Le français dans le monde

LOUIS-JEAN CALVET: JE ME SOUVIENS…

a première rencontre avec Alain Rey a eu lieu dans la seconde partie des années 1970 autour d’un repas. Il y avait là Jacques Cellard, qui tenait dans une chronique sur le langage, et Pierre Guiraud qui était à l’origine de la rencontre. Et cette réunion s’était passée sur le mode de l’humour. Cellard et Rey étaient en train de préparer leur , et, terme argotique que leur dictionnaire traduira par « pince monseigneur » mais qui désigne plutôt le pied de biche: selon lui on appelait « plume » le pied de biche parce qu’il servait à voler. Cette « étymologie », présente dans la première édition de l’ouvrage (1980), sera d’ailleurs légèrement modifiée dans la seconde (1991). Mais l’esprit était là, comme on dit autour des tables tournantes… […] Depuis lors nous nous sommes souvent croisés, Alain et moi, dans des réunions, des colloques. Je me souviens en particulier d’un colloque organisé par François Gaudin à Rouen, en juin 2009, dont le titre, « Alain Rey ou le malin génie de la langue française », était en lui-même une bonne définition de celui que nous honorions. Il avait fait beaucoup rire en expliquant que, sortant d’un séjour à l’hôpital, il avait constaté une inversion des pratiques sociolinguistiques, les médecins ayant tendance à dire là où les infirmiers disaient , ce qui selon lui était naguère l’inverse. J’avais dans mon intervention, pour tenter de montrer le lien entre dictionnaires et idéologie, relevé (la polémique sur le mariage pour tous s’approchait à grands pas) que, dans le petit Robert était défini comme « union légitime d’un homme et d’une femme ». J’avais en fait consulté la première édition, celle de 1967, et deux jours après je recevais un mail de Marie-Hélène intitulé je crois « ouf! » me disant que cette définition avait changé dans les éditions plus récentes: tel un Lucky Luke de la lexicographie Alain Rey pratiquait ou faisait pratiquer les vérifications plus vite que son ombre. […] On écrira sans doute, et on aura raison, des centaines de pages sur la science, la fantaisie, le sérieux, l’humour, la force de travail, la culture et le talent de vulgarisateur d’Alain Rey. Pour finir, je voudrais ajouter une modeste pierre à l’édifice, en suggérant que son talent comportait aussi une capacité d’anticipation. Quelques semaines après sa mort, en janvier 2021, une polémique a éclaté dans certains milieux sociolinguistiques autour d’un livre de Patrick Charaudeau, et plus particulièrement de son titre, (Éd. Le bord de l’eau, Lormont, 2021). Charaudeau s’appuyait sur la différence entre langue et discours, ou entre langue et utilisation de la langue. Pour lui, la langue n’était ni sexiste, ni fasciste, ni quoi que ce soit d’autre, c’est le discours qui peut l’être.

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