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D'un monde l'autre. Tracées des littératures francophones
D'un monde l'autre. Tracées des littératures francophones
D'un monde l'autre. Tracées des littératures francophones
Livre électronique519 pages6 heures

D'un monde l'autre. Tracées des littératures francophones

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À propos de ce livre électronique

Si la terre était une bibliothèque, elle ressemblerait assurément à cet ouvrage où l’on touche du doigt la francophonie – le mot et la chose –, dans le respect des textes et des auteurs. Accents, registres, langages. Éloge de la lecture. Éloge du divers et du multiple. Des odeurs, des sonorités, des paysages et des couleurs se bousculent. Lise Gauvin ouvre des fenêtres sur le monde. Elle nous livre une somme. Ses lectures. Ses coups de coeur. Elle dresse une géographie littéraire rappelant ces livres qu’il nous reste à découvrir urgemment. « Les chroniques rassemblées se proposent comme un accompagnement dans ce voyage hors frontières constitué par les textes d’écrivains francophones et comme autant de haltes dans un Tout-Monde en gestation. »
LangueFrançais
Date de sortie16 sept. 2013
ISBN9782897120924
D'un monde l'autre. Tracées des littératures francophones
Auteur

Lise Gauvin

Lise Gauvin est une écrivaine et critique littéraire québécoise. Professeure émérite au Département des littératures de langue française de l'Université de Montréal, qu’elle dirigea de 1999 à 2003, Lise Gauvina complété des études en musique et en lettres. Elle a été responsable de la chronique des « Lettres francophones » dans le journal Le Devoir durant une vingtaine d’années et a collaboré régulièrement aux émissions culturelles de Radio-Canada à titre d’animatrice et de critique. Elle est récipiendaire de plusieurs prix et titres honorifiques dont le Grand Prix de la Francophonie de l'Académie française en 2020.

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    Aperçu du livre

    D'un monde l'autre. Tracées des littératures francophones - Mémoire d'encrier

    D’un monde l’autre

    Tracées des littératures francophones

    Lise Gauvin

    Collection Essai

    Mise en page : Virginie Turcotte

    Maquette de couverture : Étienne Bienvenu

    Dépôt légal : 3e trimestre 2013

    © Éditions Mémoire d’encrier, 2013

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Gauvin, Lise

    D’un monde l’autre : tracées des littératures francophones

    (Collection Essai)

    ISBN 978-2-89712-090-0 (Papier)

    ISBN 978-2-89712-091-7 (PDF)

    ISBN 978-2-89712-092-4 (ePub)

    I. Titre.

    PS8563.A865D86 2013       C844’.54       C2013-941319-7

    PS9563.A865D86 2013

    Nous reconnaissons, pour nos activités d’édition, l’aide financière du Gouvernement du Canada par l’entremise du Conseil des Arts du Canada et du Fonds du livre du Canada.

    Nous reconnaissons également l’aide financière du Gouvernement du Québec par le Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres, Gestion Sodec.

    Mémoire d’encrier

    1260, rue Bélanger, bureau 201

    Montréal, Québec

    H2S 1H9

    Tél. : (514) 989-1491

    Téléc. : (514) 928-9217

    info@memoiredencrier.com

    www.memoiredencrier.com

    Réalisation du fichier ePub : Éditions Prise de parole

    Dans la même collection :

    Transpoétique. Éloge du nomadisme, Hédi Bouraoui

    Archipels littéraires, Paola Ghinelli

    L’Afrique fait son cinéma. Regards et perspectives sur le cinéma africain francophone, Françoise Naudillon, Janusz Przychodzen et Sathya Rao (dir.)

    Frédéric Marcellin. Un Haïtien se penche sur son pays, Léon-François Hoffman

    Théâtre et Vodou : pour un théâtre populaire, Franck Fouché

    Rira bien... Humour et ironie dans les littératures et le cinéma francophones, Françoise Naudillon, Christiane Ndiaye et Sathya Rao (dir.)

    La carte. Point de vue sur le monde, Rachel Bouvet, Hélène Guy et Éric Waddell (dir.)

    Ainsi parla l’Oncle suivi de Revisiter l’Oncle, Jean Price-Mars

    Les chiens s’entre-dévorent... Indiens, Métis et Blancs dans le Grand Nord canadien, Jean Morisset

    Aimé Césaire. Une saison en Haïti, Lilian Pestre de Almeida

    Afrique. Paroles d’écrivains, Éloïse Brezault

    Littératures autochtones, Maurizio Gatti et Louis-Jacques Dorais (dir.)

    Refonder Haïti, Pierre Buteau, Rodney Saint-Éloi et Lyonel Trouillot (dir.)

    Entre savoir et démocratie. Les luttes de l’Union nationale des étudiants haïtiens (uneh) sous le gouvernement de François Duvalier, Leslie Péan (dir.)

    Images et mirages des migrations dans les littératures et les cinémas d’Afrique francophone, Françoise Naudillon et Jean Ouédraogo (dir.)

    Haïti délibérée, Jean Morisset

    Bolya. Nomade cosmopolite mais sédentaire de l’éthique, Françoise Naudillon (dir.)

    Controverse cubaine entre le tabac et le sucre, Fernando Ortiz

    Les Printemps arabes, Michel Peterson (dir.)

    L’État faible. Haïti et République Dominicaine, André Corten

    Émile Ollivier, un destin exemplaire, Lise Gauvin (dir.)

    Femmes en francophonie, Isaac Bazié et Françoise Naudillon (dir.)

    Liminaire

    Ce livre est le fruit d’une longue collaboration avec le journal Le Devoir, d’un parcours critique qui a d’abord commencé par des textes sur l’actualité québécoise, puis a donné lieu à la création de la rubrique « Lettres francophones », au cours de l’année 1990. Il s’agissait de participer ainsi à la mise en place d’un réseau ou rhizome qui, de l’Afrique aux Antilles, en passant par l’Europe, permettait de faire circuler des textes trop souvent laissés pour compte par les médias.

    Dès le départ, j’ai tenu à préciser mon point de vue :

    Le regard critique, écrivais-je dans ma première chronique, est un regard d’une extrême mobilité, prêt à toutes les surprises. La déception ne peut venir que d’une incohérence interne, d’une inadéquation du texte avec son propre modèle, son propre protocole de lecture. Le discours critique est le contraire même d’un discours de la norme. Comme la lecture, la critique est d’abord déterritorialisation et errance dans le monde de l’autre. (Le Devoir, 10 nov. 1990)

    Déterritorialisation, errance, deux mots-clés qui ont guidé ma démarche et m’ont permis de circuler à travers des œuvres de diverses provenances et de me mettre ainsi à l’écoute de la rumeur du monde. J’ai privilégié la forme narrative (romans et récits), avec quelques incursions du côté de l’essai. Ces tracées des lettres francophones renvoient à une prose vivante, celle d’écrivains en prise directe sur les enjeux du monde contemporain. Elles rendent compte d’une conscience aigüe de la difficulté d’articulation de l’intime et du collectif dans des sociétés toujours en cours de mutation.

    Les chroniques ici rassemblées se proposent donc comme un accompagnement dans ce voyage hors frontières constitué par les textes d’écrivains francophones et comme autant de haltes dans un Tout-monde en gestation.

    Introduction

    La francophonie littéraire :

    un archipel inachevé

    (Le Devoir, 4 septembre 1999)

    ¹

    S’il est difficile de savoir avec précision ce que recouvre aujourd’hui le terme de francophonie, la notion de francophonie littéraire fait également problème et correspond à un vaste ensemble hétérogène qui résiste à toute grille simplificatrice, mais dont les signes n’en attirent que davantage l’attention par leur singularité même. Créé en 1880 par le géographe Onésime Reclus pour désigner l’ensemble des populations utilisant le français, le terme qui s’est maintenu jusqu’à présent renvoie à un « concept non stabilisé », hésitant entre le culturel et le politique. On distingue généralement, selon le statut accordé au français, les zones où le français est langue maternelle de celles où il est langue officielle ou langue d’usage, bien que seconde (pour la plupart les anciennes colonies françaises, et notamment, les aires créolophones). À cela s’ajoutent les pays où il est encore langue privilégiée (comme en Europe centrale ou orientale). Cette classification, même sommaire, a toutefois le mérite de faire voir les disparités de situations socioculturelles dans lesquels évoluent les écrivains dits francophones. Disparités qui se trouvent encore accusées du fait que l’usage tend à opérer de plus en plus un clivage entre les écrivains français (de France) et ceux qui écrivent en français (tous les autres). Qu’on soit ou non d’accord avec cette distinction, elle tend à s’imposer de facto aussi bien dans les ouvrages à vocation pédagogique (anthologies et histoires littéraires) que dans les écrits théoriques qui, comme celui de Michel Beniamino, tentent de problématiser l’espace littéraire francophone².

    Malgré ces disparités, les écrivains francophones partagent un certain nombre de traits communs, au premier rang desquels se trouve un inconfort dans la langue qui est à la fois source de souffrance et d’invention, l’une et l’autre inextricablement liées, ainsi qu’en témoigne l’œuvre, exemplaire de ce point de vue, d’un Gaston Miron. La proximité des autres langues, la situation de diglossie dans laquelle ils se trouvent le plus souvent immergés, entraînent chez ces écrivains ce que j’ai pris l’habitude de désigner sous le nom de « surconscience linguistique ».

    Si chaque écrivain doit jusqu’à un certain point réinventer la langue, la situation des écrivains francophones a ceci de particulier que le français n’est pas pour eux un acquis, mais plutôt le lieu et l’occasion de constantes mutations et modifications. Ce qui donne le travail remarquable d’un Kourouma inventant une langue, sa propre langue d’écriture irriguée par le rythme et les manières de penser malinké. D’une Assia Djebar que la fréquentation de langues autres que le français, comme le berbère et l’arabe, pousse à thématiser son rapport à la langue dans des récits complexes, mêlant diverses temporalités. Sans compter les prises de position manifestaires des écrivains antillais signataires d’Éloge de la créolité, les Chamoiseau et Confiant dont l’œuvre convoque l’histoire pour mieux dire l’épopée au quotidien. Ou encore le discours à dessein provocant d’un Verheggen prônant la nécessité de parler « grand-nègre » et de faire entendre « l’inouïversel ». Mais ces déclarations à l’emporte-pièce ne doivent pas faire oublier la fragilité même du travail d’écriture et la menace d’aphasie qui guette à tout moment ceux qui, comme France Daigle, d’Acadie, avouent écrire dans « le creux d’une langue ».

    Le centre et la périphérie

    Autre trait commun aux littératures francophones : leur situation dans l’institution littéraire française, situation qui, somme toute et malgré les succès des uns et des autres, reste marginale. Ces littératures se sont développées dans des contextes historiques fort différents, adoptant parfois le modèle de littérature nationale ou se contentant de le rêver, comme ce fut le cas pour la littérature québécoise au XIXe siècle, ou de le rejeter, comme on le fit en Belgique à la même époque. Plus ou moins organisées sur le plan de l’édition, de la critique ou de la diffusion dans leur propre aire culturelle, ces littératures dépendent toujours, pour leur circulation et leur diffusion d’un pays francophone à un autre, de l’instance de légitimation que constitue le milieu éditorial parisien. Ce centralisme extrême de l’institution littéraire française expliquerait en partie le fait que les littératures francophones d’Amérique, à la différence des autres littératures américaines, n’aient pas renversé en leur faveur la dialectique du centre et de la périphérie.

    D’autres facteurs interviennent également, comme, bien entendu, celui de la masse linguistique. Mais ne nous étonnons pas de constater que, malgré les percées qu’ont pu faire certaines littératures à l’occasion d’événements majeurs, en France et ailleurs en Europe, les écrivains connus et lus dans l’ensemble de la francophonie le sont grâce aux maisons d’édition françaises : le Seuil pour quelques Québécois, plusieurs Africains (Kourouma, Henri Lopes, Tahar Ben Jelloun, etc.) et un Réunionnais (Axel Gauvin) ; Gallimard pour les Antillais Chamoiseau et Glissant ; Albin Michel pour Calixthe Beyala, Émile Ollivier, Assia Djebar ; Grasset pour Antonine Maillet, Michel Tremblay ; Stock pour Gisèle Pineau, Rachid Mimouni, Louis Hamelin ; Actes Sud pour Jacques Poulin et Michel Tremblay ; Robert Laffont pour Maryse Condé ; le Serpent à plumes pour Dany Laferrière, Ben Soussa et A. Waberi… Paradoxe de la marge qui a besoin du centre pour exister comme marge. On peut à bon droit se demander si le manifeste Éloge de la créolité aurait connu un même retentissement s’il n’avait été publié qu’à Fort-de-France.

    Une source vive

    Cette situation a comme conséquence que se développe le plus souvent une critique des œuvres de la littérature francophone ignorant à peu près tout de leurs contextes d’élaboration et créant chez le public une attente qui, trop encore, a des relents d’exotisme. Mais ce centralisme a aussi pour effet de faire émerger des écrivains isolés qui, sans le soutien de l’édition française, n’auraient sans doute pas pu publier leurs textes. Tel est le cas, notamment, de A. Waberi, premier et unique romancier originaire de Djibouti.

    La francophonie littéraire n’a pas fini de nous étonner. Soit par son extension géographique qui semble sans limites : on sait maintenant qu’il existe des poètes de presque toutes les parties du monde qui écrivent en français. Soit par l’éclairage qu’elle projette sur l’ensemble du phénomène littéraire et le renouvellement des formes et du langage dont font preuve les réalisations de ses écrivains. Ces littératures que la critique associe généralement au postcolonialisme se sont engagées dans des « esthétiques de résistance » qui à leur tour modifient le champ littéraire³. Aussi ne s’agit-il pas d’y voir l’élaboration d’une sorte de Commonwealth littéraire mais plutôt la possibilité de créer par là des réseaux d’interrelations, réseaux qui, à l’image de la pensée en archipel proposée par Édouard Glissant, reposent sur des expériences diversifiées et interdépendantes. Mais un archipel inachevé, dont l’inachèvement même constitue le signe d’un devenir possible.


    1 Les textes qui suivent ayant été publié dans Le Devoir, seule la date de publication sera désormais indiquée en référence.

    2 Michel Beniamino, La francophonie littéraire. Essai pour une théorie, L’Harmattan, CNRS La Réunion, Paris, 1999.

    3 Jean-Marc Moura, Littératures francophones et théorie postcoloniale, Paris, PUF, 1999.

    I

    Perspectives croisées

    Francophonie : le mot et la chose

    (7 novembre 1992)

    Littérature francophone, anthologie, sous la direction de Jean-Louis Joubert Nathan, ACCT, Paris, 1992, 448 p.

    Le mot francophonie aurait été « inventé » par le géographe Onésime Reclus dans les années 1870, puis relancé par la revue Esprit en 1962. La chose qu’il désigne, elle, est plus complexe et ce n’est pas le moindre des mérites de cette anthologie que de ne pas chercher à la simplifier et d’amener ainsi le lecteur à réfléchir en même temps que l’auteur sur l’objet de son enquête.

    Rarement aura-t-on vu autant de mises en garde et de précisions visant à apporter les nuances nécessaires à la compréhension de la question. Le titre au singulier pourrait, de prime abord, laisser croire à une synthèse un peu hâtive des disparités. Mais dès l’introduction, on prend la peine de distinguer « quatre visages particuliers de la francophonie : les pays de français langue maternelle (Europe et Canada francophones) ; les pays créoles (où le français est langue seconde, mais parente) ; les pays de français langue officielle ou langue d’usage (qui ont été, pour la plupart, colonies françaises) ; les pays de français langue étrangère privilégiée (comme parfois en Europe centrale et orientale). » Chacun de ces visages – ou chacune de ces zones francophones – est représenté dans le livre. Celui-ci porte à la fois sur la littérature francophone, soit les textes qui s’écrivent en français, et les littératures francophones, soit « les ensembles de textes qui ont une circulation littéraire dans des pays particuliers ». À ce titre, la littérature qui s’écrit en France devient une littérature francophone parmi d’autres.

    L’originalité du projet tient ici à la perspective très large, qui fait commencer au XVIe siècle, avec Montaigne et Rabelais, les premiers textes de la francophonie. Elle tient aussi au découpage choisi, à la fois chronologique et thématique. Ce qui n’en permet que mieux de faire ressortir « l’étrange étrangeté francophone, cette subtile différence dans le partage d’une même langue ».

    On a retenu de la littérature française, en plus des classiques, des auteurs qui, tels Apollinaire ou Segalen, furent eux-mêmes en contact avec la mixité des cultures et « explorateurs des limites ». Pour chaque littérature, des perspectives d’ensemble rappellent, de façon succincte, les caractères particuliers de son développement. Le XXe siècle occupe à lui seul la moitié du livre. Il est divisé en rubriques telles : la prise de la parole, l’écriture du réel, la modernité, l’oralité et l’écriture, la voix des femmes, les théâtres francophones, la poésie. On constate que ces littératures très jeunes possèdent beaucoup de points communs.

    Ce livre se veut à la fois outil pédagogique et ouvrage de référence. Il bénéficie d’une présentation extrêmement séduisante, avec de nombreuses photos et un élégant montage des textes. Les notices consacrées aux auteurs sont rapides et justes. On sent la présence d’un guide très sûr, donnant les renseignements nécessaires sans alourdir le texte de détails inutiles. La littérature du Québec y est représentée par une vingtaine d’auteurs, d’Aubert de Gaspé à Godbout, de Nelligan à Miron, en passant par Roy, Hébert, Lasnier et Blais. Seules quelques erreurs minimes se glissent, par exemple le fait de situer la maison d’édition Leméac à Ottawa ou le fait de chapeauter Aquin par la rubrique Canada seul et non « Canada Québec », comme les autres. Mais cela est inévitable dans une entreprise de pareille envergure.

    On remarque cependant que la plupart des extraits choisis sont tirés d’œuvres éditées en France, comme s’il s’agissait là d’un détour – presque – obligé pour accéder à la francophonie. Mais, exception étonnante, l’extrait cité de l’Homme rapaillé de Miron est attribué aux éditions de l’Hexagone alors que celui de Volkswagen Blues de Poulin est donné dans son édition française. On s’étonne aussi de la formulation laconique attribuant le mérite de l’ouvrage à « un ensemble de professeurs francophones sous la direction de Jean-Louis Joubert. » S’agit-il d’un excès de modestie de la part de ce dernier? N’est-ce pas plutôt une manière discrète de rendre hommage aux travaux antérieurs sur lesquels s’appuie ce bouquin?

    Par sa façon d’harmoniser les textes des auteurs de France avec ceux des écrivains des autres aires francophones, mais aussi par la manière de donner à chacun des auteurs choisis un même traitement, cet ouvrage colossal fera date dans l’histoire des lettres en langue française.

    Il y a francophonie et francophonie

    (7 août 1993)

    L’année francophone internationale, Bilan 1992-Perspectives, sous la direction de Michel Tétu, ACCT, 1993, 245 p.

    L’année francophone internationale, répertoire des événements et publications dans le monde francophone, est un outil précieux, tant par les renseignements qu’il fournit que par la diversité qu’il dévoile. Diversité évidente entre les aires géographiques où l’on parle français, mais diversité également des approches choisies pour rendre compte des phénomènes observés. Curieux, médusé, le lecteur passe des statistiques les plus impersonnelles à l’analyse politique et à l’hommage posthume.

    Il faut louer les responsables de la publication, Robert Jouanny de l’Université de Paris IV et Michel Tétu de l’Université Laval, de ne pas avoir contraint les collaborateurs à un protocole trop strict, forcément monotone, car les choix effectués de rendre compte de tel aspect de préférence à un autre sont révélateurs des situations décrites. J’ai retenu de ce parcours l’article d’Henri Dorion et de Christian Morisseau portant – 1992 oblige – sur « l’Amérique francophone, une Amérique retrouvée » et retraçant la mémoire d’un continent francophone pas tout à fait englouti. Car, rappellent les auteurs, l’« Amérique du Nord fut d’abord francophone dans ses toponymes et ses patronymes. Le métissage se fit d’abord entre francophones et indiens ». Une oreille habile saura encore aujourd’hui retracer les noms français sous la dérivation anglaise et retrouver la rivière L’eau froide (frette) sous Low Freight ou le lieu-dit Purgatoire sous Picket Wire. Mais du point de vue des populations, si les recensements indiquent encore aujourd’hui des citoyens « d’origine ethnique française » dans tous les comtés, « les francophones hors Québec sont de moins en moins nombreux même si leurs droits sont préservés ».

    J’ai retenu encore, côté bilans, l’importance de l’étude du français dans les pays de l’Europe centrale et orientale où la francophonie, notamment en Roumanie, se transforme parfois en francophilie. Dans les lycées hongrois, selon A. Vigh, le français fait bonne figure, malgré une forte poussée de l’allemand et de l’anglais. Ailleurs, au Luxembourg par exemple, le voisinage de l’allemand et du luxembourgeois laisse tout de même place à une littérature écrite en français, présentée ici dans une perspective historique. Le tour d’horizon amène le lecteur de l’Amérique du Nord (Françoise Tétu de Labsade) à l’Océan Indien (Jean-Louis Joubert) sans oublier la France. L’article de Robert Jouanny résumant les événements marquants de 1992 en France prend l’aspect d’une véritable analyse politique à laquelle s’ajoute une importante bibliographie critique des principales publications littéraires.

    On trouvera aussi, dans cet ensemble, un vibrant hommage de Marc Quaghebeur à Joseph Hanse, le linguiste, et à Suzanne Lilar, cet écrivain qui avait su faire « de l’exigence appliquée à la rigueur de la langue le lieu déroutant de ses débordements intimes et de ses transgressions philosophiques ». Mais on y lit également de curieux énoncés. S’interrogeant sur la perspective d’avenir de la littérature maghrébine de langue française. Mohammed Taifi, de l’Université d’Oudja, déclare « qu’une littérature, quand elle est jeune, doit être originale et édifiante ». On croirait entendre notre abbé Casgrain du siècle dernier.

    Où s’arrête l’exotisme?

    (13 mars 2004)

    Jean-Marc Moura, Exotisme et lettres francophones, PUF, Paris, 2003, 221 p.

    L’exotisme, auprès de la critique contemporaine, a mauvaise presse. Perçu comme une attitude réductrice envers des cultures et des lieux qu’il assimile à un « théâtre bariolé », l’exotisme est souvent confondu avec le goût du spectacle et les évasions bon marché de ceux qui, comme l’écrivait Jankélévitch, tiennent « bazar d’aventures comme l’épicier vend sa moutarde ».

    Mais la notion même d’exotisme ne se laisse pas réduire à de tels clichés, ainsi que le montre Jean-Marc Moura dans un ouvrage explorant les liens entre exotisme et littératures francophones. Moura y reprend la définition déjà donnée dans La littérature des lointains. Dans une acception très large, l’exotisme recouvrirait « la totalité de la dette contractée par l’Europe littéraire à l’égard des autres cultures » ainsi que « l’esthétique de ce qui appartient à une civilisation différente ». Il y aurait donc, somme toute, un bon et un mauvais usage possible de l’exotisme, le second se contentant d’examiner les civilisations différentes en fonction d’une interrogation centrée sur l’Occident, le premier manifestant au contraire une ouverture à celles-ci, « laissant entendre une parole autre ou faisant le constat de cette irréductibilité éternelle qui fascinait Victor Segalen ».

    En conjuguant les termes de littératures francophones et d’exotisme, Moura insiste sur leur complémentarité « dans la mesure où les littératures francophones se sont développées en rapport avec – ou en réaction contre – d’autres cultures. Les lettres francophones, précise-t-il, y compris les plus rétives au colonialisme et à l’influence de l’Occident, se sont développées sur le fond d’un exotisme exotique et/ou colonial qu’il est nécessaire de connaître et d’étudier si on veut mesurer leur originalité et la singularité des options créatrices engagées ».

    La question qui se pose aussitôt est celle-ci : peut-on encore parler d’exotisme dans un monde en voie d’uniformisation, où la multiplication des voyages va de pair avec la banalisation du tourisme? N’assistons-nous pas à une véritable « usure de l’exotisme »? Ou encore, la période du « post-exotisme », selon l’expression de Volodine, n’est-elle pas commencée? Il est même possible que le voyage en tant que tel ait cessé d’exister dès l’instant où la Terre a été perçue comme une sphère, constatait déjà Segalen, « puisque s’éloigner d’une sphère, c’est déjà commencer à s’en approcher ».

    Quoi qu’il en soit de ces considérations, Moura précise que diverses formes de représentation de l’exotisme sont observables parmi les œuvres littéraires du XXe siècle, au premier rang desquelles se trouve le récit de voyage tel que pratiqué par des auteurs comme Nicolas Bouvier. « La beauté des récits de N. Bouvier réside dans leur capacité à rendre au voyage sa puissance de révélation, et d’abord en échappant au cancer du tourisme », écrit-il.

    Le périple chez Bouvier conserve toute sa puissance de déstabilisation et devient un instrument d’observation lucide du monde et de soi. Il correspond à cette aptitude que Segalen définissait comme « la réaction vive et curieuse au choc d’une individualité forte contre une objectivité dont elle perçoit et déguste la distance »

    Une autre forme de récit exotique concerne ce que Moura appelle le « voyage rétrospectif », tel que pratiqué, notamment, par Le Clézio dans Le chercheur d’or, histoire d’un périple accompli dans l’île de Rodrigues au XIXe siècle. Les écrivains de ce groupe se font les chroniqueurs d’une époque révolue, traduisant ainsi leur (re-)découverte de ce passé.

    Les autres chapitres, portant sur les représentations littéraires de l’étranger, s’intéressent à l’imaginaire exotique chez Hegel, à la confiscation de la parole africaine dans des récits de l’entre-deux-guerres, ce qui nous vaut une comparaison des plus instructives de cette parole dans les textes de Céline et de Mongo Beti, et à l’image du tiers-monde dans les romans de Pierre Mertens.

    Une dernière partie porte sur l’exotisme tel qu’il apparaît en musique et en poésie. Ainsi est-il question de la part des mythologies lointaines dans l’œuvre de Leconte de Lisle, de l’influence des éléments musicaux orientaux ou mauresques chez Debussy, de l’image totémique du bestiaire chez Senghor.

    L’une des dernières études analyse l’œuvre de Gaston Miron du point de vue de « l’imagination de l’espace », qui montre que l’opposition traditionnelle entre espace extérieur et espace intérieur n’a pas de pertinence dans cette poésie où « le dehors comme le dedans sont comme divisés, injustement partagés, ce qui engendre un sentiment d’exil au monde qui est comme la menace latente conjurée par la poésie ». Et Moura d’identifier la poétique du mouvement qui anime cette œuvre toujours tendue vers un espace en constante transformation.

    Cet ouvrage, qui se termine par une réflexion sur les études postcoloniales, a l’avantage de lancer plusieurs pistes qu’il appartient au lecteur de rassembler ou d’organiser en voyage à l’intérieur du concept même d’exotisme. À la fin du parcours, on a envie de se demander avec l’auteur si l’exotisme n’est pas, somme toute, qu’un des noms modernes de la nostalgie.

    Le malentendu francophone

    (2 juin 2007)

    Pour une littérature-monde, sous la direction de Michel Le Bris et Jean Rouaud, Gallimard, Paris, 2007, 342 p.

    Un récent manifeste publié dans le journal Le Monde (16 mars), puis repris dans Le Devoir (24 mars), sonnait le glas de la francophonie entendue comme le « dernier avatar du colonialisme français » et annonçait l’avènement d’une littérature-monde en français « dont le centre est désormais partout, aux quatre coins du monde ». Corédigé par Jean Rouaud, romancier lauréat du prix Goncourt pour Les champs d’honneur et par Michel Le Bris, directeur du festival Étonnants voyageurs de Saint- Malo, et cosigné par 44 écrivains, parmi lesquels Jacques Godbout, Wajdi Mouawad, Dany Laferrière et Nancy Huston, ce manifeste mettait en évidence l’ambiguïté que recouvre le terme « francophonie » lorsqu’il s’agit d’appliquer à la littérature un concept de nature d’abord politique.

    Le Salon du livre de Paris en 2006 avait déjà permis d’identifier le malaise éprouvé par des écrivains dits francophones dont les œuvres étaient marginalisées dans l’institution littéraire française, bien que publiées par des maisons d’édition parisiennes. Les prix littéraires de l’automne 2006 semblaient avoir changé la donne, puisque cinq de ces prix sur sept avaient été attribués à des auteurs « venus d’ailleurs ». D’où la nécessité, pour plusieurs écrivains, de recomposer avec des notions plus englobantes la scène de l’écriture « en français ».

    On ne peut qu’applaudir à ce souci de décloisonnement et de relations égalitaires entre les diverses littératures de langue française dont on souligne à juste titre l’« effervescence romanesque ». On ne peut qu’être d’accord avec les auteurs du manifeste pour dire que Ducharme est un des plus grands romanciers contemporains. Qu’être d’accord également avec ce concept de « littérature-monde », qui fait écho au Tout-monde cher à Édouard Glissant et qui permet de regrouper le vaste ensemble de l’écriture en français, signalant par le fait même l’autonomisation de la langue et du littéraire. Mais quelques questions soulevées par le manifeste restaient en suspens, des questions auxquelles l’ouvrage collectif rédigé par 27 écrivains apporte des éléments de réponse.

    Perte d’influence

    Alors que Jean Rouaud, dans un texte liminaire, réfléchit aux causes de la perte d’influence de la littérature française contemporaine et constate que la langue, désormais libérée de son pacte avec la nation, a pris souche dans les cinq continents où elle donne à voir « un monde ouvert, foisonnant, bigarré, en mouvement », Michel Le Bris précise que l’acte de décès constaté dans le manifeste est celui d’une « certaine idée de la francophonie, perçue comme un espace sur lequel la France dispenserait ses lumières au bénéfice, il faut donc le supposer, de masses encore enténébrées ». Et Waberi d’attaquer à son tour le paternalisme de la francophonie officielle, « qui n’est rien d’autre qu’un appendice de l’Élysée sourd aux mutations de la modernité ».

    Alain Mabanckou rappelle que, dans un article publié en 2006 à l’occasion du Salon du livre de Paris, il souhaitait que le terme de littérature francophone englobe désormais toutes les littératures « en français », dont la française serait l’une des composantes. Il proposait ainsi de court-circuiter le modèle voulant que les littératures périphériques gravitent autour d’un noyau central, celui de la littérature française, alors que « Paris demeurait plus que jamais le centre, l’unité de mesure ». Pourquoi ne pas en être resté à cette proposition? Remplacer la notion de littérature francophone par celle de « littérature-monde en français », n’est-ce pas, comme le suggérait Alexandre Najjar dans les pages du Monde (3 avril), « expliquer l’eau par l’eau »? On comprend le scepticisme d’un Jacques Godbout qui, tout en applaudissant à la générosité du projet, se demande si l’on peut croire à une littérature-monde de langue française quand, depuis plus de quarante ans, les hexagonaux, s’ils se réjouissent majoritairement de l’existence de la « francophonie », croient toujours qu’ils n’en font pas partie. « [...] Paris doit modifier son appareil éditorial et critique. Il ne s’agit pas de créer une mode francophone, il s’agit de changer la culture de l’institution littéraire en France. » Et de changer également, ajouterais-je, les modalités de circulation du livre dans l’espace francophone.

    L’ouvrage se lit comme une suite de témoignages d’auteurs francophones ou francographes, publiés en France pour la plupart, qui récusent tout « impérialisme culturel » comme toute conception folklorisante de la littérature et revendiquent fièrement leurs appartenances multiples. La prise en charge de ces objectifs par l’ensemble des écrivains regroupés autour du festival Étonnants voyageurs, puis de la convention de Saint-Malo dont la création est annoncée, suffira-t-elle à modifier le centralisme de l’institution littéraire parisienne? Ou encore « la dictature de la diffusion », selon l’expression de Mabanckou? Toutes questions qui, fort heureusement, sont désormais sur la place publique et font l’objet de débats. Un espace de discussion est ouvert. À suivre avec le plus grand intérêt.

    Les illusions de la littérature-monde

    (17 janvier 2009)

    Camille de Toledo, Visiter le Flurkistan ou les illusions de la littérature-monde, PUF, Paris, 2008, 109 p.

    Vous chercheriez en vain le Flurkistan dans un atlas géographique ou dans quelque guide touristique. Le Flurkistan est un pays fictif, né de l’imagination de Camille de Toledo, qui en fait le lieu symbolique de la littérature. Un lieu qui emprunte tout autant au monde des livres qu’à celui d’un imaginaire du lointain. Car le Flurkistan est une réminiscence du Farghestan de Julien Gracq dans Le rivage des Syrtes.

    L’ouvrage se présente comme un contre-manifeste, son auteur s’attachant à démonter les unes après les autres les affirmations contenues dans le manifeste publié dans Le Monde du 16 mars 2007 et intitulé « Pour une littérature-monde en français ».

    Le manifeste du Monde, que Camille de Toledo décrit comme « l’offensive des géants », puisqu’il réunit les signatures les plus prestigieuses de la littérature française, doit être interrogé de plus près : il s’appuie en effet sur une idéologie du réel, et de la littérature, pour le moins simpliste. En opposant le centre et la périphérie, les écrivains voyageurs aux sédentaires, la « poussière des routes » au regard tourné vers soi, les signataires feraient preuve d’une grande naïveté. Mais les manifestes, rappelle à juste titre l’auteur, sont d’abord des objets de volonté et de pouvoir. Il s’agit de fonder une « histoire officielle » de la littérature dont l’essentiel serait : « le lent déclin du roman français épuisé par les idéologues des années 1970 et le sursaut magnifique de quelques dissidents rejoints par les cultures du monde ». On aura réussi tout au plus à remplacer une idéologie par une autre, celle d’un retour au « réel » dont la littérature se serait écartée, enfermée dans son formalisme et obsédée par le soupçon et le doute.

    Le polémiste reproche aux signataires de perpétuer une représentation archaïque du voyage, car aujourd’hui « le voyage n’est plus ce qu’il était » et « les voies d’accès au monde se sont multipliées ». Pourquoi alors inscrire l’intériorité d’un côté et les chemins de l’autre? Le livre des fuites de Jean-Marie G. Le Clézio serait le meilleur exemple de cette dichotomie factice, car il met en scène des identités en suspension engagées dans l’aventure d’un parcours immobile. Et l’auteur de se demander de quelle « étrange boîte » serait sorti ce « frisson du dehors » que réclament les écrivains-voyageurs. Peut-on vraiment parler d’un dehors, voire d’un « ailleurs » dans ce monde post-exotique où « tout se déterritorialise et devient importable, exportable, reproductible et duplicable? » Existe-t-il d’autres ailleurs que celui du Farghestan de Gracq, soit comme « rêve, désir et menace »? Existe-t-il vraiment d’autres voyages qu’intérieurs? Le centre est partout.

    Les auteurs du manifeste affirment que le centre est désormais partout, aux quatre coins de la planète. Or il est caricatural, selon Camille de Toledo, de dresser la périphérie contre le centre comme il est inutile de choisir entre « le devenir créole de l’identité et le vertige de sa perte ». Et l’auteur d’ajouter « qu’il n’y a pas à choisir, il n’y a qu’à osciller ». Il faudrait encore, pour que cette pluralité de centres puisse vraiment exister, que le système de reconnaissance de langue française accueille, « à égalité de chances, les livres écrits ici et ailleurs ». Le modèle anglo-saxon repose sur un système éditorial décentré, réparti sur plusieurs continents. Tel n’est pas le cas de la production littéraire de langue française, coincée dans son centralisme parisien : car « à aucun moment, les signataires ne sortent du système de reconnaissance qu’ils critiquent. Plus ils le dénoncent, plus ils lui donnent de l’importance ». Comment en effet comprendre autrement la référence aux prix littéraires parisiens de la rentrée 2007, attribués à des auteurs « venus d’ailleurs » mais tous publiés par de grandes maisons parisiennes? Est-ce vraiment l’indice d’une pluralité de centres? On aurait aimé en lire davantage sur ce sujet.

    Au sujet de la langue, l’auteur insiste pour dire que, plutôt que de polariser la scène littéraire, et de voir dans la créolisation un phénomène entièrement nouveau, il faudrait chercher dans l’histoire, voire dans la « fabrique » (sic) de la langue, les raisons de sa déterritorialisation, de sa dénationalisation. Et de rappeler le travail accompli dans ce sens par les Rabelais, Du Bellay et autres. Il s’agit là d’un propos que je ne peux que saluer au passage, y reconnaissant des thèmes et des termes familiers.

    On pourrait longuement épiloguer à propos des contradictions du manifeste. La démonstration de Camille de Toledo est convaincante bien que, dans son désir de déconstruire les oppositions manichéennes du texte, il oublie de parler de celle, fondamentale, qui consiste à associer le concept de « littérature-monde » à une langue, aussi glorieuse soit-elle, et omet de décrire, sinon de façon allusive, les conditions particulières d’exercice de la littérature dans le monde francophone. Malgré la pertinence des arguments énoncés, on ne peut s’empêcher de noter un certain agacement chez l’auteur devant la place occupée par les écrivains dits « périphériques ». Quoi qu’il en dise, son point de vue, comme celui des signataires du manifeste qu’il dénonce, reste d’abord franco-français. La francophonie littéraire n’a pas dit son dernier mot. Il appartient maintenant à ses écrivains de se faire entendre.

    Plaidoyer pour la littérature

    (26 juin 2010)

    Michel Le Bris et Jean Rouaud, Je est un autre. Pour une identité-relation, Gallimard, Paris, 2010, 217 p.

    Ce deuxième ouvrage dirigé par Michel Le Bris et Jean Rouaud se présente comme une suite à Pour une littérature-monde.

    Dès l’avant-propos, les directeurs font allusion à des colloques organisés autour de l’ouvrage précédent et en concluent que celui-ci, « par son écho, a contribué à faire évoluer notre perception d’une littérature de langue française outrepassant les limites de l’Hexagone ». On oublie toutefois de dire que, parmi les échos suscités par cette publication, il y a eu surtout plusieurs critiques mettant en évidence les contradictions du manifeste et interrogeant la conception franco-centriste de la francophonie qui y était véhiculée. Tel a été le cas, notamment, des prises de position des intervenants lors du colloque organisé par l’Académie des lettres du Québec, en octobre 2008, portant sur « les littératures de langue française à l’heure de la mondialisation » (Hurtubise, 2010).

    Le nouvel ouvrage est né d’un désir d’intervention dans le débat français actuel sur l’identité nationale. Y collaborent une vingtaine d’écrivains francographes d’origines diverses. À l’exception du romancier suisse Yves Laplace, tous résident ou ont résidé plusieurs années en France. L’ensemble se lit comme une suite de témoignages d’auteurs déclinant leur appartenance et s’élevant contre toute tentative de « définition » identitaire.

    L’identité, selon Ananda Devi, d’origine mauricienne, « n’est pas un état fixe et permanent. C’est un concept fluctuant en constante mutation ».

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