NOCTURAMA EDDY L. HARRIS
IL EST 21 HEURES. Il fait un temps de Covid et un froid de couvre-feu. Alors ce soir, on ne va pas zoner, on va “zoomer”:
“Eddy, tu me vois ? Tu m’entends ? (On a fixé notre rencontre virtuelle par téléphone, et Mister Harris, très vite et très naturellement, est passé au tutoiement – j’ai suivi.)
— Oui, ça y est, je t’entends. Attends, il faut que je change de position parce que la lumière est derrière moi.”
Je découvre une étagère pleine de livres.
“Sacrée bibliothèque… — Y en a partout, c’est un désastre !”
L’écrivain américain habite en France, à Pranzac (Charente), village de 850 habitants à une quinzaine de kilomètres d’Angoulême. “La campagne, c’est mort, ici”, ditil. “Chez moi”, il dit aussi. Chez lui depuis quinze ans déjà. Et pourtant: “C’était pas l’idée quand je suis venu ici. Ce devait être provisoire.” Comme tout dans la vie d’Eddy. Enfin, les vies d’Eddy. De Saint-Louis à Pranzac, en passant par Harlem, Paris, l’Angleterre et tutti quanti (il a aussi envisagé d’habiter en Italie…). Et puis, bien sûr, le Mississippi, fleuve mythique qu’il a affronté par deux fois en canoë, épopées qu’il a racontées dans un livre culte, son premier, écrit en 1988 et traduit en français aux éditions Liana Levi, et presque trente ans plus tard pour un documentaire, qu’il s’apprête à adapter à nouveau en bouquin. On a l’impression qu’il ne s’arrête jamais, et aussi que rien ne pourrait l’arrêter: “Je bouge beaucoup, un peu trop.” Mais pas ce soir. Là, il est “chez lui, tranquille”. Et ce soir, les volets sont, étrangement, ouverts. Il ne sait pas pourquoi: normalement, à cette heure-là, il est cloîtré. “Peut-être pour toi”, dit-il. Pour me laisser entrer dans son antre. Dans sa tête. Ou bien pour jeter un oeil vers l’extérieur. Vers les souvenirs, si loin, si proches, vers le passé, vers l’avenir. Pour regarder la nuit. En tout cas, il est bien là. Il dit: “Habituellement, je fais semblant d’être soit pas ici, soit Il s’arrête, reprend:
