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Houellebecq entre poème et prose
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Livre électronique356 pages4 heures

Houellebecq entre poème et prose

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À propos de ce livre électronique

L’originalité de ce livre consacré à Michel Houellebecq tient d’abord à ce qu’il est le premier ouvrage universitaire à mettre aussi nettement en valeur l’importance de la poésie dans l’oeuvre de l’écrivain, sans pour autant négliger ses romans – y compris le dernier paru à ce jour, Sérotonine, publié en 2019. Un autre de ses traits distinctifs : la perspective sociocritique adoptée par l’ensemble des collaborateurs. Les textes, placés à l’avant-scène, sont analysés de manière à montrer la façon dont ils travaillent la semiosis sociale, c’est-à-dire l’ensemble des moyens langagiers par lesquels la société se représente ce qu’elle est, ce qu’elle a été et ce qu’elle pourrait devenir. Les études rassemblées dans ce volume permettent d’envisager sous un éclairage nouveau les oeuvres poétiques et romanesques de Houellebecq, qui prennent systématiquement le réel à bras-le-corps, tout en restant attentives aux manifestations du monde sensible, aux passions et aux déchirements qui sont le lot de tout individu.
LangueFrançais
Date de sortie25 nov. 2021
ISBN9782760645363
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    Aperçu du livre

    Houellebecq entre poème et prose - Olivier Parenteau

    Sous la direction d’Olivier Parenteau

    Houellebecq

    entre poème et prose

    Les Presses de l’Université de Montréal

    Dans la même collection

    Sous la direction de Claire Barel-Moisan et Jean-François Chassay, Le roman des possibles. L’anticipation dans l’espace médiatique francophone (1860-1940)

    Sous la direction de Isabelle Boof-Vermesse et Jean-François Chassay, L’âge des postmachines

    Jean-François Chassay, La monstruosité en face. Les sciences et leurs monstres dans la fiction

    Elaine Després, Le posthumain descend-il du singe? Littérature évolution et cybernétique

    Dominique Raymond, Échafaudages, squelettes et patrons de couturière. Essai sur la littérature à contraintes au Québec

    Bernabé Wesley, L’oubliothèque mémorable de L.-F. Céline. Essai de sociocritique

    Cavales

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Titre: Houellebecq entre poème et prose / [sous la direction de] Olivier Parenteau.

    Noms: Parenteau, Olivier, éditeur intellectuel.

    Description: Comprend des références bibliographiques.

    Identifiants: Canadiana (livre imprimé) 20210065184 | Canadiana (livre numérique) 20210065192 | ISBN 9782760645349 | ISBN 9782760645356 (PDF) | ISBN 9782760645363 (EPUB)

    Vedettes-matière: RVM: Houellebecq, Michel—Critique et interprétation. | RVM: Houellebecq, Michel—Œuvres poétiques. | RVMGF: Critiques littéraires.

    Classification: LCC PQ2708.O94 Z5 2021 | CDD 843.914—dc23

    Mise en pages: Folio infographie

    Dépôt légal: 4e trimestre 2021

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    © Les Presses de l’Université de Montréal, 2021

    www.pum.umontreal.ca

    Cet ouvrage a été publié grâce à une subvention de la Fédération des sciences humaines de concert avec le Prix d’auteurs pour l’édition savante, dont les fonds proviennent du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

    Les Presses de l’Université de Montréal remercient de son soutien financier la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC).

    Introduction

    Olivier Parenteau

    D’Extension du domaine de la lutte (1994) à Sérotonine (2018) en passant par La carte et le territoire, prix Goncourt 2010, ce sont avant tout les romans qui ont fait la notoriété de Michel Houellebecq et, de son œuvre, ce sont eux qui sont les plus lus et les plus commentés. Ils sont aussi les plus étudiés dans l’intellosphère universitaire1. Voilà une chose étonnante ! Alors que ces proses romanesques sont régulièrement données pour «clivantes», à l’exemple d’un roman d’anticipation comme Soumission (2015) dont l’action est projetée dans une France future où la République est dirigée par un président d’obédience musulmane, elles surmontent les différends qu’elles engendrent par la provocation que tantôt on leur prête et l’indécision que tantôt on leur concède. La provocation est-elle féconde ou impudente? Les avis sur cette question sont très nettement partagés. Certains jugent que «la question de la qualité littéraire des romans […] de Michel Houellebecq est réglée pour qui a le minimum de flair2»; d’autres, comme l’écrivaine Yasmina Reza, sentent bien que chez l’écrivain, le désir de choquer s’accompagne le plus souvent d’un besoin d’exprimer ou de suggérer quelque chose d’autrement plus grave:

    Ah, pour une femme, lire Houellebecq est parfois effrayant. Je me souviens de ses descriptions de la femme qui vieillit et dont le vagin pend comme le menton de la poule: j’ai ri, je me suis dit «Salaud !» Mais c’est sa liberté d’écrivain: il n’a pas de gants à prendre. Et je ne vois pas de provocation: on sent que ce sont des sentiments beaucoup plus profonds qui engendrent cette crudité du regard. (Herne, 260)

    Quant à l’écrivain et critique Pierre Jourde, qui lui consacre des pages décisives dans son essai La littérature à l’estomac, il avoue en toute humilité ne pas savoir si l’indécision (idéologique) entre plaisir de l’ironie et délectation morose appelle un dépassement ou si elle assèche par avance toute utopie nouvelle:

    Faut-il penser que cette œuvre, par sa sincérité, son humour, transcende sa médiocrité, ses pulsions répugnantes? Doit-on au contraire considérer qu’elle tend au lecteur un piège gluant, qu’elle sert à justifier son auteur à ses propres yeux et aux nôtres, à nous faire partager médiocrité et frustrations, à nous y attirer? Dépassement ou simple entreprise de blanchiment? Je n’ai pas la réponse3.

    Des chercheurs ont depuis mis en valeur et finement analysé le caractère duplice de la prose narrative de Houellebecq, révélant que chez elle,

    la simplicité apparente de l’écriture dissimule une très vaste culture littéraire, philosophique, scientifique, sociologique, médiatique qui affleure par blocs et provoque des échos multiples. La naïveté apparente laisse percevoir un usage systématique de l’ironie et du second degré qui renverse les interprétations trop hâtives4.

    On sent bien dans ces propos de Bruno Viard l’importance de séparer très distinctement le commentaire littéraire de la controversée personne de l’auteur, qui intervient malgré tout souvent dans le travail interprétatif des spécialistes. Cette question a été abordée de front à l’occasion du colloque Les «voix» de Michel Houellebecq, organisé à Lausanne en 2016. Ses organisateurs rappelaient d’entrée de jeu que l’écriture houellebecquienne confronte ses lecteurs à une «prise de parole ambiguë, minée de l’intérieur par une indétermination énonciative fondamentale, par une intertextualité ou une interdiscursivité qui est peut-être le lot de tout discours, mais qui se manifeste ici dans sa complexité la plus flagrante, la plus assumée et la plus travaillée5».

    Les études rassemblées dans ce volume se situent dans le sillage de ces travaux qui placent le texte à l’avant-plan et qui, lorsqu’ils se frottent aux délicates questions relevant de l’idéologie ou de la morale, le font non pour «évaluer» l’écrivain Michel Houellebecq6, mais bien pour permettre une meilleure compréhension de son œuvre. Leur originalité tient au fait qu’elles se situent majoritairement sur le terrain de la sociocritique ou développent une lecture des œuvres compatible avec le point de vue heuristique qui caractérise cette dernière7. Rappelons que

    [p]ar son objet, ses hypothèses heuristiques et sa problématique générale, la sociocritique se distingue radicalement aussi bien de la sociologie empirique que de la sociologie de la littérature. Elle ne s’occupe ni de la mise en marché du texte ou du livre, ni des conditions du processus de création, ni de la biographie de l’auteur, ni de la réception des œuvres littéraires. […] En sociocritique, l’examen de la mise en forme n’a de sens que par réversion du texte vers ses altérités constitutives, c’est-à-dire vers les mots, les langages, les discours, les répertoires de signes qu’il a intégrés, qu’il corrèle les uns aux autres de façon étonnante et problématique, et qu’il transforme grâce à la distance sémiotique qu’il gagne sur eux par divers moyens scripturaux qu’il s’agit justement de faire apparaître et d’analyser8.

    Ce qui revient à dire que les auteurs ayant contribué à cet ouvrage lisent les textes houellebecquiens de près, mais que cette lecture de proximité est ensuite ouverte sur des signes, des représentations, des récits, des images, des idéologèmes, des discours qui squattent et animent la semiosis sociale globale. Cette ouverture de la lecture sur les altérités des textes permet de dégager et de qualifier les relations qui unissent l’œuvre de Houellebecq avec le large «déjà-là» (Duchet) qui les entoure.

    Or, il s’est avéré que l’adoption d’une telle approche avait deux conséquences directes. D’une part, l’attention à la matière langagière et esthétique conduisait à mettre en question ou carrément à contredire maints jugements portés et colportés sur Houellebecq et ses écrits, qu’ils soient littéraires, moraux ou politiques. Dans bien des cas, ces évaluations vite faites reportaient sans discernement des avis et des ragots émis sur l’individu «MH», déguisé ou non en «auteur» (à succès), sur les textes. D’autre part, la même concentration du regard sur le textuel et ses alluvions menait à prendre acte du fait que le genre poétique est au cœur du projet esthétique houellebecquien. À ce sujet, trois remarques s’imposent. Premièrement, les poésies de Houellebecq sont un secret malheureusement encore trop bien gardé. Les historiens de la littérature, qui font déjà assez peu de cas de son œuvre romanesque9, ne signalent pour ainsi dire jamais qu’il est l’auteur de quatre recueils de poésie, soit La poursuite du bonheur (1991), Le sens du combat (1996), Renaissance (1999) et Configuration du dernier rivage (2013); ses poèmes ne figurent que dans une seule des principales anthologies de la poésie française publiées depuis 200010. La parution, en 2014, de Non réconcilié. Anthologie personnelle 1991-2013 dans la prestigieuse collection «Poésie» chez Gallimard permettra certainement de favoriser la connaissance de cette importante partie de son œuvre11.

    Deuxièmement, le peu d’attention que les lecteurs spécialisés et le grand public accordent aux poésies houellebecquiennes est d’autant plus surprenant que leur auteur n’a de cesse de rappeler à qui veut bien l’entendre toute l’importance qu’il accorde au genre poétique12. Entre autres exemples, le 2 avril 2013, la une du quotidien Libération reproduisait en gros caractères les propos suivants de Houellebecq, extraits d’une entrevue accordée à l’occasion de la parution de son recueil Configuration du dernier rivage: «Le monde n’est plus digne de la poésie.» Est-ce à dire que la société occidentale contemporaine, sévèrement critiquée par Houellebecq, n’est plus bonne qu’à être inondée par le roman, genre commercial par excellence? Difficile de passer outre un tel sous-entendu — d’autant plus cocasse qu’il est insinué par un romancier à (très) grand succès ! Une chose demeure cependant certaine: lorsque Houellebecq affirme que «le monde n’est plus digne de la poésie», il ne se fait pas le porte-parole du cliché voulant que la poésie soit un art rare, supérieurement exigeant, réservé à une élite intellectuelle raffinée. L’indignité dont il parle s’explique autrement. À ses yeux, le «monde» en question est

    un espace de civilisation où l’ensemble des rapports humains, et pareillement l’ensemble des rapports de l’homme au monde, sont médiatisés par le biais d’un calcul numérique simple faisant intervenir l’attractivité, la nouveauté et le rapport qualité-prix. […] [L]’individu moderne est ainsi prêt à prendre place dans un système de transactions généralisées au sein duquel il est devenu possible de lui attribuer, de manière univoque et non ambiguë, une valeur d’échange13.

    Or, si un tel univers ne peut se montrer à la hauteur de la poésie, c’est parce que cette dernière «doit découvrir la réalité par ses propres voies, purement intuitives, sans passer par le filtre d’une reconstruction intellectuelle du monde14». La poésie ne peut exister que dans l’absence de calcul, dans un renoncement à l’intelligence délibéré: «La poésie, elle, ne ment jamais, car elle est au plus près de l’instant, elle est intuition pure de l’instant; chaque poème est un coup de sonde vers le noyau central, inconnaissable, des choses15.» Cette haute mission propre au genre poétique explique ces propos de Houellebecq, qui ne manqueront pas de surprendre tous ceux pour qui il est d’abord et avant tout un romancier: «Je ne renie pas mes romans, je les aime bien mes romans, mais ce n’est pas tout à fait pareil à la poésie (et la tête sur le billot, et contre Kundera, contre Lakis Proguidis et tous mes amis), je maintiendrai que le roman (même ceux de Dostoïevski, de Balzac ou de Proust) reste, par rapport à la poésie, un genre mineur16.»

    Enfin, troisièmement, chez Houellebecq, le roman, l’essai, la chanson et d’autres pratiques scripturales ou artistiques accueillent du poétique systématiquement, ou peu s’en faut, sans pour autant que les genres ou formes invités perdent de leur individualité. Les lectures ici réunies font voir que cette impureté générique est délibérée et constante. Si elle est multiple — ici la poésie est squattée par du délibératif, là le roman est troué par un fragment lyrique, tantôt l’essai flirte avec le tragique, tantôt la philosophie courtise une photographie ou un film, etc. —, elle est cependant innervée par une tension majeure dont la structure en deux parties de ce collectif reproduit la nature: dans l’œuvre de Houellebecq, il y a fondamentalement du prosaïque dans la poésie et du poétique dans la prose. Deux choses scellent ces alliages réciproques: une troublante égalité de ton et un travail rythmique précis sur l’expression.

    Intitulée «Poésies», la première partie met en exergue des motifs et des traits dominants des recueils publiés. S’avisant de la présence insistante d’humour qu’on y retrouve, Olivier Parenteau examine la variété des rires dont font état ou que provoquent les poèmes. De l’autodérision aux jeux de mots équivoques, de la bonne humeur ostentatoire aux sourires forcés, du propos déplacé au ricanement suffisant, se profile un chœur étrange qui, face au monde qui va, se déride ou montre les dents. Si les rieurs houellebecquiens révèlent le plus souvent un monde divisé, le poète qui les imagine n’a cependant pas complètement perdu espoir en une réconciliation. Les signes d’un tel espoir, avance Sarah-Louise Pelletier-Morin, jaillissent entre autres grâce à la coprésence permanente des tonalités lyrique et pathétique dans les poèmes, qui ne s’en tiennent pas qu’à la description d’un monde en détresse, mais qui s’emploient aussi à en imaginer le dépassement. C’est au mot, et pour mieux en faire comprendre l’ordinaire vacuité, que Claudia Bouliane prend l’invective «cynique» adressée au poète de «La poursuite du bonheur». Il y a bien un rapport au cynisme dans les poèmes, mais c’est de philosophie qu’il s’agit. Matérialiste, peu confiant dans la vertu humaine et se définissant lui-même comme un chien, Diogène de Sinope erre entre les vers et les strophes, là où baguenaudent nombre de figures canines. En celles-ci, qui ne sont pas décoratives, Bouliane décèle la description d’une poïétique et d’une façon de vivre. À cette dernière, la chanson fournit bien plus qu’un simple accompagnement. C’est ce que donne à comprendre Martin Sultan en prenant pour objet l’album Présence humaine (2000) où musique et poésie élisent le thème du train et de la voie ferrée, riche de ressources métaphoriques et allégoriques, pour que l’image d’un voyageur incertain de son but, ballotté entre rêve et déprime d’amour, se détache d’un fond constant de désolation. Reste-t-il une quelconque transcendance dans le monde dévasté des Poésies? Oui, mais sous une forme dégradée. Poème inaugural de cette vaste lyre désaccordée, «Hypermarché-novembre» signale le lieu et la temporalité de la nouvelle église. La lecture ethnocritique que Sophie Ménard en fait détaille les rituels du consumérisme et exhibe les fonds culturels et symboliques de ce texte dont le locuteur/sujet fait tout, mais en vain, pour avoir «l’air normal». Faisant détour par la chanson «Ma gueule» de Johnny Hallyday et par des portraits photographiques de Michel Houellebecq en lesquels il observe une même façon d’incruster du ravage dans la représentation du visage, lieu privilégié de la subjectivation, Pierre Popovic montre que la poésie de Houellebecq comporte tous les traits du maniérisme. Ceci ne signifie pas qu’elle serait «maniérée», mais bien qu’elle est en interaction avec un imaginaire social conjoncturel qui lui a fourni les fonts baptismaux nécessaires pour qu’il en aille ainsi.

    La seconde partie abrite des études consacrées aux Proses. Bernabé Wesley perçoit un déplacement typique dans La carte et le territoire. Comme dans la plupart des autres romans, le code réaliste est ici à la fois repris et détourné de ses bases. Ainsi, la représentation des méfaits provoqués par le néolibéralisme, l’une des cibles majeures de l’œuvre depuis Extension du domaine de la lutte, est transformée en une sorte de cartographie génétique. Celle-ci permet de recomposer la tendance hégémonique qui anime cette idéologie mortifère, mais aussi de ménager la possibilité d’un hors-jeu, d’une distance gagnée de l’intérieur et qui a pour nom la littérature. Ainsi que le démontre Sandrine Astier-Perret, le même effort de déplacement se manifeste dans le travail d’excavation des représentations de la ville, en l’occurrence Paris, auquel se livrent les pages de Soumission. Une contention traverse l’imaginaire social: les signes et symboles urbains traditionnels heurtent leurs avatars nouveaux, en un débat permanent que structure l’opposition sociogrammatique «Paris-Musée vs le Grand Paris». Le même roman est abordé d’un angle politique par Stéphane Chaudier et Joël July. S’en tenir à un premier niveau de lecture qui n’y verrait qu’une fiction politique crédible (ou non) est le meilleur moyen de rater le récit. D’une ironie tantôt féroce tantôt subtile, ringardisant des idéologèmes épuisés, soutenant des thèses délibérément insoutenables, Soumission diagnostique la crise de la politique contemporaine et lui préfère à tout prendre une passion raisonnable pour le style. Mais toute saisie des rapports entre des proses narratives ou poétiques et la semiosis sociale actuelle ne peut ignorer la part de fantasmes que colporte cette dernière.

    Deux textes accompagnent ces deux parties, Poésies et Proses. Le premier est placé en ouverture de ce collectif. Écrit par l’une des meilleures spécialistes de l’œuvre de Michel Houellebecq, Agathe Novak-Lechevalier, il présente une lecture du dernier opus romanesque publié, Sérotonine. Cette lecture entre parfaitement en résonance avec les études qui la suivent, non seulement en raison de questions esthétiques, sociosémiotiques et culturelles communes, mais parce que la synergie entre poésie et roman y est également explorée, ainsi qu’elle l’a été dans un essai antérieur de la même autrice: Houellebecq, l’art de la consolation17. Au fil de son analyse, la critique en vient à convaincre que Sérotonine achève un projet lancé naguère (autant dire «jadis») et qu’il est le plus désespéré de tous. Un genre, jusque-là tenu à distance, vient y semer sa modulation et son tremblement: la tragédie, perceptible dans un sentiment de fatalité saturant. L’amour et la poésie paraissent incapables d’offrir quelque consolation que ce soit. Le rire tend à n’être plus drôle ou à figer. Un lyrisme fragile trouve en Lamartine un dernier chantre d’occasion. Et Novak-Lechevalier de proposer pour suivre une analyse de l’explicit énigmatique du roman. Le deuxième texte est placé entre les deux parties Poésies et Proses. Il s’agit d’une nouvelle de Catherine Mavrikakis, qui joue ici à la fois un rôle essentiel et un rôle pivot. Essentiel, parce qu’il s’agit d’un texte de création qui rappelle, en étant ce qu’il est lui-même, que les poèmes et les romans de Houellebecq sont des textes de création et qu’ils doivent être lus comme tels, non comme un compte rendu d’expérience behavioriste ou un succédané de traité axiologique. Pivot, parce que cette nouvelle, qui raconte une rencontre hésitante avec Lanzarote et autres Plateforme, entretoise des sentiments, des avis, des réactions, des traits que charrient ces œuvres: aimer/détester? lire/ne pas lire? ricaner/rire? ironiser/gémir? Michel Houellebecq/Paule Constant? misogyne/misanthrope? le fils/la mère? une œuvre/une blague? Et cela donne envie d’entrer dans le jeu à notre tour en mode potache: plateforme/forme plate? con gourd/Goncourt? D’une malice contagieuse, la narratrice de Mavrikakis aime manifestement le malaise communicatif qui plombe délicieusement ces entre-deux.


    1. Voir, entre autres, les ouvrages collectifs suivants: Murielle Lucie Clément et Sabine van Wesemael (dir.), Michel Houellebecq sous la loupe, Amsterdam, Rodopi, 2007, 406 p.; Murielle Lucie Clément et Sabine van Wesemael (dir.), Michel Houellebecq à la Une, Amsterdam, Rodopi, 2011, 391 p.; Bruno Viard et Sabine van Wesemael (dir.), L’Unité de l’œuvre de Michel Houellebecq, Paris, Classiques Garnier, 2013, 447 p.; Antoine Jurga et Sabine van Wesemael (dir.), Lectures croisées de Michel Houellebecq, Paris, Classiques Garnier, 2017, 301 p. En consultant ces livres, qui cherchent à favoriser une compréhension globale de l’œuvre houellebecquienne et qui contiennent certaines études consacrées aux poésies, aux essais et aux incursions de leur auteur du côté de la musique, de la photographie ou du cinéma, on ne peut faire autrement que de constater la place prépondérante occupée par les études portant sur les romans. Cette tendance semble d’ailleurs se maintenir, comme en témoigne par exemple le dossier que la revue French Cultural Studies (vol. 31, no 1, février 2020) consacrait tout récemment à Houellebecq, dans lequel cinq des six articles portent exclusivement sur le corpus romanesque.

    2. Jean-Philippe Domecq et Éric Naulleau, La situation des esprits. Art, littérature, politique, vie, Paris, Pocket, coll. «Agora», 2006, p. 76.

    3. Pierre Jourde, La littérature à l’estomac, Paris, Pocket, 2004, p. 288-289.

    4. Bruno Viard, «Introduction», dans Bruno Viard et Sabine van Wesemael (dir.), L’Unité de l’œuvre de Michel Houellebecq, op. cit., p. 9-10.

    5. Raphaël Baroni et Samuel Estier, «Les voix de Michel Houellebecq – Présentation», dans Raphaël Baroni et Samuel Estier (dir.), Les «voix» de Michel Houellebecq Actes du colloque de Lausanne (3-4 mars 2016), en ligne: .

    6. Pour une analyse détaillée de la posture houellebecquienne dans le champ littéraire, voir Liesbeth Korthals Altes, «Slippery Author Figures, Ethos, and Value Regimes. Houellebecq, a Case», dans G. J. Dorleijn, R. Grüttemeier et L. Korthals Altes (dir.), Authorship Revisited. Conceptions of Authorship around 1900 and 2000, Louvain, Peeters, 2010, p. 95-117.

    7. C’est le cas de l’ethnocritique. Sur cette compatibilité, voir par exemple Anne-Marie David et Pierre Popovic (dir.), «Les douze travaux du texte. Sociocritique et ethnocritique», Cahiers Figura, vol. 38, 2015, 261 p.

    8. Pierre Popovic, «La sociocritique. Définition, histoire, concepts, voies d’avenir», Pratiques, no 151-152, 2011, en ligne: .

    9. Outre Dominique Viart et Bruno Vercier, qui consacrent quelques lignes aux romans (et exclusivement à ceux-ci) de Houellebecq dans La littérature française au présent — Héritage, modernité, mutations (Paris, Bordas, 2005, 511 p.), force est de constater que les historiens français font assez peu de cas de l’œuvre houellebecquienne. Par exemple, le nom de l’écrivain ne figure pas dans les index de deux importants ouvrages d’histoire littéraire parus l’un en 2006 et l’autre en 2007, soit après la publication d’Extension du domaine de la lutte, des Particules élémentaires, de Plateforme et de La possibilité d’une île. Or, chacun sait que la publication de tous ces romans a fait événement (aussi bien littérairement que médiatiquement) et que, en 2006, il est d’ores et déjà un romancier incontournable dans le paysage littéraire français. Ces deux ouvrages d’histoire littéraire sont les suivants: Patrick Berthier et Michel Jarrety (dir.), Histoire de la France littéraire. Modernités XIXe-XXe siècles, Paris, Presses universitaires de France, 2006, 856 p.; Jean-Yves Tadié (dir.), La littérature française. Dynamique et histoire II, Paris, Gallimard, coll. «Folio essais/Inédit», 2007.

    10. Voir Jean Orizet (dir.), Anthologie de la poésie française, Paris, Larousse, 2007, 1087 p. Il n’est peut-être pas inutile de signaler ici que le nom de Houellebecq figure aussi à l’index des auteurs cités dans l’ouvrage de Jean-Michel Espitallier, Caisse à outils. Un panorama de la poésie française d’aujourd’hui; mais voici ce qu’en dit l’auteur: «on préfère finalement la poésie de Michel Houellebecq en easy listening avec Bertrand Burgalat (et leur Tricatel Beach Machine) que dans ses livres» (ibid., Paris, Pocket, 2006, p. 102). Autrement dit, pour un Espitallier jugeant que la chanson est un «exercice de style» et que la poésie est, beaucoup plus sérieusement, l’«aventure même du langage» (ibid., p. 103.), Houellebecq n’est pas un poète.

    11. Cet ouvrage a été préfacé par Agathe Novak-Lechevalier et son texte, intitulé «Là où ça compte», met en lumière les principales lignes de force du projet poétique houellebecquien. Loin d’être exclusivement descriptive et refusant l’approche scolaire du «parcours chronologique», cette préface est le fruit d’une lecture

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