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Synthèse de l'hétérogène: Mélanges offerts à Micheline Cambron
Synthèse de l'hétérogène: Mélanges offerts à Micheline Cambron
Synthèse de l'hétérogène: Mélanges offerts à Micheline Cambron
Livre électronique433 pages5 heures

Synthèse de l'hétérogène: Mélanges offerts à Micheline Cambron

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À propos de ce livre électronique

Femme passionnée, érudite, engagée et généreuse, Micheline Cambron a mené une carrière exemplaire de passeuse d’art et de culture. Elle a enseigné pendant plus de trente ans au Département des littératures de langue française de l’Université de Montréal et publié des travaux marquants sur les lettres québécoises du xix e siècle, sur la presse, la radio, la lecture, sur la réception et l’enseignement des oeuvres ainsi que sur la mémoire des récits et la vie culturelle montréalaise de différentes époques. Atypique tant par ses objets d’analyse que par son ouverture à la connaissance sous toutes ses formes, sa contribution au savoir se doit d’être saluée à la fois pour son originalité et pour son envergure. Sans vouloir gommer l’inévitable éclatement lié à la diversité des spécialistes réunis ici, c’est sous le signe de la « synthèse de l’hétérogène » – pour emprunter l’expression à Paul Ricoeur – que nous avons « bricolé » cet hommage, courtepointe de pièces rassemblées et offertes comme autant de témoignages des rencontres importantes qui jalonnent une vie.
LangueFrançais
Date de sortie6 févr. 2023
ISBN9782760646629
Synthèse de l'hétérogène: Mélanges offerts à Micheline Cambron
Auteur

Karine Cellard

Karine Cellard est lauréate du Prix d’excellence 2008 de l’Association des doyens des études supérieures au Québec pour sa thèse sur les manuels d’histoire de la littérature. Elle a publié une anthologie sur La langue au quotidien (en collaboration avec Karim Larose, 2010).

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    Aperçu du livre

    Synthèse de l'hétérogène - Karine Cellard

    SYNTHÈSE DE L’HÉTÉROGÈNE

    Mélanges offerts à Micheline Cambron

    Textes présentés et édités par Karine Cellard et Louise Frappier

    Les Presses de l’Université de Montréal

    Mise en pages: Yolande Martel

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Titre: Synthèse de l’hétérogène: mélanges offerts à Micheline Cambron / [sous la direction de] Karine Cellard, Louise Frappier.

    Noms: Cambron, Micheline, 1953- agent honoré. | Cellard, Karine, 1975- éditeur intellectuel. | Frappier, Louise, 1967- éditeur intellectuel.

    Description: Comprend des références bibliographiques.

    Identifiants: Canadiana (livre imprimé) 20220007993 | Canadiana (livre numérique) 20220008000 | ISBN 9782760646605 | ISBN 9782760646612 (PDF) | ISBN 9782760646629 (EPUB)

    Vedettes-matière: RVM: Cambron, Micheline, 1953- | RVM: Littérature québécoise—Histoire et critique. | RVM: Littérature et société—Québec (Province) | RVM: Québec (Province)—Vie intellectuelle—20e siècle. | RVM: Culture populaire—Québec (Province) | RVMGF: Mélanges (Recueils)

    Classification: LCC PS8131.Q8 S96 2023 | CDD C840.9/005—dc23

    Dépôt légal: 1er trimestre 2023

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    Tous droits réservés © Les Presses de l’Université de Montréal, 2023

    www.pum.umontreal.ca

    Les Presses de l’Université de Montréal remercient de son soutien financier la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC).

    Présentation

    Karine Cellard Louise Frappier

    Professeure au Département des littératures de langue française de l’Université de Montréal de 1989 à 2019, Micheline Cambron a publié des travaux marquants sur la littérature québécoise du XIXe siècle, sur la presse et la radio, sur la lecture, la réception et l’enseignement des œuvres, sur la mémoire des récits et sur la vie culturelle montréalaise de différentes époques. Mais ces quelques domaines d’expertise sont à des lieues de circonscrire l’étendue de sa contribution au savoir, comme en témoigne la réjouissante compilation de ses intérêts de recherche effectuée en ces pages par son conjoint Marcel Goulet et leurs enfants, Évelyne, Mathilde et Dominique Cambron-Goulet:

    Micheline a écrit, et souvent dans la simultanéité et la concurrence, sur la culture, le théâtre, la langue, l’affaire du bébé Lindbergh, la caricature, les journaux, le roman populaire, les soirées de l’École littéraire de Montréal, l’espace public, les réseaux, le journal Le Canadien, la francophonie, le siège de Paris, le journal intime, le théâtre shakespearien, la critique, l’enseignement de la littérature au cégep, les questions de mondanité et d’étiquette, la littérature suisse romande, le manuel scolaire, le récit utopique, la pauvreté, le genre épistolaire, les questions d’historiographie, l’épistémologie des sciences sociales, la radio, les archives, la turbulence, la didactique de la littérature, la Grande Guerre, l’histoire littéraire, la presse de l’entre-deux-guerres, l’enseignement primaire au Québec, l’humour et la politique, le téléroman, la chanson, le petit catéchisme, le conte, les universités, la Butte à Mathieu, la censure, la crise d’Octobre, le théâtre soviétique, la vie culturelle à Montréal, Maria Chapdelaine (le roman et la filmographie), l’héritage de Paul Ricœur, la lecture et la non-lecture, la Nouvelle-Calédonie, les Jeux olympiques de Berlin et plus encore (Goulet et Cambron-Goulet, infra: 224-225).

    Comment, en un peu moins de 300 pages, saluer l’originalité et l’envergure d’une telle contribution au savoir, atypique tant par ses objets d’analyse que par l’ouverture (pluridisciplinaire, épistémologique, internationale) qui la caractérise? Sans vouloir gommer l’inévitable éclatement lié à la diversité des spécialités des collaborateurs et collaboratrices réunis ici, c’est sous le signe de la «synthèse de l’hétérogène» que nous les avons invités à lui «bricoler» cet hommage, courtepointe de pièces rassemblées et offertes comme autant de témoignages des rencontres intellectuelles et amicales qui jalonnent une carrière. Celles et ceux qui ont fréquenté les travaux de Micheline Cambron savent bien que sa manière de faire sens mise sur «l’indiscipline de la culture», et que son regard analytique se garde bien d’abolir les aspérités des objets étudiés dans une analyse trop lisse ou trop fermée sur elle-même; c’est le parti pris que nous avons nous-mêmes décidé d’adopter dans cet ouvrage. «Synthèse de l’hétérogène»: l’expression est bien sûr inspirée de la pensée de Paul Ricœur et de sa conception ouverte et dynamique du récit, socle théorique qui confère sa cohérence à la démarche de Micheline Cambron par-delà la très grande diversité de ses intérêts, dont témoignent les textes rassemblés ici. Les supports médiatiques, les œuvres et les questions épistémologiques occuperont tour à tour les auteurs de cet ouvrage; mais avant de présenter leurs contributions respectives, nous avons voulu faire le point, en une synthèse trop rapide, sur les principales avenues ouvertes par les travaux de cette intellectuelle hors norme.

    Une thèse fondatrice

    La thèse de doctorat que Micheline Cambron a soutenue au Dépar­tement d’études françaises de l’Université de Montréal en 1988 marque le coup d’envoi d’une carrière de chercheure caractérisée par l’originalité et l’audace. Cette thèse, d’abord publiée aux Éditions de l’Hexagone en 1989, figure parmi les essais les plus importants ayant été écrits sur la littérature et la culture québécoises, comme en témoigne sa réédition en 2017 chez Alias, dans la collection «Alias classique», ainsi qu’aux Presses de l’Université de Montréal, dans la collection «Essais classiques du Québec» en 2021. L’ouvrage s’inscrit certes dans les travaux de sociocritique et d’analyse du discours visant à cerner les rapports entre le littéraire et le social, mais en mettant à contribution de manière tout à fait inédite la notion même de récit. S’inspirant de la pensée de Paul Ricœur sur le récit, lequel en propose «une définition dynamique, interactive et non essentiellement nucléaire1» (Cambron, [1989] 2017: 29), Micheline Cambron pose en effet ce dernier comme «un processus actif dans l’organisation du discours social» (14). Une société, un récit. Discours culturel au Québec, 1967-1976 part donc de l’hypothèse selon laquelle «tout discours peut être lu comme un récit» (25) et que c’est l’action refigurante de la lecture qui permet d’en appréhender l’organisation paradigmatique (56). L’ouvrage vise ainsi à retracer, par la lecture d’une sélection d’œuvres variées, le «récit commun» structurant le discours culturel2 (46) québécois de la décennie 1967-1976, laquelle fut marquée par des événements sociaux, politiques et culturels majeurs (Exposition universelle, Octobre 1970, élection du Parti québécois, etc.). Six types de textes ont été retenus aux fins de l’analyse, choisis non pas en fonction de leur valeur esthétique (bien que certains étaient déjà alors considérés comme des classiques de la littérature québécoise), mais plutôt en raison de leur retentissement au moment de leur parution (ou de leur performance): les chansons du groupe Beau Dommage, les articles de la journaliste Lysiane Gagnon sur l’enseignement du français, les monologues de l’humoriste Yvon Deschamps, la pièce de théâtre Les belles-sœurs de Michel Tremblay, le recueil de poèmes L’homme rapaillé de Gaston Miron et le roman L’hiver de force de Réjean Ducharme. La lecture de ces divers textes révèle la présence de choix paradigmatiques relatifs à la construction d’un sujet, à la conception du temps, à la logique des actions et à l’organisation spatiale, régulés par un système de valeurs (axiologie) et une épistémologie. Ces choix paradigmatiques composent un récit hégémonique exprimant, en quelque sorte, une «définition implicite de l’identité québécoise» (194): le sujet réfléchissant y est un «nous» défini circulairement par un espace clos, ramené à «des lieux de proximité et d’appartenance». Le passé y est valorisé au détriment de l’avenir, ce qui fonde un présent caractérisé par la continuité et la permanence. Limitée par «un temps et un espace sans perspectives» (194), la logique des actions exclut toute transformation, construisant un système stable et peu malléable. On constate, en contrepoint de ce récit hégémonique, la présence de mécanismes de mise à distance (tels que l’ironie, le langage tragique, le dialogisme, la nostalgie et l’hétéroglossie) qui, tout en étant déployés contre lui et le remettant en question, en sont toutefois indissociables. Le récit commun structurant le discours culturel québécois des années 1967-1976 repose ainsi sur cette disjonction entre récit hégémonique et mécanismes de mise à distance, disjonction qui s’avère également au fondement de la définition de la culture, conçue à la fois comme mémoire et distance (Fernand Dumont, Le lieu de l’homme). Le déchirement et la douleur avec lesquels cette disjonction est vécue se révéleraient toutefois spécifiques au discours culturel québécois, car celle-ci apparaît comme indépassable, tout en étant le point d’ancrage à partir duquel la parole vient au monde. Une société, un récit est un ouvrage fondamental non seulement parce qu’il «reconstruit l’intelligible d’une époque», comme le souligne la quatrième de couverture de la réédition de 2017, mais aussi parce qu’il illustre la puissance heuristique de la notion même de récit. À cet égard, il apporte une contribution importante à la réflexion théorique sur la narratologie.

    Une société, un récit «reste le socle sur lequel s’est érigé l’ensemble de la pensée et de l’œuvre de la chercheure» (Savoie dans Cambron, 2017: présentation, 9). L’approche transdisciplinaire (au confluent de la littérature, de la sociologie, de la philosophie et de la linguistique) de même que la mise en rapport de discours et de pratiques culturelles variés relevant tout autant de la culture populaire que de la culture savante sont en effet au cœur des projets de recherche que Micheline Cambron a développés à la suite de sa thèse.

    Les grandes orientations de recherche

    Rendre légitimes des objets/des pans négligés de l’histoire

    Le travail que Micheline Cambron amorce ensuite sur la littérature et la presse périodique du XIXe siècle québécois est la conséquence directe de son intérêt pour le récit comme forme structurante du discours social. Elle dirige en effet un projet de recherche sur le journal québécois Le Canadien, projet dont l’approche s’avère, encore une fois, extrêmement innovante, les numéros du journal étant envisagés «comme un texte à partir duquel le lecteur est amené à lire l’ethos de son temps» (Cambron, 1999: 21). À partir du constat de Fernand Dumont selon lequel «la présence de l’utopie constitue un trait marquant du discours culturel québécois à partir du mitan du XIXe siècle» (13), ce projet, qui a donné lieu à un ouvrage collectif, vise à repérer, dans l’ensemble des numéros couvrant une décennie (1836-1845), la dissémination «d’éléments discursifs susceptibles de participer d’un ethos utopique» (22), éléments qui trouvent par la suite leur forme achevée dans les récits explicitement utopiques publiés dans la seconde moitié du siècle. Il revient donc à Micheline Cambron le mérite d’avoir montré l’importance des journaux dans le développement d’une littérature nationale québécoise au cours du XIXe siècle, de même que la pérennité des composantes formelles du récit utopique dans cette littérature. À cet égard, il importe de souligner son apport, à partir de l’œuvre-phare de Thomas More, à la réflexion théorique sur le récit utopique en tant que configuration narrative possédant un pouvoir de «rémanence3» (Cambron, dans Poirier (dir.), 2002: 109).

    Micheline Cambron est ainsi une pionnière dans les recherches sur la presse périodique au Québec, en particulier dans la dynamique des relations que le discours médiatique entretient avec la littérature4. Ce premier chantier sur Le Canadien5 a en effet mené à de nombreux autres travaux sur différents aspects méconnus de la presse québécoise des XIXe et XXe siècles (et, plus récemment, sur le discours radiophonique6), qu’il s’agisse de figures journalistiques ayant joué un rôle prépondérant dans l’économie médiatique et littéraire de la période (Napoléon Aubin7, François-Xavier Garneau8, Hector Berthelot), de formes littéraires et artistiques ayant structuré de manière importante l’espace des journaux de l’époque (les étrennes du Petit Gazetier, les mystères urbains, la caricature) ou encore de personnages de fiction spécifiques à l’espace médiatique québécois, tels que le flâneur du Fantasque9 ou le Père Ladébauche, personnage coloré fort populaire (qu’elle qualifie même de Gérard D. Laflaque du XIXe siècle!), pourtant étonnamment oublié et auquel est consacré un ouvrage collectif codirigé avec Dominique Hardy10. Les analyses de Micheline Cambron ont mis en relief la dimension transdisciplinaire de cette figure journalistique inventée par Hector Berthelot, laquelle fut reprise par de nombreux auteurs et dessinateurs au sein de formes variées (bande dessinée, monologues, chansons, publicités, etc.). Le Père Ladébauche se révèle un opérateur identitaire (par le biais, entre autres, de son utilisation de la langue vernaculaire), au même titre que la figure plus ancienne du Petit Gazetier, sur laquelle elle a également rédigé plusieurs textes11. De même, les travaux consacrés aux Mystères de Montréal ont révélé le caractère labile de ce texte d’Hector Berthelot (inspiré des Mystères de Paris d’Eugène Sue), récit inachevé, «non protégé» et soumis, à l’image des textes antiques et médiévaux, à la mouvance et à la variance, ce dont témoignent d’ailleurs ses multiples rééditions12.

    Micheline Cambron a ainsi mis en relief des pans négligés ou méconnus de la culture et de la littérature du XIXe siècle québécois, par le bais, entre autres, d’un important travail d’édition de textes tombés dans l’oubli, mais dont la portée et la popularité ont été marquantes au moment de leur diffusion (la pièce de théâtre Une partie de campagne de Pierre Petitclair [1865]13, le feuilleton urbain Les mystères de Montréal d’Hector Berthelot [1901]14 et le recueil des Soirées du Château de Ramezay de l’École littéraire de Montréal [1900]15). Sa démarche repose sur un souci constant de repenser l’histoire de la littérature québécoise de cette époque à la lumière de ses liens étroits avec la presse16 et de traquer les sources du mépris dont ont particulièrement souffert les premières œuvres de fiction17. À partir de l’hypothèse de la «non-lecture» des textes canoniques de la littérature québécoise dans l’histoire de leur réception – la non-lecture étant envisagée comme «le rabattement des interprétations antérieures sur le texte, de sorte que le sens de ce dernier ne se trouve pas mis en jeu par la lecture» (Cambron dans Cellard et Lapointe, 2011: 115) –, elle a cherché à repérer l’image qui a été véhiculée de cette littérature et à «observer la manière dont les micro-récits de lecture s’enchaînent en un macro-récit témoignant à la fois de changements dans l’horizon d’attente des lecteurs et de modifications au statut institutionnel des œuvres» (115). Toute son activité critique constitue ainsi un plaidoyer pour le retour au texte et la mise en jeu du sens (137)18 afin de raconter, mieux et autrement, l’histoire de la littérature québécoise19.

    Faire éclater les frontières

    Mais le terrain sur lequel Micheline Cambron a exercé son activité de recherche est loin d’être circonscrit par ses champs de spécialisation. C’est à dessein que nous utilisons la métaphore spatiale, pour souligner le caractère atypique des libres incursions qu’elle s’est fréquemment permises hors du territoire habituellement occupé par les littéraires – à plus forte raison par les québécistes –, ce dont témoigne la bibliographie de ses contributions à la recherche s’échelonnant sur trois décennies. En effet, le point de vue surplombant qui est le sien, pistant récits et utopies dans les objets discursifs les plus divers, élargit considérablement le champ de ses investigations. Petite synthèse en trois temps des zones limitrophes investies par les recherches de Micheline Cambron.

    Il y a d’abord la didactique, terrain sur lequel on rencontre étonnamment peu de littéraires, la recherche sur l’enseignement ayant développé ses propres codes, langages et références qui la distinguent des travaux menés dans des facultés disciplinaires pourtant voisines. Grâce à son intérêt pour la lecture, manifeste dans ses travaux sur la réception des œuvres du XIXe siècle, à sa passion pour la théorie littéraire et à sa préoccupation pour la transmission, Micheline Cambron a tout naturellement investi ce domaine du savoir, proposant notamment des travaux sur les manuels scolaires20 et analysant les modèles pédagogiques – souvent empreints d’utopie – du passé comme du présent21. Tout en incitant des professeurs d’université, du collégial et des étudiants de cycles supérieurs à réfléchir à ce que représente une «classe de littérature22», elle a élaboré une réflexion sur le pouvoir transformateur de «l’évènement de lecture23» et sur la dimension subjective de la réception des textes24, souvent en collaboration avec des professeurs européens de didactique devenus de proches interlocuteurs. Par-delà la question de l’enseignement, d’autres contributions, plus réflexives, portent aussi sur la transmission25 et tâchent d’inscrire la littérature dans un espace social plus large que celui de la spécialisation universitaire. Emblématique de ce genre de posture, l’une de ses plus récentes initiatives de recherche, autour des «Lieux de la culture québécoise», s’attaque aux clichés, prêt-à-penser, biais cognitifs ou lieux communs qui constituent autant d’obstacles à une véritable assimilation des recherches savantes qui s’efforcent de complexifier notre rapport à l’histoire et à la mémoire. Visant des développements tant sur le plan théorique que pragmatique, cette équipe tâche de réfléchir aux causes de cette absence de transmission, mais veut aussi proposer des dispositifs concrets pour lutter contre l’hégémonie des lieux communs avec lesquels sont aux prises diverses disciplines de la culture et des sciences humaines.

    Avec une équipe composée de littéraires, d’historiens de l’art, de spécialistes du théâtre et de la danse, de musicologues et d’historiens, ce projet témoigne bien d’un autre des aspects novateurs et structurants du travail de Micheline Cambron: le décloisonnement disciplinaire. En effet, bien qu’elle ait produit des textes originaux et marquants sur la critique et l’histoire littéraires26, ses travaux d’équipe sur l’histoire et la mémoire culturelle dépassent largement la perspective disciplinaire pour envisager en un tout dynamique la «dimension esthétique de la vie commune» (Cambron, 2012: 13) propre à un lieu et à une époque. Ainsi, des livres comme La vie culturelle à Montréal vers 190027 ou des chantiers tels que «Penser l’histoire de la vie culturelle» ont fait travailler de concert, et ce, pendant plusieurs années, des spécialistes de littérature, de théâtre, d’histoire, d’arts visuels et de musicologie dont les objets et les méthodes, souvent proches les uns des autres, ont longtemps évolué en vase clos. De pair avec sa curiosité intellectuelle et son érudition, c’est aussi son intelligence de la théorie qui permet à Micheline Cambron de mobiliser de semblables équipes pluridisciplinaires. Le pari, ici, est que par-delà les objets d’étude disciplinaires, les concepts et les méthodes (que ce soit la théorie des réseaux, des institutions, de la mémoire ou de son envers) peuvent agir comme facteurs transversaux pour mettre en commun des interrogations et des démarches de nature épistémologique. Sur le plan institutionnel, cette ouverture laisse un héritage durable, ne serait-ce que parce que sous sa direction, comme le rappelle le témoignage de son complice d’alors, Denis Saint-Jacques, le Centre d’études québécoises (CÉTUQ) s’est ouvert aux spécialistes de tous les domaines de la culture en devenant le CRILCQ (Centre de recherche sur la littérature et la culture québécoises) en 2003. De telles initiatives ont marqué durablement les études québécoises.

    Mais si le travail de Micheline Cambron reste foncièrement et indubitablement littéraire, c’est avant tout par sa démarche, fondée sur une lecture des grands paradigmes du récit (l’action, l’espace, le temps) à l’œuvre dans tous les objets discursifs, que ces derniers relèvent de la littérature, de l’histoire, de la société ou de la philosophie. Inspirée des propositions de Ricœur, la démarche mise au point dans Une société, un récit traverse sa production intellectuelle, l’incitant à saisir, en littéraire, le récit que la société se raconte à elle-même à différents moments de son histoire. Ainsi, comme le montre avec brio Serge Cantin dans l’article qui clôt cet ouvrage, c’est en littéraire que Micheline Cambron lit l’œuvre du sociologue et philosophe Fernand Dumont, dont le rapport douloureux à la distance s’avère emblématique du rapport que le Québec entretient avec la culture à la fin des années 196028; en littéraire qu’elle évalue l’héritage des travaux de Paul Ricœur29; en littéraire qu’elle effectue ses nombreux travaux sur la presse, y compris ceux qui paraissent a priori s’en éloigner, comme son article sur l’inscription de la Première Guerre mondiale dans les journaux québécois auquel fait écho la contribution de Hans-Jürgen Lüsebrink. Comme l’énonce d’entrée de jeu l’équipe de recherche avec laquelle elle a étudié le traitement des Jeux olympiques de Berlin dans la presse internationale, «[l]ire le journal, pour ceux qui ont contribué à ce numéro, c’est lire un monde. Et lire ce monde exige les outils de l’analyse littéraire30.» C’est une telle ambition que l’on voit à l’œuvre dans l’ensemble de la production intellectuelle de Micheline Cambron: «lire le texte social31», donner à la mémoire, à la vie d’une époque, une forme narrative concomitante à la saisie de l’identité.

    Enfin, il faut signaler que l’intitulé de cette section, «Faire éclater les frontières», comporte aussi une dimension géographique. Nous espérons que cette saisie un peu pêle-mêle de la contribution de Micheline Cambron aura permis de mesurer l’envergure internationale de ses travaux. Il faut ainsi rappeler tout un pan de ses recherches qui ne trouve malheureusement pas d’écho dans cet ouvrage: celles qu’elle a consacrées à la francophonie d’Amérique32, mais aussi tous les travaux comparatistes ou collaboratifs menés avec des complices de longue date en Suisse et en Belgique33. Précisons également qu’il ne s’agit pas que de diffusion et de rayonnement, mais également d’accueil des discours et des personnes. En effet, à titre de directrice du CÉTUQ (1998-2003) puis de codirectrice du CRILCQ (2003-2006), elle a accueilli un grand nombre de québécistes de tous les coins de la planète avec lesquels elle a souvent noué des relations amicales et intellectuelles de longue durée (en témoigne ici la participation de Rachel Killick et de Hans-Jürgen Lüsebrink). Enfin, ce souci de rayonnement international de la recherche universitaire en général et des études québécoises en particulier est inscrit dans son parcours institutionnel même: secrétaire de la Faculté et vice-doyenne aux communications et aux affaires internationales de 2006 à 2008, elle a, l’année suivante (2009-2010), été titulaire de la Chaire d’études sur le Québec contemporain de la Sorbonne Nouvelle. Voilà une figure d’intellectuelle dont l’action et le discours sont à mettre sous le signe de la rencontre et de l’échange – toutes frontières abolies.

    Présentation des articles

    Pour rendre hommage à la contribution marquante, ambitieuse et originale que constituent les travaux de recherche de Micheline Cambron, ainsi qu’au décloisonnement disciplinaire et géographique qui les distingue, nous avons sollicité 15 collègues, amis et amies ou anciens étudiants et étudiantes, afin de réunir une sélection de textes qui s’inscrivent dans la foulée de ses préoccupations intellectuelles ou témoignent d’une parenté avec celles-ci (le temps, la mémoire, la lecture, le récit) ou avec ses objets de recherche de prédilection (la presse, les XIXe et XXe siècles, le théâtre, etc.). Nous espérons que les nombreux collaborateurs et collaboratrices avec lesquels elle a entretenu des liens au fil des années se reconnaîtront dans la diversité des profils que nous avons tenté de couvrir en faisant jouer tant les générations et les institutions d’attache que la provenance géographique ou disciplinaire (littérature, théâtre, histoire de l’art, histoire, sociologie).

    La première section, intitulée «Lire la presse et la vie culturelle», réunit quatre textes interrogeant les discours, les formes et les dispositifs médiatiques. Le premier article, signé Alex Gagnon, prend ainsi pour objet la «littérature ferroviaire», production médiatique en prose ou en vers qui accompagne, dans les journaux des années 1830-1840, l’expansion concrète du chemin de fer et sa couverture journalistique. L’auteur exploite le postulat de Micheline Cambron sur la porosité de la matière discursive dans la presse pour analyser les récits, les scénarios et les ressources symboliques et rhétoriques offerts par ces poèmes et historiettes, idéalistes comme dystopiques, en faisant le pari qu’une telle mise en discours permet au lectorat «d’assimiler la ferroviarisation de son univers», avec l’ambivalence que peuvent susciter des bouleversements d’une telle ampleur. Spécialiste de la presse du XIXe siècle, tout comme Micheline Cambron, Marie-Ève Thérenty se penche, quant à elle, sur la fortune particulière qu’a connue le «téléphonoscope», un appareil médiatique de la fin du XIXe siècle auquel son inventeur, Albert Robida, a prêté de multiples usages (transmission de spectacles, conversations à distance, diffusion de nouvelles et de publicité, etc.). Plusieurs y ont vu le prototype des nouveaux médias d’information auxquels les XXe et XXIe siècles ont donné naissance (télévision, ordinateur connecté à Internet, etc.). L’histoire de la réception du téléphonoscope révèle que cet appareil fut envisagé, à chaque époque, comme une sorte d’hypermédia contenant tous les autres (actuels et à venir). Marie-Ève Thérenty s’attache ainsi à démontrer que le caractère anticipatoire attribué au téléphonoscope trouve son origine dans le dispositif inventé par Robida, dont la simplicité s’avère fort efficace pour illustrer ce qui caractérise tout média d’information et de communication: la juxtaposition des espaces et des temporalités. Le régime médiatique dans lequel nous sommes toujours plongés explique sans doute la remobilisation constante, jusqu’à aujourd’hui, de l’image du téléphonoscope, de même que la circulation importante à laquelle cette image a donné lieu, viralité amorcée et favorisée par Robida lui-même.

    L’article de Hans-Jürgen Lüsebrink propose l’analyse du traitement de la Première Guerre mondiale dans l’un des supports écrits les plus populaires à l’époque: l’almanach, présenté comme «un instrument privilégié de médiation et d’interprétation de l’histoire immédiate» (Lüsebrink, infra: 75). L’auteur retrace les modes de présence de la Grande Guerre dans différentes rubriques des almanachs canadiens-français (les «Éphémérides», les «Prédictions»), en abordant aussi les représentations fictives qui y sont proposées. Il présente également les détournements que ces almanachs font subir aux stéréotypes du Français et de l’Allemand pour servir certains combats de l’actualité locale de l’époque, en particulier le Règlement 17 en Ontario. Le texte de Laurier Lacroix, qui clôt cette première section, porte quant à lui sur les perspectives contrastées de deux artistes québécois ayant aussi occupé la fonction de critique d’art au Devoir et à La Presse au milieu des années 1950. Il s’agit de Noël Lajoie, largement influencé par le travail des automatistes, et de Rodolphe de Repentigny, plus près du courant formaliste des plasticiens. Leurs points de vue très différents sur l’art de la période transparaissent notamment dans leurs critiques respectives des œuvres de Paul-Émile Borduas, figure de proue de l’automatisme, et dans la polémique qui les oppose à propos des œuvres des plasticiens. L’article de Lacroix met en valeur l’enrichissement de la pensée critique produite par leurs positionnements divergents quant au rôle de l’art et de la critique, et en voit même un résultat potentiel dans la fondation de l’Association des artistes non-figuratifs de Montréal, qui propose en 1956 un espace de réconciliation entre ces deux écoles.

    Dans la deuxième section de cet ouvrage, qui rassemble cinq articles, des œuvres romanesques, théâtrales et poétiques sont examinées à travers un angle d’analyse que Micheline Cambron a elle-même privilégié, soit le rapport au temps et à la mémoire, tant collective qu’individuelle. Les deux premiers textes proposent d’abord de repenser le statut et la réception de certains romans du XIXe siècle dans l’histoire de la littérature québécoise. Sophie Dubois effectue une étude des différentes strates de discours journalistiques et savants tenus sur le roman Une de perdue, deux de trouvées de Georges Boucher de Boucherville depuis sa première réception en 1849. Dans une perspective inspirée des travaux de Cambron sur la non-lecture du XIXe siècle québécois, elle montre que la «popularité» du roman a nui à sa mémoire comme œuvre littéraire, et qu’au fil des préjugés (positifs ou négatifs) du moment, différentes catégories du populaire (feuilleton à moralité douteuse; succès de librairie; roman d’aventure; roman historique; adaptation radiophonique; littérature de jeunesse, etc.) ont surimposé à ce roman des raccourcis de lecture qui ont contribué à le reléguer aux marges de l’histoire littéraire. Pour sa part, en souhaitant réinterpréter le récit commun québécois dans la perspective des études

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