Traductions dans le roman francophone: Pratiques et enjeux identitaires
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À propos de ce livre électronique
Helge Vidar Holm
Helge Vidar Holm est professeur des Universités, professeur émérite de littérature et civilisation françaises à l'Université de Bergen en Norvège, où il enseigne depuis 1997. De 2008 à 2010, il a occupé le poste de directeur des études à l'OGNEC (Office franco-norvégien d'échanges et de coopération) à l'Université de Caen Basse-Normandie (France). il est auteur de plusieurs travaux scientifiques.
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Aperçu du livre
Traductions dans le roman francophone - Éditions Pygmies
Comité scientifique
Servanne Woodward (University of Western Ontario); Susanne Gehrmann (Humboldt University,Berlin) Flora Amabiamina (Université de Douala) ; Laté Lawson –Hellu (University of Western Ontario); Alain Fleury Ekorong (Université de Douala); Joseph Ozele Owono (Université de Yaoundé 1) ; Alexis Belibi (Université de Yaoundé I) J. Alphonse Tonye (Université de Yaoundé I); Noumssi Gérard Marie (Université de Yaoundé I), Raymond Mbassi Ateba (Université de Maroua) ; Jean-Claude Abada Medjo (Université de Maroua) ; Désiré Atangana Kouna (Université de Yaoundé I) ; Schmidt Melbye Inger Hesjevoll (Norwegian University of Science and Technology); Njoh Kome Freddy (Université de Douala); Jean Marcel Essiene (Université de Douala); Isidore Pentecôte Bikoko (Université de Douala) ; Placid Ebanga (Université de Bertoua) ; Solange Medjo (Université de Douala); Roger Fopa (Université de Maroua).
Comité de lecture
Jean Marie Yombo (Université de Bertoua) ; Pierre Olivier Emouck (Université de Bertoua); Claude Éric Owono Zambo (Académie de Versailles) ; Joseph Ako (Université de Douala); Alain Roger Boayeniak Bayo (Université de Douala) ; Faty Myriam Mandou (Université de Yaoundé 1) ; Luc Didier Ze Ngono (Université de Yaoundé 1) ; Nathalie Tonga (Université de Yaoundé 1) ; Gérard Bouelet (Université de Douala); Amos Kamsu (Université de Maroua) ; Marcelin Mbema (Université de Douala); Olivia Nga (Université de Douala).
Table des matières
Préface
Avant-propos
Une langue peut en cacher une autre : les particularités du tissage diglossique dans Madame Orpha de Marie Gevers
Introduction
1. La diglossie dans Madame Orpha
2. L’usage du parler local
3. Les interjections
4. Les belgicismes
Conclusion
Bibliographie
Refus de traduction dans le roman francophone. Une analyse du vocable « Zâ-à-mbe »
Introduction
1. Le roman francophone, entre culture et ouverture
2. La structure Zâ-à-mbe et ses expressions
3. Enjeux du refus de traduction
Conclusion
Bibliographie
Réception du calque de la phraséologie wolof dans les romans autotraduits en français
Introduction
1. De la traduction mentale à l’auto-traduction dans les écritures africaines
2. Traduction de la phraséologie wolof par calque de construction
3. Réception des calques phraséologiques
Conclusion
Bibliographie
Le traducteur face à la variation : problèmes théoriques et méthodologiques
Introduction
1. Considérations préliminaires
2. Traduction et francographie africaine
3. Roman francophone, transposition, transferts et langue métissée
Conclusion
Références bibliographiques
Impact de la traduction arabe sur le langage religieux des Mots de Sartre
Introduction
1. Les fonctions poétiques du langage religieux dans les Mots
2. Dénaturation de la poétique du langage religieux par la traduction arabe
3. Traduction, prévenir l’impact du contexte d’énonciation extratextuel : généricité, paratexte et annotations
Conclusion
Bibliographie
Traduction et parémies en littérature francophone subsaharienne. Une appréciation de Le Monde s’effondre et Tout s’effondre de Chinua Achebe
Introduction
1. L’équivalence sémantico-parémique, gage de conservation du sens et de connotation stylistique
2. De la binarité rythmique à la charge informative
3. Dire la culture igbo dans/par la langue française : entre domestication et étrangeisation
Conclusion
Bibliographie
La présence du traducteur dans la traduction de Balzac et la Petite Tailleuse chinoise
Introduction
1. L’opinion de Yu Zhongxian sur la traduction
2. Les méthodes de traduction
Conclusion
Bibliographie
Préface
J’ai entendu dire que lorsque vous apprenez une langue étrangère, vous apprenez la culture d’un autre peuple. Elle vous informe à propos de leur perspective sur le monde, sur leur façon de le percevoir. Voilà pourquoi la traduction est si difficile — vous devez saisir le monde d’une façon, puis traduire dans une autre langue tout en liant les mots pour qu’ils restent cohérents¹.
Annie-Claude Demagny, Henriette Hendriks et Maya Hickmann ont observé que dans l’enchainement séquentiel d’une narration, il faut suivre la logique des indications spatiales des séquences, leur localisation, pour définir leur occurrence et leur signifiance par résonance harmonique avec une culture donnée qui impose une échelle de valeurs et une vision du monde liées à la façon dont une langue donnée appréhende les vecteurs de l’espace-temps (« How adult », § 3). Cette dimension d’une langue source serait ce qu’il y a de plus difficile à traduire en langue cible à cause du processus de réorganisation mentale, qui selon Demagny et ses collaboratrices, devient le passage obligatoire de l’anglais au français et vice versa (Ibid., § 32). Voilà qui s’ajoute aux traces de traduction de l’igbo à l’anglais, présentes par exemple dans Things Fall Apart, avant que ce roman ne soit converti de l’anglais au français. Une connaissance des trois langues et des trois cultures est évidemment souhaitable, et cette connaissance n’assure en aucun cas que les traducteurs les plus talentueux puissent rendre la coalescence igbo-anglaise en français, sans accident notable. C’est alors que la traduction verse dans les théories de l’adaptation, voire dans l’intraduisible. Le fait d’explorer ce qui dans l’adresse à un nouveau public compromet l’idée de fidélité au texte source est l’un des pôles d’intérêt du volume ici rassemblé par Helge Vidar Holm et Edouard Djob Li Kana.
L’idéal d’une traduction exacte (la traduction exacte selon Goethe, supposant la transparence entière d’une langue l’autre, ou de traduction « littérale » selon les procédés de traductologie, by Jean Paul Vinay and Jean Darbelnet) semble alors particulièrement illusoire dans les romans francophones. Selon les auteurs présentés, dans le contexte d’une « littérature-monde », traitée ici sous l’angle de rapports à la francophonie mondiale, nous nous rapprochons peut-être plus précisément des principes de « reconnaissance » explorés par Axel Honneth, tout autant que des exigences de marché qui demandent une diffusion littéraire mondiale dans un nombre restreint de langues pour lesquelles l’industrie du livre distribue suffisamment les ouvrages sur le marché du livre — et assurent un lectorat, une visibilité, bref une économie, souhaitables pour les auteurs qui sont aussi francophones.
Les choix de langues des auteurs qui s’auto-traduisent, comme leurs refus de traduction pour laisser affleurer d’autres langues que le français dans leurs œuvres, retiendront votre intérêt dans diverses perspectives de reconnaissance qui n’excluent pas des interférences de brouillage linguistique. Nous applaudissons l’initiative de ce volume qui apporte plusieurs cas d’horizons différents, centrés sur la littérature francophone comme procédant de la traduction.
Prof. Servanne Woodward
University of Western Ontario, Canada
Department of French Studies
1 Ma traduction, Elliott, « A Mind », p. 52 : « I’ve heard people say that when you learn a people’s language, you learn their culture. It tells you how they think of the world, how they experience it. That’s why translation is so difficult — you have to take one way of seeing the world and translate it to another, while still piecing the words together so they make sense. »
Avant-propos
Le roman francophone est un lieu de création, d’imagination et de représentations des réalités divergentes par rapport à la langue du terroir culturel de France. Ses auteurs sont les porte-paroles d’un imaginaire francophone multilingue. Ressortissants d’Afrique, des Caraïbes, d’Europe, d’Asie, etc., et passionnés de l’idée de « littérature-monde », ils aspirent à faire connaitre à leurs lecteurs internationaux la culture, la mentalité et les valeurs de leurs territoires d’origine.
Henri Lopes, écrivain congolais, l’exprime dans son livre « ma grand-mère bantoue et mes ancêtres les Gaulois » :
J’écris parce que je suis un Africain. Un homme vieux de plusieurs millions d’années dont la mémoire et l’imaginaire ne tiennent qu’au fil tenu et fragile d’une tradition orale brumeuse ; un homme dont la bibliothèque date de moins d’un siècle. J’écris pour introduire dans l’imaginaire du monde des êtres, des paysages, des saisons, des couleurs, des odeurs, des saveurs et des rythmes qui en sont absents ; pour dire au monde des quatre saisons celui des saisons sèches et des pluies ; pour dire au ciel de la Grande Ourse celui de la Croix du Sud. (Lopes, 2003 : 111)
L’évocation du territoire natal dans certains romans francophones soulève plusieurs défis, entre autres les défis de traduction : comment reproduire en français des langues et des cultures qui n’ont rien en commun avec la langue et la culture française ? Comment traduire en une autre langue que le français (l’arabe, le chinois, le wolof par exemple) une œuvre écrite en français et où l’interférence des cultures natives de l’auteur s’affiche nettement à tous les niveaux langagiers ? Voilà autant de défis qui interpelleraient tout traducteur et tout critique des traductions du roman francophone ; des défis que les contributeurs de cet ouvrage explorent agréablement. Leurs travaux, dans l’ensemble, proposent une réflexion sur la façon dont peut être envisagé le roman francophone en traduction. Ils explorent deux problèmes consubstantiels : la traduction opérée des langues natives des auteurs (langues et cultures sources) à la langue française (la langue d’écriture et la langue cible) ; et celle consistant à transposer un texte de la langue française vers une autre langue (l’arabe, le chinois.)
La traduction opérée des langues natives des auteurs à la langue française (la langue d’écriture) est liée au caractère hybride des romans. Elle transpose non pas les textes, mais les cultures (Tymoczko, 1999). D’où les nombreuses étrangetés lexicales, morphosyntaxiques et thématiques. Les articles de Pierre-Olivier Pire, Irène Kebiyeng, Laurain Assipolo, Faye Babacar et Diene Moussa identifient et analysent ces étrangetés.
Pierre-Olivier Pire part de l’analyse des fonctions particulières de la diglossie dans le roman Madame Orpha de Marie Gevers pour démontrer que dans l’histoire de la littérature belge de la première moitié du XXe siècle, l’expression en langue française s’est souvent imposée comme un compromis chez les auteurs flamands, soucieux de reconnaissance symbolique dans l’espace culturel francophone. Pierre-Olivier Pire analyse quelques dispositifs lexicaux (les usages oraux, des interjections, des belgicismes) qui permettent aux auteurs flamands, à Marie Gevers notamment, d’écrire en français des dialogues qui, en toute logique, devraient être, par exemple, énoncés en néerlandais. Ce qui l’amène à déduire que Marie Gevers, comme bon nombre d’auteurs, renégocie la place du flamand au sein du français ; et que Madame Orpha est un grand roman de l’oralité qui participe à l’élaboration d’un « mythe » national favorisant les thématiques nordiques.
Irène Kebiyeng étudie minutieusement le vocable « Zâ-à-mbe », une étrangeté lexicale non traduite dans le roman Les Hommes de la nuit de Beauvard Zanga. Son article cherche à comprendre les enjeux de la résistance volontaire à la traduction de certains termes dans le roman francophone. Il explique pourquoi les écrivains de ce roman, spécifiquement ceux qui ont appris le français après avoir maîtrisé leurs langues maternelles, choisissent délibérément de ne pas transcrire certains mots issus de leurs langues maternelles.
Faye Babacar et Diene Moussa étudient l’autotraduction en français à partir des œuvres Mbaam dictateur, Dignité ô femmes, Singali, l’orphelin de Cheik Aliou Ndao, autotraduites du wolof vers le français. L’objectif de leur article est de montrer les limites de certaines stratégies de traduction de la phraséologie wolof en français.
Laurain Assipolo propose quelques réflexions théoriques et méthodologiques en traductologie, à partir d’un corpus de sept romans francophones d’Afrique subsaharienne. Il examine les orientations esthétiques de ces romans, principalement la manière dont les écrivains insèrent dans leurs textes des éléments appartenant à leurs cultures et aux variétés de français endogènes.
Mohammed Azzaoui, Jean Pierre Atouga et Wang Yiran observent des problèmes de traduction opérée de la langue française vers une autre langue (l’arabe, le chinois.)
Mohammed Azzaoui propose une étude analytique de la version arabe de Les Mots, une œuvre de Jean-Paul Sartre traduite par Mohammed Mandour (2015). Azzaoui démontre comment le texte de Sartre, traduit en arabe, perd son arrière-plan socioculturel à cause du contraste entre la culture arabo-musulmane (la culture du texte d’arrivée) et la culture judéo-chrétienne (la culture du texte de départ). Ce qui l’amène à évoquer les obstacles pouvant restreindre la traduction correcte d’une œuvre littéraire occidentale dans le contexte arabo-musulman.
Jean Pierre Atouga analyse les versions françaises du roman de Chinua Achebe, Things Fall Apart ; un roman qui est en lui-même une transposition de la langue Igbo vers l’anglais (Things Fall Apart regorge de proverbes et d’autres faits sociolinguistiques de la langue Igbo). Son article évalue les parémies et autres structures idiomatiques dans Le monde s’effondre et Tout s’effondre, deux versions en français de Things Fall Apart traduites