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L'héritage des Dansereau
L'héritage des Dansereau
L'héritage des Dansereau
Livre électronique461 pages5 heures

L'héritage des Dansereau

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À propos de ce livre électronique

Quelques mois après le décès de son père, Marguerite Dansereau fait une découverte surprenante : dans une vieille valise, parmi des images saintes et des sachets de semences défraîchis, elle trouve une pile de lettres écrites par ses parents à l'époque de leurs fréquentations, puis des premiers printemps de leur mariage.

Le quotidien haut en couleur de la famille Dansereau fleurit tranquillement sous ses yeux, des années 1940 jusqu'à aujourd'hui, alors que les tribulations d'une fratrie composée de quatre filles et de deux garçons parfument ses souvenirs. De Pointe-aux-Trembles à Sorel, de Windsor, en Ontario, à la cité de Jacques-Cartier, le clan trace son chemin, se bâtissant une vie là où il dépose ses bagages, sous l'oeil aiguisé d'une grand-mère fouineuse.

Devant cette précieuse valise, Marguerite effeuille son passé et savoure la douce nostalgie de ces jours vécus un peu, beaucoup, passionnément…
LangueFrançais
Date de sortie5 sept. 2018
ISBN9782897831943
L'héritage des Dansereau
Auteur

Marie Louise Monast

J’occupe le sixième rang d’une famille de onze enfants. Artiste dans l’âme, je compose et chante depuis ma tendre enfance. C’est à l’âge de dix ans que s’éveille en moi le goût d’écrire, après qu’une religieuse a lu une de mes rédactions devant la classe en la qualifiant de « très originale ». Je suis aussi auteure de poèmes, de nouvelles et de romans. Ma plume sollicite les valeurs des sciences humaines. Je tire notamment mes inspirations de la vie et du coeur, si bien que j’affirme: «Si je n’ai rien à dire, ma plume se tait».

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    Aperçu du livre

    L'héritage des Dansereau - Marie Louise Monast

    titre.jpg

    De la même auteure chez Les Éditeurs réunis

    Les amants du Grand Dérangement, 2013

    La Bolduc : Le violon de mon père, 2012, 2018

    À mes trois sœurs adorées, Marie-Pierrette, Marie-Lucie et Octavie

    À la douce mémoire de Suzanne Rochon-Claypole,

    alias sœur Jacinta Maria (SNJM)

    15 juin 1936 - 18 novembre 2007

    Soyons en harmonie avec la vie.

    Osons danser avec elle. Osons l’aimer. 

    Francine Grimard

    NOTE DE L’AUTEURE

    Si vous lisez ces mots, c’est que vous êtes au bon endroit, au bon moment et que cette histoire vous interpelle…

    Imaginez-vous ouvrir une vieille valise ayant appartenu à vos parents pour y découvrir une correspondance datant des années de leurs fréquentations et de celles de leurs premiers déménagements au début de leur mariage…

    C’est exactement ce qui m’est arrivé. Et grâce aux lettres, particulièrement à celles de ma mère, j’ai eu l’idée d’écrire un beau roman d’époque basé sur un contexte historique réel. J’ai créé une famille fictive, mais ai voulu demeurer fidèle aux lieux, aux faits et aux divers événements mondiaux du moment ainsi qu’aux nombreuses anecdotes de ma famille. Outre les grandes personnalités publiques du monde politique, artistique, ainsi que du haut clergé, d’autres personnages ont réellement vécu, tels sœur Jérôme (SNJM), monsieur Renaud, le curé Léo Charon, Maurice Lacasse, Charlotte Mongenais, Mister Jensens, Helga Phillips, sœur Angèle Marguerite (SNJM), sœur Jacinta Maria (SNJM), Father Morris, Mister Vermette, madame Archambault, monsieur Joubert, le curé Laurent McGee, le curé Léopold Émond, monsieur Hébert.

    Tous les autres personnages sont issus de mon imagination et leur possible ressemblance avec des personnes existantes serait fortuite. Toutefois, les extraits de la correspondance de mes parents sont authentiques, à l’exception des noms qui s’y trouvent parce que je les ai changés.

    Ah ! la joie de faire plaisir en réalisant les rêves des autres par le truchement de l’écriture ! C’est précisément ce que ce roman incarne. J’ai demandé à mes trois sœurs le prénom qu’elles auraient voulu porter ainsi que le métier ou la vocation qu’elles auraient aimé exercer dans leur vie adulte. Je ne vous dévoilerai pas qui est qui ni qui fait quoi. C’est notre secret à nous quatre. Néanmoins, ce que je peux vous révéler, c’est que ce livre est un hommage à mes trois sœurs.

    Eh oui ! La vie de mes personnages ressemble drôlement à un tango où des pas longs se marient avec des pauses fréquentes, magnifiées par des rythmes animés et des contretemps passionnels. Je vous souhaite donc la bienvenue dans le monde des Dansereau, où le quotidien devient une piste de danse pour vos émotions…

    1

    QUELQUE PART SUR LA RIVE-SUD DE MONTRÉAL

    MAI 2014

    L’église était bondée de parents et d’amis provenant de partout. De la campagne et de la ville, ils étaient tous venus lui rendre un dernier hommage. Et malgré le triste événement, on se saluait et on s’embrassait sans retenue. L’atmosphère était tissée de murmures, de rires discrets. Si quelques-uns laissaient couler leurs larmes muettes, d’autres se mouchaient bruyamment. En sourdine, une paisible musique adoucissait le chagrin vif des endeuillés. L’attente était palpable, douloureuse.

    Alors résonnèrent les grandes orgues.

    Et les cœurs se gonflèrent à bloc d’émotion.

    On eut l’impression qu’un millier d’âmes se levèrent pour accueillir la procession composée du curé, des servants de messe et de l’humble cercueil de Roger Dansereau, un papa bien-aimé…

    2

    QUELQUES MOIS PLUS TARD

    Roger aurait eu quatre-vingt-neuf ans en ce 7 août 2014. De toute évidence, après le décès trop subit de sa femme Madeleine un peu plus de trois ans auparavant, il avait perdu peu à peu le goût de vivre et s’était laissé aller tout doucement pour s’éteindre paisiblement un beau matin ensoleillé de mai. Son seul désir était de rejoindre dans l’au-delà sa Madeleine adorée et son fils cadet Emmanuel.

    Depuis plusieurs semaines, alors que la planète tout entière avait les yeux rivés sur les nombreux conflits entre Israël et Gaza, Russie et Ukraine, ou encore sur les enlèvements de centaines de filles au Nigeria revendiqués par Boko Haram, ceux de Marguerite se plongeaient discrètement dans les souvenirs de sa famille. Elle était là, assise en tailleur au beau milieu des effets personnels de son défunt paternel. Andréa et Alexandre avaient déjà pris ce qu’ils désiraient. Mais Marguerite, elle, n’avait eu ni le courage ni le cœur de faire le tri afin de choisir ce qu’elle garderait et ce qu’elle céderait à ses jeunes sœurs, Élise et France. Connaissant les goûts particuliers de Marguerite, l’aînée avait aimablement étiqueté une vieille valise à son nom. « Margot, toi qui es l’artiste de la famille, tu sauras très bien t’inspirer de la paperasse de papa. On va te laisser ça… tout le monde est d’accord. Qui sait ? Peut-être qu’un jour tu écriras un livre, un livre à succès ! » lui avait-elle confié quelques semaines après les funérailles de Roger.

    Marguerite ouvrit finalement la vieille valise pour y découvrir des tas de choses éclectiques. Elle en sortit plusieurs images saintes, des cartes de visite de Roger et des enveloppes contenant des semences de tomates jaunes, d’autres enfermant des pétales de rose, un bout de papier sur lequel était griffonnée une recette inusitée de vin de patate, une surprenante petite enveloppe brune cachant un morceau de toile du fameux dirigeable R-100, des bulletins et diplômes scolaires, plusieurs documents historiques et coupures de journaux des années 1950 et des effets personnels du paternel. Puis, au fond, tout au fond de la valise, la sexagénaire découvrit une boîte métallique aux motifs fleuris. Délicatement, elle cueillit dans ses mains le trésor sentimental de ses parents. Ce qu’elle y entrevit en soulevant le couvercle l’émut jusqu’aux larmes. Il y avait des lettres du temps de leurs fréquentations et d’autres ficelées datant des années de leurs premiers déménagements.

    Tendrement remuée, Marguerite sortit de sa cache une pile de lettres adressées à Roger et écrites par sa mère à l’époque où la présence d’un chaperon était encore de mise par souci des convenances. Curieuse, elle chercha les missives adressées à Madeleine, mais n’en trouva aucune. Ce n’était certainement pas Andréa qui les avait puisqu’elle était une religieuse et avait fait vœu de pauvreté. Alexandre les avait sans doute gardées, ou grand-maman Chantelois avait peut-être fait le ménage dans les tiroirs de sa fille et jeté, entre autres, les lettres de son petit ami. Non. Pas grand-maman Chantelois. C’était plutôt la grand-mère Dansereau qui avait cette manie de faire le grand ménage partout, même dans les tiroirs de ses petits-enfants lors de ses séjours chez son fils Roger et sa bru Madeleine. Peu importait, maintenant ! Marguerite avait au moins les lettres destinées à son père chéri.

    — Cher papa, comment avez-vous réussi à conserver la correspondance de maman à l’insu de votre mère si fouineuse ? questionna-t-elle de vive voix son défunt paternel en hochant la tête.

    Tout en tirant soigneusement la ficelle, les gracieux doigts de l’artiste de la famille caressèrent légèrement le paquet d’enveloppes sur lesquelles la calligraphie de sa mère avait imprimé le nom et l’adresse de Roger Dansereau, son amoureux. Des timbres oblitérés de deux ou quatre sous et magnifiquement bien conservés firent foi du règne de George VI. Ces lettres étaient parfaitement classées par ordre chronologique, et ce détail fit sourire Marguerite en lui rappelant combien son père était méticuleux.

    Alors elle ouvrit le premier pli, qui datait du mardi 1er février 1944.

    À mon idéal rêvé…

    Avec un prélude aussi exalté, Marguerite s’attendait à lire de la poésie, des déclarations passionnelles, voire quelques propos érotiques… sous cape, mais non… rien que de la pluie et du beau temps. Ennuyant pour la lectrice d’aujourd’hui, néanmoins prudent pour ce jeune couple pudique des années 1940. Il n’y avait de romantique que de charmants énoncés d’introduction comme à mon petit gars adoré ou bonjour, petit ami. Et sur ce chapitre, la formule de courtoisie datant du vendredi 25 août 1944, était un bel exemple du genre !

    D’une petite amie qui ne t’aime pas, mais qui t’adore d’un amour éternel…

    Un amour qui s’était vraisemblablement scellé pour l’éternité au pied de l’autel, devant Dieu et les Hommes, un beau samedi ensoleillé du 7 septembre 1946.

    Marguerite sourit tout en écrasant une larme chaude et trop salée qui avait terminé sa course à la commissure de ses lèvres. D’interminables et bruyants soupirs ponctuaient le fil de ses pensées nostalgiques.

    — Ô papa ! Ô maman ! s’exclama-t-elle, émue. Ce que vous me manquez ! Y a trop de souvenirs qui se bousculent dans ma tête, maintenant. On dirait que le film de ma vie… de notre vie familiale se rembobine dans mon esprit…

    Cela prit un certain temps avant que ses doigts ne reficellent délicatement le petit paquet d’enveloppes jaunies, qu’elle déposa à côté de la jolie boîte métallique aux couleurs printanières avant de ressortir une autre pile de lettres. Celles-ci dataient des années 1950. À sa plus grande et heureuse surprise, il y avait aussi des missives de Roger. Elles témoignaient d’une première longue séparation d’un mois entre Pointe-aux-Trembles et Sorel. Marguerite découvrit dans ces lettres que son paternel avait trouvé un emploi à la Sorel Industries Limited, où il gagnait un salaire net de cinquante-cinq dollars par semaine. À l’époque, sa sœur Andréa avait trois ans et sa mère était enceinte d’Alexandre.

    Pendant que Roger cherchait désespérément un logis à Sorel sitôt sa journée de travail terminée, Madeleine prenait son mal en patience tout en pensant à son mari et en lui écrivant tous les jours ou presque. Eh oui, leurs échanges ne ressemblaient guère à ceux du temps de leurs fréquentations ! Ils dégageaient une incroyable tendresse conjugale. Pour Madeleine et Roger, la certitude que la sainte Providence exaucerait leurs prières et les aiderait à trouver rapidement un logement s’égrainait comme un chapelet dans chacun de leurs messages. Bien sûr, la religion était omniprésente dans tous les dires et faires du jeune couple Dansereau. Néanmoins, la foi catholique qu’il avait transmise à sa progéniture s’était graduellement convertie en une belle philosophie de vie après le concile Vatican II, au début des années 1960. La plupart des enfants n’avaient plus vu comme nécessaire la perpétuation des rites religieux au gré des ans.

    Attendrie par la simplicité toute franche des mots écrits à la mine, Marguerite lut les billets affectueux et respectueux que s’étaient échangés ses parents. Ils relataient le quotidien comme de jolies et inoubliables perles que les deux amoureux auraient enfilées au fil du temps et qui les auraient liés malgré la distance. Puis, tout à coup, le 29 novembre, la calligraphie de Roger prit une nouvelle couleur.

    … comme tu le vois, je me suis acheté une plume à bille à 29 sous.

    La sexagénaire se mordit les lèvres en imaginant Madeleine sourire à la lecture de ces lignes. Son papa possédait ce talent inouï de surprendre les gens au moment où ils s’y attendaient le moins. Dans la famille, on le prenait pour un magicien du bonheur.

    Puis, à son grand plaisir, Marguerite découvrit dans une autre lettre de son père les histoires des origines des sobriquets inusités de Sorel.

    — Ô papa ! C’est génial ! commenta-t-elle joyeusement. C’est votre petit-fils Félix qui va adorer ça. Lui qui aime tellement les légendes urbaines. Je dois lui montrer cette lettre. Ouais ! Les « Mangeux d’orteils du p’tit Jésus de cire » et, de l’autre côté du pont, les « Tire-bouchons de Sorel » !

    Marguerite éclata d’un petit rire tout en hochant la tête. Elle se foutait royalement de parler toute seule. Non, elle était convaincue qu’elle dialoguait avec ses parents défunts, et cela lui faisait un grand bien à l’âme.

    Alors qu’elle reficelait cette touchante correspondance, Marguerite réalisa que sa famille avait vécu six ans dans ce patelin sorelois, où trois membres avaient vu le jour : son grand frère Alexandre, elle-même et sa petite sœur Élise. Mais le périple familial ne s’était point arrêté à Sorel. En 1956, la famille avait déménagé à nouveau. Cette fois-ci, à Windsor, en Ontario.

    D’aventure en aventure ? Non. Pour Madeleine, cela se résumait sans aucun doute à une autre saga immortalisée dans les deux douzaines de lettres écrites à la mine par la reine du foyer et adressées au pourvoyeur de la famille qui logeait à l’hôtel Howard, à Windsor, en Ontario. Marguerite se souvint tout à coup de quelques scènes de son enfance où sa maman reprochait à Roger de déménager trop souvent à son goût. Madeleine n’avait trouvé ce nouvel épisode de vie guère reposant, d’autant plus qu’elle était encore enceinte pour se conformer aux exigences de l’Église catholique de la province de Québec, comme en témoignaient ses nombreuses missives.

    Aucun pli de Roger. Néanmoins, Marguerite pouvait facilement imaginer les répliques paternelles. Du 4 mars au 22 avril, Madeleine avait écrit en détail sa routine journalière. À travers ses mots, Marguerite devinait combien son mari lui manquait. Entre Sorel et Windsor, la distance était suffisamment grande pour que l’insécurité gagne cette mère enceinte de France. De plus, Madeleine veillait au bien-être de quatre enfants et avait à elle seule la responsabilité des finances domestiques. Fidèle au diktat de la religion catholique, la petite famille récitait quotidiennement le chapelet. Après ce rituel, l’épouse couchait les enfants avant de reprendre, épuisée, son crayon de plomb pour se confier à son petit mari.

    Cher petit mari,

    En attendant une lettre de toi, je prends de l’avance pour pouvoir te raconter ce qui s’est passé ici en fin de semaine…

    J’ai regardé toute la veillée la télévision. Ce soir à la place du télé-théâtre, il nous fait voir un film (Maître après Dieu). C’était regardable. Tout le temps de la représentation, je m’imaginais que tu étais là tout au côté de moi comme à l’habitude. Je m’ennuie beaucoup. Je ne te l’écrirai jamais assez. J’ai hâte de reprendre la vie en commun ; c’est tellement plus agréable même quand tu ne souris pas.

    En déterrant cette confidence remplie de sentiments confondus, Marguerite sentit son cœur se serrer un peu plus. Quelques larmes mouillèrent ses joues. Il y avait dans la correspondance de sa mère cette candeur, cette fragilité dans les mots malgré sa majestueuse force à garder le cap avec sa marmaille accrochée à ses jupes. Elle raconta que ses enfants étaient journaliers, c’est-à-dire qu’une journée, elle n’avait rien à leur reprocher et le jour suivant, elle pouvait avoir envie de les étriper. De la joie à l’inquiétude, de l’ennui à l’espoir, ses émotions dansaient un langoureux tango au gré des jours. Marguerite eut soudainement l’impression de lire le journal intime de sa mère, dans lequel ses états d’âme parfumaient sa calligraphie.

    Madeleine avait écrit que les sous entraient au compte-gouttes et qu’elle espérait toujours qu’une petite manne de cinq cents dollars lui tomberait du ciel afin d’acquitter à gauche et à droite les factures et les dépenses courantes. Marguerite comprit que sa maman était fatiguée, voire dépassée par les événements, et qu’elle jouait le double rôle parental au foyer pendant que son papa, en Ontario, travaillait le jour chez Ford et cherchait activement un logement convenable le soir.

    En 1956, le dimanche de Pâques était tombé le 1er avril et Roger avait profité de ce long congé pour revenir à Sorel. Selon une des lettres de Madeleine, les enfants étaient fous de joie de revoir leur père. Toutefois, la lettre suivante, datée du 6 avril, marquait le retour de la déprime. Après le départ de son mari pour l’Ontario, plus rien n’avait paru simple à cette mère surmenée. Marguerite fut interloquée lorsque ses yeux se posèrent sur un passage en particulier.

    Andréa a commencé l’école mercredi après Pâques. Voici le résultat de son bulletin : 76 % et 34e et dernier rang. Elle a gagné 6 points, mais pas de rang. Je t’assure comme succès, ce n’est pas fameux.

    — Vraiment ? 76 %, c’est dans la moyenne ! Mais voyons donc, maman ! s’écria Marguerite en brandissant la lettre vers le ciel. C’est seulement le 34e et dernier rang de classe de votre fille aînée que vous avez remarqué. Vous avez alors imaginé l’échec incontestable ! Pauvre Andréa ! Elle a dû se sentir dévalorisée.

    Néanmoins, Madeleine avait rapidement relégué cette déception personnelle au second plan en apprenant le jour suivant que Roger avait trouvé un logement.

    Aujourd’hui, j’ai envoyé Andréa au presbytère avec 5 dollars pour une grande messe à l’intention d’une âme du purgatoire la plus délaissée et que c’était offert par une paroissienne au lieu de me nommer [sic]. J’aime mieux avoir payé une messe et me priver sur autre chose. Roger, les enfants sont fous de joie à l’idée de déménager. Il vente très fort à Sorel ce soir. Je crois que c’est le vent de Windsor.

    Roger avait dû se plaindre, et pas à peu près, pour que Madeleine réplique ainsi à sa lettre le 10 avril.

    Si tu crois que c’est triste pour toi de faire le veuf sans enfants, pour moi, c’est pénible de faire la veuve avec quatre enfants en plus d’être en grossesse.

    Pour être bien sûre de demeurer longtemps à Windsor, je crois que la première grosse dépense que je ferai sera d’acheter un terrain au cimetière, comme ça, je ferai comme ton char Météor, je serai sûre de rester là-bas.

    — Chère maman ! Ce que vous étiez courageuse à l’époque ! murmura Marguerite en essuyant ses joues ruisselantes.

    Néanmoins, dans sa dernière lettre, Madeleine se réjouissait d’apprendre que le déménagement était maintenant une certitude. Elle avait donc conseillé à Roger de mentir sur l’âge d’Andréa pour économiser dix dollars sur le tarif pour un compartiment dans le train.

    Elle ne paraît pas plus que 6 ans et tous les autres ont été avertis de ne pas parler pour me trahir.

    Eh oui ! Les meubles étaient partis dans un gros camion quelques jours avant le départ en train des Dansereau. Bien sûr, les enfants étaient tous dispersés un peu partout chez la parenté en attendant le grand jour.

    Marguerite ne se souvenait pas si c’était à la fin d’avril ou au début de mai qu’ils avaient pris le train à vingt-trois heures à la gare Windsor de Montréal. Qu’importait ! Madeleine et les enfants étaient arrivés à Windsor, en Ontario, le lendemain après-midi vers les quatorze heures trente, après avoir fait une correspondance dans la matinée à la gare Union de Toronto.

    Avec une suave nostalgie dans l’âme, Marguerite glissa cette ultime missive dans son enveloppe et reficela délicatement la précieuse correspondance avant de la cacher dans la boîte métallique aux motifs fleuris. Les confidences de ses parents y demeureraient à l’abri.

    Du plus loin que Marguerite puisse remonter dans le temps, le souvenir de cet interminable voyage entre Montréal et Windsor lui revint tout à coup à l’esprit. À vrai dire, il avait été indéniablement interminable pour sa mère qui était enceinte de son cinquième rejeton. Marguerite réalisa tout à coup combien sa maman avait dû avoir hâte d’arriver à destination, où son mari vivait depuis presque deux mois ! Pour les enfants, ce long trajet s’était plutôt avéré une aventure remplie de surprises et d’agrément. La sexagénaire était à peine âgée de trois ans à l’époque, mais des fragments de scènes de ce déménagement titillaient encore les nervures de sa mémoire…

    3

    WINDSOR, ONTARIO

    1956

    — Regardez, les enfants ! On est arrivés à la gare Windsor. C’est ici que vous allez prendre le train pour la première fois.

    Tante Vivianne, la marraine de Marguerite, se retourna promptement pour étudier la réaction de son neveu et de sa nièce assis sur la banquette arrière de la grosse voiture de son mari, Charles. Bien collé contre sa sœur, Alexandre étira le cou pour regarder dehors. Que pouvait-il réellement distinguer dans cette noirceur où la pluie embrouillait sa vision ? Même les lumières provenant des réverbères, des commerces et des phares des véhicules barbouillaient les vitres mouillées. Il haussa les épaules, fit la moue et se cala dans la banquette tout en serrant la main de Marguerite pour se faire rassurant. Il était son grand frère protecteur.

    Sur le quai de départ, Madeleine tenait la main d’Andréa et d’Élise. Elle soupira de soulagement en voyant arriver ses deux autres enfants. Outre Vivianne et Charles, les grands-parents Chantelois, l’unique sœur de Roger, Pierrette, et son mari Bertrand s’étaient déplacés pour voir partir la petite famille Dansereau vers des contrées lointaines. Étant donné ce départ tardif, le reste de la parentèle avait appelé Madeleine la veille ou le jour même pour lui souhaiter bon voyage et bon courage.

    — Pourquoi ils pleurent comme ça ? demanda Marguerite à son frère qui ne lâchait pas sa main.

    Bien sûr, la fillette faisait référence aux grandes personnes.

    — Parce qu’on va prendre le train, lui répondit-il candidement.

    — Hein ! Mais c’est pas triste, ça ! On va s’amuser ! Tchou-tchou ! fit-elle en balançant son bras libre.

    — Margot ! Calme-toi ! l’avertit sa mère tout en essuyant ses joues trempées d’émotions confondues. Bon, les enfants, embrassez vos grands-parents et vos oncles et tantes. On nous fait signe d’embarquer. Au revoir, tout le monde !

    Après avoir placé en bandoulière le plus gros sac, Madeleine empoigna nerveusement la main de Marguerite et celle d’Élise, puis ordonna à Andréa et à Alexandre de transporter les autres bagages à main. À la queue leu leu, les deux plus vieux suivirent leur mère qui marchait d’un pas décidé vers la voiture-lit qu’on leur avait assignée et dans laquelle leur compartiment fermé était muni de quatre couchettes et d’eau courante. Madeleine attendit que le train soit en marche avant de mettre au lit ses enfants. Comme une berceuse, le roulis du convoi les plongea dans un profond sommeil pendant qu’ils s’engouffraient vers l’ouest dans l’encre de la nuit.

    Une quinzaine d’heures plus tard, une fois la correspondance à la gare Union de Toronto derrière elle, un magnifique soleil réconfortant accueillit la petite famille à destination, où un Roger fébrile l’attendait.

    — Tu vas voir, Mado, ici à Windsor, l’été dure six mois et l’hiver est doux ! s’exclama-t-il en étreignant sa femme sur son cœur.

    Épuisée, mais soulagée, Madeleine fondit en larmes dans les bras de son mari. Puis, chaque enfant reçut quelques secondes de chaleur paternelle dans une accolade précipitée. Les nez se plissaient dès que la moustache du papa chatouillait les petites joues.

    — Bon ! s’écria Roger avec un trémolo dans la voix. Y a pas de malles ou d’autres valises, puisque tout est arrivé hier dans notre nouvelle maison. Allez, allez, restons pas plantés ici à prendre racine, sinon on va nous prendre pour des arbres exotiques.

    — Ça veut dire quoi « exotique », papa ? demanda Alexandre.

    Roger pouffa avant d’ébouriffer la tête de son fils en lui répondant :

    — Ça veut dire « qui vient d’ailleurs, qui est étranger »… un peu comme nous, mon fils.

    En se dirigeant vers la grosse Meteor marine, Roger ne cessa de vanter la vie ontarienne dans ce comté d’Essex, au sein de cette communauté canadienne-française établie à Windsor depuis belle lurette.

    — Vous allez voir, les enfants, je suis sûr que vous allez aimer ça, ici, tenta-t-il de les rassurer alors que tous prenaient prestement place dans la voiture.

    Personne ne répondit. Curieux et fébriles à la fois, les jeunes voyageurs quelque peu fatigués se sentirent tout à coup parachutés sur une autre planète où les gens ne parlaient pas leur langue.

    — Ah oui, Andréa, tu vas marcher un bon mille et demi pour aller à l’école. J’ai rencontré la principale des classes francophones, la supérieure, sœur Jérôme quelque chose. Bon ! J’ai oublié son nom ; toutefois, elle a hâte de faire ta connaissance de même que ta nouvelle maîtresse, sœur Jeanne-Michelle.

    — Quoi ? Y a une école française ici ? s’exclama soudainement Andréa.

    — À vrai dire, répondit le papa tout en démarrant le moteur, c’est une école anglophone, mais la communauté religieuse des Sœurs des Saints Noms de Jésus et de Marie a loué deux classes pour accueillir les enfants des familles canadiennes-françaises.

    Pendant que Roger palabrait en conduisant vers la nouvelle demeure familiale, son auditoire écoutait distraitement, les yeux grands ouverts et la tête tournée vers ce territoire inconnu qui défilait. Seule Madeleine sommeillait, épuisée par le long voyage.

    — On est arrivés ! s’exclama joyeusement Roger, qui fit sursauter sa femme.

    Un silence de mort suivit aussitôt celui du moteur, après s’être tu en toussotant. Bouche bée, les quatre enfants Dansereau fixaient cette grande maison blanche de plain-pied flanquée sur un coin de rue. Un arbre géant se tenait tout près, droit comme une sentinelle.

    — Voyons donc ! reprit le paternel d’une voix qui se voulait rassurante. On descend et on va faire le tour pour découvrir notre nouvelle demeure.

    — Est-ce que les voisins parlent français ? demanda Madeleine, sortant soudainement de son mutisme.

    — Je l’ignore, répondit Roger, mais le propriétaire de la maison est un Canadien français. Il s’appelle M. Renaud et il est ben de service.

    Toutes les portes de la Meteor s’ouvrirent d’un seul coup, permettant à ses occupants de sortir rapidement du véhicule. Seule Madeleine, enceinte et fatiguée, se mouvait précautionneusement pendant que les enfants s’élançaient dans la cour non clôturée pour y découvrir leur nouveau terrain de jeux.

    Au cœur de cette cour mal gazonnée, deux gros poteaux en forme de T déployaient quatre cordes à linge. Tout à coup, les yeux des jeunes s’écarquillèrent à la vue d’un module qui trônait à côté du grand pêcher, au fond d’un espace sablonneux. Alexandre agrippa aussitôt Marguerite par la main pour l’entraîner vers les balançoires. Une fois que sa sœur préférée fut bien installée sur un des deux sièges, le grand frère prit place sur l’autre pour lui expliquer la technique pour se balancer. Et pendant que Marguerite essayait tant bien que mal de pousser ses minuscules jambes vers l’avant, puis vers l’arrière, Andréa supervisait Élise, qui préférait la petite glissoire rouge.

    — Pousse, Margot, tire, Margot, pousse, Margot, tire, Margot, l’encourageait le grand frère avec sa voix aiguë.

    — Pas capable ! Trop dur ! se plaignit-elle entre deux souffles.

    — Ben oui, p’tite sœur, tu vas y arriver. Bon, je vais t’aider en te donnant une bonne poussée, mais après, tu dois faire ce que je t’ai dit.

    — OK !

    Marguerite commençait à peine à bouger convenablement son corps lorsque Roger ouvrit la porte arrière pour inviter ses enfants à entrer dans la maison. Eh oui ! Chacun émit quelques soupirs de protestation, sauf Andréa, qui prenait son rôle d’aînée au sérieux.

    — C’est vraiment grand, ici ! s’exclama Alexandre en aidant sa sœur à descendre prudemment de la balançoire.

    Du haut de ses trois ans (ou presque), Marguerite trouvait aussi cette nouvelle demeure immense vue de l’extérieur. Tous entrèrent donc par cette porte secondaire qui s’ouvrait sur un grand portique où l’escalier de droite en béton menait dans le sous-sol et celui de gauche en bois peint d’un bleu usé montait à l’étage tout vitré. Tout en grimpant les marches, les quatre enfants regardaient autour sans dire un mot. Roger, considéré comme le joyeux verbomoteur de la famille Dansereau, étudia sa progéniture avant de continuer à discourir.

    — C’est une véranda, expliqua-t-il. Y a aussi une autre véranda en avant. M. Renaud, notre propriétaire, dit que c’est un sunroom.

    — Hein ! Un son rhume ? questionna Alexandre. C’est quoi ça ?

    — Pas rhume, mais roooum, tenta de mieux le prononcer Roger. Bon ! C’est la pièce soleil en bon français, parce qu’elle a des fenêtres tout autour.

    Le paternel ouvrit la porte donnant sur la cuisine, un doigt sur ses lèvres.

    — Maman se repose, maintenant. Faites pas trop de bruit, les enfants.

    Tout en gloussant, c’est à pas de loup qu’ils pénétrèrent dans la grande cuisine aux murs jaune soleil et aux comptoirs rouge pompier. Le prélart beige avait de gros motifs carrelés et fleuris. Élise se mit aussitôt à sautiller comme si elle jouait à la marelle. Marguerite voulut en faire autant lorsque l’aînée, Andréa, agrippa son bras pour calmer le jeu. Roger quitta en douce la cuisine, sans doute pour aller rejoindre Madeleine, pendant que les quatre enfants continuaient d’explorer leur nouvel environnement. Devant l’immense fenêtre trônaient la table et ses chaises. Sur le mur opposé se trouvaient deux portes : la première s’ouvrait sur la salle de bains peinte en rose bonbon, tandis que derrière l’autre, près de la cuisinière, se trouvait une première chambre carrée avec un rideau en guise de porte pour une garde-robe. Alexandre éclata de rire lorsqu’il remarqua le plancher du placard. Les dessins sur le prélart brisé à plusieurs endroits racontaient l’histoire de deux enfants qui roulaient en bas d’une colline avec des seaux d’eau. Après avoir traversé à nouveau la cuisine pour se diriger au cœur de la maison, ils découvrirent le salon couleur rouge chinois avec ses trois fenêtres habillées de stores vénitiens blancs. À droite, un corridor exigu où deux autres ouvertures sans porte piquèrent leur curiosité. Aussi, ils remarquèrent, niché à gauche, un placard muni d’une porte-accordéon. À droite encore, une autre chambre avec une garde-robe revêtue d’un rideau. Puis, au bout du passage, une pièce très étroite avec de nombreuses fenêtres qui donnaient sur la cour arrière.

    — Ça doit être ça le « son rhume », dit tout bas Alexandre.

    — Non, répondit Andréa. J’ai entrevu de l’autre côté du salon la fameuse « pièce soleil » que papa a mentionnée.

    — Ah oui ? fit-il en se précipitant vers le salon.

    Retournant vite sur leurs pas, ils virent effectivement l’autre ouverture, qui les mena vers un grand espace. Un autre placard avec une porte-accordéon semblable à l’autre faisait face à cet endroit où le soleil était omniprésent. À peine les quatre enfants eurent-ils franchi le dernier seuil que le paternel les appela.

    — Coucou, les enfants ! Venez nous voir.

    Les parents étaient assis confortablement sur leur grand lit. Souriante, la maman paraissait un peu plus

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