Enfers. Eleanor se réfugie au Grand Palais, en Édénie.

    Alors qu’elle se pensait enfin en sécurité, Gabriel lui annonce que son père a été tué lors de l’assaut. Ce tragique événement, l’ultime coup dur que pouvaient lui asséner les démons, précipite sa décision : elle accepte la mission. Soulagé, mais guère heureux de la propulser au-devant de si durs dangers, le Seigneur lui annonce que le conseil des archanges a désigné celui qui serait son guide et son protecteur : Abrahel. Et, à sa grande surprise, le jeune ange accepte la tâche sans sourciller. Eleanor est dépitée : le voyage s’annonce pénible. C’est à partir de ce moment-là qu’un étrange puma mordoré, commence à hanter ses rêves. Elle ne sait s’il est ami ou ennemi. Lui-même semble indécis.

    Au cours des sept jours précédant son départ, la jeune aventurière découvre le Grand Palais et les anges. Elle apprend avec joie que Gabriel ayant repris sa tutelle à la mort de son père, elle appartient désormais à la famille royale céleste. Cependant, le peuple des anges éprouve beaucoup de difficultés à la considérer comme telle. Eleanor ne parvient pas à se faire apprécier et elle préfère s’isoler. L’angelot est lui aussi rejeté par ses pairs, car trop puissant, trop différent, et cette particularité leur permet petit à petit de trouver un terrain d’entente.

    Une semaine plus tard, c’est le cœur lourd qu’Eleanor fait ses adieux au Seigneur, à saint Pierre et à Gabriel. Et à peine ont-ils quitté les alentours du Grand Palais que la jeune fille se réjouit de la présence d’Abrahel. Bien qu’il ne prononce pas le moindre mot, réponde rudement à ses interrogations et ne se soucie aucunement qu’elle suive le rythme qu’il lui impose, le sentir à ses côtés la rassure. Il parvint à la protéger sans difficulté et elle découvre avec stupéfaction que les rumeurs disaient vrai : Abrahel est un excellent combattant, l’un des meilleurs de l’armée céleste. Il est puissant, et c’est la raison pour laquelle les autres anges en ont si peur.

    Mais pas seulement. Abrahel est un ange orphelin. Le seul ange orphelin connu à ce jour. Il a été découvert au cœur de la forêt d’Angohrn alors qu’il n’avait que 8 ans. Il s’est élevé et a appris à combattre tout seul. Il n’a pas été éduqué selon les valeurs du Grand Palais. Et, ce qui sort de l’ordinaire, les anges célestes le redoutent.

    Abrahel n’est pas uniquement son protecteur, il est également son professeur d’escrime. Eleanor progresse vite et elle devient rapidement une excellente combattante.

    À Sylvius, ils retrouvent un peu de sérénité et prennent du repos. Le cadre de la ville est idéal pour apprendre l’harmonie corporelle auprès d’Oonel, le premier maître d’Eleanor. Ce dernier est un jeune ange au caractère jovial, adulé par les angelines pour son apparence d’adonis. Cependant, ce n’est pas tant sa beauté qui intéresse Eleanor, mais l’incroyable développement de ses sens. Son ouïe, son odorat, sa vue, son toucher et son goût se sont, à force d’entraînement, amplifiés de manière improbable. L’ange sylvestre fut jadis le meilleur ami d’Abrahel, mais en raison d’une promesse rompue par l’angelot, il ne peut même plus entendre prononcer son nom.

    Grâce à Eleanor, Oonel et Abrahel finissent par se réconcilier, mais les Enfers attaquent Sylvius, forçant les deux jeunes gens à fuir. Pressé par la présence de Ramuthra dans leur dos, Abrahel cède à la jeune fille et lui révèle, malgré les consignes de ses supérieurs, l’existence de la magie. Elle s’y intéresse beaucoup et l’angelot promet de la lui enseigner. Mais c’est à Illendil, la première ville des Plaines sauvages, que la jeune humaine va réellement apprendre à maîtriser cette discipline.

    Pour atteindre Illendil, il leur faut traverser les terribles Metendors : une immense chaîne de montagnes dont jamais personne n’est ressorti vivant. Le seul passage qui existe consiste en une vallée étriquée serpentant entre les géantes de granit : la vallée de Caldare. Mais les démons la surveillent de près, rendant impossible sa traversée. Il ne leur reste qu’une solution : le col de Toktonia.

    Avec peine, les deux compagnons s’enfoncent au cœur des montagnes, où tout semble changer de jour en jour. Le temps s’écoule étrangement et les ténèbres elles-mêmes paraissent s’épaissir. La magie d’Abrahel s’estompe au cœur des pics enneigés et la peur d’Eleanor grandit. Alors qu’ils se glissent dans une grotte pour s’abriter de l’obscurité et de ce qu’elle cache à leurs yeux, la jeune fille se blesse la paume de la main. Et, malgré les soins attentifs d’Abrahel, la plaie s’infecte. Fiévreuse, Eleanor perd connaissance et l’angelot se voit contraint de la transporter sur son dos jusqu’à Illendil.

    Eleanor ne reprend conscience que quelques jours plus tard. Sa plaie la brûle atrocement et lorsqu’elle défait le bandage de sa main, elle découvre une blessure grisâtre d’où partent des zébrures de granit. Abrahel prétend détenir d’intéressantes théories à ce sujet. À Illendil, ils rencontrent un ange nommé Gariek, le maître du dojo, une arène de combat réputée dans toute l’Édénie. Abrahel connaît bien le dojo, car il en a été l’un des plus grands maîtres durant un temps. Il est connu comme le « Cleddyf Meistr », celui qui a comptabilisé le plus de victoires successives. Gariek veut l’affronter. L’angelot sort bien entendu victorieux de ce combat.

    Hisolda est une vieille chamane qui vit à Illendil depuis de longues années. Elle sera le second maître d’Eleanor. Elle nourrit des sentiments très maternels à l’égard d’Abrahel et la jeune humaine est impressionnée par l’autorité qu’elle détient sur le jeune ange. Autorité dont Gabriel lui-même ne peut pas se vanter. Hisolda est mandée par Abrahel pour enseigner la magie à Eleanor. La jeune fille découvre que son professeur a un second talent très particulier : elle entend les pensées. Lorsqu’un jour, Eleanor surprend une conversation entre Hisolda et Abrahel, elle apprend que l’angelot dissimule un grand secret…

    1 – Le grand dojo

    Un cœur pouvait-il se rompre d’épuisement ? En cet instant, celui d’Eleanor en semblait capable. L’air de la pièce était glacé. Et pourtant, sa peau n’était plus que braises. Un nuage de vapeur se formait entre ses lèvres alors qu’elle gisait sur le sol matelassé.

    — Recommence, dit Hisolda.

    « Encore », « Recommence », ces mots, elle les haïssait. Elle les avait trop entendus ces derniers temps et ils entamaient sa détermination. Je n’en peux plus.

    — Déjà ? s’étonna la chamane.

    Elle était adossée au mur et observait son élève d’un œil critique. Elle l’avait avertie de son exigence et elle n’avait pas menti : Eleanor était rompue. Ses muscles lui faisaient mal et une profonde fatigue embrumait sa conscience. La vieille dame se frotta les paupières.

    — Tu as raison, nous avons déjà trop travaillé.

    Lorsque le feu qui brûlait ses poumons s’apaisa, la jeune fille se redressa sur son assise. Ses membres étaient raides, mais malgré la douleur, elle persévérerait. Ça en valait la peine. Les exercices d’Hisolda étaient une torture et elle n’avait encore rien appris sur la magie, mais elle était à présent capable de contrôler son essence vitale avec une dextérité qui étonnait jusqu’au stoïque Abrahel.

    Sous les doigts d’Eleanor, le tapis mousse d’une couleur émeraude délavée avait quelque chose de réconfortant, de familier. La souffrance d’Eleanor finit par disparaître, comme toujours.

    — Comment se passent tes entraînements avec Abrahel ? demanda la chamane en lui tendant un verre argenté.

    Une lunaison auparavant, la jeune fille avait cessé de s’interroger sur la nature de ce que son professeur lui offrait à boire. Comme elle le disait si bien : dans certaines circonstances, l’ignorance est préférable à la connaissance.

    Eleanor offrit à la chamane un sourire désabusé.

    — Pourquoi demander, puisque vous le savez déjà ?

    Hisolda pencha la tête sur le côté. Ses yeux d’un brun vif brillaient de malice.

    — Il est parfois plus agréable d’écouter que d’espionner.

    L’élève eut une moue amère et but une longue goulée de liquide argenté. L’arôme d’agrume trop prononcé était suspect. Quel terrible goût la chamane avait-elle tenté de dissimuler ?

    — Tu ne veux pas le savoir, sourit la vieille dame.

    Eleanor descendit sa boisson d’un trait.

    — Non, je n’en ai aucune envie.

    — Et donc, cet entraînement ?

    — Ça stagne. L’objet officiel de notre visite était le grand dojo, n’est-ce pas ?

    — C’est ce qu’il me semblait, oui.

    — Eh bien, comme vous le savez sûrement, Abrahel s’obstine à m’en tenir éloignée.

    — Il doit avoir ses raisons.

    La jeune fille arqua un sourcil et un rictus barra son visage.

    — J’aime la façon dont vous prétendez les ignorer.

    Eleanor finit par hausser les épaules et se leva. La tunique détrempée était froide contre sa peau. Des nouvelles des Plaines ?

    — Comme chaque jour, répondit Hisolda. Et comme chaque jour, elles ne sont pas bonnes.

    Les démons s’introduisaient de plus en plus loin au cœur des Plaines sauvages et les Andoïes les plus courageux s’exilaient vers le sud. Au nord, la grande majorité des villes étaient d’ores et déjà sous le joug des Enfers, mais les paysans rechignaient encore à quitter leur maison et leurs terres. C’était tout ce qu’ils avaient toujours connu. Le sud leur faisait peur. Les Metendors les terrifiaient.

    Chaque matin, de nouveaux exilés échouaient à Illendil, à chaque vague un peu plus nombreux. Ils rapportaient d’inquiétantes nouvelles des contrées du nord. Des rumeurs à propos de massacres et d’exécutions. Eleanor s’étira, comme pour chasser les frissons d’effroi qui lui vrillaient le dos. Même au Palais, la situation devenait critique. Des troupes démoniaques pénétraient dans la vallée des Deux Frères et l’armée céleste serait bientôt forcée de défendre la Plaine sacrée. Les éclaireurs qu’elle avait croisés la veille avaient peur. Et au fond, elle les comprenait.

    — Qu’arriverait-il si le Palais était pris ? demanda-t-elle.

    Hisolda souffla sur la surface fumante de sa tisane. La fragrance de son thé rendait l’odeur âcre du formol plus supportable. Eleanor s’assit sur le canapé qui faisait face à la chamane.

    — Il ne le sera pas.

    Les doigts de la jeune fille pianotaient nerveusement sur l’accoudoir. Comment Gabriel parvenait-il à gérer la situation ? Il était seul.

    — L’armée céleste est-elle aussi nombreuse et aussi puissante que les troupes qu’Asmodée envoie au front ?

    — Ce serait étonnant. Mais notre roi ne se laissera pas détrôner. Il refuse de se joindre au combat mené contre son fils, mais il ne permettra pas aux Enfers de l’atteindre.

    Eleanor eut un sourire narquois.

    — Quand bien même, toute l’humanité ne pourrait pas s’abriter au Palais.

    — Non, en effet.

    Hisolda regarda son élève par-dessus le bord de sa tasse. Le cœur de la jeune fille manqua un battement.

    — Vous voulez dire que…

    — Comme tu le penses : seuls les anges y trouveront refuge. Les lois de l’ancien temps le stipulent : « L’homme et la femme sont à jamais bannis de mon jardin ».

    Eleanor soupira. C’était la colère qui avait poussé le Seigneur à promulguer cette mesure ridicule, à une autre époque. Le conseil des archanges s’y était opposé, mais pour la première fois de son existence, le roi des cieux avait invoqué le droit divin. Personne n’avait pu s’opposer à sa décision. Et les hommes avaient été chassés de la Plaine sacrée. Le Seigneur le regrettait, aujourd’hui, mais sa première loi rendait ses remords vains.

    — Dieu lui-même ne peut enfreindre ses lois ni les modifier, confirma Hisolda.

    Eleanor se leva. Il était temps pour elle d’aller saluer le vieux Grady. Merci. La chamane lui adressa un clin d’œil.

    — Tu n’as pas besoin de venir cet après-midi, nous avons bien assez travaillé.

    La jeune fille soupira. Elle avait envie de passer un peu de temps aux côtés d’Abrahel et la chamane le savait, bien entendu.

    — Je n’arrive toujours pas à savoir si votre don est agréable ou irritant.

    L’air frais des couloirs s’engouffra dans ses poumons ; un véritable soulagement après l’atmosphère confinée et lourde d’humidité des quartiers d’Hisolda. Eleanor se mordit la lèvre inférieure. Il était à espérer qu’elle soit assez loin de son professeur pour que ses pensées lui soient inaudibles. Eleanor prit subitement conscience qu’elle n’avait aucune idée de la distance couverte par l’omniscience de la chamane.

    La chambre qu’elle partageait avec Abrahel se situait six étages plus haut et le chemin était éreintant. Heureusement, les courants d’air qui s’engouffraient dans les boyaux de granit étaient frais. L’obscurité relative qui régnait à Illendil formait comme un cocon protecteur autour d’elle et il lui semblait qu’entre ces murs, rien ne pourrait lui arriver. Jamais.

    Peut-être qu’Abrahel était déjà rentré de ses vagabondages. Il lui avait promis de lui expliquer pourquoi, depuis plusieurs semaines, elle avait l’impression de détenir des aptitudes qui ne lui appartenaient pas. Son endurance semblait s’être améliorée, sa force avait discrètement augmenté et il lui semblait même qu’elle voyait mieux la nuit.

    La jeune fille soupira lorsqu’elle poussa la porte de leur chambre. Fermée. La clé tourna dans la serrure avec un déclic lugubre qui se propagea le long du couloir. Un frisson parcourut la colonne vertébrale d’Eleanor qui se hâta de claquer la porte derrière elle avant de remettre un tour de clé. Le lit double avait été remplacé par deux lits simples que l’angelot avait veillé à écarter au maximum. Bien qu’ils partagent la même chambre, les deux jeunes gens se croisaient peu. La pièce était désespérément silencieuse. Où Abrahel était-il encore passé ?

    ***

    Lorsque Eleanor ouvrit les yeux, la clarté de l’après-midi lui brûla la rétine. Au-dessus de sa tête, les baldaquins carmin se balançaient au gré de la brise qui s’insinuait par la fenêtre et un crissement régulier résonnait entre les murs de la chambre. Assis avec nonchalance sur l’accoudoir de leur canapé, Abrahel faisait glisser le grain de sa pierre d’affûtage le long du tranchant de l’un de ses cimeterres.

    — Quand es-tu revenu ? demanda la jeune fille en se levant.

    — Presque à l’instant.

    L’angelot rengaina et se laissa choir sur l’assise du canapé en bâillant de façon peu poétique. Eleanor le rejoignit dans le petit salon.

    — Les réfugiés ont apporté des nouvelles fraîches ?

    — Il semblerait que les rumeurs concernant les exécutions publiques soient vraies.

    Il dressa ses mains vers le plafond et observa un instant le reflet du soleil sur ses ongles.

    — J’ai croisé un ambassadeur du Grand Palais, dit-il.

    — Et…

    — La situation se détériore plus vite que prévu. L’armée céleste a été obligée d’envoyer plusieurs légions vers Sylvius…

    — Les démons gagnent du terrain.

    Combien de temps Gabriel parviendrait-il encore à contenir les assauts des Enfers ? Eleanor se massa la nuque. La place d’Abrahel était au front, pas à ses côtés…

    — Je crains que nous ne puissions pas nous attarder plus longtemps à Illendil, lâcha-t-il.

    Il regardait le plafond sans le voir. Il réfléchissait. La jeune fille soupira. Partir ? Cette éventualité la taraudait maintenant depuis un bout de temps, mais elle avait espéré remettre leur départ à plus tard. Elle se plaisait à Illendil et leur prochaine destination ne l’enchantait pas le moins du monde. L’angelot lui avait expliqué que l’étape suivante de leur voyage les mènerait à Néboà, une ville à la triste réputation où se côtoyaient catins, voleurs et assassins. Mais, c’était là que Styx, le maître tacticien avait élu domicile.

    — Quand ? marmonna-t-elle.

    — Le plus vite possible, mais pas avant que tu aies intégré le grand dojo.

    Abrahel se redressa et passa une main dans ses cheveux ébène.

    — Il faudrait d’abord que tu vainques l’intendant…

    — Il faudrait d’abord que tu me laisses l’affronter, surtout !

    Il se leva et resserra les liens dorsaux de ses cimeterres.

    — Eh bien, si tu te sens prête, allons-y…

    Eleanor cligna des yeux avec stupéfaction. Il n’eut pas besoin de le dire une deuxième fois, elle suspendit le fourreau de sa lame à son ceinturon et suivit l’angelot dans les couloirs. Il la jugeait enfin apte à combattre l’intendant !

    Le dojo se trouvait au premier étage de la ville-montagne. La jeune fille sentait l’excitation monter en elle tandis que sa main moite se crispait autour du manche de son arme. Elle avait été entraînée par le Cleddyf Meistr lui-même. Il avait été un professeur exigeant et ne lui avait guère laissé de répit, la contraignant à s’exercer tous les jours avant le dîner. Pas un compliment, pas de félicitations, ni même un hochement de tête. À la fin de la séance, l’angelot rengainait et s’en allait sans un mot. Elle ne pouvait qu’être prête. N’est-ce pas ?

    Les deux compagnons se présentèrent devant les lourdes portes de chêne massif qui dissimulaient le camp d’entraînement d’Illendil ; le plus réputé des Plaines sauvages. Lorsque Abrahel fit face aux gardiens du dojo, ces derniers sonnèrent si fiévreusement les clochettes d’ouverture que l’un d’eux brisa la chaîne sur laquelle il tirait. Les deux compagnons s’engouffrèrent entre les deux battants à peine ouverts. Eleanor ne parvint pas à cacher son émerveillement. Un camp d’entraînement ? Non. Un village d’entraînement. Le promontoire sur lequel ils se tenaient surplombait une véritable petite ville. La grotte qui l’abritait était immense.

    — Tu as été maître de « ça » ?

    Abrahel haussa les épaules avec détachement, mais son regard brillait de nostalgie. Après tout, ça avait été chez lui. Il tendit le doigt vers un édifice accroché à la paroi de granit, de l’autre côté de la caverne. Un long escalier grimpait le long du mur de pierre jusqu’à une bâtisse de bois qui ressemblait à un vieux temple.

    — La résidence du Maître du dojo.

    — Tu vivais là ?

    Abrahel hocha le menton et s’engagea sur les marches qui serpentaient jusqu’à la ville. Ils passèrent en dessous d’une grande lézarde qui permettait au soleil et au vent de s’engouffrer dans la grotte.

    Le bruit des fers qui s’entrechoquaient faisait vibrer l’air alentour tandis que les habitants éphémères de la ville s’échauffaient. Personne ne semblait vraiment vivre ici. Des brasseries, des auberges, des cordonniers, des forges, des tanneurs et des armuriers, mais pas une seule maison. Le dojo n’était apparemment pas un lieu où s’éterniser. Les bruits des combats s’accentuaient au fur et à mesure qu’ils se rapprochaient de la grande place. De nombreux curieux cessèrent de ferrailler pour jeter un regard étonné au jeune homme qui s’avançait dans les rues pavées. Le Cleddyf Meistr, le maître légendaire et légitime du dojo. Une admiration teintée de crainte se dessinait sur les visages tendus des hommes. Certains inclinèrent la tête en signe de respect. En d’autres circonstances, Eleanor aurait trouvé ça amusant, mais cette ode silencieuse lui faisait froid dans le dos. Lorsque les deux compagnons émergèrent sur la place centrale, une impressionnante rumeur se répandit dans la foule. Les combattants n’avaient d’yeux que pour le couple qui venait d’apparaître et tous les regards étaient braqués sur eux. Abrahel s’approcha d’un groupe d’hommes.

    — Messieurs, savez-vous où je peux trouver l’intendant ?

    Les Andoïes secouèrent frénétiquement la tête. L’angelot répéta sa question plus fort en se tournant vers la foule. Sa voix se répercuta en écho contre les façades des auberges qui encerclaient la place. Chacun regarda son voisin, mais personne ne répondit. L’angelot haussa le ton, une irritation mal contenue imprégnant son discours.

    — Donc personne ne sait où se trouve l’intendant ?

    À nouveau, seul le silence lui répondit. À sa terrasse, un tavernier ventripotent lustrait une chope pour la seconde fois. Il tituba soudain.

    — Moi, je sais !

    Une petite fille accourait vers eux. Elle tirait derrière elle une peluche de laine dont les pattes rebondissaient sur les pavés. Abrahel s’accroupit.

    — Conduis-nous à lui.

    La gamine, qui répondait au nom de Camille, lui saisit l’index et l’entraîna à travers la foule qui ne les lâchait pas des yeux. Courbé en avant, Abrahel avait du mal à la suivre. Il souleva tout à coup la fillette par les aisselles et la hissa sur ses épaules. L’enfant rit. Et son rire résonna dans le silence glacé qui régnait sur la place.

    Camille s’amusa à leur faire faire des détours avant de finalement les emmener dans un débit de boissons dont l’enseigne annonçait « Le massacreur ».

    Le tavernier eut beaucoup de mal à cacher sa surprise lorsqu’il reconnut Abrahel. Il l’invita à prendre place à une table où était déjà accoudé un homme d’une quarantaine d’années du nom de Modgud. Dans la pénombre de l’établissement, le tabac de la pipe qu’il tenait entre ses lèvres rougeoyait à chacune de ses inspirations. La lueur vacillante éclairait ses petits yeux sombres par intermittence. C’était donc lui, l’intendant.

    Camille tira sur la tunique de l’homme.

    — Papa ! Le monsieur te cherchait.

    L’intéressé émit un grognement mécontent et leva finalement le nez de l’affiche qu’il rédigeait d’une écriture carrée. Lorsque son regard croisa celui de l’angelot, ses pupilles se dilatèrent furtivement avant de se réduire en deux fentes soupçonneuses. Ses lèvres se pincèrent autour du tuyau de sa pipe.

    — Cleddyf Meistr… Que me vaut l’honneur de votre visite ? demanda-t-il d’une voix râpeuse.

    — Je ne viens pas vous défier, Intendant.

    L’homme l’étudia un instant avant de se laisser aller contre le dossier de sa chaise. Le bois grinça. Modgud mâchonna distraitement son calumet et leur fit signe de s’asseoir.

    — Voici Eleanor, la présenta Abrahel. Mon élève.

    Les pupilles de charbon de l’Andoïe se posèrent sur la jeune fille.

    — J’aimerais que vous l’affrontiez.

    L’homme fut pris d’une soudaine quinte de toux. Du tabac se dispersa sur la table et Modgud écrasa sous son poing les paillettes iridescentes qui fumaient sur le bois.

    — Je ne me bats pas contre les femmes.

    — Vous préférez m’affronter moi ? demanda Abrahel.

    L’intendant pinça les lèvres alors qu’il tapotait la table avec la tête de sa pipe.

    — Et quel serait l’enjeu du duel ? Une femme ne peut pas prendre le poste d’intendance, vous le savez aussi bien que moi…

    Abrahel caressa le bois rugueux de la table du bout de son index.

    — Vous veilleriez à sa formation.

    L’homme lui offrit un sourire narquois.

    — Je pensais que vous l’aviez d’ores et déjà formée…

    — Il y a certaines choses qu’elle doit apprendre par elle-même. Il y a beaucoup d’épéistes différents sur ces terres…

    — Je vois… En ce cas, j’accepte votre défi.

    Les épaules d’Abrahel s’affaissèrent imperceptiblement. Avait-il un instant cru que l’intendant refuserait ?

    — Cependant, susurra l’homme, quel sera mon dû si elle vient à perdre ?

    Une salive âcre emplit la bouche d’Eleanor. Si elle perdait, l’honneur de l’angelot serait bafoué. La bouche de son protecteur se tordit en une grimace moqueuse.

    — Je prétendrai que vous m’avez vaincu en combat singulier. Et j’en répandrai moi-même la rumeur dans les couloirs d’Illendil.

    Le sourire de l’intendant s’effaça et il foudroya Abrahel du regard.

    — J’accepte de combattre la jeune femme, parce que c’est votre élève, mais ne bafouez pas mon honneur, Cleddyf Meistr ! Jamais je ne m’approprierai des mérites qui ne sont pas les miens. Jamais !

    L’angelot sourit.

    — En ce cas, quel sera votre dû ?

    Le regard de Modgud se fit avide.

    — L’une de vos lames. Si elle perd, vous m’en donnerez une.

    Une lueur de colère passa brièvement dans les yeux d’Abrahel. Eleanor s’attendait à le voir refuser.

    — Marché conclu.

    L’aubergiste lustrait son comptoir étincelant. Il ne perdait sans doute pas une miette de la conversation. L’angelot fixait l’intendant avec suffisance.

    — Mais elle ne perdra pas, je puis vous l’assurer.

    L’Andoïe s’esclaffa à gorge déployée et son rire grave résonna dans la salle. Le regard qu’il posa ensuite sur Abrahel était dur.

    — Vous êtes bien sûr de vous, Cleddyf Meistr.

    — Elle me tient fièrement tête en duel.

    Les doigts de l’homme pianotaient avec nervosité contre la table. Dans la semi-obscurité de la taverne, Eleanor crut discerner un bref éclair de doute traverser ses prunelles. Il passa machinalement la main dans les cheveux de Camille qui jouait avec sa peluche de laine.

    — Quand ?

    Abrahel feignit de réfléchir.

    — Lorsque le prochain coup de gong retentira ?

    L’homme haussa les sourcils, surpris, avant de hocher le menton. Il se leva et roula le parchemin qu’il n’avait pas fini de rédiger.

    — Nous nous retrouverons sur l’estrade, Damoiselle.

    Et, sans un regard en arrière, il s’en alla. La porte s’ouvrit brièvement sur la clarté qui régnait au-dehors. Camille agita une dernière fois la main dans leur direction et rejoignit son père.

    Eleanor se laissa tomber sur une chaise qui grinça sous la contrainte.

    — Qu’en dis-tu ? demanda soudain Abrahel.

    — Que tu as perdu la tête ! Maintenant, si je perds, ma descendance devra supporter ma honte durant au moins trois générations…

    — Tu gagneras, rétorqua-t-il. Parce que tu as une excellente raison de ne pas perdre.

    Eleanor leva vers lui un regard consterné.

    — Ah oui ? Laquelle ?

    Abrahel posa son menton sur ses doigts entrelacés. Dans la pénombre de la salle, le regard qu’il lui adressa la fit frémir. Sa voix se fit dure, terrifiante.

    — Parce que je te l’interdis.

    2 – Duel

    Les joues d’Eleanor étaient en feu, et ce n’était pas du fait de l’échauffement exubérant auquel Abrahel la forçait à se plier. Un grand silence régnait sur la place. Une nouvelle fois, tous les regards étaient braqués sur eux. Leur combat avait quelque chose de théâtral, quelque chose de grisant, pour eux comme pour les spectateurs. Mais l’angelot maintenait un rythme effréné et la jeune fille commençait peu à peu à peiner. Les bandes de cuir qu’ils s’étaient procurées chez un artisan bon marché empestaient encore l’enduit écœurant utilisé pour le tannage. Ça changeait des armures célestes qui sentaient la sève.

    Eleanor esquiva un énième coup d’Abrahel et leva les

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