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Les CLOCHES DE SAINT-HUBERT
Les CLOCHES DE SAINT-HUBERT
Les CLOCHES DE SAINT-HUBERT
Livre électronique396 pages4 heures

Les CLOCHES DE SAINT-HUBERT

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À propos de ce livre électronique

Saint-Hubert, juin 1900. Théophile Martin, veuf depuis l’automne précédent, annonce à ses quatre filles et à son garçon qu’il va se remarier. Avec la séduisante Artémise, cousine par alliance de sa défunte femme ! La nouvelle est loin de les réjouir, si bien qu’une petite mutinerie s’organise aussitôt dans la fratrie.

Les enfants doivent d’abord passer plusieurs jours à Saint-Mathias pour apprendre à mieux connaître leur future « mère », de même que son fils Honoré, avant la célébration de l’union. Cette tentative de la faire accepter et aimer échoue lamentablement.

De retour à Saint-Hubert, un mois plus tard, Artémise craque. Les Martin, grands et petits, se questionnent alors sur le chemin que doit emprunter leur famille. Les affres du deuil, les espoirs déçus et le ressentiment pourront-ils céder leur place au profit de l’ouverture et de la compassion ? Le clan ébranlé, inspiré par le chant des cloches de l’église, pourra-t-il vibrer enfin au son des volées joyeuses d’un bonheur retrouvé ?

Auteure de nombreux poèmes, nouvelles et romans, dont L’héritage des Dansereau, La Bolduc : Le violon de mon père et Les amants du Grand Dérangement, Marie Louise Monast nous offre ici une œuvre touchante teintée d’un délectable mélange d’esprit et de tendresse.
LangueFrançais
Date de sortie2 févr. 2022
ISBN9782897836146
Les CLOCHES DE SAINT-HUBERT
Auteur

Marie Louise Monast

J’occupe le sixième rang d’une famille de onze enfants. Artiste dans l’âme, je compose et chante depuis ma tendre enfance. C’est à l’âge de dix ans que s’éveille en moi le goût d’écrire, après qu’une religieuse a lu une de mes rédactions devant la classe en la qualifiant de « très originale ». Je suis aussi auteure de poèmes, de nouvelles et de romans. Ma plume sollicite les valeurs des sciences humaines. Je tire notamment mes inspirations de la vie et du coeur, si bien que j’affirme: «Si je n’ai rien à dire, ma plume se tait».

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    Aperçu du livre

    Les CLOCHES DE SAINT-HUBERT - Marie Louise Monast

    titre.jpg

    De la même auteure

    chez Les Éditeurs réunis

    L’héritage des Dansereau, 2018

    Les amants du Grand Dérangement, 2013

    La Bolduc : Le violon de mon père, 2012, 2018

    À la douce mémoire de mes parents,

    Marie-Paule et Jean-Paul…

    Ni l’or ni la grandeur ne nous rendent heureux.

    La Fontaine

    Note de l’auteure

    En l’an de grâce 1900, aucun superhéros ou superhéroïne n’habitait le village de Saint-Hubert. Oh ! bien sûr, des personnages importants ont laissé une marque indélébile sur le grand développement de la Rive-Sud de Montréal. D’ailleurs, plusieurs revivent dans cette œuvre.

    Tous les autres personnages sont issus de mon imagination et leur possible ressemblance avec des personnes existantes serait fortuite. De plus, ni la petite ferme de Théophile Joseph Martin ni le chemin perpendiculaire à la Montée Saint-Hubert n’auraient existé. Il est important de comprendre que j’ai créé ces lieux aux seules fins d’écrire cette histoire.

    De plus, toutes les citations des personnes notables dans ce présent ouvrage sont intégrales et respectent l’authenticité et la conformité orthographique et grammaticale de l’époque.

    1

    Ce n’était pas vraiment un rang, mais un chemin perpendiculaire à la Montée Saint-Hubert, construit par le patriarche Martin. D’ailleurs, les villageois surnommaient ce chemin « le rang Martin » parce qu’une seule demeure et ses bâtisses s’élevaient sur l’unique fermette du parcours.

    La chaumière, elle, était bâtie de madriers et de pierres des champs avec un toit en tôle. Une large cheminée s’élevait à l’extrémité nord du faîte et une plus petite à l’opposé. Soleil couchant, au-dessus de ce long balcon qui courait joyeusement sur toute la façade principale, trois belles lucarnes enjolivaient la devanture. Bien sûr, la cuisine d’été et ses deux caveaux, l’un pour la conservation des légumes en hiver et l’autre pour les blocs de glace sous le bran de scie en été, étaient aménagés côté nord. Soleil levant, la famille Martin cultivait un immense potager dans lequel une variété de plantes feuilles et de racines comblaient leur alimentation. Une bécosse était installée au fond de la cour arrière, à proximité du hangar. Il y avait aussi un puits et un abreuvoir un peu plus loin de la grange principale dans laquelle s’entassait une panoplie d’outils de toutes sortes. Dans une deuxième grange aux effluves de foin cohabitaient une vache et un cheval avec une demi-douzaine de chats. Puis, à quelques pas des bâtiments, un poulailler complétait le portrait de cette petite propriété agricole avec quelques pommiers ici et là.

    Tout avait été conçu et aménagé afin que le quotidien dans cette modeste maison au fond du rang s’avère fonctionnel, sans oublier un certain confort au fil des saisons.

    C’est Théophile qui, au début de la trentaine, avait hérité de la propriété familiale après le décès de son père, la maman étant morte depuis déjà plus de dix ans. Maintenant à l’aube de la quarantaine et veuf depuis peu, Théophile Joseph Martin veillait sur sa progéniture au meilleur de ses capacités. Son épouse, Marie-Simone, était décédée d’une pneumonie à l’automne 1899.

    2

    Le lundi 25 juin 1900

    Six heures sonnèrent à la grosse horloge au salon, donnant la réplique à l’Angélus, au loin. Théophile ne tarderait pas à rentrer après une longue journée de travail. Sa fille Marjolaine Emma ouvrit la porte de la cuisine d’été pour appeler son jeune frère Frédéric. Puisqu’il ne répondait pas à ses cris, l’aînée de la famille Martin ordonna à sa sœur Isabeau d’aller chercher le petit garnement, sans doute avec Charles-Joseph. Les deux filles connaissaient bien les recoins où les deux amis se cachaient pour larguer des petits pois sur tout ce qui bougeait sur le chemin de Chambly. Le magasin général de M. Robert, situé en face de la belle église de Saint-Hubert, logeait aussi le bureau de poste, la première centrale téléphonique ainsi qu’un hôtel pour les voyageurs fatigués, descendus du train. Tout ce va-et-vient permettait aux garçons de cibler des victimes de choix. Ils furent vite trahis par leurs rires. Isabeau sortit son frère de sa cachette en lui tirant l’oreille. Quant à Charles-Joseph, il déguerpit aussitôt en ricanant.

    — Aaaah ! Isa, tu me fais mal ! se plaignit-il.

    — J’espère que ça te fait mal, espèce de petit morveux ! C’est pas gentil, ce que tu fais là. Tu pouvais blesser quelqu’un.

    — Ben non ! Pas avec des boules de papier, se défendit Frédéric en tentant de fourrer sa petite fronde dans sa poche.

    Isabeau s’empara aussitôt de l’objet. Surpris, Frédéric tenta à son tour de le lui extirper, mais plus habile que son frère, elle le cacha prestement dans la poche de sa robe.

    — Hé ! C’est à moi, ça ! cria-t-il.

    — Pas question que je te le redonne. Du moins, pas ce soir. Tu rentres gentiment à la maison, tu te laves les mains et tu attends p’pa sans faire de chichi. C’est sa fête aujourd’hui et tout le monde doit faire sa part pour qu’il soit surpris et content.

    — J’ai tout fait ce que Marjo m’a demandé, moi, se justifia le gamin. Et ma fronde, elle ?

    — Je te promets de rien dire à Marjo et à p’pa et de te la redonner demain matin si toi, à ton tour, tu me promets d’être sage ce soir.

    — OK, Isa, je te promets, dit-il avec une moue qui fit s’esclaffer sa sœur.

    Isabeau enleva la casquette à son frère pour écheveler vigoureusement le dessus de sa tête, puis la lui replaça un peu de travers, ce qui donna un petit air coquin à l’enfant. Ils entrèrent dans la maison, complices.

    * * *

    Un peu plus tôt ce jour-là

    — Freddy, as-tu rentré la brassée de bois comme je t’ai demandé tout à l’heure ?

    — Ouais, ouais, grande sœur !

    — Et la chaudière de charbon ?

    — C’est fait aussi, Marjo ! Arrête de t’énerver pour rien !

    Marjolaine entra précipitamment dans la cuisine d’été pour s’assurer que Frédéric avait bien fait ses corvées. Satisfaite, elle lui permit de retourner jouer dehors jusqu’à ce que leur père arrive du chantier.

    À vrai dire, le village exigeait toujours des réparations de toutes sortes et Théophile était souvent appelé pour prêter main-forte. Certes, il cultivait son champ d’avoine, principalement pour nourrir ses animaux, mais le paternel à l’abondante chevelure châtain et au regard parme préférait travailler sur différents chantiers d’entretien routier ou ferroviaire, selon la demande. De plus, le maire du village, Émerie Brosseau, sollicitait souvent les services de cet homme à tout faire pour divers travaux de construction et de réparation de bâtisses. Théophile était reconnu et apprécié pour son talent manuel malgré sa personnalité quelque peu introvertie.

    Le garçon de sept ans sortit sa fronde artisanale de sa poche et décampa le plus vite possible avant qu’elle le retienne pour lui quémander un autre service.

    L’adolescente soupira bruyamment en hochant la tête, essuya ses mains par automatisme sur son tablier, puis alla vérifier si son souper était prêt. Sur le poêle, deux gros chaudrons remplis de pommes de terre, de carottes et de navets, vestiges du caveau à légumes, cuisaient à gros bouillons pendant qu’un rôti de porc occupait le fourneau. Un délicieux sourire ensoleilla son visage couronné de boucles dorées. L’aînée pensa à son père qui serait très heureux qu’on lui ait préparé un souper d’anniversaire et sans doute fort surpris de voir ce que ses enfants lui réservaient comme cadeau. Pour les grandes occasions, la famille Martin préférait monter une belle table dans la cuisine d’hiver puisqu’elle était plus vaste et jolie. De toute manière, il faisait trop chaud dans celle d’été, exiguë, avec le souper fumant sur le petit poêle à bois, mais qui parfumait à souhait la maisonnée.

    — Isabeau Alphonsine Martin, on met toujours les couteaux à la droite des assiettes et les fourchettes à la gauche, la réprimanda Marjolaine en entrant dans l’autre cuisine.

    — Oui, mère supérieure… gauche, droite, gauche, droite…

    — L’autre gauche, Isa, s’il vous plaît. Ah ! T’es vraiment un cas désespéré. Aucun jeune homme voudrait t’avoir comme épouse et certainement pas comme mère de ses enfants tellement tu es brouillonne !

    Isabeau haussa les épaules et répondit à la dernière remarque par un sourire grimaçant. Ce n’était pas la première fois que sa sœur Marjolaine lui reprochait son comportement « étourdi ». Depuis le décès de leur mère, l’aînée de quinze ans avait dû quitter les bancs d’école pour jouer le rôle de maman par intérim. Tenir une maison. Cela lui laissait peu de temps pour la rêverie et pour penser à tous les projets d’avenir enfouis dans son cœur. La fratrie trouvait que Marjolaine interprétait ce rôle avec un peu trop de sérieux. Elle était sans aucun doute la plus responsable, selon les dires de son père. Combien de fois les trois autres sœurs s’étaient-elles retournées en roulant les yeux après qu’on eut corrigé leurs petits travers ? Marianne Élise, cette belle âme de onze ans qui connaissait toutes ses prières par cœur et souhaitait ardemment prendre le voile un jour comme ses tantes Laurianne et Henriette, s’excusait aussitôt en se signant comme une bonne chrétienne. Quant à Marguerite Odile, la plus jeune des filles, elle roucoulait comme une poule. De plus, sa grande timidité colorait son minois de rose à la moindre occasion. Avec ses treize printemps, Isabeau était la plus flamboyante des quatre sœurs. Flamboyante, certes, mais aussi insouciante avec sa tenue vestimentaire négligée et sa longue tignasse trop souvent en bataille. Elle s’amusait à reprendre les paroles de Marjolaine en les chantant d’une voix aiguë. Puis, le seul garçon et le cadet de la « tribu » Martin, ce cher Frédéric François, lui offrait parfois des simagrées en guise de riposte et cherchait à défier l’autorité.

    La table bien mise, le gâteau à la vanille réussi selon la recette maternelle, le souper fin prêt, il ne manquait que la présence du protagoniste de la journée pour le fêter. Depuis plus d’un mois, les quatre demoiselles Martin s’étaient affairées à confectionner pour leur père une jolie chemise couleur taupe. À chacune avait été déléguée une tâche dans ce projet collectif. Dans un premier temps, la plus jeune des filles, Marguerite, avait été mandatée pour défaire toutes les coutures d’une vieille chemise, y compris de récupérer les boutons. Ceci avait servi de patron que Marjolaine avait épinglé sur le nouveau tissu. Au tour de Marianne, la plus minutieuse des sœurs, à découper les différentes pièces pour qu’Isabeau, de ses doigts de fausse fée, les assemble à sa manière.

    — Isa ! s’était exclamée Marjolaine en examinant le travail de sa sœur. Je suis découragée ! Y a-t-il quelque chose que tu sais faire sans gaffer ? Regarde-moi ça ! Tous tes points de couture sont irréguliers.

    — Voyons donc, Marjo ! s’était défendu Isabeau. Personne va voir ça ! P’pa va porter sa chemise à l’endroit et non à l’envers.

    — T’es pas possible ! avait conclu l’aînée en s’affairant à la création des boutonnières.

    La contribution de Frédéric avait été de trouver du papier d’emballage propre pour emballer la chemise. Et, de ses mains d’enfant, le garçon avait habilement ficelé le paquet.

    Maintenant, le cadeau trônait sur le comptoir de la cuisine d’hiver, à côté du gâteau de fête que Marjolaine avait cuisiné plus tôt dans la journée avec l’aide d’Isabeau.

    * * *

    Le bruit grinçant de la porte de la cuisine d’été annonça l’arrivée du paternel. Les cinq enfants Martin attendaient, fébriles, la réaction de surprise de leur père.

    — Ça sent bon ici ! complimenta Théophile qui se débarrassa de son attirail de travail avant d’entrer d’un pas lent dans l’autre cuisine pour se laver le visage et les mains à l’évier. Mais qu’est-ce que vous avez tous à ricaner comme ça ?

    En se retournant, Théophile s’arrêta, ému. Les yeux émeraude et azurés de ses enfants étaient rivés sur lui. Tous l’attendaient debout derrière leur place respective à la grande table.

    — Bonne fête, p’pa ! s’exclamèrent-ils tous en chœur.

    — Merci, dit-il avec émotion en s’assoyant à la tête de la tablée.

    Il y eut un silence qui se prolongeât pendant que les cinq joyeux regards de cette belle jeunesse continuaient de scruter le paternel muet et pensif.

    — Ça va, p’pa ? demanda Marjolaine, inquiète.

    — Oui, oui ! fit-il en contemplant affectueusement tour à tour chacun de ses enfants.

    Théophile hésita pendant un court moment, puis enchaîna d’une voix grave :

    — Avant de faire le bénédicité, j’ai une annonce à vous faire…

    L’homme toussota discrètement dans sa main fermée.

    — À vrai dire, j’ai une bonne et une mauvaise nouvelle, déclara-t-il, ses prunelles violettes pailletées d’or balayant tranquillement sa progéniture. Avec laquelle… je commence ?

    — Avec la mauvaise, suggéra spontanément Isabeau. Comme ça, la bonne pourrait nous faire oublier la mauvaise.

    — C’est quoi la mauvaise nouvelle ? s’enquit timidement Marguerite de sa petite voix.

    Théophile hocha lentement sa tête de gauche à droite.

    — C’est ma fête aujourd’hui et je réalise que je me fais vieux, laissa-t-il sarcastiquement tomber.

    Il y eut soudainement des cris de protestation qui firent inévitablement sourire le paternel. Il leva la main pour les calmer un peu.

    — Attendez ! J’avais pas fini de vous dire ma mauvaise nouvelle…

    Tous se turent, attentifs et inquiets à la fois. Qu’allait-il ajouter à sa dernière déclamation à saveur amusante pour qu’elle se convertisse en tristesse ?

    — C’est mon premier anniversaire de naissance sans votre chère maman…

    Silence.

    — Cela me chagrine, c’est vrai, continua-t-il, mais il faut surtout pas s’apitoyer ad vitam æternam sur son sort, mes chers enfants.

    Un autre silence.

    Théophile porta tour à tour une attention particulière sur ses quatre filles et son fils qui n’osaient plus bouger sur leur siège. Sa progéniture avait hâte de connaître la suite de son allocution. Il secoua la tête avec un sourire incertain tout en fermant momentanément les paupières.

    — C’est ici que je veux vous annoncer ma bonne nouvelle…

    Aussitôt, la trâlée aux yeux curieux fixa intensément le paternel qui se racla la gorge avant d’ânonner :

    — Je me remarie dans un mois… à la fin de juillet.

    Toutes les bouches de la fratrie Martin s’ouvrirent grand, très grand, dans un cri sourd.

    3

    Le soir venu, dans la chambre des filles, les quatre sœurs Martin échangeaient leurs états d’âme. Quelle surprise elles avaient eue en apprenant que le paternel voulait se remarier à la fin du mois de juillet avec la veuve Artémise, la belle-sœur par alliance de leur défunte mère ! Le brossage et le tressage de tignasse faisaient partie de la routine quotidienne. Ce rituel permettait à ces jolies demoiselles de régler leurs désaccords de la journée. Cependant, déçue que le souper ne se soit pas passé comme elle le désirait, Marjolaine demeurait silencieuse pendant qu’Isabeau lui brossait sa longue chevelure pour la natter par la suite.

    — P’pa aurait pu attendre après le souper pour nous annoncer sa supposée bonne nouvelle ! marmonna Isabeau en lissant une mèche rebelle sur la tête de l’aînée. J’ai tellement avalé le souper de travers. « Vous allez avoir une nouvelle maman, continua-t-elle d’une voix nasillarde. Et un nouveau petit frère aussi », termina-t-elle sur le même ton.

    Isabeau acheva vite de nouer les cheveux de Marjolaine et bondit hors du lit en s’exclamant :

    — Il sera jamais mon vrai frère. Il est un faux frère. Et jamais je vais appeler la belle-sœur de notre mère « m’man ». Pis, cette femme est seulement une tante de la fesse gauche. C’était Étienne, son mari, qui était le vrai parent, son p’tit frère à m’man. Mon oncle Étienne était tellement fin et drôle ! se souvint soudainement Isabeau.

    L’adolescente regarda ses sœurs pendant quelques secondes avant de plisser ses yeux et de cracher :

    — P’pa pourra m’enfermer dans ma chambre jusqu’à ma mort pour me punir parce que jamais cette Artémise remplacera notre m’man chérie.

    — Sommes-nous obligés de l’appeler « m’man » ? demanda Marguerite, inquiète.

    — Je pense que oui, Margot, répondit Marianne en lui tendant la brosse.

    Penaude, la petite commença à son tour à démêler les cheveux de Marianne. De grosses larmes ruisselaient sur ses joues roses. En constatant le chagrin de sa sœur, Marjolaine lui toucha le bras.

    — Pleure pas, Margot, dit-elle doucement. Peut-être qu’il y aura un compromis.

    Puis, Marjolaine fixa sévèrement Isabeau et la sermonna :

    — T’as pas à sortir tes grands airs théâtraux si dramatiques pour nous faire peur. Et Honoré sera pas un faux frère. Ça existe pas, un faux frère. Il est peut-être un cousin et je trouve ça chouette que Freddy aura enfin un frère. Lui aussi se sent sans doute vexé de cette décision.

    — Qui ça ? Freddy ou Honoré ? demanda Isabeau.

    — Je sais pas pour Honoré, mais sûrement que Freddy l’est, répliqua Marjolaine.

    Isabeau grinça des dents et se rassit sur le lit. C’était au tour de Marjolaine de brosser la chevelure brunâtre de sa sœur. D’un mouvement brusque et volontaire, l’aînée s’en donna à cœur joie pour démêler la crinière de celle-ci.

    — Aïe ! Vas-y doucement, tu m’fais mal, se plaignit Isabeau.

    Marjolaine ne répondit pas, mais se calma en soupirant. Elle cessa tout à coup ce qu’elle faisait pour s’adresser à ses sœurs :

    — Les filles, il va falloir que l’on trouve un terrain d’entente, sinon ça sera l’enfer ici. Il faudra aussi inclure Freddy dans notre démarche. Moi non plus, j’aime pas l’idée que p’pa se remarie.

    — Ça fait même pas un an que m’man est morte ! intervint Isabeau. Pauvre m’man, elle doit pleurer dans sa tombe.

    À ces mots, Marianne se signa aussitôt comme pour exorciser les démons dans la chambre.

    — Tu sais, Marjo, fit la fillette en se retournant vers sa grande sœur, la vraie bonne nouvelle, ce soir, c’est que tu pourras retourner à l’école en septembre.

    — Et tu pourras redevenir la Marjo ben fine que l’on connaît, ajouta Marguerite.

    — Et tu pourras aussi être complice de nos prochains mauvais coups, déclara Isabeau en se levant prestement pour faire face à ses sœurs. Tiens, tiens ! s’exclama-t-elle en captant illico l’attention de son auditoire. Si l’on se rendait demain sur la tombe de m’man pour trouver une solution, cela nous permettrait, j’en suis sûre, de savoir si la fausse tante Artémise est une bonne fée ou une méchante sorcière, termina-t-elle avec un rire d’ensorceleuse.

    Il y eut un bref moment d’accalmie avant que les quatre sœurs Martin s’esclaffent.

    — Dodo, les filles ! cria Théophile de sa chambre.

    Elles se regardèrent tout en étouffant leurs rires avec une main sur la bouche. Marjolaine éteignit la lampe à huile et la chambre sombra aussitôt dans le noir.

    Le lendemain matin, les sœurs convoqueraient Frédéric pour discuter du problème : accepter ou rejeter leur future « belle-mère ».

    4

    Les enfants Martin se levèrent en apprenant que leur père avait déjà quitté la maison. Peut-être craignait-il de faire encore face aux babounes de sa progéniture ? Sa fameuse « bonne nouvelle » avait mis de l’ombre sur les réjouissances au souper. À quoi s’était-il vraiment attendu ? Que ses enfants sautent de joie en criant « Youpi ! On va avoir une nouvelle mère ! » ? Théophile avait eu beau complimenter ses filles pour la confection de sa nouvelle chemise, il ne recevait en retour que de timides sourires et des « bienvenue, p’pa ».

    — P’pa a dû faire le train aux aurores puisque la cruche de lait est pleine, fit remarquer Marjolaine en ouvrant la porte de la glacière. Bon ! Nous irons tout à l’heure voir si les animaux ont été nourris et il faudra ramasser les œufs dans le poulailler aussi.

    Tous opinèrent du bonnet, en accord avec l’aînée. Puis, les quatre sœurs et le cadet mangèrent en silence leurs tartines beurrées de graisse de rôti. L’atmosphère était à couper au couteau tant le mécontentement grognait dans leur cœur à l’idée que leur père se marierait à la fin du mois de juillet.

    — Comment p’pa a pu oublier m’man aussi vite ? lança Isabeau sur un ton bougon.

    — Ouais ? la seconda Frédéric qui avait une préférence pour celle-ci parmi toutes ses sœurs.

    — Je sais pas, répondit Marjolaine. Je crois que c’est normal. La veuve Babin, au bout de la Montée, s’est bien mariée six mois après la mort de son mari !

    — Je m’en fous de la veuve Babin, moi ! rétorqua Isabeau. On parle de p’pa et de m’man, ici. Pauvre m’man, elle doit avoir beaucoup de peine et se retourner ben des fois dans sa tombe.

    Marianne, qui n’aimait pas que l’on parle des morts de la sorte, et encore moins de sa mère, se signa aussitôt, comme d’habitude. Quant à Marguerite, elle demeura silencieuse en attendant qu’on lui dise quoi faire.

    — Bon ! Et si Isa et moi faisions la vaisselle pendant que vous, les trois plus jeunes, alliez nourrir les animaux et ramasser les œufs, on pourrait aller se recueillir sur la tombe de m’man avant le dîner, proposa l’aînée.

    — Et faire un pacte, ajouta Isabeau.

    — C’est quoi, ça, un pacte ? demanda Marguerite de sa petite voix.

    — C’est une sorte d’entente, Margot, répondit Isabeau.

    — Comme quoi ? intervint Frédéric.

    — J’avais pensé que l’on devrait créer une sorte d’accord secret. Mais il faudrait que tout le monde soit fidèle à cette promesse.

    — Mais pourquoi, Isa ? Je comprends pas ce que tu veux dire, fit Marianne, craintive.

    — Il faut bien savoir de quel bois elle se chauffe, cette future « belle-mère ». Il est pas question qu’elle entre chez nous comme ça, commenta Isabeau.

    — Isa ! répliqua Marjolaine. Sache que p’pa te demandera jamais ton avis sur ce qu’il veut faire. C’est lui, l’autorité, dans la maison.

    — Peut-être ! répondit sa sœur, mais il peut pas m’obliger à l’aimer, cette Artémise. Et moi, je suis bien décidée à la mettre à l’épreuve. Je veux savoir si elle est une méchante sorcière ou pas.

    Marianne lâcha un petit cri d’effroi et se cacha aussitôt derrière sa sœur aînée.

    — Isa, pour l’amour du Ciel ! la réprimanda Marjolaine. Cesse de faire peur à ta sœur comme ça. Tu sais combien elle est sensible à tout ce qui touche le cœur et l’âme de…

    — D’accord ! répondit-elle, ne permettant pas à Marjolaine de terminer son baratin. Mais il était surtout question hier soir que l’on aille tous les cinq sur la tombe de m’man pour sceller un pacte.

    Isabeau fit un clin d’œil à son frère qui lui sourit timidement.

    — Je sais, Freddy, que t’aimes pas ça, les cimetières.

    — Charlot dit que les cimetières sont hantés, avisa-t-il ses sœurs.

    — Charlot dit n’importe quoi, répondit Isabeau pour le calmer.

    Frédéric haussa les épaules. Il n’était pas trop convaincu.

    Les corvées matinales terminées, les cinq enfants Martin prirent le chemin du lieu de repos éternel de leur maman. Mais qu’est-ce que son ami Charles-Joseph avait pu lui faire croire

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