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De l' EXCLUSION A L'ABJECTION - LISIERE ET BAS-FONDS DANS LA TRANSCREATION QUEBECOISE: Lisières et bas-fonds dans la transcréation québécoise
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De l' EXCLUSION A L'ABJECTION - LISIERE ET BAS-FONDS DANS LA TRANSCREATION QUEBECOISE: Lisières et bas-fonds dans la transcréation québécoise
Livre électronique508 pages6 heures

De l' EXCLUSION A L'ABJECTION - LISIERE ET BAS-FONDS DANS LA TRANSCREATION QUEBECOISE: Lisières et bas-fonds dans la transcréation québécoise

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À propos de ce livre électronique

Dans la production artistique québécoise s’établit souvent un rapport de force entre des groupes dominants et des exclus, des êtres « gâchés », qui témoigne d’une fabrique de l’exclusion foncièrement injuste et répressive. L’autrice de cet ouvrage observe cette violence dans la littérature et le cinéma par une analyse qui s’inspire non seulement de la sociologie et de l’anthropologie, mais aussi de l’histoire ou de la psychologie. Se fondant entre autres sur les théories de Durkheim, Foucault et Kristeva, elle fait état de la manufacture de l’exclusion qui ne saurait fonctionner sans la phobie ancestrale des sociétés humaines pour l’abjection, objet du mal par excellence, et dont la représentation procure, paradoxalement, une jouissance.

Paroxysme de l’abjection : la mort. Dans le corpus étudié, l’autrice braque la lumière sur douze parias et marginaux – de Séraphin Poudrier (Un homme et son péché) à Wilfrid (Littoral) en passant par Thomas Roy (Sur le seuil) –, qui entraînent dans leur sillage décès, crimes et suicides, souvent illustrés de manière presque complaisante. Le point commun de ces personnages inoubliables, et la raison de leur rejet par la société bien-pensante, est, curieusement, leur supériorité. En somme, cette étude fouillée illustre bien le paradoxe qui oppose l’abjection de ces intouchables à leur pureté et le rejet qu’ils provoquent à une attirance certaine des auteurs, des réalisateurs et du public.
LangueFrançais
Date de sortie6 nov. 2023
ISBN9782760648463
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    De l' EXCLUSION A L'ABJECTION - LISIERE ET BAS-FONDS DANS LA TRANSCREATION QUEBECOISE - Marie Pascal

    DE L’EXCLUSION À L’ABJECTION

    Lisières et bas-fonds dans la transcréation québécoise

    Marie Pascal

    Les Presses de l’Université de Montréal

    Nous reconnaissons l’aide à l’édition octroyée par le King’s University College (Western University, Ontario) qui a rendu possible la publication de ce livre.

    Mise en pages: Yolande Martel

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Titre: De l’exclusion à l’abjection: lisières et bas-fonds dans la transcréation ­québécoise / Marie Pascal.

    Nom: Pascal, Marie, auteure.

    Collection: Espace littéraire.

    Description: Mention de collection: Espace littéraire | Comprend des références bibliographiques.

    Identifiants: Canadiana (livre imprimé) 20230055753 | Canadiana (livre numérique) 20230055761 | ISBN 9782760648449 | ISBN 9782760648456 (PDF) | ISBN 9782760648463 (EPUB)

    Vedettes-matière: RVM: Littérature québécoise—Thèmes, motifs. | RVM: Cinéma ­québécois—Thèmes, motifs. | RVM: Marginalité dans la littérature. | RVM: Marginalité au cinéma. | RVM: Abjection au cinéma. | RVM: Abjection dans la littérature.

    Classification: LCC PS8101.M36 P37 2023 | CDD C840.9/352694—dc23

    Dépôt légal: 4e trimestre 2023

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    © Les Presses de l’Université de Montréal, 2023

    www.pum.umontreal.ca

    Les Presses de l’Université de Montréal remercient de leur soutien financier le Fonds du livre du Canada, le Conseil des arts du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC).

    REMERCIEMENTS

    Je remercie le King’s University College et le comité d’attribution des bourses pour leur généreuse contribution.

    Merci du fond du cœur à toutes les personnes qui ont cru en ce projet, de près ou de loin, et qui se reconnaîtront ici; à Guy Champagne, pour son soutien et sa bienveillance; à la chaleureuse équipe des PUM; et à toi lectrice.

    INTRODUCTION

    Ce livre étudie les rapports de force qui naissent et perdurent entre groupes dominants et personnages singularisés dans le corpus québécois. En faisant un balayage de la production artistique québécoise, je montrerai que sa littérature et son cinéma témoignent de ce que l’on pourrait appeler une «fabrique de l’exclusion», intrinsèquement injuste et répressive. En effet, que l’on pense simplement au personnage du Survenant décrit par Germaine Guèvremont ou aux différents homosexuels qui parcourent les pièces de Michel Marc Bouchard, il est flagrant, voire douloureux, de remarquer que ces personnages n’ont jamais gain de cause: l’un est rejeté parce qu’il est différent du groupe en dépit de ses qualités exceptionnelles; les autres sont martyrisés pour leur attirance envers le même sexe et sont parfois mis à mort sans que leur meurtrier ne soit jamais puni. Cet état de fait n’est pas rare; en fait, les exemples abondent, et c’est la raison pour laquelle il m’a semblé important de lever le voile sur les ressorts de la mise au ban de la société: pourquoi ces personnages sont-ils aussi efficacement rejetés? Comment l’exclusion se produit-elle? Jusqu’où va l’impunité des membres de la communauté qui ostracisent, violentent, tuent? Quelles en sont les conséquences pour les exclus? C’est avec de telles questions que j’amorce l’analyse de la fabrique de l’exclusion à travers une réflexion en marge des études consacrées à l’altérité.

    Omniprésents dans le corpus littéraire et cinématographique québécois, ces personnages exclus fonctionnent par disjonction à l’égard d’un système (fut-il d’ordre social, moral ou législatif). Un portrait de ces «personnages hétérogènes» est offert dans Fictions de l’identitaire au Québec par Pierre L’Hérault:

    Un je dérogeant et dérangeant les assises mêmes de toutes les institutions, un je coupable de ne pas leur appartenir, le je de l’interdit et de sa transgression. Un je hors-foyer, hors-communauté, et qui pourtant appartient à ce foyer, à cette communauté. Un je qui invite les autres je à se défaire inlassablement de ce mur d’amour/haine qui pétrifie à chaque fois la pensée par une régression vers le Sens – le bon, le propre, l’incontestable –, celui du Père-Mère, de la Patrie, de la Raison. Un je qui interroge ce qui se dit dans le dire et maintenant, l’espace d’un éclair, la déchirure. Impardonnable expérience des limites que le nationalisme ne peut se permettre de laisser surgir (1991, p. 37-38).

    La prolifération de ces «je» de l’interdit et de la transgression (instances dangereuses pour l’unité nationale) se produit «l’espace d’un éclair», mais sa fugacité ne manque pas de faire la part belle à un paradoxe étonnant car, alors qu’ils sont rejetés dans les récits, ces personnages sont placés sur le devant de la scène dès les paratextes des œuvres. Or rien n’explique a priori cet engouement pour des personnages apparaissant comme abjects, transgressifs, déroutants, pécheurs, bref, hors norme. Mon étude de la violence et de l’exclusion dont ils sont victimes s’inspire de plusieurs disciplines – la sociologie et l’anthropologie, mais également l’histoire, la pragmatique, la sociocritique et la psychologie, pour ne citer qu’elles. Les différents traits qui provoquent l’exclusion, même s’il s’agit d’une exclusion fictive, ne sauraient en effet être étudiés sans le recours à ces pairs qui définissent avec rigueur le champ des possibles en termes de bas-fonds et de lisières. Ainsi, le regard distancié d’Émile Durkheim fournit des éléments de type taxinomique en appréhendant la société comme un tout où chaque individu est relié par des principes où il puise l’animosité communément ressentie envers les personnes qui transgressent. Les concepts apportés par d’autres chercheurs tels que René Girard (les «boucs émissaires»), Éleni Varikas (les «parias»), ou encore Michel Foucault (les «sévices» et le «quadrillage de l’espace») sont incontournables pour mon analyse et j’invoquerai leur pensée en amont des études.

    Je souligne immédiatement le fait que mon corpus est double, car si je prends la mesure du corpus littéraire québécois dans cette étude des rapports de force dissymétriques et violents, je m’intéresse parallèlement à la question de l’adaptation cinématographique en tant que recréation d’un texte. Dans ce livre, je parlerai de «transcréation» pour tenir compte du fait que le film n’est pas une reproduction littérale ou infidèle1 du texte source (que j’appellerai, à l’instar de Gérard Genette, «hypotexte»), mais bien une nouvelle production, une création, qui transforme et transfigure pour l’écran une œuvre préalablement écrite. Malgré une prolifération critique, aucun consensus n’est à ce jour établi en ce qui concerne le terme même d’«adaptation» et nombreux sont les auteurs qui cherchent à le légitimer pour ensuite proposer une autre terminologie2. Emprunté à la traduction – discipline souvent évoquée par la littérature critique portant sur cet objet filmique, le terme «transcréation» me semble pertinent en ce qu’il englobe l’ensemble des genres littéraires (romans, pièces de théâtre et nouvelles) qui se revendiquent de cette pratique de transposition, pour l’écran, d’un texte écrit. Je voulais, de plus, trouver un terme qui fasse honneur au processus lui-même et le préfixe trans-, qui fait état d’un passage ou d’une métamorphose, m’a paru approprié puisqu’il réfère tant à la méthode qu’aux objets, en plus de légitimer le film par rapport à l’hypotexte3. De la sorte, je dois beaucoup à la narratologie du film d’André Gaudreault qui propose de parler de «récit», pour décrire le «message par le truchement duquel une histoire, quelle qu’elle soit, est communiquée» (1988, p. 84). Je me suis approprié ce terme ainsi que plusieurs autres concepts qu’il a développés4 et qui seront cruciaux dans l’analyse des différentes strates filmiques qui permettent de plonger dans des études de fond concernant la représentation de l’exclusion et de l’abjection à l’écran.

    Cette complication du corpus provoque un dédoublement des études portant sur chaque concept, mais j’estime que les films, avec leurs deux voies supplémentaires par rapport à l’écrit (le son et l’image), approfondissent la réflexion sur l’exclusion. Si les textes peuvent dépeindre, avec moult détails certes, la ségrégation, la punition corporelle, bref, la plupart des effets d’exclusion, le film offre un produit qui ira souvent au-delà de ce qui est représenté dans les textes, car il dispose, en plus, des voies de l’audio et du visuel. Sur ce sujet, je souligne ici une ­hypothèse plutôt stimulante, je l’espère, quant à l’étude de la transcréation: j’ai remarqué une accentuation de certaines thématiques phares de l’exclusion – je pense à l’abjection qui en découle ou qui la provoque – dans les films adaptés d’œuvres littéraires. L’ajout de ce deuxième pan, filmique, du corpus permettra alors de rendre compte de l’exacerbation, à travers le son notamment, de la violence que subissent les exclus. Dans la continuité de cette idée, les transcréations décrivent la condition abjecte des parias et des marginaux comme pollinisant l’ensemble des récits alors que la thématique n’est souvent abordée que de manière liminaire ou indirecte par les hypotextes. L’étude de la transcréation contribue à affiner l’analyse tout en soulignant l’idée d’une fatalité – l’abjection est tapie au cœur même de la société et de l’exclusion. À cet égard, le discours des transcréateurs et transcréatrices est très critique puisque cette emprise générale de l’abjection finit par présenter l’univers québécois comme en permanente déchéance alors que le ressort de toute activité humaine est, en théorie, de s’éloigner le plus vite possible de l’abjection.

    Le titre de mon ouvrage met en exergue les deux piliers de ma réflexion: d’une part l’exclusion qui, comme je le montrerai, régit tout regroupement humain en tant que mécanisme social; d’autre part l’abjection, en tant que pollution interne (bien qu’inéluctable) de la société, que les gens n’auront de cesse de pourchasser et d’éliminer. Ces deux concepts sont partie prenante l’un de l’autre puisque si la violence de l’exclusion semble précéder celle de l’abjection dans la construction de l’ordre social, elle est souvent une réaction (de rejet) devant le constat que certains êtres sont abjects. Le fait que ces personnages soient abjects nécessite de les rejeter, mais, à l’inverse, nombre d’entre eux ne seraient pas abjects si la société n’avait précédemment déporté sur eux sa charge abjecte. Ce cas intéressant d’ouroboros démontre bien comment les concepts s’articulent l’un avec l’autre, s’attirent et forment un écosystème organique.

    Le sous-titre de mon travail ose quant à lui miser sur une métaphore spatiale de l’exclusion à travers les deux termes «lisières» et «bas-fonds». Ces deux métaphores soulignent l’hypothèse qu’il existe plusieurs manières d’exclure quelqu’un: on peut, par exemple, le chasser hors du village et l’envoyer vivre dans la lisière d’une forêt à l’instar de la figure bien connue de la sorcière (ce mouvement de rejet est horizontal); ou on préférera le considérer comme inférieur, le rabaisser ou le destituer de son statut d’humain en le faisant tomber dans les bas-fonds (ce mouvement est vertical, descendant). Ces deux axes sur lesquels fonctionne l’exclusion, horizontal et vertical, sont donc au centre de l’étude des rapports de force, mais ils reviennent également, avec d’autant plus de force, dans l’analyse de l’abjection. Je le montrerai, l’humain rejette globalement cette sensation forte qu’est l’abjection. Or certaines figures s’en imprègnent (ou sont désignées pour s’en imprégner) et elles sont alors rejetées en fonction: si la société éprouve le besoin de conserver près d’elle les dépositaires de l’abjection, elles seront alors congédiées dans les lisières, mais conservées à portée de main; si l’abjection est le fait de ces personnages, si elle les entache sans avoir de but social propre, alors la société aura tendance à s’en débarrasser et à les envoyer, ni plus ni moins, à la décharge, dans un lieu d’où ils ne ressortiront pas vivants. La métaphore spatiale est donc, à tous les niveaux, pertinente et positionne cet ouvrage dans la lignée des termes choisis pour traiter des «humains gâchés5».

    Présentation du corpus

    Il s’agira de mettre en avant, tout d’abord, le fait que les films sont toujours garants d’une nouvelle époque et d’un nouveau contexte, par rapport à la forme écrite dont ils offrent une seconde lecture. André Gardiès embrasse d’ailleurs le terme «intertextualité» afin de tenir compte de «la fonction des contraintes et instructions venues d’ailleurs que du texte source» (1998, p. 72). En étudiant le rapport entre un texte et sa transcréation, il est pertinent de s’interroger sur le paratexte et les caractéristiques stylistiques qui appartiennent au genre filmique, ainsi que sur les «codes éthiques et idéologiques propres à une époque», ce qu’A. Gardiès nomme «le discours implicite de la société dans le film» (Ibid., p. 76). À ce sujet, Robert Stam propose d’évaluer le laps de temps écoulé entre la première édition de l’hypotexte et la sortie en salle de l’hyperfilm.

    Dans ce travail, j’utiliserai le terme général «récit» que propose A. Gaudreault (1988) afin de tenir compte des deux médiums – littéraire et cinématographique. Le récit le plus ancien de mon corpus est donc Un homme et son péché (1933) de Claude-Henri Grignon, et je l’ai retenu, car ce roman du terroir, aujourd’hui considéré comme un classique du genre, a été l’occasion de plusieurs générations d’adaptations cinématographiques qui me l’ont fait préférer au Survenant (1945) de G. Guèvremont. Le survenant présente pourtant, au sein du corpus québécois, une des plus intrigantes figures de marginaux, dont le caractère paradoxal est accentué dans le film d’Érik Canuel (2005) et je m’appuierai, dans plusieurs études de la fabrique de l’exclusion, sur des exemples tirés de ce récit. Cependant, le fait qu’Un homme et son péché ait été adapté une première fois en 1949 par Paul Gury, pour ensuite être repris par Charles Binamé au début du XXIe siècle, relève d’une pratique exaltante de l’adaptation cinématographique – la transposition à travers les époques d’un trouble de société rurale. Ce premier choix m’a amenée à réfléchir aux risques inhérents à la transcréation de classiques et je me suis subséquemment tournée vers la production hébertienne, regorgeant de figures d’exclusion et de violence. Comme trois des textes d’Anne Hébert ont été portés à l’écran, je suis longtemps restée indécise, mais Le torrent (1950; 2012) a finalement retenu mon attention contre les textes mondialement connus que sont Kamouraska (1970) et Les fous de Bassan (1982), tous deux adaptés au cinéma par des réalisateurs renommés (Claude Jutra en 1973 et Yves Simoneau en 1986). Avec sa transcréation de la nouvelle, Simon Lavoie offre un des regards les plus innovants, bien que risqué, de tout le corpus6. Je rendrai compte de l’ingéniosité du réalisateur à offrir une lecture novatrice du texte écrit,tout en donnant corps à l’esthétique de cette nouvelle de quelques dizaines de pages en un film de 2 h 33 min, le plus long et le plus dense de mon corpus primaire.

    En plus de ces deux classiques, j’ai sélectionné trois pièces de théâtre de différentes époques afin de comparer les démarches selon que l’hypotexte est narratif ou théâtral. Après avoir longuement hésité à intégrer Tit-Coq (Gratien Gélinas, 1948; 1953) et La face cachée de la lune (Robert Lepage, 2000; 2003), j’ai rejeté le premier pour sa trop grande similitude avec l’hypotexte et écarté le deuxième en ce qu’il ne développe pas de figure d’exclusion clairement identifiée. Mon choix s’est arrêté sur Les feluettes (M. M. Bouchard, 1987; John Greyson, 1996), Matroni et moi (Alexis Martin, 1997; Jean-Philippe Duval, 1999) et Littoral (Wajdi Mouawad, 1999; 2004). En plus de donner accès à une riche banque de données concernant l’exclusion et l’abjection, chacun de ces récits présente un intérêt propre: plusieurs changements apportés par J. Greyson, non seulement en ce qui a trait à la voix7, mais aussi en ce qui concerne la fin du récit8, me semblent faire évoluer le regard que l’on portera aux deux feluettes de la pièce de M. M. Bouchard. La narration extradiégétique, tant dans Matroni et moi que dans Littoral, a donné lieu à des pratiques métadiégétiques filmiques fort intéressantes pour la mise en contact de diverses figures de parias et de marginaux. Enfin, je voulais rendre compte du cas particulier de l’autoadaptation: la perspective de W. Mouawad, qui bouscule sa propre pièce, aura une place privilégiée dans la réflexion concernant les déplacements nécessaires entre texte et film, ce qui n’aurait pu se faire à travers l’étude du plus populaire Incendies (2003), adapté de la pièce éponyme par Denis Villeneuve (2010).

    Finalement, afin de déployer l’analyse portant sur les rapports de force et les différentes entrées pour en observer, j’ai décidé d’ouvrir la réflexion à des récits de genres hétéroclites. Le genre du roman d’horreur fantastique développe sans censure, sous couvert de la protection du fantastique, les dérives d’une marginalité dangereuse (la plupart des protagonistes sont plutôt bourreaux que victimes). À cet égard, Sur le seuil (Patrick Senécal, 1998; Éric Tessier, 2004) fournit l’exemple d’une transcréation qui développe certaines thématiques à peine abordées dans l’hypotexte, ce qui ne manquera pas de renverser les jugements de valeur d’un public souvent intransigeant envers l’infidélité d’une adaptation. Enfin, le genre de l’autofiction sera abordé à travers les deux premiers textes de Marie-Sissi Labrèche, Borderline (2000) et La brèche (2002), compilés par Lyne Charlebois en un film intitulé Borderline (2008). De manière fort intéressante, M.-S. Labrèche parle d’elle-même et de ses troubles borderline dans un texte qui juxtapose éléments réels et fictifs sans que la lectrice ne puisse les distinguer. Ce dernier récit a donné lieu à une transcréation qui innove non seulement dans sa description des troubles psychologiques, mais offre également une résolution symbolique à la souffrance, ce qui altère étrangement la portée, généralement pessimiste, des hypotextes.

    *

    En revisitant des concepts définis et élaborés dans différentes disciplines, je cherche à consolider des connaissances sur les rapports de force et à montrer la nécessité d’une approche pluridisciplinaire sur la question de l’exclusion. Un des défis consiste à affiner la terminologie, en dépit du manque de littérature critique à cet égard. Bien qu’un nombre considérable d’ouvrages ait problématisé le concept d’altérité9, il n’englobe pas les personnages et les narrateurs négatifs et abjects, ce qui justifie le potentiel d’un retour conceptuel sur la question. En distinguant les parias des marginaux, je peux non seulement pousser plus loin l’étude des injustices sociales, je revisite de surcroît les caractéristiques et les impacts de l’abjection dans le corpus québécois.

    Mon parcours suivra cinq mouvements. Dans un premier temps, je propose une relecture de textes de sociologie et d’anthropologie afin de peindre le tableau de la fabrique de l’exclusion, base de la violence qui oppose des groupes (ou sociétés) à des personnages repoussés dans les marges sociales. Dans un deuxième temps, je répertorie les parias et marginaux tels qu’ils sont présentés dans mon corpus: je me concentre sur douze personnages qui apparaissent soit au premier plan soit en arrière-plan de ces récits afin d’offrir une théorie par l’exemple de l’exclusion sociale et de valider la distinction conceptuelle. Dans un troisième temps, l’exclusion sera rattachée à l’autre notion de cet ouvrage: l’abjection. Lieu de l’obscurité et du mal par excellence, elle permet de redéfinir les raisons de l’exclusion en levant le voile sur un choix artistique controversé, celui de représenter des objets abjects et d’en jouir. En tant que paroxysme de l’abjection, la thématique de la mort, qui sera examinée dans le quatrième chapitre, invoque des considérations éthiques et philosophiques: je me pencherai sur la prolifération des décès, crimes et suicides tels qu’ils sont narrés et montrés inlassablement – et de manière complaisante, semble-t-il. Enfin, le dernier mouvement de cet ouvrage donne le contrepied de ces études successives pour prouver que le rejet des figures d’exclusion est certes imputable à leurs caractéristiques déplaisantes, mais qu’il est aussi (et surtout) la conséquence de leur supériorité. L’attirance communément ressentie pour ces personnages constitue donc une part importante de leur dynamisme.

    Les marginaux et les parias illustrent, par l’expression de leur souffrance, un déséquilibre que l’on trouve à plusieurs niveaux: entre le récit et le narrateur, entre l’hypotexte et l’hyperfilm, entre la fiction et la réalité. Car l’attitude même du groupe dominant vis-à-vis de l’exclu est, comme l’avance Eugène Roberto, paradoxale. Malgré les raisons qui expliquent la haine de la société du Chenal du Moine pour le Survenant, cet avatar de l’exclusion est également «le centre de la gravité romanesque: il construit l’espace, il module le temps, il multiplie les liaisons avec les autres personnages. Il apparaît comme la figure hermaïque, et se donne […] une stature de héros ou de dieu» (Roberto, 2002, p. 79). Ce sont de telles ambiguïtés que cet ouvrage se propose d’expliquer.

    1. Dès «Pour un cinéma de l’impur», André Bazin se révolte en effet contre le terme de «fidélité». Comparant l’adaptation cinématographique à la traduction, il explique que «les différences de structures esthétiques rendent plus délicate encore la recherche des équivalences, elles requièrent d’autant plus d’invention et d’imagination de la part du cinéaste qui prétend réellement à la ressemblance. […] Pour les mêmes raisons qui font que la traduction mot à mot ne vaut rien, que la traduction trop libre nous paraît condamnable, la bonne adaptation doit parvenir à restituer l’essentiel de la lettre et de l’esprit» (1975 [1948], p. 95).

    2. Pour un survol des grandes lignes de la théorie de l’adaptation, voir l’annexe 1.

    3. À l’instar de la terminologie offerte par Gérard Genette, je parle d’hypotexte pour le récit premier et d’hyperfilm pour le récit second. Pour un bilan des apports de la narratologie genetienne dans mon travail, voir l’annexe 2.

    4. Pour un rappel des différentes formes de narrateurs filmiques chez André Gaudreault, voir l’annexe 3.

    5. Je pense, par exemple, à Zygmunt Bauman qui met de l’avant l’idée du gaspillage humain dans Wasted Lives – Modernity and its Outcasts, ou au titre percutant de Greg Kennedy (An Ontology of Trash – The Disposable and Its Problematic Nature), sans parler du mondialement connu Bouc émissaire de René Girard ou du stimulant État d’exception de Giorgio Agamben.

    6. Sa transcréation plus récente (2017) de La petite fille qui aimait trop les allumettes de Gaëtan Soucy (1998) prouve que le réalisateur ne recule devant rien pour donner corps et son à des classiques complexes et offrir une lecture décisive pour les études en adaptation cinématographique.

    7. Et à la langue, puisque le scénario a d’abord été écrit en français par l’auteur de l’hypotexte avant d’être traduit en anglais pour sa forme filmique.

    8. Cela permet d’observer un changement d’importance quant à la critique religieuse, et une divergence d’opinions sur la thématique de l’homosexualité entre ces deux créateurs, ce que j’analyserai en détail.

    9. Voir à ce sujet «Pour une bibliographie de l’altérité» élaborée par Karin Schwerdtner qui s’étend sur presque cent pages et se trouve à la fin du collectif dirigé par Janet Paterson intitulé L’altérité (1999).

    CHAPITRE 1

    La fabrique de l’exclusion

    Présents sous des formes diverses, les «exclus» – étrangers, parias, marginaux, fous, criminels – foisonnent dans le corpus littéraire et filmique québécois. Mais avant d’utiliser l’un ou l’autre de ces termes, il est nécessaire de comprendre comment fonctionne l’exclusion et comment elle est «fabriquée».

    L’étude de la fabrique de l’exclusion m’amène, en premier lieu, à dépeindre le système excluant, c’est-à-dire la société ou microsociété telle qu’elle est décrite dans le corpus québécois. Après avoir expliqué comment s’établissent et fonctionnent les sociétés, selon le sociologue Émile Durkheim dans La division du travail social (2007 [1893]), je m’appuierai sur la réflexion de René Girard, dans De la violence à la divinité (2007), pour montrer que se cache, aux fondements de toute société, une violence nécessaire et intrinsèque à son fonctionnement. Selon R. Girard, la société retire, certes, la violence des mains des individus, mais elle continue de l’utiliser afin d’empêcher sa dissémination dans toutes les strates sociales, ce qui risquerait de mener, dans le pire des cas, à la guerre civile. Cette analyse de la violence institutionnalisée me permettra ensuite de réfléchir aux cas où, contrairement au tableau relativement stable de R. Girard, il n’y a pas d’instance suprême qui métaboliserait la violence. En effet, chez plusieurs écrivains québécois, la violence menace de se disséminer et d’attaquer, sans logique ou sans être maîtrisée, des personnages exclus. Plusieurs textes voient subséquemment disparaître l’instance canalisatrice de violence, que cette dernière prenne les traits de Dieu, du souverain ou du juge, et mène à la détresse des «humains gâchés». Surnuméraires, comme l’explique Zygmunt Bauman dans Wasted Lives – Modernity and Its Outcasts (2004), ces laissés-pour-compte illustrent en effet le désintérêt de la société pour les signes de la différence. Dans un troisième et dernier mouvement, je décrirai les formes et raisons des représailles subies par les exclus. Cette dernière étape consiste à analyser, à l’instar de Surveiller et punir (1975) de Michel Foucault, les réponses que donne la violence institutionnalisée à la transgression du système: les différents supplices et formes d’emprisonnements ainsi que le recours aux insultes, qui s’apparentent à des représailles verbales d’après Poétique de l’invective romanesque (2008) de Marie-Hélène Larochelle, se laissent appréhender comme la réponse donnée à la transgression (réelle ou imaginée) de l’ordre social.

    De la horde à la société moderne

    Avant de plonger dans l’analyse de l’exclusion en tant que telle, je vais d’abord décrire le fonctionnement de la société eu égard aux mécanismes d’inclusion et d’exclusion. Dans la préface de La division du travail social, É. Durkheim établit clairement une relation de cause à effet entre «les conflits sans cesse renaissants et les désordres de toutes sortes» (2007 [1893], p. III) et l’augmentation de l’anomie, c’est-à-dire à un rejet généralisé des règles. À l’instar de la démarche durkheimienne, l’étude du fonctionnement intrinsèque aux organisations humaines nécessite d’expliquer d’abord le concept de «solidarité», sur lequel repose toute société. Après avoir montré que la société se base sur la «conscience collective» pour préserver un état de paix, je traiterai des quatre types de rapports de force qu’elle établit afin de répondre aux comportements d’un personnage étranger en me basant sur la théorie d’Éric Landowski (1997). Allant de l’assimilation à l’exclusion, ces rapports de force qui opposent la société aux exclus diffèrent grandement tout en restant, au final, une réaction institutionnalisée et violente.

    Conscience collective et solidarité mécanique

    Dernière étape d’une longue succession de développements, la société humaine est, chez É. Durkheim, d’abord construite à partir de «hordes» qui se rassemblent ensuite en «clans» pour créer, avant de former la «société» proprement dite, une «société fragmentaire à base de clans» (2007 [1893], p. 150). Afin de bien fonctionner, cette alliance entre les individus puise dans l’«ensemble des croyances et des sentiments communs à la moyenne des membres d’une même société» (Ibid., p. 46). Ce réservoir de croyances et de sentiments est ce qu’É. Durkheim appelle «la conscience collective». Immuable, la conscience collective est «indépendante des conditions particulières où les individus se trouvent placés; ils passent, elle reste» (Idem). À l’origine de la «solidarité mécanique» de la société, la conscience collective implique, de surcroît, que «non seulement tous les membres du groupe sont individuellement attirés les uns vers les autres parce qu’ils se ressemblent, mais [qu’]ils sont attachés aussi à ce qui est leur condition d’existence, c’est-à-dire à la société qu’ils forment par leur réunion» (Ibid., p. 73). Les concepts de conscience collective et de solidarité mécanique expliquent l’uniformité des réactions individuelles vis-à-vis des règles et des croyances d’une société lambda. Ils expliquent également les réactions d’attirance pour des individus qui respectent les mêmes croyances et coutumes ou, en ce qui concerne mon sujet, le rejet des personnages qui les transgressent. Comme les individus les plus soudés à leur société sont également ceux qui entretiennent une solidarité mécanique maximale, il n’est pas étonnant que ce soit eux qui réagissent le plus violemment à la transgression des codes, au refus des croyances. En effet, étant donné que leur conscience personnelle est parfaitement recouverte par la conscience collective et «coïncide de tous points avec elle» (Ibid., p. 99), la transgression n’est plus uniquement sociale, elle s’apparente maintenant à une attaque personnelle. Il est ainsi possible de définir le degré de cohésion sociale dans une société donnée en scrutant la force avec laquelle se présente la solidarité mécanique, ce qui permet, en dernier lieu, d’interpréter la violence de certaines réactions.

    L’étude de la conscience collective à l’intérieur du corpus québécois aide à comprendre certaines raisons de l’exclusion d’un individu qui n’y correspondrait pas ou qui la transgresserait. À cause du choc culturel qu’ils provoquent, certains personnages de romans du terroir sont ainsi mis de côté, car ils fragilisent le bon fonctionnement du clan. Je pense au trope littéraire du coureur des bois qui jalonne plusieurs de ces romans. Michelle Lavoie souligne la «polyvalence» des coureurs des bois et des survenants (qu’elle analyse comme une évolution des premiers) qui «intriguent» et «inquiètent» ce monde où «chacun a sa place bien fixée» (1970, p. 13). Le Survenant du roman éponyme de Germaine Guèvremont (1945), pour ne citer que lui, s’avère être avant tout rejeté parce que son apparition inattendue, sa «survenance», représente une menace pour la conscience collective, menace qui se fera plus pressante chaque fois que les membres du clan seront confrontés à son intrinsèque différence (son accoutrement, sa manière de parler, les expressions qu’il emploie, etc.). Dès l’incipit, l’animosité des représentants de la norme (la famille Beauchemin) vis-à-vis du jeune étranger est palpable:

    Un soir d’automne, au Chenal du Moine, comme les Beauchemin s’apprêtaient à souper, des coups à la porte les firent redresser. C’était un étranger de bonne taille, jeune d’âge, paqueton au dos, qui demandait à manger. […] De ses mains extraordinairement vivantes, l’étranger s[e] baigna le visage, s’inonda le cou, aspergea sa chevelure, tandis que les regards s’acharnaient à suivre le moindre de ses mouvements. On eut dit qu’il apportait une vertu nouvelle à un geste pourtant familier à tous (Guèvremont, p. 19-20).

    Les membres de la famille Beauchemin représentent un ensemble uni (comme en témoigne l’indéfini «on»), levant la tête en même temps, regardant dans la même direction et pensant vraisemblablement la même chose. Éminemment singulier, le Survenant met en péril la cohésion de la famille Beauchemin, d’autant plus que ses actions donnent à redéfinir ce qui était «pourtant familier à tous» – la pérennité de la conscience collective. L’«épiphanie» (Roberto, 2002) qu’est son arrivée au Chenal du Moine est doublée d’un baptême onomastique par Amable, le fils Beauchemin: «le surnom qu’il reçoit élimine nom et prénom, et subsiste, seul, dans le roman, comme signe de son identité» (Ibid., p. 79). À travers le surnom «survenant», le clan réduit l’étrangeté du personnage, le désigne, par ce «signe», comme extérieur au groupe afin qu’il n’ébranle pas la solidarité sociale. Ne participant pas du clan à sa naissance, le Survenant, «héros aliéné» (Lavoie, 1970, p. 25) est dépourvu du lien de solidarité mécanique dont jouissent les villageois et fragilise la conscience collective par son ambiguïté (attachement au passé en tant que reliquat du coureur des bois ancestral et attirance pour la modernité). Dans le monde rural québécois, le clan des habitants canadiens-français, colonisé par l’Angleterre, ne peut en effet se permettre de repenser le passé ou de s’ouvrir vers l’avenir, deux attitudes qui fragiliseraient un familier qu’ils ont eu tant de mal à préserver1. Ce comportement des habitants du Chenal du Moine illustre bien le désir de cohésion autour d’une conscience collective, même si cette dernière a été affaiblie par le colonisateur anglais. Ce que le roman de G. Guèvremont laisse appréhender, c’est la force du principe de solidarité mécanique, illustré par la constance des réactions de rejet à l’égard du Survenant: la cohésion est plus vitale encore que les moments d’amitié et de partage que le personnage pourrait offrir.

    Devant le caractère implacable des groupes imperméables à la différence ou à l’étrangeté, il n’est pas rare de voir certains personnages se révolter en retour. É. Durkheim dit que la conscience collective se base sur la «moyenne des membres de la société», et cela explique bien que, dans le cas du Survenant, deux personnages appartenant au groupe dominant décident de se rallier à sa cause. Le père Didace, patriarche respecté et propriétaire terrien, et Angélina, jeune femme à marier, se détachent en effet du groupe et soutiennent celui qui est exclu des autres. Il arrive également que certains personnages exclus se regroupent entre eux et créent une microsociété au sein de la société, fonctionnant à la fois contre et dans elle. Martine Xiberras prolonge ainsi la théorie durkheimienne dans Les théories de l’exclusion:

    Ces groupes n’échappèrent cependant pas totalement à une conscience collective, mais elle fut limitée au comportement du petit nombre qui adhérait aux valeurs de l’exclusion, en marge des régies de la société officielle. Il s’agit d’une conscience collective réduite au consentement de ceux qui entendent y participer. […] Ils sont anomiques par rapport au reste de la société, mais non par rapport aux différents collectifs plus ou moins grands qu’ils formaient entre eux plus ou moins éphémèrement (1993, p. 9).

    Après s’être eux-mêmes exclus, ces groupes reproduisent, de manière réfléchie puisqu’ils se regroupent pour adhérer «aux valeurs de l’exclusion», le fonctionnement de la société, mais dans les marges. Cette perspective permet d’analyser la microsociété des transsexuels dans Le sexe des étoiles (Proulx, 1987) et la «secte du Mal» dans Sur le seuil (Senécal, 1998). Tout comme la métasociété, ces microsociétés se solidarisent autour d’une conscience collective; contrairement à elle, ses membres choisissent les valeurs qu’ils respecteront. De la sorte, les anomiques décrits par Monique Proulx vivent dans des lieux où ne se retrouvent que des personnages qui adhèrent à leurs valeurs, s’épargnant ainsi d’être rejetés par le reste de la société québécoise. Quant aux adeptes de la secte du Mal, Patrick Senécal indique clairement qu’ils rejettent la religion dominante, mais que leurs rites consistent à la fois en une parodie et en une copie de la messe catholique. D’ailleurs, leur maître est un ancien prêtre qui, insatisfait de sa relation avec Dieu, décide de se tourner du côté du Mal. Dans l’ensemble des cas, l’organisation sociale repose sur une conscience collective, qu’elle soit innée, comme pour la famille Beauchemin dans Le survenant, ou créée consciemment, comme dans les romans de M. Proulx et de P. Senécal.

    Il n’en reste pas moins que la plupart des personnages exclus fonctionnent seuls ou à deux, ce qui les rapproche plus de la condition du Survenant que des derniers personnages cités. Ainsi en est-il, par exemple, de Simon et de Vallier dans Les feluettes (Bouchard, 1987). Ces deux «feluettes» se retrouvent en effet seuls, face au groupe, pour avoir dérogé à l’interdit de s’aimer entre hommes. Dès le titre, le terme «feluettes» (qui signifie «homosexuel») établit la raison de leur exclusion: les adolescents dérogent à un interdit et à un tabou d’une importance capitale pour la conscience collective du groupe robervalois, ce qui aura d’ailleurs des répercussions dramatiques. Kiki, dans Borderline (Labrèche, 2000), et Séraphin, dans Un homme et son péché (Grignon, 1933), sont d’autres exemples de personnages exclus pour avoir enfreint une des règles de la conscience collective. Je me contenterai de dire ici que la raison principale de l’exclusion de Kiki (ses troubles borderline) et de Séraphin (son avarice) provient d’un côté inexploré jusqu’à présent, celui de la santé mentale. Ce n’est pas parce qu’ils viennent de l’extérieur du groupe, comme le Survenant, ou qu’ils dérogent à un tabou, comme Simon et Vallier, que Kiki et Séraphin sont dangereux pour la solidarité mécanique, mais plutôt parce qu’ils dysfonctionnent psychologiquement et sont dévalorisés par rapport aux autres membres, neurotypiques.

    À partir des concepts de conscience

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