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Les FRUITS DU CRIME: Une enquête de Marie St-Félix
Les FRUITS DU CRIME: Une enquête de Marie St-Félix
Les FRUITS DU CRIME: Une enquête de Marie St-Félix
Livre électronique288 pages4 heures

Les FRUITS DU CRIME: Une enquête de Marie St-Félix

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À propos de ce livre électronique

Un homme est retrouvé pendu dans l’entrepôt nouvellement construit de son verger à Cap Saint-Ignace. Alors qu’elle se trouve à Rimouski à la suite d’un appel à l’aide de son ex-entraîneur de boxe, Marie est appelée d’urgence sur les lieux. Elle se retrouvera
alors plongée dans une enquête complexe où se mêleront les pommes du Québec et les avocats du Mexique, la distribution de médicaments contrefaits et les opérations de blanchiment d’argent, la lutte entre bandes criminelles rivales pour le contrôle des recettes des fruits du crime.
LangueFrançais
Date de sortie7 juin 2023
ISBN9782898312885
Les FRUITS DU CRIME: Une enquête de Marie St-Félix
Auteur

Gilles H. Boulet

Gilles H. Boulet est originaire de Montmagny. Il est détenteur d’une maîtrise en communication de l’Université du Québec à Montréal. Il a également obtenu un diplôme du London Film School de Grande-Bretagne. Il a œuvré comme réalisateur et producteur dans le domaine des médias éducatifs et comme spécialiste multimédia à Téléfilm Canada. Il a été directeur du Service de production et du service de l’audiovisuel de l’UQAM.

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    Aperçu du livre

    Les FRUITS DU CRIME - Gilles H. Boulet

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    Prologue

    Réginald Mathurin raccompagna les deux visiteurs jusqu’à la sortie. Il les regarda monter dans leur voiture puis s’éloigner. Il verrouilla la porte de son gym puis se dirigea vers son bureau et s’affaissa sur son siège.

    La mort de la jeune fille, sa protégée, son plus bel espoir, sa future championne, l’avait dérouté. Elle l’avait plongé dans une profonde tristesse. Apprendre de la bouche des policiers qu’une surdose d’opiacé en était la cause l’avait choqué et bouleversé. Il n’arrivait pas à y croire. En fait, c’était impossible. Il la connaissait bien : sérieuse, studieuse, engagée, déterminée. Elle n’était pas une droguée, il en était convaincu. Il y avait autre chose, il fallait qu’il y ait autre chose. Il pensa à sa famille restée au Sénégal, elle lui en avait souvent parlé. Il s’imagina leur détresse, leur désespoir en apprenant la nouvelle.

    Que les policiers venus le visiter aient pu penser, même un instant, qu’il soit impliqué dans un trafic de stupéfiants, qu’on le questionne sur le sujet, l’avait contrarié, choqué même. Jamais, au grand jamais, il n’avait toléré ne fut-ce que la mention de substances illicites dans son gym. Il avait toujours été propre, ses protégés devaient l’être eux aussi.

    Les enquêteurs s’étaient montrés agressifs, arrogants même. Ils semblaient mettre en doute sa parole, sa bonne foi. Était-ce encore dû à la couleur de sa peau ? Depuis plus de soixante ans, il avait collectionné les remarques. Dès le primaire, il avait fait l’expérience des mots qui blessent. Plus tard, alors qu’il vivait dans la grande ville, aux premiers temps de sa carrière d’amateur, lui, un boxeur, avait souvent vécu des situations de profilage. Il ne comptait plus le nombre de fois où on l’avait interpelé sans raison, où on l’avait questionné, où on avait mis en doute sa parole. Il n’avait jamais pu s’y habituer, n’avait jamais accepté ce racisme insidieux et sournois, un feu couvant, un virus qu’on refusait de traiter, un bacille contre lequel aucun vaccin n’avait encore été développé. En soixante ans, les choses avaient finalement bien peu changé.

    Il regarda l’appareil posé sur son bureau, un téléphone fixe comme on les appelait maintenant. Il n’avait jamais voulu d’un mobile. Il aimait trop la liberté pour s’embarrasser d’une laisse, même virtuelle. Il saisit le carnet d’adresses qui se trouvait sur son bureau, y chercha un numéro qu’il composa. Elle répondit. Il reconnut la voix, il était au bon endroit. Il hésita une fraction de seconde puis se résolut à formuler l’objet de son appel.

    —Marie, j’ai besoin que tu m’aides, lui dit-il en ouverture.

    Chapitre 1

    Septembre, l’arrière-saison, le fond de l’air qui vire au frais, les jours qui raccourcissent, les récoltes qui s’achèvent : août mûrit les fruits, septembre les cueille.

    Elle avait quitté Québec tôt le mardi matin. L’appel reçu la veille l’avait d’abord surprise. Réginald Mathurin, Reggie comme on l’appelait à l’époque, avait été son entraîneur de boxe lorsqu’elle était étudiante au programme de techniques policières au Cégep de Rimouski. Elle avait immédiatement reconnu sa voix. Elle n’avait pas eu de ses nouvelles depuis plusieurs années. Ils avaient pourtant été proches. À l’époque, il était devenu davantage qu’un entraîneur, il était devenu un ami. Ils s’étaient perdus de vue depuis qu’elle avait été promue sergente-détective. Elle non plus n’avait pas fait d’efforts pour garder contact. Elle se fit des reproches. Elle devrait davantage soigner ses amitiés, pensa-t-elle. Mais son travail l’occupait tant.

    Elle prit la sortie 610 et emprunta le chemin Sainte-Odile en direction de Rimouski. Au loin, elle pouvait apercevoir le fleuve. Il était ici beaucoup plus large et imposant que chez elle, à Beauport. C’était le même cours d’eau, mais il était, à cette hauteur, devenu une presque-mer : le plus grand estuaire fluvial au monde, avait-elle lu quelque part. Revenir dans cette ville provoquait chez elle une sensation étrange. Elle n’y était pas retournée depuis son départ pour Nicolet. Y remettre aujourd’hui les pieds remuait les souvenirs.

    Réginald avait guidé ses premiers pas dans sa carrière de boxe amateur. Il l’avait même conduit jusqu’aux Gants Dorés. Elle éprouvait toujours une grande affection et un énorme respect pour lui. Il ne lui en avait dit que très peu lorsqu’ils s’étaient parlé la veille. Une de ses jeunes protégées était décédée. Une surdose. On le soupçonnait, il n’y était pour rien, il craignait qu’on l’accuse. Il préférait la voir en face à face pour lui en parler en détail. Elle avait d’abord hésité. Les cas de mort par surdose n’étaient pas son champ d’intervention. Réginald avait insisté. L’idée de revoir Rimouski lui avait souri. Elle s’était un peu fait prier, mais elle avait fini par accepter.

    Sa banque d’heures supplémentaires était généreusement garnie. Les enquêtes sur les crimes violents étaient parfois complexes et elles exigeaient un lourd investissement en énergie et en temps. Les enquêtes qu’on lui confiait envahissaient totalement sa vie : elles accaparaient tout son temps, consumaient toute son énergie. Elles devenaient des obsessions. Elle ne s’en libérait qu’une fois résolues, qu’une fois le ou les coupables épinglés. Elle ne comptait pas ses heures et ne réclamait pas toutes celles auxquelles elle aurait eu droit ; seulement quelques-unes, ce qui était tout de même considérable. Elle ne les reprenait que rarement. En conséquence, son solde d’heures accumulées était important, trop important aux yeux des patrons.

    À la suite de l’appel, elle avait demandé deux jours de congé à son lieutenant. Il les lui avait accordés avec plaisir, avec soulagement même, avait-elle pensé. Le lieutenant, et surtout son commandant, détestaient tous deux les soldes d’heures en banque. Ils étaient maintenant plus gestionnaires que policiers. Ces soldes, s’ils étaient pris en bloc, privaient le service d’une ressource, disaient-ils. Ils pouvaient nécessiter l’ajout d’une personne supplémentaire en remplacement, causer d’interminables négociations avec les postes régionaux pour le déplacement d’un candidat ou entraîner une nomination en affectation temporaire et une charge salariale supplémentaire, grevant ainsi un budget qu’ils qualifiaient toujours d’insuffisant. Règle générale, les gradés n’aiment pas les problèmes, pensait-elle.

    Elle écoutait le dernier Charlotte Cardin sur le baladeur branché au système de son RAV 4. Elle emprunta le boulevard de la Rivière puis le boulevard René-Lepage jusqu’à la rue Saint-Germain. Elle croisa l’avenue de la Cathédrale et passa outre l’édifice qui avait été, un temps, le chef-lieu du diocèse, un monument dont le devenir avait soulevé d’acerbes débats dans la communauté. Elle prit à droite sur la rue Sainte-Marie, puis à gauche sur l’avenue Saint-Louis. Elle arrêta la musique.

    Rouler en ces lieux fit resurgir en elle le souvenir de ses séances de jogging matinal. Elle était, au tout début de sa formation, une jeune adulte un brin idéaliste, mais résolument déterminée. Elle était aujourd’hui toujours aussi déterminée, mais le temps avait un peu érodé ses idéaux. On ne voit pas le temps passer, songea-t-elle.

    Elle aperçut la structure imposante du Cégep. Ses trois campaniles et sa loggia à l’italienne témoignaient de son origine. L’édifice avait abrité le Séminaire, puis le Petit Séminaire de Rimouski. Lorsqu’elle l’avait aperçu pour la première fois, la jeune Pacômienne avait été fortement impressionnée par l’immeuble. Il était, dans son esprit d’alors, beaucoup plus imposant que le Collège Sainte-Anne-de-la-Pocatière qu’elle connaissait bien. Elle avait alors eu, à l’époque, l’impression d’arriver dans une vraie ville et de commencer une nouvelle vie.

    Elle pensa un instant se stationner et entrer dans cet édifice où elle avait passé une grande partie de ses journées pendant les trois années de sa formation technique. Mais, pensa-t-elle, les souvenirs déposent souvent une couche de vernis sur des lieux qui sont, en réalité, plutôt banals et ternes. Elle craignit d’être déçue. Elle ne s’arrêta pas.

    Elle se retrouva sur la rue Saint-Germain. L’environnement lui était familier. Elle ralentit en passant devant le numéro 110. Le gymnase s’y trouvait toujours. Sur la rue, devant l’édifice, un espace de stationnement vide. Elle se gara, descendit de la voiture, se dirigea vers la porte et la sonda. Elle était déverrouillée, elle entra.

    C’est d’abord l’odeur qui la ramena en arrière, une odeur subtile, à peine perceptible. Était-ce l’odeur de l’effort, l’odeur des coups donnés et reçus, celle de la joie et de la douleur, ou celle des produits de désinfection et de nettoyage ?

    Visuellement, le décor n’avait pas changé. Le ring, surélevé, tout au centre, avec ses cordages tricolores. Les murs blancs, le plancher bleu, les sacs d’entraînement retenus au plafond par des systèmes de poulies, les chaises empilées dans un coin, l’éclairage cru, comme il y a plus de vingt ans.

    Au fond de la pièce, un bureau. Une large fenêtre percée dans le mur permettait d’y apercevoir un homme, bonne carrure, cheveux blancs frisés et courts, peau foncée. Il semblait absorbé dans une lecture. Elle reconnut Réginald. Le temps était passé. Il avait vieilli. Pas étonnant, les années avaient également laissé quelques marques chez elle.

    Sentant sans doute une présence étrangère ou ayant entendu un bruit, il leva la tête et regarda vers la salle par la fenêtre. À la vue de la visiteuse, son visage s’éclaira. Il se leva brusquement en affichant un large sourire, sortit prestement du bureau, se dirigea vers elle en tendant les bras et en répétant.

    —St-Félix.

    Il l’étreignit avec tendresse, la repoussa un peu en lui tenant les épaules et poursuivit.

    —Merci d’avoir accepté, merci d’être venue.

    Puis s’interrompant un instant pour la regarder de la tête aux pieds, il poursuivit.

    —Tu n’as pas changé.

    —Quand même un peu, répondit-elle. Mais toi toujours aussi en forme à ce que je vois, Reggie.

    —Bah ! Il y a un peu de neige qui est tombée là-haut, répondit-il en pointant du doigt sa chevelure, mais je n’ai pas à me plaindre. La tête va bien. J’ai dû donner plus de coups que j’en ai reçus, conclut-il en riant de bon cœur.

    Toujours droit malgré ses soixante-dix ans, Réginald était d’origine haïtienne. On l’avait retrouvé, nouveau-né d’à peine quelques jours, à la porte d’une crèche dirigée par les Sœurs servantes du Saint-Cœur, une congrégation québécoise établie en banlieue de Port-au-Prince. Il avait été adopté par une famille ouvrière modeste, mais aimante, de Montmagny. Son père avait voulu qu’il porte son nom. Il fut nommé Réginald Mathurin junior.

    Son gabarit imposant et ses capacités athlétiques l’avaient rapidement conduit vers le sport. Il avait pratiqué le football, mais avait finalement choisi la boxe, un sport individuel pratiqué avec un minimum d’équipement, mais un maximum de courage. Il s’était rapidement acquis une réputation enviable comme amateur où il était connu sous le nom de Reggie Marin. Après avoir été couronné champion aux Gants Dorés et s’être fait offrir une carrière professionnelle, il avait plutôt choisi de devenir entraîneur. Rimouski avait été sa terre d’accueil professionnel. Il était devenu un des premiers Haïtiens à y établir sa résidence.

    —Je suis content de te revoir, dit-il. Tu es celle qui peut m’aider, je le sais.

    —Il faudrait d’abord que tu me dises ce dont il est question Réginald, répondit-elle.

    —Je vais tout te raconter. Mais avant que je te déballe le tout, enlève tes souliers et ta veste, je vais chercher des gants d’exercice et mes mitaines, monte dans le ring, tu me fais quelques coups en souvenir du bon vieux temps.

    —Reggie, si je peux me permettre la remarque, d’abord tu n’as pas l’air trop soucieux en ce moment. Ton problème ne semble donc pas trop t’angoisser. Pourquoi donc une telle insistance pour me faire venir ici ? Ensuite, cela fait longtemps que je n’ai pas mis les gants. J’ai sans doute beaucoup oublié, répliqua Marie. Je ne sais même pas si je peux encore toucher une cible.

    —Cela ne s’oublie pas Marie ! Ta tête a pu oublier, mais ton corps pas. Le corps n’oublie jamais. Allez, fais-moi plaisir et monte là-haut, je te rejoins. Et pour mes soucis, chaque chose en son temps.

    Marie sourit. Elle se demanda si le problème dont Réginald lui avait parlé n’était pas que pure invention, une stratégie pour l’attirer, la revoir, elle qui l’avait, en quelque sorte, relégué aux oubliettes. Elle espérait en même temps qu’il ne l’avait pas fait venir pour lui annoncer une mauvaise nouvelle, une tumeur maligne, un cancer. Réginald ne pouvait pas mourir. Il était encore bien trop jeune.

    La proposition de remonter dans le ring lui semblait incongrue, mais elle décida de tenter l’expérience. Elle ôta ses chaussures et ses chaussettes afin d’avoir une solide emprise au sol, se défit de sa veste et monta dans l’arène. Mathurin la suivit et lui tendit une paire de gants.

    —Tu te souviens de ton jab Marie. C’était ton arme de prédilection. Tu les laissais d’abord attaquer en les tenant à distance. Tenir l’adversaire à distance, c’est tout l’art de cet art qu’est la boxe, c’est ce que je te disais. Puis, au moment opportun, comme un fauve, tu déportais vers la gauche ou la droite, tu sautais sur ta proie et ton jab partait sans avertissement. Il touchait la cible à tous les coups. Tu les surprenais. Puis tu enchaînais avec des coups au corps pour couper les jambes. Après quelques touches, tes adversaires devenaient méfiants et craintifs. C’est alors que tu lançais l’intégrale. Elles finissaient toutes par abandonner ou tomber. Tu étais sans pitié.

    —C’était, de cela, il y a bien longtemps Réginald, commenta Marie.

    Plaçant la mitaine en position de réception, Mathurin lui dit.

    —Allez, lance ton jab St-Félix !

    Pourquoi pas, pensa-t-elle. Elle se mit en position, se concentra sur la cible, inspira profondément puis, immobile, elle fixa l’entraîneur directement dans les yeux, défiante. Le coup partit sans avertissement, sec, brusque, rapide, puissant. Il toucha la cible en plein centre. Malgré sa carrure, Réginald eut un imperceptible mouvement de recul.

    —Wow Marie ! Qu’est-ce que je te disais… le corps n’oublie pas. Maintenant, tu me fais un enchaînement : jab, cross.

    L’entraîneur se mit en place, les deux mitaines de réception bien placées devant lui, prêtes à recevoir les coups. Marie s’exécuta.

    —Bien, Marie, encore, jab, cross, jab, cross.

    Le bruit de choc des cuirs fit monter en elle le taux d’adrénaline. Elle pensa aux femmes, encore aujourd’hui victimes innocentes d’hommes violents. Ces images firent jaillir une fureur qui transmit à tout son corps une énergie qui se libéra dans un déchaînement de coups. Même Réginald en fut surpris. Après quelques enchaînements, il abaissa les bras, haussa les sourcils, agrandit les yeux en regardant son ex-protégée.

    —Dis donc Marie, il ne faudrait pas te chercher trop longtemps !

    Elle ne réagit pas à la remarque. Elle fixait Mathurin silencieusement. Elle laissait refroidir la rage, laissait redescendre la fureur. Ce court moment lui avait rappelé comment ce sport avait été, à l’époque, libérateur, un évacuateur de crues. Chaque touche lui avait permis d’expulser un brin d’émotion, une parcelle de violence, de colère, d’angoisse, de crainte, de vertige. Elle baissa les bras, retira les gants, les lui tendit, tourna le dos et sortit du ring. Après qu’elle eut remis ses chaussettes et chaussures, en se relevant, elle s’adressa à lui.

    —Mais ce n’est pas pour relancer ma carrière de boxeuse que tu m’as fait venir jusqu’ici, n’est-ce pas ?

    Chapitre 2

    —Elle s’appelle, enfin elle s’appelait Fatou Diop, entreprit d’expliquer Réginald. Elle était Sénégalaise. Elle était inscrite au doctorat en océanographie à l’UEQ. Elle avait déjà boxé dans son pays. Lorsqu’elle est venue me rencontrer, peu de temps après son arrivée ici, j’ai tout de suite vu le talent : puissante, agile, rapide, précise, pugnace. Une fois dans le ring, elle devenait féroce, méchante, elle voulait faire mal et seule la victoire l’intéressait. Elle me rappelait toi à l’époque.

    Ils s’étaient installés dans le bureau, Mathurin débitait l’histoire. Marie avait résolu de l’écouter sans l’interrompre. Elle n’était pas certaine de ce qu’il attendait d’elle. Elle doutait même de pouvoir l’aider. Au moins, semblait-il, il n’avait pas de mauvaise nouvelle à annoncer sur son état de santé, contrairement à ce qu’elle avait un moment cru. Être là devant lui pour l’écouter suffisait-il ?

    Pendant qu’il déballait l’histoire, son ancien entraîneur semblait ébranlé, même s’il cherchait à le cacher. Elle le savait bien, un boxeur ne doit rien laisser paraître lorsqu’un coup lui a fait mal. Il expliqua que, comme elle ne s’était pas présentée à l’un de ses cours et qu’on ne l’avait pas aperçu au labo alors qu’elle y passait habituellement une grande partie de son temps libre, et comme elle n’avait averti personne de ses absences, ses collègues s’étaient inquiétés. Deux d’entre eux s’étaient rendus à la chambre qu’elle occupait à la résidence étudiante. Ils l’avaient trouvée effondrée sur sa table de travail. Des notes pour une présentation qu’elle préparait pour les semaines à venir y étaient étalées. Ils avaient essayé de la réveiller, mais s’étaient rendu compte qu’elle ne respirait plus, qu’elle était morte. Ils étaient rapidement ressortis et avaient averti les autorités.

    La police était arrivée. Ils n’avaient remarqué aucune trace d’effraction dans la pièce. Le corps ne portait aucune marque de violence. L’autopsie avait permis d’établir la cause du décès. Mathurin saisit un bout de papier qui était posé sur son bureau. Il lit ce qu’il y avait noté.

    —Arrêt respiratoire, conséquence d’une ingestion d’isotonitazène, c’est ce que m’ont dit tes amis quand ils sont venus me voir.

    Lorsqu’elle apprit ce qui avait causé la mort de la jeune fille, ce fut au tour de Marie de ne rien laisser paraître, de refouler ses émotions. Elle était toujours dévastée lorsqu’elle apprenait qu’une surdose avait avalé une jeune vie. Elle connaissait cet opioïde de synthèse. Elle le savait souvent mortel pour une personne n’ayant pas d’habitude de consommation. Elle savait également que cette drogue circulait à Montréal et un peu à Québec. Elle était toutefois étonnée qu’on la retrouve à Rimouski. Elle se demandait qui avait entraîné la jeune personne dans cet enfer. Comment s’y était-on pris pour la convaincre de consommer ? Pourquoi s’y était-elle laissée entraîner ? Curiosité malsaine ? L’insouciance face aux conséquences accompagne souvent les jeunes années. Si jeunesse savait ! Cette pensée la ramena à sa propre personne.

    La sergente St-Félix avait fréquemment été sévère, parfois même cassante, envers les jeunes, les recrues. François, son partenaire d’enquête, le lui avait souvent fait remarquer. Et s’il avait raison ? Les jeunes ont besoin qu’on les aide, pas qu’on les casse, qu’on les accompagne, pas qu’on les domine, lui disait souvent son partenaire. Il faudrait qu’elle y travaille.

    Mathurin poursuivait son récit. Elle sortit de sa réflexion et se concentra sur le compte-rendu que livrait son ex-entraîneur.

    —Tes amis m’ont questionné longuement. Ils avaient appris que Fatou s’entraînait ici. Ils voulaient savoir si je pensais qu’elle s’était procuré la drogue ici, chez moi. Tu t’imagines un peu. Me demander cela à moi. De la drogue qui viendrait de mon gym. C’est impossible. Ma place est propre Marie, tu le sais bien. Je ne comprends pas ce qui a pu se passer.

    —Les policiers ne font que leur travail, Réginald, répondit-elle. Ils ne te connaissent pas. Ils cherchent à comprendre. Je suis convaincue qu’ils n’ont rien contre toi, que ce n’est pas personnel.

    Mathurin la regarda longtemps, l’air sévère, totalement silencieux. Il reprit finalement lentement, sans agressivité, mais d’un ton ferme, en pesant bien chaque mot.

    —Tu sais Marie, les collègues de ta confrérie semblent beaucoup aimer questionner les personnes à la peau plus foncée. C’est comme s’ils se sentaient attirés vers nous. Je comprends bien que tes amis ont un travail à faire. C’est la façon dont ils le font qui est problématique.

    Ce fut cette fois Marie qui garda le silence. Elle devait admettre qu’il n’avait pas totalement tort. Malgré tous les efforts déployés par son organisation pour mettre fin aux comportements sur fond de racisme, le profilage existait toujours, elle le savait bien. Une personne à la peau foncée avait beaucoup plus de chances de se faire arrêter qu’un blanc, spécialement si elle était au volant d’une belle voiture ou alors si elle se coiffait ou s’habillait différemment. Elle choisit d’éviter le sujet.

    —Ta protégée, elle avait des amis ? lui demanda-t-elle.

    —Pas des tonnes, je crois. Sa vie

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