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La FOLIE DES GRANDEURS
La FOLIE DES GRANDEURS
La FOLIE DES GRANDEURS
Livre électronique423 pages6 heures

La FOLIE DES GRANDEURS

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À propos de ce livre électronique

Montréal, 1972. Après dix-huit ans de vie commune, Charles et Diane Maltais forment toujours un couple amoureux. Entourés de leurs quatre enfants et bien installés dans leur coquette résidence du quartier Hochelaga-Maisonneuve, ils projettent une image d’harmonie et de réussite.

Mais leur quotidien est loin d’être parfait. Charles, employé à la Ville, traverse une période de turbulences alors que le maire annonce la tenue prochaine des Jeux olympiques. Sa femme prend le tout avec un grain de sel, craignant davantage les visites de sa désagréable belle-sœur que les humeurs changeantes de son époux. Et il y a Marc, l’aîné, qui s’est taillé une réputation de tombeur depuis qu’il fréquente le cégep. Intriguées par la soudaine métamorphose de leur frère, les presque jumelles Martine et Julie se penchent sur son cas. Quant à FX, le petit dernier souvent laissé à lui-même, il trouve réconfort auprès de sa grand-mère adorée.

Derrière leur haie de cèdres démesurée, les Maltais seront-ils happés par cette folie des grandeurs qui englobe la métropole et enivre les cœurs agités ?

Auteure émérite, Rosette Laberge a publié notamment la célèbre série Souvenirs de la banlieue, écoulée à plus de 100 000 exemplaires. Elle peint cette fois, de sa plume délicieuse, le portrait d’une famille colorée dont le bonheur, bien réel, demeure en continuelle construction.
LangueFrançais
Date de sortie5 mai 2021
ISBN9782897833947
La FOLIE DES GRANDEURS
Auteur

Rosette Laberge

Auteure à succès, Rosette Laberge sait comment réaliser les rêves, même les plus exigeants. Elle le sait parce qu’elle n’a jamais hésité à sauter dans le vide malgré les risques, les doutes, les incertitudes qui ne manquaient pas de frapper à sa porte et qui continuent à se manifester au quotidien. Ajoutons à cela qu’elle a dû se battre férocement pour vivre sa vie et non celle que son père avait tracée pour elle. Détentrice d’un BAC en communication et d’une maîtrise en gestion, Rosette Laberge possède une expérience professionnelle riche et diversifiée pour tout ce qui a trait à la réalisation des rêves et des projets.

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    Aperçu du livre

    La FOLIE DES GRANDEURS - Rosette Laberge

    Titre.jpg

    De la même auteure

    chez Les Éditeurs réunis

    Un bonheur à bâtir

    1. La folie des grandeurs, 2021

    2. À paraître

    3. À paraître

    Rue Principale

    1. Été 1966, 2019

    2. Hiver 1967, 2019

    3. Printemps 1968, 2020

    Souvenirs d’autrefois

    1. 1916, 2015

    2. 1918, 2016

    3. 1920, 2016

    La nouvelle vie de Mado Côté, retraitée, 2015

    Un voisinage comme les autres

    1. Un printemps ardent, 2014

    2. Un été décadent, 2014

    3. Un automne sucré-salé, 2014

    4. Un hiver fiévreux, 2014

    Souvenirs de la banlieue

    1. Sylvie, 2012

    2. Michel, 2012

    3. Sonia, 2012

    4. Junior, 2013

    5. Tante Irma, 2013

    6. Les jumeaux, 2013

    La noble sur l’île déserte, 2011, 2017

    Maria Chapdelaine : Après la résignation, 2011, 2020

    Le roman de Madeleine de Verchères

    1. La passion de Magdelon, 2009

    2. Sur le chemin de la justice, 2010

    3. Les héritiers de Verchères, 2012

    1

    Montréal, 1972

    Le soleil dort à poings fermés depuis un bon moment déjà lorsque Diane rentre enfin chez elle. Épuisée par la drôle de journée qu’elle vient de passer, elle lance son imperméable sur le seul crochet disponible à l’entrée au lieu de l’accrocher et file à la cuisine d’un pas pesant. Disons qu’elle a connu des jours meilleurs. Elle travaille au Musée des beaux-arts de Montréal depuis bientôt vingt ans et elle a eu droit au même traitement que les nouveaux employés, ce qui la trouble beaucoup plus qu’elle le voudrait. À vrai dire, elle bout à l’intérieur. Trois voleurs armés de mitraillettes et de fusils se sont introduits dans le musée par un puits de lumière la nuit dernière pour en ressortir peu de temps après avec dix-huit tableaux de grands maîtres et trente-neuf objets précieux.

    — Approche que je te serre dans mes bras, propose gentiment Charles, apparu comme par magie à ses côtés.

    C’est d’une perte de mémoire totale de sa journée qu’elle aurait besoin, pas d’un câlin de son mari. Elle lève les yeux au ciel et soupire en s’approchant. Loin de s’en offenser – elle réagit toujours ainsi lorsqu’elle est contrariée –, Charles l’attire à lui et l’embrasse doucement sur le front, ce qui a pour effet de décupler instantanément sa colère. Diane aime à peu près tout de cet homme, sauf ce geste qu’elle n’a jamais pu supporter. D’ailleurs, elle se demande bien pourquoi il s’entête encore à le poser vu l’état dans lequel elle bascule chaque fois. Ça la heurte tellement qu’il la brûlerait avec des charbons ardents qu’elle ne réagirait pas plus. Elle s’éloigne de lui et expire aussi fort qu’elle peut avant d’aller se planter devant le réfrigérateur. Il faut qu’elle se mette quelque chose sous la dent, elle n’a pratiquement rien avalé de la journée. C’est ça ou elle va se mettre à hurler.

    — Je t’ai gardé de peine et de misère un morceau de pain de viande, annonce fièrement Charles sans se préoccuper de son humeur. Va t’asseoir et raconte-moi tout pendant que je te sers.

    Nul besoin d’être devin pour imaginer la journée qu’elle a passée. Les médias ne parlent que de ça. Comme l’a souligné le commentateur de l’émission Actualités 24, il ne s’agit pas d’un vol ordinaire. À elle seule, la valeur des tableaux dérobés est estimée à deux millions de dollars et, n’eût été le déclenchement de l’alarme, c’est dix-huit autres tableaux qui auraient quitté le musée par la porte arrière.

    Diane prend place à la table sans se faire prier. Elle ferme ensuite les yeux et puise au plus profond d’elle-même dans l’espoir de retrouver son calme, ce qui tarde à se produire. Le Rembrandt, le Brueghel l’Ancien, le Corot, le Courbet, le Rubens qui ont quitté le musée en même temps que les cambrioleurs défilent à la queue leu leu dans sa tête depuis qu’elle est entrée au travail ce matin. Elle connaît chacune de ces œuvres dans ses moindres détails et la seule pensée de ne plus pouvoir les admirer la démolit. Elle a bien sûr ses tableaux préférés, mais jamais un seul ne lui a déplu au point qu’elle se refuse à poser les yeux dessus.

    Elle inspire à fond, secoue la tête et regarde Charles dans l’espoir de trouver le courage de parler. Il dépose une assiette fumante devant elle et lui sourit.

    — Je t’écoute.

    Diane se laisse tenter par l’odeur de la sauce tomate et pique sa fourchette dans la tranche de pain de viande dissimulée dessous. Elle en détache un morceau, le porte à sa bouche et l’avale pratiquement tout rond. Elle en prend un autre et un autre. Plus elle est perturbée, plus elle mange. Ce n’est qu’au dernier qu’elle réalise qu’elle n’a pas touché à ses patates pilées ni à ses petits pois, somme toute pas très inspirants par leur couleur encore plus délavée qu’au moment où ils ont été libérés de leur boîte de conserve. Les enfants seraient là qu’elle les mangerait pour donner l’exemple : depuis leur naissance qu’elle leur chante de manger leurs légumes. Vu leur absence, elle dépose sa fourchette et se recule un peu sur sa chaise.

    — Très bon, ton pain de viande, lance-t-elle.

    — Je transmettrai le compliment à qui de droit.

    L’honnêteté de son mari lui tire un sourire. Il fallait vraiment qu’elle ait l’esprit ailleurs pour le complimenter sur le souper alors que ses talents de cuisinier se limitent à faire réchauffer un reste, et encore. En vérité, c’est dans la composition du numéro de téléphone de sa mère que Charles excelle lorsqu’il est obligé de préparer à manger, comme c’était le cas ce soir.

    — J’y compte bien, ajoute-t-elle.

    — Voudrais-tu un thé ?

    — Je prendrais plus un verre de bière.

    Sa demande en dit long sur son état d’esprit. En dix-huit ans de mariage, il a trop de doigts sur une main pour compter le nombre de fois où elle lui a réclamé de l’alcool.

    — Est-ce que je suis le genre de femme à avoir un amant ? demande-t-elle à brûle-pourpoint pendant que Charles saisit un verre dans l’armoire.

    Il se retourne aussitôt et la regarde avec des points d’interrogation dans les yeux. Il saisit mal le sens de sa question.

    — Il vaudrait mieux que tu t’assoies, lui suggère-t-elle en pointant la chaise en face d’elle avant qu’il n’ait le temps de lui répondre. Et n’oublie pas la bière. Tu dois d’abord savoir qu’on a tous eu droit à un interrogatoire en règle. Tous sans exception, y compris le concierge. Le mien a duré plus d’une heure et, crois-moi, il s’en est fallu de peu pour que j’imagine être en plein procès. Et d’après ce que j’ai cru comprendre, je ne suis pas la seule à avoir eu cette impression. Je n’en reviens pas. Depuis le temps que je travaille au musée, on doute encore de mon honnêteté au point de me demander si j’ai un amant. Réalises-tu seulement comment je me sens ? Le policier m’a posé cette question au moins dix fois. Probablement plus parce que j’ai arrêté de compter à dix. Je me suis retenue de lui demander dans quel monde il vivait. J’ai un mari, quatre enfants et je travaille à plein temps. Veux-tu bien me dire quand est-ce que j’aurais le temps d’avoir un amant ? Ou même d’en chercher un ? Ah !

    L’instant d’après, elle soupire à nouveau dans l’espoir de parvenir à se calmer.

    — Je ne voudrais pas me faire l’avocat du diable, avance doucement Charles, mais j’aurais fait la même chose que lui. Pour ce genre de crime, c’est beaucoup plus facile d’arriver à tes fins quand tu as un complice à l’intérieur.

    — Peut-être, mais ça ne lui donnait pas le droit de mettre tout le monde dans le même panier. J’ai un dossier sans tache et, si tu veux savoir, je l’ai pris comme une atteinte à ma réputation. Pour tout te dire, je n’ai pas l’intention d’en rester là. Demain, j’irai voir le directeur.

    — Si tu veux mon avis, ça ne pèsera pas lourd dans la balance. Tu sais comme moi que les policiers font seulement leur travail et le directeur du musée, le sien.

    — Je te rappelle qu’aux dernières nouvelles tu travailles à la mairie, pas au poste de police. Je vais appeler mon père à la première heure demain pour qu’il me dise comment rester à l’écart de cette enquête qui ne me concerne pas.

    Bien qu’il meure d’envie de lui faire entendre raison, Charles n’en fait rien. Sa femme a eu une journée difficile et ce n’est pas le moment d’en rajouter. D’autant que son beau-père est la personne toute désignée pour lui donner l’heure juste en matière de droits. Il ne fera pas dans la dentelle, ce n’est pas dans sa nature, il la remettra plutôt sur les rails en un claquement de doigts. Elle tentera de faire pencher la balance de son bord et se fera très vite ramener à la loi. Déçue de la tournure des événements, elle s’en voudra d’avoir encore cru trouver du réconfort chez son paternel et elle se promettra de ne plus solliciter son aide.

    — Où était le gardien ?

    — Pauvre Georges ! Il a eu la peur de sa vie. Il finissait sa ronde au deuxième étage quand il est tombé sur eux. Il a fait ce qu’il a pu pour les arrêter, mais à trois contre un il s’est vite retrouvé bâillonné et ligoté. Un des voleurs a même tiré un coup de feu au plafond pour lui faire comprendre qu’il avait intérêt à se tenir tranquille. J’ai l’impression d’être en plein cauchemar. J’ai la chair de poule rien qu’à penser que je ne reverrai peut-être jamais mon tableau préféré de Rembrandt, Paysage avec chaumières. Et j’aime mieux ne pas penser sur quel mur il va se retrouver.

    Charles aime les chiffres autant que Diane aime l’art, ce qui est peu dire. Elle a tout de suite été embauchée par le Musée des beaux-arts de Montréal après l’obtention de son bac en histoire de l’art. Moins de deux ans après son arrivée, le directeur lui offrait de remplacer la dame qui le secondait dans l’organisation des expositions. La pauvre venait de perdre la vie dans un accident de la route. Sûre d’elle malgré son peu d’expérience et son jeune âge, Diane a sauté sur l’occasion et elle ne l’a jamais regretté. Elle aime tout de son travail et, contrairement à bien des gens, l’arrivée du lundi matin la réjouit. Bien qu’elle adore sa famille, elle n’aurait pas supporté de passer ses journées à la maison avec ses enfants.

    — Veux-tu le reste de ta bière ?

    — Certain ! répond-elle sans hésiter en tendant son verre. Je ne sais pas si c’est elle ou le pain de viande, mais je me sens mieux. Parle-moi de ton maire un peu… j’ai besoin de me changer les idées.

    Le visage de Charles se rembrunit aussitôt. Moins il en parle, mieux il se porte. De toute manière, que pourrait-il lui apprendre qu’elle ne sait déjà sur le personnage puisque les médias en font leurs choux gras depuis son entrée à la mairie ? Et encore plus depuis qu’il a annoncé la tenue des Jeux olympiques d’été de 1976 à Montréal. Plusieurs croient que le service des taxes municipales dont il est le directeur n’écope pas des répercussions des frasques de leur maire, ce qui est à des années-lumière de la réalité. Dans les faits, dès qu’il y a dépassement des coûts estimés pour un projet comme le métro ou l’Expo 67, on augmente immanquablement les taxes. Il en a marre de remettre les pendules à l’heure et encore plus de parler de leur maire. En même temps, ça ne le ferait pas mourir de faire une entorse à ses habitudes, surtout après ce que vient de vivre Diane. Seul hic : il n’en a pas du tout envie.

    — FX a gagné le combat des tables, annonce-t-il fièrement en affichant un grand sourire.

    — Il ne tient certainement pas de sa mère ! lance Diane sans porter la moindre attention au fait que Charles a décidé une fois de plus de ne pas répondre à sa question. Moi, chaque combat est imprimé dans ma mémoire à jamais et ce n’est pas parce que j’en sortais victorieuse. J’étais nulle et, en plus de perdre tous mes moyens quand la maîtresse en annonçait un, j’étais toujours éliminée au premier tour.

    — Tout ce que je peux te dire, c’est que ça a l’air de l’amuser pas mal. Il paraît que la nouvelle petite voisine…

    — Florence ?

    — C’est comme ça qu’il l’a appelée… Elle lui a donné du fil à retordre. Elle a tenu le coup plus longtemps que tous ceux qui ont l’habitude de le talonner. Jusqu’au dernier tour ! Pauvre enfant, il faisait pitié à voir.

    — Bien bon pour lui ! Ça fait assez longtemps qu’il se prend pour le roi des tables… Il était plus que temps qu’il trouve chaussure à son pied. Et c’est encore mieux que ça vienne d’une fille.

    Charles sourit. Le bébé de la famille est un vrai petit coq. Depuis son entrée à l’école primaire, il se fait un point d’honneur d’être un premier de classe et ça marche haut la main. Il leur rapporte toujours des bulletins impeccables au chapitre des notes, ce qui, en revanche, se gâte à celui du comportement. Disons que le beau brun aux yeux bleu clair croit à tort que sa réussite scolaire lui donne tous les droits, comme déranger les autres élèves en classe, mâcher de la gomme, lancer des boules de papier dans le dos de la maîtresse, écrire des niaiseries sur le tableau noir... Ses parents lui répètent le même discours depuis la première remise de bulletins, mais ça glisse sur le dos de leur fils comme l’eau sur celui d’un canard. Charles sourit de plus belle. En réalité, il n’y a que lorsqu’il cède aux supplications des petites voisines pour sauter à la corde à danser qu’il fait piètre figure, et c’est peu dire. Les fillettes s’amusent tellement de le voir s’empêtrer dans la corde qu’elles ont du mal à la faire tourner. Il faut les entendre lui crier entre deux fous rires d’arrêter de faire le clown et de sauter. Elles riraient encore plus si elles savaient qu’il ne le fait pas exprès.

    — Il serait plus que temps que tu le descendes de son piédestal, si tu ne veux pas qu’il devienne comme ton frère.

    Il allonge le bras et lui caresse la main. La première partie de sa phrase reflète parfaitement la vérité. Il a un faible pour le bébé de la famille. Et après ? Ça ne fait pas de lui un plus mauvais père pour ses trois autres enfants.

    — Laisse mon frère en dehors de ça, veux-tu ?

    Diane lève les yeux au ciel de manière à peine perceptible. Casser du sel sur le dos de son beau-frère Gabriel ne lui enlèvera pas la pression qui s’est logée dans sa poitrine à la vue des policiers dès son entrée au musée ce matin. Pas plus que ça ne ramènera les œuvres d’art qui ont été dérobées.

    — Et les filles ?

    — Des vraies pies ! Julie a passé tout le souper à étriver Martine à propos d’un certain Daniel. Il paraît qu’il la voit dans sa soupe et elle dans la sienne.

    — Ne me dis pas que notre grande s’est enfin décidée à se faire un chum ! s’exclame Diane d’une voix enjouée.

    — Désolé, tu connais nos filles, je n’ai pas réussi à savoir le fin fond de l’histoire. Mais la beauté de la chose, c’est que Marc a pu manger en paix, pour une fois. Il a filé dès sa dernière bouchée avalée et il n’est pas encore rentré.

    Ses sœurs s’intéressent à lui comme jamais depuis qu’il va au cégep. Aussitôt qu’il entre dans leur champ de vision, elles le mitraillent de questions sur sa vie sentimentale.

    — Il y a longtemps que je les aurais envoyées paître si j’étais à sa place, avoue Diane. Marc est trop bon. Tu devrais lui parler.

    — Pour lui dire quoi ? D’envoyer promener ses sœurs ou d’arrêter de collectionner les filles ? Il est assez vieux pour se défendre et ce n’est certainement pas moi qui vais lui dire d’arrêter de changer de blonde. Il vaut mieux qu’il fasse sa jeunesse aujourd’hui plutôt qu’à quarante ans…

    Charles retient de justesse les mots assassins qui se bousculent à la sortie : comme ton frère.

    — Fais-lui confiance, ajoute-t-il sans lui laisser le temps de réagir.

    — Et si tu parlais aux filles ?

    — Je l’ai fait autant comme autant et ça n’a rien donné. Elles sont sur son cas et je les connais assez pour savoir que personne ne pourra les faire changer d’idée tant et aussi longtemps qu’elles ne le décideront pas elles-mêmes. Elles sont plus têtues qu’une mule.

    Diane fronce les sourcils. Elle reconnaît sans peine que Charles a raison sur toute la ligne.

    — C’est plus fort que moi, je m’inquiète pour Marc. Il est trop doux, trop gentil. J’ai peur que les femmes profitent de lui. Pire… qu’elles lui brisent le cœur.

    — Tu ne voudrais quand même pas l’enfermer dans une cage…

    — Bien sûr que non, mais je voudrais… je voudrais lui éviter de souffrir.

    Charles secoue la tête, ce qui en dit long sur ce qu’il pense de sa dernière phrase. Contrairement à elle, il n’a pas été élevé dans la ouate, loin de là. Il a dû se battre pour tout. Il mentirait s’il disait qu’il ne lui est jamais arrivé de regretter de ne pas être né dans une famille comme celle des Beaumont… une famille où tout aurait été plus facile. C’est du moins ce qu’il croyait jusqu’à ce qu’il rencontre Diane. Partager sa vie lui a très vite fait réaliser que l’argent ne met personne à l’abri de la souffrance. On peut acheter beaucoup de choses chez Provigo et encore plus chez Steinberg, mais pas la santé. Les Beaumont ne se sont jamais remis de la mort de la petite Justine. Elle venait d’avoir trois ans.

    Diane presse doucement la main de son mari dans le but de le ramener à leur discussion.

    — Si on allait se coucher ? lui demande-t-elle en lui faisant les yeux doux.

    2

    — Tu n’as pas le droit de te faire appeler FX, lance Florence sur un ton de défi après s’être postée devant lui. Ça marche peut-être avec les autres élèves, mais pas avec moi. Selon mes sources, tu ne portes même pas le nom de Xavier.

    — Travailles-tu pour la police ? Tout le monde m’appelle FX depuis mon premier jour d’école et ce n’est certainement pas une petite morveuse dans ton genre qui va venir me dire quoi faire.

    — Préfères-tu François ou F ?

    — Fiche-moi la paix ! s’écrie-t-il avant de tourner les talons.

    Florence est aussi poison qu’elle est belle. Elle voit tout. Elle sait tout. Et elle se mêle de tout, particulièrement de ce qui ne la regarde pas. Une vraie peste, aux dires de FX, une peste aux allures de sirène avec ses longs cheveux bruns bouclés. Si son arrivée dans sa classe l’a d’abord ébloui, il lui a suffi de la voir à l’œuvre une journée pour changer son fusil d’épaule. C’est du moins ce qu’il aime croire parce qu’en réalité il la trouve toujours aussi agréable à regarder et il ne s’en prive pas. En le traînant dans les musées, sa mère a tôt fait de lui apprendre à apprécier les beautés du monde et à en profiter au maximum. Elle faisait bien sûr référence aux œuvres d’art, mais il n’y avait qu’un pas à franchir pour que FX l’applique à tout et à tous. À sa manière, c’est-à-dire sans aucune des nuances enseignées par Diane. Il aime au premier coup d’œil et ne se pose aucune question dans le cas contraire. Il bifurque dans la rue de ses grands-parents comme il a l’habitude de le faire plusieurs fois par semaine. C’est sa deuxième maison. Il entre sans frapper et s’écrie :

    — Ne te dérange pas, grand-maman, ce n’est que moi !

    Aussitôt qu’elle entend sa voix, Béatrice s’essuie vivement les mains sur son tablier et se dépêche d’aller à sa rencontre.

    — Viens ici que je t’embrasse, lance-t-elle de sa voix haut perchée.

    FX s’avance sans se faire prier. Sa grand-mère paternelle est la seule de qui il accepte encore une telle proximité et il compte bien ne jamais arrêter. Ça lui ferait trop de peine et il ne supporterait pas de la faire souffrir. Quand on a dix ans, le temps des grandes démonstrations est bien révolu. Sa mère pourrait en témoigner. Il l’a repoussée le lendemain de son anniversaire et lui a dit d’un ton autoritaire qu’elle devrait désormais attendre les occasions spéciales comme Noël, le jour de l’An, Pâques et son propre anniversaire. De grosses larmes se sont mises à couler sur ses joues, mais il est resté de marbre. Hors de question qu’il se laisse bécoter comme un bébé jusqu’à sa majorité. Ça non ! Elle n’aura qu’à se reprendre avec Marc puisque ça ne semble pas le déranger.

    Béatrice adore son petit-fils et elle se sent privilégiée qu’il vienne la voir aussi souvent. Ses visites comptent tellement à ses yeux qu’elle s’organise pour être chez elle avant la fin de l’école au cas où il viendrait. Elle a toujours été là pour lui et elle continuera tant et aussi longtemps qu’il lui portera quelque intérêt. Lorsque Paul, son mari, lui reproche de lui préférer leur petit-fils, elle se contente de lui faire son plus beau sourire. Elle l’aime de tout son cœur de grand-mère et elle ne laissera personne la priver de sa présence. Pas question ! Elle a l’habitude de dire à la rigolade qu’elle le connaît mieux que quiconque, ce qui, dans les faits, s’est avéré la pure vérité le jour de son dixième anniversaire. FX avait préparé une pleine page de questions sur ses goûts et ses préférences afin de savoir qui le connaissait le mieux. Sa grand-mère, sa mère, sa tante Josée ou ses sœurs ? Béatrice a remporté la partie haut la main et, encore aujourd’hui, elle soupçonne son petit-fils d’avoir organisé cette activité pour piéger sa mère, pour lui montrer de manière subtile qu’elle en sait trop peu sur lui. La pauvre, elle est arrivée bonne dernière.

    — Suis-moi à la cuisine, j’ai une surprise pour toi.

    Ils n’ont pas fait deux pas que la sonnette de la porte les fait sursauter. FX va ouvrir. Quelle n’est pas sa surprise de se retrouver en face de Florence.

    — Es-tu perdue ? lui demande-t-il sèchement.

    Plusieurs secondes s’écoulent avant que la fillette ouvre la bouche.

    — Je voulais…, répond-elle d’une voix à peine audible en se tordant les doigts, je voulais m’excuser pour ce que je t’ai dit tout à l’heure.

    — Ça aurait pu attendre à demain.

    — Pas pour moi ! Aussi… puisque tu as l’air d’y tenir, je suis prête à t’appeler FX.

    — Si c’est tout ce que tu avais à me dire, tu peux retourner d’où tu viens.

    Ce n’est qu’au moment où il commence à fermer la porte au nez de la fillette que Béatrice se manifeste.

    — Pas si vite, jeune homme ! Ce n’est pas comme ça qu’on traite les gens, chez nous. Fais entrer ton amie…

    — Ce n’est pas mon amie, corrige-t-il avec énergie.

    — Ton invitée alors…

    — Encore moins ! Et je n’ai pas envie qu’elle reste.

    — Qu’est-ce que tu attends pour me la présenter ?

    — Je m’appelle Florence, dit poliment la petite fille en lui faisant son plus beau sourire. Je suis dans la classe de FX. Je viens de déménager à deux maisons de chez lui avec ma mère et mon chat Milkshake aux fraises.

    — Enchantée de te connaître, ma belle fille. Je m’appelle Béatrice, je suis la mère du père de FX. Suivez-moi à la cuisine tous les deux. Je vais vous servir un gros morceau de gâteau à la salade de fruits. Il n’y a rien de mieux pour remettre les idées en place.

    La seule évocation de son dessert préféré enlève instantanément à FX toute envie de leur fausser compagnie. Il est même prêt à supporter Florence pendant une heure en échange d’une seule bouchée de ce pur délice. C’est dire à quel point il l’apprécie.

    — Avec beaucoup de caramel, ajoute-t-il en roulant des yeux. Attends d’y goûter.

    Béatrice sourit : son petit-fils vient d’enterrer la hache de guerre. Sous son air frondeur se cache un garçon au cœur aussi tendre que de la guimauve. Elle ignore ce que Florence lui a fait et elle ne cherchera pas à le savoir non plus. En tout cas, pas aujourd’hui. La seule chose qui lui importe pour le moment est que FX soit revenu à de meilleures intentions avec cette fillette. Son petit doigt lui dit qu’elle pourrait devenir sa meilleure amie ! À première vue, elle semble la copie conforme de son petit-fils, en fille.

    Les jeunes prennent place à la table pendant qu’elle dépose le fameux gâteau devant eux. Elle va ensuite chercher la pinte de lait, des verres, des assiettes et des cuillères, et leur en sert un gros morceau.

    — Ma grand-mère fait les meilleurs desserts au monde, annonce fièrement FX.

    — Meilleurs que ceux de ta mère ?

    — C’est sûr, elle n’en fait jamais.

    — La mienne non plus. Est-ce que je pourrai en avoir un deuxième morceau ? demande poliment Florence.

    — Tu n’as pas dîné ? s’inquiète aussitôt Béatrice.

    — Oui, mais je suis toujours affamée quand je reviens de l’école et je suis une vraie bibitte à sucre.

    FX fronce les sourcils. Décidément, Florence ne fait rien comme les autres.

    — Tu pourras même en apporter un morceau pour ta maman si tu penses que ça lui ferait plaisir, annonce Béatrice en posant un regard tendre sur la fillette.

    Un grand sourire s’affiche sur les lèvres de Florence. Elle fait tout ce qu’elle peut pour faciliter la vie de celle qui lui a donné le jour, pour l’embellir, mais elle se retrouve très vite à court de moyens, ce qui est plutôt normal étant donné son âge. Plus rien n’est pareil depuis que sa mère et elle sont seules. Le jour de Pâques, Florence avait ses deux parents au moment d’aller dormir et elle s’est réveillée orpheline de père. Et voilà que le jour de son anniversaire – c’était le 16 juillet –, sa mère lui a annoncé qu’elles allaient déménager à Montréal à cause de son travail. Elle aurait voulu argumenter que ça n’aurait rien donné. La maison était achetée, les déménageurs, réservés et elle était même inscrite à sa nouvelle école. C’est le cœur gros qu’elle a quitté Longueuil et tout ce qu’elle aimait de son ancienne vie, y compris Lana, sa meilleure amie. Sa mère ne lui a pas demandé son avis. Elle s’est contentée de choisir un nouvel environnement sans se préoccuper le moindrement de ce que Florence aurait aimé. La fillette ne lui en veut pas, c’est juste qu’elle trouve difficile de s’inventer une nouvelle vie. Beaucoup plus qu’elle ne le laisse paraître.

    — Il est délicieux, votre gâteau, grand-maman Béatrice. Ma mère va l’adorer.

    — Hé ! Tu n’as pas le droit de l’appeler comme ça ! C’est ma grand-mère, pas la tienne.

    — S’il te plaît, FX… Les deux miennes sont mortes.

    — À une condition, tranche Béatrice. Tu dois me promettre d’en parler à ta mère. Si elle est d’accord, je serai ravie de t’avoir comme petite-fille.

    La fillette se lève de table et court se jeter dans les bras de Béatrice sous le regard étonné de FX. L’idée de partager sa grand-mère adorée avec elle ne fait visiblement pas son affaire. Déjà qu’il trouve qu’ils sont assez nombreux dans la famille à vouloir monopoliser son attention !

    — Est-ce que ça te dirait d’aller jouer au parc ? lui demande Florence, une fois de retour à sa place.

    — On pourrait se lancer la balle dans ma cour, plutôt. À moins que tu…

    — Prépare-toi à perdre, mon vieux, le coupe-t-elle avec énergie. J’aime autant t’avertir : mon père m’a élevée comme un garçon.

    — C’est ce qu’on verra.

    — Si je gagne, tu me racontes pourquoi tu te fais appeler FX.

    — Et si tu perds, tu te trouves une autre grand-mère.

    Les yeux de Florence s’embuent instantanément, ce qui n’échappe pas à Béatrice. Quant à FX, il n’en fait pas de cas.

    * * *

    Martine a passé la journée à rêvasser au beau Daniel et elle s’est mérité deux retours brutaux à la réalité de la part de professeurs impatients de l’entendre répondre à leur question. Elle ne se reconnaît plus. Depuis qu’il lui a fait les yeux doux à la sortie de l’école lundi dernier, elle n’arrête pas de penser à lui. Elle voudrait faire autrement qu’elle en serait incapable. Il occupe toutes ses pensées. Elle s’endort en pensant à lui. Elle rêve à lui. Et au matin, quand elle ouvre les yeux, il lui apparaît dans toute sa splendeur. Le beau Daniel la hante et jamais rien ni personne ne lui a fait cet effet. Si elle écoutait sa sœur, elle serait déjà allée le voir et l’aurait invité à sortir. Plus facile à dire qu’à faire, à moins d’être aussi brave que Julie, ce qui n’est pas son cas. Il y en a eu d’autres avant lui et elle n’a rien fait. C’est un classique : elle perd tous ses moyens dès qu’un garçon lui manifeste de l’intérêt. À cause de cette maudite gêne qui l’empêche d’agir, elle attend toujours de mettre un crochet à côté de Premier baiser. Pour ce qui est de sa virginité, elle risque de la garder encore longtemps si elle ne se déniaise pas. Elle a échafaudé un nouveau scénario pendant son cours de chimie. Elle va aller l’attendre à la sortie de l’école et elle lui remettra un papier sur lequel elle aura écrit son numéro de téléphone. Dans le cas où il l’appellerait, elle se félicitera d’avoir fait les premiers pas. Dans le cas contraire, elle pleurera toutes les larmes de son corps pour un gars qu’elle connaît seulement de vue et qui lui a fait l’honneur de poser son regard sur elle. Julie lui dira qu’elle en fait trop et Martine lèvera les yeux au ciel devant son manque flagrant de

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