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Hôtel des Agapanthes
Hôtel des Agapanthes
Hôtel des Agapanthes
Livre électronique267 pages3 heures

Hôtel des Agapanthes

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À propos de ce livre électronique

De passage à Erquy, en Bretagne, à l’occasion d’un mariage, Patrick Derval se trouve par hasard témoin du meurtre d’Antoine, un vieux garçon solitaire et marginal. D’abord interrogé comme témoin par les gendarmes locaux, il se retrouve associé aux recherches de la Brigade de Recherches de Saint-Brieuc à la suite de circonstances imprévisibles. Le capitaine de gendarmerie Kerguen, Florence la légiste et amie de Derval, et ce dernier, unissent leurs efforts pour découvrir l’assassin. Derval, fervent adepte des énigmes compliquées, parviendra-t-il à démêler les fils de cette histoire complexe et pleine de rebondissements ?
LangueFrançais
Date de sortie31 juil. 2020
ISBN9791029011733
Hôtel des Agapanthes

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    Hôtel des Agapanthes - Yves Gillet

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    Hôtel des Agapanthes

    Yves Gillet

    Hôtel des Agapanthes

    Les Éditions Chapitre.com

    31, rue du Val de Marne 75013 Paris

    Du même auteur :

    Aux Éditions Sydney Laurent :

    – Meurtre au Faubourg-Raines. 2014

    – Te souviens-tu de Ludo ? 2015

    – Kir royal au cyanure. 2017

    – Mortelle Saint-Didier. 2018

    – L’Alcazaba. 2019

    Aux Éditions Édilivre :

    – Un joli panier de crabes. 2015

    Aux Éditions Écrits Noirs :

    – Troisième larron. 2016

    Aux Éditions Chapitre.com :

    – La Mort aux Trois Mares. 2019

    © Les Éditions Chapitre.com, 2020

    ISBN : 979-10-290-1173-3

    Chapitre 1

    Eddy était serveur à l’hôtel des Agapanthes. À 7 heures du matin, il venait tout juste de prendre son service. Officiellement, le bar était ouvert, mais il savait qu’il pouvait préparer les lieux tranquillement, sans être dérangé par un consommateur très hypothétique à cette heure. L’hôtel était situé sur les hauteurs d’Erquy, dans le quartier des Pins, donc loin du port où se concentraient toutes les activités matinales proches de la pêche. Quant à la clientèle de l’hôtel, ce n’était pas encore la grande affluence en ce mois de juin, d’autant plus que le début de l’été s’était révélé plutôt pourri. L’arrivée massive de touristes, ce serait pour juillet, avec le retour d’une météo plus généreuse. À ce jour, seules trois chambres étaient occupées. Un couple de retraités anglais en route pour rejoindre des concitoyens britanniques à Dinard. Un représentant de commerce dont on se demandait ce qu’il pouvait bien faire loin de ses pénates en ce repos dominical. Enfin, un jeune couple qui était de mariage la veille et serait probablement enclin à profiter d’une grasse matinée réparatrice.

    Eddy se faisait ces réflexions insouciantes tout en installant la terrasse qui serait certainement très recherchée en ce dimanche qui devait marquer le retour tant espéré de l’été. Malgré une température encore un peu fraîche, le ciel affichait déjà un beau bleu, de petits nuages blancs s’étiraient sous une brise légère et les météorologues annonçaient enfin l’arrivée des beaux jours. Eddy en avait terminé avec ses tables, ses fauteuils et son pulvérisateur de produit nettoyant, satisfait du devoir accompli en toute quiétude. À son grand désappointement, il découvrit subitement qu’il avait devant lui un client aussi matinal qu’inopportun. Sa matinée de tranquillité allait donc s’arrêter là. Et, en plus, c’était le mec de la noce. Qu’est-ce qu’il pouvait faire là à cette heure ?

    « Eh bien, vous êtes matinal, vous ! s’exclama-t-il en prenant le plus beau sourire commercial de son registre. Et vous récupérez vite ! Quand même, si je ne me trompe pas, vous avez fait la noce hier soir.

    – Oh ! Vous savez, nous ne sommes pas rentrés très tard. Et il vaut mieux pour moi, car je ne sais pas me lever après 7 heures. Allez, disons 8 heures, les jours de grande fatigue.

    – Quand même ! répondit Eddy avec une lueur d’admiration dans la voix. En tout cas, moi, je ne pourrais pas.

    – Je vais vous rassurer tout de suite. Je suis en pleine forme et je pèterai le feu si vous avez la bonté de me servir un petit café bien noir et bien serré.

    – Pas de problème, monsieur sera servi en moins de cinq minutes !

    – Oh ! Pas de monsieur, je vous en prie. Je m’appelle Patrick. Alors évitons les mondanités, d’autant plus que nous sommes sans doute appelés à nous revoir dans les jours qui viennent.

    – Bien… euh, Patrick ! Alors moi, c’est Eddy, mais vous le savez sans doute déjà. »

    Eddy tint parole et revint en moins de cinq minutes avec le plateau, la tasse de café, un verre d’eau et le sucrier. Patrick huma le breuvage et, d’un air satisfait, l’avala tout en découvrant la vue qui s’étalait devant lui. Il n’avait pas encore eu l’opportunité de l’admirer, accaparé par les préparatifs du mariage et découragé par le temps maussade qui sévissait encore la veille. Le crachin, le vent et une température digne de la Toussaint l’avaient dissuadé de prendre place sur une quelconque terrasse depuis son arrivée en pays breton. Sous le ciel bleu, devant lui en contrebas, la mer, la plage et le port d’Erquy. Décidément, on se serait cru dans un autre monde et tout se mettait en place pour une prodigieuse semaine de plaisir et de farniente. Mais le plaisir immédiat, c’était un incontournable deuxième café. Sur un petit signe de la main, Eddy qui se tenait en retrait, immobile à l’entrée de la terrasse, s’approcha de Patrick, finalement heureux de rencontrer de la compagnie à cette heure inhabituelle.

    « Oui, monsieur Derval, enfin… Patrick.

    – Tiens, vous connaissez mon nom ? s’étonna le touriste.

    – J’avoue, j’ai triché. Je suis allé consulter le registre. Ça n’a pas été bien compliqué. Il y a seulement trois chambres occupées et un seul Patrick. Et votre dame, j’ai vu qu’elle s’appelait Laurence Villanueva.

    – Eh bien, comme ça, vous savez tout sur moi ! conclut Derval, à la fois admiratif des réflexes du serveur et navré de constater qu’il était utopique de voyager incognito ou même d’espérer la discrétion minimale.

    – Oh non ! C’est tout ce que je sais de vous. Si je ne suis pas trop indiscret, je peux vous demander de quelle région vous venez ? Parce que, à mon avis, vous n’êtes pas du coin.

    – Alors ça, je peux vous le dire sans révéler de secret d’état. Laurence vit à Martigues et elle travaille à Marseille. Comme médecin légiste. Vous voyez, c’est une pure provençale et fière de sa Provence.

    – Médecin légiste ? C’est bien ceux font les autopsies sur les morts et qui travaillent avec la police dans les enquêtes ? On en voit tout le temps, à la télé.

    – C’est bien cela. Et moi, je viens de Dijon…

    – Ah oui ! Le pays de la moutarde ! Au fait, vous vouliez me demander quelque chose ?

    – Un deuxième café pour ne rien vous cacher. Mais si vous avez du temps devant vous, servez-vous la même chose et venez me tenir compagnie ! »

    Eddy ne se fit pas prier deux fois. Il revint aussi vite qu’il était parti, avec deux tasses cette fois, et il s’installa directement dans le fauteuil qui faisait face à Derval. Ce dernier en profita pour brancher son vis-à-vis sur la région et sur les curiosités à ne pas manquer. Le serveur se révéla un narrateur intarissable sur cette contrée qui l’avait vu naître et qu’il avait sillonnée dans tous les sens depuis plus de quarante ans. Il annonça fièrement qu’il était né à quatre kilomètres de là, dans un petit village au nom étrange de Plurien.

    « Aujourd’hui, il reste l’église bien sûr, un boucher et deux troquets. Remarquez, il y en a un assez pittoresque qui vous sert une sorte de cocktail spécial que Pierrette, la patronne, a baptisé le Tue-Mouche. C’est aussi le nom du bistrot. Mais à part ça, y’a plus rien ! s’exclama Eddy, hilare et fier de son jeu de mots. Plus rien ! »

    Dans la foulée, le serveur énuméra une longue liste de visites à faire à tout prix dans les environs. Les plages bien entendu, le cap Fréhel, Dinard et Saint-Malo, l’usine marémotrice de la Rance ou une croisière jusqu’à l’île de Bréhat.

    « D’ailleurs, précisa Eddy, l’hôtel tire son nom de l’île de Bréhat.

    – Les Agapanthes ? s’étonna Derval.

    – Exactement. L’île de Bréhat est renommée pour son climat méditerranéen, à cause du Gulf Stream, et pour toutes ses variétés de plantes exotiques. Le symbole de cette particularité, c’est l’agapanthe dont la fleur bleue s’épanouit durant les six mois d’été.

    – Eh bien, j’aurai appris quelque chose aujourd’hui, admit Derval. Que l’été pouvait durer six mois en Bretagne ! Non, je rigole, ce que je voulais dire, c’est que je ne connaissais même pas le nom de cette fleur. »

    Pendant une bonne demi-heure, Eddy étala, avec fierté, tout son savoir en décrivant toutes les merveilles que recelait la Bretagne du nord. Devant un tel flot d’informations aussi nombreuses qu’embrouillées, Derval préféra assurer ses arrières en se renseignant sur l’Office du Tourisme. Un bon guide et un bon plan apporteraient un peu de cohérence à ce long discours complexe et confus. Le serveur proposa alors un troisième café que Derval s’empressa d’accepter.

    « Il va falloir que je vous laisse, Patrick, annonça Eddy à regret, mais avant, il faut que je vous montre une curiosité locale, le théâtre d’un évènement à ne pas manquer et qui a lieu une fois par semaine. Le dimanche justement, donc aujourd’hui.

    – Et c’est quoi, ce fameux évènement incontournable ? demanda Derval avec un léger sourire.

    – Le mieux, c’est que je vous montre. Suivez-moi, vous allez mieux comprendre. »

    Derval avala sa tasse d’un seul jet et suivit son guide. Ils contournèrent le bâtiment et se retrouvèrent à l’entrée de l’hôtel. Eddy se positionna sur le perron et désigna l’espace qui s’étalait à leurs pieds, de l’autre côté de la rue. Une petite place herbeuse, bénéficiant de l’ombre d’une douzaine de platanes, entourée d’une rue en fer à cheval et de huit petites maisons individuelles, à l’allure plutôt modeste. Quatre pavillons alignés à droite et quatre pavillons à gauche, le fond de la place étant fermé par un mur de trois mètres de haut sur toute sa longueur. Au milieu de cette véritable muraille, un portail métallique interdisait et la vue et l’accès à une propriété qu’on devinait imposante et sans doute somptueuse. Derval, ne comprenant pas où Eddy voulait en venir, lui lança un regard étonné et interrogateur.

    « L’important, ce ne sont pas les maisons, ni le château d’ailleurs. Non, l’arène, c’est ce rectangle clair, sans herbe, là, au milieu.

    – Mais c’est un terrain de boules, hésita Derval, déconcerté.

    – Exactement, un boulodrome ! Et chaque dimanche que Dieu fait depuis plus de dix ans, à 11 heures pétantes, il devient le cirque où vont s’affronter six gladiateurs à coups de boules, de tirs et de pointages. Les six mêmes protagonistes car, là, il n’y a pas de remplaçants. Si l’un manque à l’appel, ce qui est très rare, le combat est annulé.

    – Et c’est quoi, l’enjeu ? poursuivit Derval toujours dubitatif.

    – La gloire ou la honte ! La gloire aux vainqueurs, la honte aux vaincus ! Comme disait notre cher ancêtre Brennus aux Romains, Vae victis, malheur aux vaincus ! Chaque mène dure une éternité, avec ses commentaires, ses cris de victoire, ses railleries et ses contestations. Tout y passe. D’autant plus que cette partie est connue dans tout Erquy et qu’il y a toujours beaucoup de spectateurs dont la présence et le témoignage ne font qu’amplifier le triomphe des gagnants et l’humiliation des vaincus. Ces spectateurs assistent à ces joutes un peu comme les Romains venaient au cirque pour voir les gladiateurs se faire massacrer. Bon, ici, le sang ne coule pas. Enfin, il n’a encore jamais coulé, je veux dire. Mais je ne parierais pas qu’il n’y aura jamais d’accident.

    – Et moi qui croyais que ce genre de folie était réservé aux méridionaux ! »

    Après cette invitation à peine voilée, Derval décida de retourner à sa table, à la fois incrédule et curieux d’assister à cette compétition singulière. Il rejoignit la terrasse au moment où Laurence faisait son apparition, à sa recherche. Derval fit les présentations, Laurence passa sa commande et Eddy reprit une attitude professionnelle. Il mit un peu plus de temps à préparer le thé, le jus d’orange et les viennoiseries de la légiste, sans oublier le café promis, avant de s’esquiver discrètement pour s’attaquer à ses tâches quotidiennes.

    « Tu ne peux pas savoir mais je viens de passer une petite heure en compagnie d’un puits de sciences sur les mœurs et les coutumes de la région. Je ne suis même pas sûr de tout me rappeler.

    – Eh bien, vas-y, mon cher capitaine, je suis tout ouïe. Pendant ce temps-là, je serai libre de m’occuper de ce petit déjeuner qui me paraît bien sympathique. »

    Laurence Villanueva, médecin légiste de son état, avait fait la connaissance de l’inspecteur Patrick Derval lorsque ce dernier avait été détaché à la PJ de Marseille. Depuis, Derval avait retrouvé sa Bourgogne natale et la PJ de Dijon, mais ils n’avaient jamais cessé de se fréquenter et de se voir dès que l’occasion se présentait. La fidélité à leurs boulots et à leurs régions respectives était le seul obstacle à une vie commune plus classique, mais ils se considéraient comme un couple ordinaire, généralement séparé il est vrai, par quelques 500 kilomètres. Partageant régulièrement leurs vacances, le plus souvent sur les bords de la Méditerranée, ils se trouvaient cette fois sur un terrain neutre et inconnu, la Bretagne, à l’occasion du mariage d’une cousine de Laurence. Ils avaient profité de cette cérémonie pour programmer deux semaines de découverte du pays breton, la première à Erquy où se déroulait la noce, la deuxième à l’aventure, probablement en direction du Finistère.

    Lorsque Derval en termina avec son long récit, ponctué par la terrible partie de pétanque du dimanche, Laurence n’avait toujours pas prononcé le moindre mot mais elle n’avait pas raté une miette du compte-rendu de Patrick.

    « Eh bien, mon cher, voilà des vacances qui partent sur les chapeaux de roue. Mais tu as raison, le plus sage c’est quand même d’aller faire un tour à l’Office du Tourisme. Avec les documents qu’ils nous passeront et avec les conseils de gens dont c’est le métier, nous pourrons bâtir un programme des réjouissances qui, si on en croit ton nouveau copain, devrait être plutôt alléchant.

    – Je ne sais pas s’il est ouvert aujourd’hui mais je sais où on peut le trouver. C’est dans le centre, juste à côté du marché.

    – Parfait, tu as remarquablement mené ton enquête, mon cher petit Hercule, mais là, je ne suis pas surprise. Cependant, la première chose à faire, ça sera tout de même d’assister à ce terrible choc des petites boules. Décidément, ça valait le coup que je m’éloigne de Martigues et de mon bouliste de père ! »

    Chapitre 2

    Antoine Solvo consulta sa montre pour la vingtième fois depuis son réveil. Et, pour la vingtième fois, il se frotta vigoureusement les mains. Après toutes ces années de galère, la vie lui souriait enfin. Un juste retour des choses. D’ailleurs, le ciel ne s’y était pas trompé. Après un printemps franchement froid où le crachin et le vent s’étaient disputé la médaille d’or du désagrément maximal, la Bretagne avait enfin découvert en ce dimanche de juin un ciel d’un bleu limpide digne de la Côte d’Azur, traversé par quelques nuages blancs qui se déplaçaient doucement au gré d’une brise marine plutôt bienveillante. Un fidèle résumé de sa vie. Après 45 ans de galère, de solitude, de chômage et de petits boulots mal considérés et mal payés, il allait enfin connaître le sort qu’il méritait. Un avenir radieux, aisé, très aisé même s’il se fiait à ses plus folles espérances.

    Antoine avait toujours vécu dans ce modeste pavillon, situé sur les hauteurs d’Erquy, petit bourg en bord de mer, à mi-chemin entre Saint-Malo et Saint-Brieuc, vivant de la pêche et du tourisme. Toute cette vie s’était tranquillement déroulée auprès d’une mère dévouée et aimante, dont le seul tort était d’avoir été abandonnée avant même la naissance d’Antoine. Ce dernier n’avait jamais connu son père mais il avait bénéficié de la présence permanente de cette mère qui lui avait consacré sa vie et qui avait veillé sur lui comme une étoile protectrice. Ses études, déjà difficiles en primaire, Antoine les avait mollement poursuivies pendant à peine trois ans au collège Thalassa avant de les abandonner en plein milieu d’année scolaire. Il avait alors exprimé le vœu d’entrer dans la vie active plutôt que de prolonger une expérience aussi désagréable qu’inutile. Attiré par la mécanique, en particulier par les motos, il avait alors travaillé comme apprentis puis comme homme à tout faire dans divers garages de la région, à Erquy bien sûr, mais surtout chez son copain José à Plurien. Au chômage depuis déjà plusieurs années, il arrondissait les diverses allocations auxquelles il avait droit en apportant son assistance, selon sa propre expression, à droite ou à gauche. En clair, il travaillait au black, soit dans un garage, soit à distribuer des prospectus, mais passait de plus en plus de temps chez lui, devant son poste de télévision ou des jeux vidéo.

    Sa mère, Sophie Solvo, avait traversé la vie professionnelle sur un seul emploi, comme modeste employée au conditionnement des biscuiteries du Cap, entreprise familiale bientôt bicentenaire, produisant et distribuant toute une gamme de spécialités de la région. Palets et galettes bretonnes, crêpes, caramels au beurre salé et le fameux kouign-amann, fierté de l’entreprise. Embauchée à 18 ans, elle avait pris sa retraite peu après son soixantième anniversaire, retraite dont elle avait profité une décennie avant de s’éteindre le surlendemain de ses 70 ans. Depuis bientôt six mois, Antoine vivait donc seul dans la modeste demeure que lui avait laissée sa mère. Malgré des revenus aussi modestes que sa fonction, Sophie Solvo avait en effet réussi à devenir propriétaire de son logis et à le conserver pour le transmettre à ce fils qui, sans cet apport, aurait eu toutes les chances de finir dans la peau d’un SDF.

    En pensant à cette pénible page qui allait définitivement tourner, Antoine se frotta une nouvelle fois les mains de satisfaction et consulta son téléphone. Aucun appel, pas de message non plus, tout semblait se dérouler comme prévu. Antoine ne put s’empêcher d’avoir une pensée émue pour cette mère qui lui avait consacré sa vie et qui lui avait offert en prime, peu avant sa mort, la clef d’un avenir qu’il saurait rendre radieux. Encore dix minutes et le passé grisâtre allait laisser la place à des lendemains merveilleux.

    Antoine attendait, plein d’espoir, cette visite qui devait métamorphoser son existence et pourtant il sursauta lorsqu’on frappa à sa porte d’entrée. Il se leva lentement, savourant cet instant, et alla ouvrir à ce messager de l’espoir, ne pouvant dissimuler un large sourire de bienvenue. Le visage qu’il découvrit ne présentait pas la même expression de félicité, mais était nettement fermé, renfrogné, voire hostile.

    « Eh bien, vous en faîtes, une tête ! s’exclama Antoine. Mais vous voilà ! La sagesse finit toujours par l’emporter. Vous prendrez bien quelque chose, non ? Un whisky ? Il est peut-être un peu tôt ? Ou alors un café ? Oui, c’est cela, un café ! »

    La réponse, même tacite, fut tout à fait éloquente. La main, tendue paume en avant, était plus claire qu’un refus argumenté. Antoine préféra adopter une attitude généreuse et il insista sur un ton bon-enfant.

    « Allons, allons, je sais parfaitement que vous adorez déguster un bon petit express, et celui-là, je vous en donne ma parole, vous saurez l’apprécier ! »

    Joignant le geste à la parole, Antoine fit un aller et retour rapide à la cuisine et revint avec un plateau dignement équipé de deux tasses, de cuillers, et d’un sucrier. Puis il repartit pour un deuxième voyage dont il revint avec la cafetière contenant le nectar annoncé, avant de remplir les deux tasses avec l’élégance d’un serveur professionnel. Alors que l’autre, en dépit de l’invitation de son hôte, restait figé, debout, il se retourna, fouilla lentement dans le tiroir du meuble placé derrière lui et en sortit une grande enveloppe blanche qu’il leva comme un trophée.

    « Je comprends, vous avez beaucoup de mal à apprécier ma générosité, alors oublions les mondanités et passons aux choses sérieuses. Que pensez-vous de ma dernière proposition, demanda-t-il en agitant l’enveloppe qu’il avait en main ?

    – Tout simplement inacceptable ! De toute façon, même si je le voulais, ce qui n’est pas le cas, je ne pourrais pas disposer de la somme que vous cherchez à m’extorquer.

    – Je suis certain que vous n’y mettez aucune bonne volonté. Mais alors là, pas du tout. Ce que je vous demande, c’est beaucoup pour moi, mais si peu pour vous. Mettez-vous à ma place. Je viens de passer 45 ans de galère, de vie misérable, et là, je peux tout changer. Le fric, ça permet de se payer bien des choses, mais c’est aussi le critère de jugement de beaucoup d’imbéciles. Je serai beaucoup moins

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