Jean-Jacques Rousseau: Les Dossiers d'Universalis
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À propos de ce livre électronique
Les idées que Jean-Jacques Rousseau a exprimées dans les domaines multiples qu'il a abordés (psychologie, morale, politique, éducation…) ont eu une influence décisive au-delà de son temps, à tel point que les grands débats d’aujourd’hui sur ces mêmes thèmes continuent de s’en inspirer. Ce dossier, composé d’une vingtaine d’articles empruntés à l’Encyclopædia Universalis, présente tour à tour l’auteur, ses œuvres principales et l’environnement dans lequel elles sont nées. Il rend présents, sous la conduite des meilleurs spécialistes, un des plus grands écrivains de la littérature française et une pensée toujours féconde.
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Aperçu du livre
Jean-Jacques Rousseau - Encyclopaedia Universalis
Universalis, une gamme complète de resssources numériques pour la recherche documentaire et l’enseignement.
ISBN : 9782341003438
© Encyclopædia Universalis France, 2019. Tous droits réservés.
Photo de couverture : © Monticello/Shutterstock
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ROUSSEAU JEAN-JACQUES (1712-1778)
Introduction
En plein siècle des Lumières, Jean-Jacques Rousseau élève une véhémente protestation contre le progrès des sciences et l’accumulation des richesses, contre une société oppressive et des institutions arbitraires. Il stigmatise la dénaturation croissante de l’homme et prévient ses contemporains que, faute de retourner à la simplicité naturelle, ils courront inévitablement à leur ruine. Il propose tour à tour de réformer l’éducation, les mœurs, les institutions politiques et sociales, le droit et même la religion. Si l’homme occupe aujourd’hui une place centrale dans notre conception du monde, c’est en grande partie à Rousseau qu’on le doit. Ainsi que l’a dit Kant : « Rousseau est le Newton du monde moral. »
1. « Une misérable question d’Académie »
En réponse à Mgr de Beaumont, archevêque de Paris qui avait condamné l’Émile, Rousseau écrit :
MediaÉmile, J.-J. Rousseau. Émile, de Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), in œuvres, Thomine et Fortic, 1823-1824, Paris. «Chacun respecte le travail des autres afin que le sien soit en sûreté.» Gravure sur cuivre de Dupreel d'après Jean Michel Moreau (1741-1814). (AKG)
« J’étais né avec quelque talent, cependant j’ai passé ma jeunesse dans une heureuse obscurité, dont je ne cherchais point à sortir [...]. J’approchais de ma quarantième année, et j’avais, au lieu d’une fortune que j’ai toujours méprisée, et d’un nom qu’on m’a fait payer si cher, le repos et des amis, les deux seuls biens dont mon cœur soit avide. Une misérable question d’Académie m’agitant l’esprit malgré moi me jeta dans un métier pour lequel je n’étais point fait ; un succès inattendu m’y montra des attraits qui me séduisirent. Des foules d’adversaires m’attaquèrent sans m’entendre, avec une étourderie qui me donna de l’humeur, et avec un orgueil qui m’en inspira peut-être. Je me défendis, et de dispute en dispute je me sentis engagé dans la carrière, presque sans y avoir pensé. Je me trouvai devenu, pour ainsi dire, auteur à l’âge où l’on cesse de l’être, et homme de lettres par mon mépris même pour cet état. Dès-là je fus dans le public quelque chose : mais aussi le repos et les amis disparurent. Quels maux ne souffris-je point ? »
Rousseau a répété plusieurs fois que sa vocation littéraire était née sur la route de Vincennes, où, dans une sorte d’illumination, il avait découvert la voie à suivre pour réformer une société injuste et oppressive. Jusqu’alors il avait songé à faire une carrière de musicien, jouant du violon, de l’orgue et du clavecin, dirigeant de petits concerts et donnant des leçons de musique. À trente ans il imagina un nouveau système de notation musicale qu’il présenta à l’Académie des sciences de Paris avant de le publier (Dissertation sur la musique moderne), puis il se mit à composer un opéra, Les Muses galantes, qui ne remporta pas le succès attendu, et il écrivit plusieurs pièces de circonstances.
Un jour d’octobre 1749 – il était dans sa trente-huitième année – Rousseau prit la route de Vincennes pour rendre visite à Diderot qui était incarcéré au Donjon, pour avoir écrit la Lettre sur les aveugles. Tout en marchant, Rousseau parcourut Le Mercure de France qu’il avait emporté et tomba sur la question proposée par l’académie de Dijon pour le prix de l’année suivante : Si le rétablissement des sciences et des arts a contribué à épurer les mœurs.
« À l’instant de cette lecture, nous dit-il dans ses Confessions, je vis un autre univers et je devins un autre homme. » Il fut comme ébloui de mille lumières, des foules d’idées se pressèrent dans son esprit, il sentit « sa tête prise par un étourdissement semblable à l’ivresse ». Rousseau était si bouleversé qu’il dut se reposer sous un des chênes de l’avenue de Vincennes, et c’est là qu’il rédigea ce que l’on appelle la « prosopopée de Fabricius », où il engage les Romains – c’est-à-dire ses contemporains – « à renverser les amphithéâtres, à briser les marbres, à chasser les esclaves qui les subjuguent, et dont les funestes arts les corrompent ».
Rousseau a déclaré douze ans plus tard : « Si j’avais pu écrire le quart de ce que j’ai vu et senti sous cet arbre, avec quelle clarté j’aurais fait voir toutes les contradictions du système social, avec quelle force j’aurais exposé tous les abus de nos institutions, avec quelle simplicité j’aurais démontré que l’homme est bon naturellement et que c’est par les institutions seules que les hommes deviennent méchants. »
Cette illumination, véritable crise métaphysique, venait de libérer d’un seul coup une âme longtemps opprimée : Rousseau découvrait subitement non seulement les causes de corruption de l’homme, mais encore les moyens d’arrêter sa marche vers l’abîme.
De retour à Paris, le philosophe composa pendant ses insomnies son premier Discours ; une fois achevé, et après l’avoir montré à Diderot qui y apporta quelques corrections, il l’envoya à l’académie de Dijon. Près d’une année plus tard (juill. 1750), alors qu’il n’y songeait plus du tout, il apprit que son Discours avait remporté le prix de l’Académie. Ce premier ouvrage parut en janvier 1751 et provoqua immédiatement des remous. Les thèses que Rousseau défendait étaient si originales, si surprenantes, elles étaient tellement contraires à l’opinion générale – il ne faut pas oublier qu’en plein siècle des Lumières l’idée de progrès était ancrée dans tous les esprits – que les contradicteurs se multiplièrent. On ne compte plus les réfutations du premier Discours. Rousseau s’efforça d’y répondre par une série de lettres ouvertes à l’abbé Raynal, à Grimm, à Bordes, à Lecat et même au roi Stanislas Leczinsky. Au fur et à mesure qu’il réplique à ses adversaires, on voit sa pensée se préciser, se compléter, s’affermir toujours davantage dans ce qu’il appellera plus tard son « grand et triste système ».
En six mois, Rousseau était devenu célèbre. Lui qui, depuis vingt ans, cherchait à acquérir quelque notoriété comme musicien se trouvait d’un jour à l’autre le point de mire de tous les cercles de Paris. D’ailleurs cette célébrité allait s’enrichir l’année suivante d’une renommée musicale : Rousseau faisait représenter à Fontainebleau devant le roi et la reine de France son opéra-ballet Le Devin du village et y remportait un succès éclatant. Il avait quarante ans. Une extraordinaire carrière littéraire s’ouvrait devant lui. Carrière fulgurante puisque, à l’exception de ses œuvres autobiographiques (Confessions, Dialogues, Rêveries du promeneur solitaire) qui sont toutes posthumes, tous ses grands livres ont paru en l’espace de seize années : le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité (1755), la Lettre à d’Alembert sur les spectacles (1758), La Nouvelle Héloïse (1761), Émile (1762), Du contrat social (1762), la Lettre à Christophe de Beaumont (1763), les Lettres écrites de la montagne (1764), auxquels il faut ajouter l’achèvement du Dictionnaire de musique (1767). Entre-temps, Rousseau s’est réfugié en Suisse, il a été lapidé à Môtiers, expulsé de l’île de Saint-Pierre puis est parti pour l’Angleterre. Désormais, Rousseau est un proscrit, un être traqué, soupçonneux, malade, en proie à la folie de la persécution, qui s’engage même à plusieurs reprises à ne plus rien publier de son vivant.
Le Discours sur les sciences et les arts est inséparable du Discours sur l’origine de l’inégalité. Leur thèse peut se résumer ainsi : l’homme est né bon ; c’est la société – les institutions sociales – qui l’a corrompu. Les sciences et les arts (dans le premier Discours), l’inégalité sociale (dans le second) ont dénaturé l’homme. Né pour le bonheur et la vertu, celui-ci s’est laissé détourner de son chemin par le développement des connaissances et par les séductions du luxe et de la puissance.
L’état primitif de l’homme, cet état de nature où l’être humain connaissait l’innocence et la bonté, n’est peut-être qu’une vue de l’esprit, mais c’est une hypothèse qui doit nous faire regretter un passé qui n’est plus et qui ne reviendra jamais, car l’histoire ne rétrograde pas.
Les deux premiers ouvrages de Rousseau décrivent le processus par lequel le mal s’est introduit dans le monde et la manière dont la nature humaine a été corrompue, encore que le premier mette l’accent sur les vertus des cités antiques et le second sur l’âge d’or de l’humanité. Le Discours sur l’économie politique tente pour la première fois de concilier les devoirs de l’homme et ceux du citoyen. C’est dans ce texte que Rousseau énonce sa théorie de la volonté générale, source des lois positives et du gouvernement, règle du juste et de l’injuste, volonté qui émane du corps politique tout entier et lui donne sa cohésion.
2. Les grandes œuvres
Dans chacun de ses ouvrages, Rousseau va proposer un remède à la corruption des sociétés. Il imagine trois voies susceptibles de mener à une nouvelle synthèse de la nature et de la culture qui ne trahirait pas l’essence de l’homme.
Dans l’Émile, Rousseau repense l’éducation d’un enfant destiné à devenir citoyen ; dans La Nouvelle Héloïse, il imagine la vie idéale d’une microsociété ; dans le Contrat social, il pose les fondements d’un État juste et légitime, où chacun écoute la voix de sa conscience.
• L’« Émile » : de l’enfant au citoyen
Rousseau se montre original et même révolutionnaire dès les premières pages de l’Émile. Récit didactique, l’Émile repose sur l’intuition fondamentale, peut-être héritée de Condillac, mais pour la première fois appliquée et fondée en droit, de la perfectibilité humaine. À sa naissance, l’homme n’est rien, il devient tout. C’est cette genèse de la raison considérée au niveau de l’individu que Rousseau envisage dans l’Émile après l’avoir étudiée au plan de l’humanité dans le deuxième Discours. Car qu’est-ce que l’histoire de la corruption de l’humanité sinon l’histoire même de l’homme ? L’histoire de ses