La mal-aimée
Par la porte de la cuisine entrebâillée, Soline observe sa fille qui se déhanche sur un air de rap devant sa petite sœur hilare. Au bout d’un moment, elle s’impatiente :
– Charline ! Cesse de faire le pitre et viens m’aider à éplucher les pommes pour la tarte !
Il faut dire que Charline adore épater Dorothée, la petite merveille que ses parents n’espéraient plus, née longues ann es apr s a n e. ann es d’attente, d’espoirs déçus et de fausses couches. Alors, quand Dorothée est enfin arrivée, petit poupon fripé à la peau blanche comme de la porcelaine, elle a pris une place démesurée, presque exclusive dans la maison.
Soline a aussitôt renoncé à son emploi de cadre commerciale pour s’occuper d’elle à plein temps. Avant la naissance du bébé, Charline, petite fille vive et dégourdie, s’était accommodée d’une vie un peu décousue à cause des absences fréquentes d’un papa pédiatre occupé par ses jeunes patients et d’une maman toujours à son bureau. Souvent gardée par sa tante, elle était devenue, sur le modèle de sa cousine Alice, un véritable garçon manqué. Les deux fillettes se lançaient sans cesse des défis, réalisaient toutes sortes d’acrobaties, chapardaient des fruits sur les étalages du marché.
Charline semblait heureuse, épanouie. Pourtant, quelque chose lui manquait, une chose qu’elle n’aurait pas su définir, mais qui allumait régulièrement une petite lueur triste dans son regard.
Depuis que Dorothée a fait son apparition dans le cercle familial, Charline a inconsciemment identifié ce manque en constatant toute la tendresse dont fait l’objet sa petite sœur. Dès lors, elle s’est fixé pour but de séduire l’enfant adorée, de la cajoler, de la distraire, de la faire rire. Elle s’est dit qu’en prenant soin de la petite préférée, elle obtiendrait en retour un peu de cette tendresse qui lui a manqué
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