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Le choix des saisons: Roman
Le choix des saisons: Roman
Le choix des saisons: Roman
Livre électronique193 pages2 heures

Le choix des saisons: Roman

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À propos de ce livre électronique

Au cœur de la Sologne, un meurtre est commis. Les traces sont effacées, le corps enterré, le sang lavé. Au même moment, à l’aube de sa mort, en attendant la visite de son fils, Jean Prieur se remémore sa vie. Une existence de passions et de mensonges prélude à l’irréparable cinquante ans plus tard. Trois saisons pour trois personnages. Trois intimes convictions, trois malentendus pour un drame.


À PROPOS DE L'AUTEURE


Lire et écrire sont essentiels à la vie de Marianne Mencès au même titre que regarder, écouter et imaginer. Elle saute le pas pour partager son univers. Le choix des saisons est son quatrième roman.
LangueFrançais
Date de sortie19 mai 2022
ISBN9791037755575
Le choix des saisons: Roman

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    Aperçu du livre

    Le choix des saisons - Marianne Mencès

    La confession

    Le meurtre est l’ultime échec de la parole.

    Jean Michel Bessette, Sociologie du crime

    2 novembre

    Il riait. Il m’a traitée de folle. J’ai tiré. Je l’ai tué ce soir à 18 h 34.

    C’est idiot. Son corps était étendu dans la cuisine, son sang s’étalait lentement sur la tomette jusqu’à former une tache incongrue presque obscène, et moi j’ai regardé l’heure à l’horloge du four comme si c’était d’une importance capitale. C’est un four de marque suisse, haut de gamme, un beau cadeau des jours heureux. Un four fiable, la technologie suisse ce n’est pas rien. Je peux donc dire avec certitude qu’il est mort à 18 h 34.

    J’avais toujours imaginé que tuer un homme devait vous glacer les sangs. J’avais toujours imaginé sans peine l’affolement ou la sidération, le : « mais qu’est-ce que j’ai fait ? ».

    Les images ne sont pas en noir et blanc. Le sang est rouge et coule vite. Je n’imaginais pas cela. D’ailleurs, je n’avais rien imaginé de la suite.

    On bascule en une seconde dans l’autre monde. Celui des tueurs, des meurtriers, des assassins. La ligne indépassable est franchie. L’impossible qu’on croyait inatteignable est là. On le touche du doigt. Comme le doigt sur la gâchette d’une carabine qui fut le mien. J’arrête d’écrire On. On est une meurtrière. On est moi. Je suis une meurtrière. Une meurtrière qui regarde l’heure.

    Que suis-je devenue ? En écrivant cette lettre, je m’aperçois que je ne me reconnais plus. Qu’a-t-il fait de moi ?

    Est-ce que je regrette mon geste ? Oui. Je dois l’avouer, me l’avouer. Pas pour lui, pour moi. Parce que j’ai peur.

    Je ne veux pas aller en prison. Je pense au pire. Comme si je perdais mes yeux sur le monde, sur ceux que j’aime, sur les arbres de mes bois, sur mes bêtes. Et mes mains. Que ferais-je de mes mains ?

    Je lui ai pris sa vie. Il avait volé la mienne. Enfin pas volée mais saccagée, ce qui revient au même. Non, pire.

    J’ai tué un sale type. Ce n’est pas une excuse, je sais. Mon sale type, c’est suffisant pour moi. Alors oui, je regrette mais je n’en pouvais plus. Il aurait fini par avoir ma peau. C’était lui ou moi. Lui ou nous tous. C’est mon excuse. Même si je n’en cherche pas. Si je n’en cherche plus. C’est un fait.

    Je me rappelle avoir contourné son corps en essayant de regarder au-delà. Je me rappelle avoir refermé la porte de la cuisine en prenant d’abord soin de mettre les gamelles des chats et de la chienne dans l’entrée pour qu’ils ne grattent pas à la porte. Je ne voulais pas qu’ils reniflent le cadavre encore chaud ou trempent leurs pattes dans le sang et laissent des marques sur le parquet et les tapis du salon. Encore une drôle de réaction quand on y pense.

    Je me suis assise sur un des canapés, j’ai allumé la lampe de la table basse et j’ai attendu. Je n’ai pas bu ni whisky ni cognac. Ma réalité était sans alcool. Les films noirs c’est de la rigolade. La réalité est sèche, âpre. La raison s’empale sur des brisants d’incertitude. Le cœur cogne, les mains tremblent. Il faut du temps pour revenir au calme.

    Un des chats s’est frotté à mes jambes, je l’ai caressé distraitement. J’avais la tête vide. Je n’étais ni repentante, ni affolée ou angoissée jusqu’à la nausée. Non rien de tout cela. J’étais épuisée, sèche, comme inhabitée. Vide. Voilà le mot exact. Je ne trouve pas d’autre mot pour mieux expliquer ce que j’étais.

    J’étais vide et j’attendais mon mari. Lui saurait quoi faire.

    ***

    Il était un peu plus de dix-neuf heures quand l’écrasement des graviers sous les pneus de la voiture et l’aboiement bref de Niagara m’ont avertie.

    La porte d’entrée s’est ouverte puis refermée rapidement, suivie du bruit familier des clés posées dans la coupelle sur la console.

    — Chérie ? Je suis là !

    — Oui. Je suis dans le salon.

    Il a fait quelques pas et s’est figé sur le seuil.

    — Eh bien, ma chérie, c’est calme ici ! Tu en fais une tête, tu es toute blanche. Et quelle pénombre ! Tu ne veux pas allumer un peu plus ?

    — Je l’ai tué.

    — Pardon ?

    — Je l’ai tué, il est dans la cuisine.

    — Mais qu’est-ce que tu racontes ?

    — Je l’ai tué, il est dans la cuisine je te dis !

    J’avais hurlé.

    Il m’a regardé longuement, interloqué. Puis, sans me quitter des yeux, il a reculé jusqu’à la porte de la cuisine, l’a ouverte, a jeté un œil.

    — Merde ! cria-t-il. Ce n’est pas possible ! Mais qu’est-ce que tu as fait ? Tu réalises ? Bon Dieu…

    Les derniers mots ne trouvèrent pas d’issue, restèrent figés dans la blancheur de son enrouement.

    J’éclatai en sanglots.

    — Oui, je m’en rends compte. Enfin, je ne sais pas, je ne sais plus. Ne me crie pas dessus ! Je t’en supplie.

    Il s’est calmé subitement, m’a regardée un temps qui m’a paru long, s’est approché avec précaution. Il a passé la main dans mes cheveux, m’a caressé la joue. Sa main était fraîche du dehors. Après il est retourné dans la cuisine. Il est revenu avec un verre d’eau.

    — Tiens, bois ça. Doucement, doucement. Calme-toi. Ne bouge pas. Je m’occupe de tout.

    Les choses sont allées très vite. Il a téléphoné à Fred, j’ai entendu quelques mots brefs, définitifs. En l’attendant, il est allé chercher une bâche dans le bûcher et il a enroulé le corps dedans. Parfois, il venait près de moi, me regardait, passait sa main sur ma joue. Je restais silencieuse, consciente et honteuse de ce que je lui imposais. Il a remis la carabine que j’avais lâchée près du corps, à sa place au râtelier. De temps en temps, je buvais une gorgée d’eau. Nous étions toujours assis mon vide et moi, sur le canapé. Fred est arrivé, ne m’a pas regardée quand il m’a embrassée. Il sentait légèrement l’alcool. Sans un mot, ils ont porté le cadavre et l’ont fourré à l’arrière du Land Cruiser avec des pelles, des pioches, une échelle, des gants et des bouteilles d’eau. Mon mari s’est mis au volant. Fred a démarré la Kawasaki. Je les ai regardés partir et j’ai pensé qu’il fallait que je réagisse, maintenant que son corps n’était plus dans la maison.

    ***

    Je me suis relevée du canapé et j’ai laissé un peu du vide derrière moi. Dans la cuisine, j’ai épongé la tache de sang avec la serpillière. Aller-retour du sol à l’évier. Je regardais l’eau rougie s’enfuir par la bonde. J’ai commencé à pleurer sans bruit. Hébétée, je rinçais la serpillière, le sang coulait entre mes doigts. C’était son sang et c’était sans fin, me semblait-il. Entre mes larmes, parfois un haut-le-cœur me déchirait la gorge. J’ai empli un seau d’eau froide, peut-être deux litres, avec un bon demi-litre de Javel à la lavande et j’ai frotté le sol avec la brosse à linge. Frotté, frotté avec insistance. Je m’absorbais dans le mouvement de va-et-vient de mes bras jusqu’à la douleur qui n’a pas tardé à venir. Mes genoux sur le sol me faisaient mal mais je n’en avais cure. J’ai effacé les quelques éclaboussures sur les meubles avec l’éponge imbibée de Javel pure. J’ai tout essuyé avec un vieux torchon. Ensuite, j’ai mis l’éponge, la brosse à linge, la serpillière et le torchon dans un sac poubelle que j’ai jeté dans la grosse benne du dehors derrière la grange.

    L’humidité du soir était tombée comme un bloc. J’ai frissonné. Mon jean était trempé, fichu, blanchi par la Javel, les phalanges de mes doigts, décolorées. Je suis vite rentrée dans la maison. Me suis efforcée à inspecter la cuisine meuble par meuble, carreau par carreau. Les scènes de crime sont souvent dégoûtantes dans les séries. Pas ici. J’avais tiré une fois, presque à bout portant, dans la poitrine. J’avais visé juste.

    ***

    Les hommes sont revenus tard dans la nuit. Je leur ai préparé une omelette aux cèpes, ceux que nous avions ramassés le dimanche d’avant. J’avais débouché une bouteille de vin. Du rouge. Mon mari a coupé deux grosses tranches de pain de campagne. Je me taisais, les gars faisaient de même. Ils étaient crevés. À la première bouchée, mon mari a rompu le silence.

    — Bon, on a enterré le corps dans la clairière derrière le bois du Petit Puits, tu sais, pas loin des terres de Lecaillot.

    — Et les sangliers ? S’ils le déterrent…

    — Il n’y a pas de danger, il est facile à un mètre sous terre. Pas vrai Fred ?

    — Moi je dirais plutôt un mètre cinquante, répliqua Fred.

    — Et la moto ?

    — Elle est planquée. On l’enterrera demain matin avec le bull, assura Fred.

    — J’égaliserai le gravier, ajoutais-je.

    Le silence se fit à nouveau.

    — Bon, tu es fatiguée, nous aussi. Une douche chaude et on va se coucher. Fred, tu dors ici, dans la chambre de la gamine. On parlera demain matin.

    De nouveau seule, j’ai débarrassé la table. Mes pas évitaient encore l’endroit où il s’était effondré quelques heures plus tôt. Et le vide est revenu. Dans mon ventre, dans ma tête. Il me faisait mal le long de la colonne vertébrale.

    ***

    — Chérie, qu’est-ce que tu fais ? Viens te coucher, bon sang ! Il faut dormir maintenant. Le ton de voix ne supportait aucune réplique.

    À regret, elle referma son vieux carnet en moleskine, le glissa au fond du tiroir de son bureau. Elle le verrouilla avec soin, et rejoignit la chambre. Il dormait déjà. Elle l’envia. Elle se glissa dans le lit avec précaution, s’allongea sur le dos et garda les yeux ouverts dans le noir.

    ***

    L’hiver de Jean

    On peut tout imaginer, tout prédire, sauf jusqu’où on peut déchoir.

    Emil Cioran

    Sans raison mais avec passion

    Assis dans le fauteuil en skaï marron clair près de la fenêtre aux vitres poisseuses, Jean Prieur regardait les squelettes arachnéens des branches d’arbres qui se tendaient vers le ciel en une supplication désespérée et dérisoire. Le vent était fort, les feuilles tombaient par dizaines.

    À la mauvaise saison, il n’y avait rien à faire qu’attendre l’heure des repas qu’il partageait avec les autres dans cette maison de vieux et de vieilles. Le personnel n’aimait pas que Jean Prieur prononce ces mots-là, il préférait dire : « Les résidents ». Le résident monsieur Jean Prieur. Tu parles. Lui savait bien qu’il n’était qu’un vieux parmi tous les autres, tous moches ou édentés, qui tuaient le temps. Ils regardaient des âneries à la télé, ou se chamaillaient aux ateliers poterie et cuisine, afin de moins craindre la faucheuse qui passait les cueillir un par un quand elle l’avait décidé. La proximité de la mort, les ravages des années qui ne sont que ceux de la vie, donnaient à tous les visages des pensionnaires le masque des dévastés. Même le nom de la résidence, Beau soleil, sonnait comme une ultime hypocrisie face au destin pathétique qui les unissait tous dans l’attente angoissante de la dernière heure.

    Jean Prieur en avait assez. Il ne voulait plus voir dans le regard des autres l’image de sa propre déchéance. Après la sieste, il restait dans sa chambre, s’asseyait près de la fenêtre pour happer une espérance de lumière. Au diable l’atelier poterie et tous les imbéciles aux mains sales ! Le résident Jean Prieur repassait sa vie, convoquait ses souvenirs. Il aurait préféré les meilleurs, mais les mauvais restaient indissociables des bons. Qu’à cela ne tienne, il s’acharnait à rêver d’elle.

    ***

    De la Seconde Guerre mondiale, Jean Prieur ne voulait garder que cette journée unique qui avait scellé son destin d’homme : la venue d’Augustine Grange dans le village.

    C’était au creux de l’hiver 44. Un hiver blanc et froid. On se gelait les mains, les pieds aussi dans les mauvaises chaussures. La neige insouciante au malheur des vaincus avait blanchi la Sologne et envahi les rues du village. À coup de boules, les gamins bataillaient ferme le long des trottoirs masqués de blanc de la rue Principale. Les vieilles bonnes femmes râlaient sans aucun effet. De toute façon, jouer évitait de penser que le soir il n’y aurait pas grand-chose de bon dans les assiettes. La faim des jours d’avant-guerre était tenace, persistante. On rêvait en se rappelant le goût des bonnes choses.

    Jean regardait dehors. Lui ne jouait pas. Ne jouait plus, trop vieux, déjà quinze ans. Il enviait les gosses, il enviait ses petits frères. Un peu amer, il les épiait, planqué derrière le carreau de la porte de la boulangerie.

    Lorsqu’une silhouette inconnue venue du haut de la rue se détacha, vêtue de noir, il pensa que c’était la fille dont tout le monde parlait ces derniers jours. Il la regarda descendre la rue Principale et s’absorba dans sa contemplation. Plus vite qu’il n’aurait voulu, elle fut

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