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L'Héritage de Nathan: Tome I – Les aventures de Nathan de Jade
L'Héritage de Nathan: Tome I – Les aventures de Nathan de Jade
L'Héritage de Nathan: Tome I – Les aventures de Nathan de Jade
Livre électronique395 pages5 heures

L'Héritage de Nathan: Tome I – Les aventures de Nathan de Jade

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À propos de ce livre électronique

Orphelin, marin-pêcheur du village de Wissant dans le Pas-de-Calais, Nathan Boutoille est âgé de vingt-et-un-ans, en mars 1851, lorsqu'il découvre, à la mort de son grand-père, qu'il s'appelle en réalité Nathan de Jade et qu'il est le fils d'un grand planteur de l'île de La Réunion, mystérieusement assassiné en 1830. Nathan va partir à la recherche de ses origines et de son héritage. Il va croiser les personnages les plus influents de son époque et de venir Diplomate aux Affaires Extraordinaires de Louis-Napoléon Bonaparte, à l'aube du Second Empire.
L'Héritage de Nathan est le premier volet d'une belle saga dans le cadre fastueux du Second Empire.
LangueFrançais
Date de sortie29 mars 2016
ISBN9782312042763
L'Héritage de Nathan: Tome I – Les aventures de Nathan de Jade

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    Aperçu du livre

    L'Héritage de Nathan - Jean-François Bell

    famille

    Jours de deuil

    WISSANT, Pas-de-Calais

    Mardi 15 mars 1851

    Il faisait exceptionnellement beau. Le vent modéré de sud-ouest semblait transporter les chauds rayons du soleil jusque sur le banc de la petite place du Courgain. Un jeune homme y était assis. Il regardait, sans les voir, les petites maisons environnantes de ses amis les pêcheurs : la « Louis Marie », la « Marie Ginette », « l’Eyrène dit Batiauw Baron »…, ces maisons si familières de ses voisins les Beaugrand, les Caron, les Honvault, les Ternisien et les Ledet.

    De son banc, situé à l’extrémité de la placette, il avait à l’horizon les belles dunes de Tardinghen, s’étalant fièrement jusqu’au Cap Gris Nez. En contre-bas, dans la rue Louis Blanc, une ruelle descendait sur la droite vers la mer. Là encore, bordée de petites maisons de pêcheurs, elle permettait d’atteindre rapidement la plage et de découvrir au détour du chemin la splendeur du paysage, encadré par ses deux caps : le Cap Blanc Nez vers Calais et le Cap Gris Nez vers Boulogne/Mer, avec juste en face, de l’autre côté de la mer, les côtes anglaises de Douvres.

    Nathan Boutoille n’avait pas l’habitude de s’asseoir ainsi au milieu de l’après-midi devant la maison de son grand-père, dans le haut de ce petit village qu’il connaissait depuis sa naissance, il y avait maintenant vingt et un ans, et auquel il était si attaché.

    Son village d’à peine un millier d’habitants était peuplé en majorité de rudes et fiers pêcheurs qui sortaient, chaque matin que Dieu fait, si le temps le permettait, sur leurs flobarts, ces lourds voiliers à fond plat d’environ cinq à neuf mètres, tirant leur nom de la pêche aux bars.

    Ils partaient pour jeter leurs filets entre les caps et tenter de ramener, dans un dur labeur, les soles, maquereaux, cabillauds, harengs, et bars qui leurs permettraient de subvenir aux besoins quotidiens, d’une vie sans luxe.

    Combien de matins Nathan était-il parti dans l’obscurité de la nuit finissante, retrouver ses compagnons sur la plage, en ciré et sabots, pour grimper dans le bateau, avec l’agilité de la pratique quotidienne, avec ses sept à huit compagnons. Il admirait le lent et précis travail des femmes, dans la mise à l’eau des flobarts échoués sur la plage, leurs bras bleuis, tendus par l’effort, qui dans un mouvement d’ensemble, les faisait glisser sur les gros rondins de bois, préalablement recouverts de la terre glaise du Cap Blanc Nez. Elles les faisaient avancer mètre par mètre vers la mer, à marée haute.

    Il avait chaque fois envie de les applaudir, quand dans un dernier mouvement elles ramassaient les rondins dans les premières vagues pour les remonter au sec en haut de la plage, tandis que les bateaux hissaient alors rapidement leur grande voile rouge, passaient adroitement les rouleaux des premières vagues et prenaient le vent pour aller jeter leurs filets à plusieurs milles de la côte.

    Combien de retours en hiver, dans la bourrasque froide du vent du nord et la morsure du sable glacé. Oui, le métier paraissait bien dur quand il fallait se laisser glisser dans l’eau pour tirer le bateau sur le sable et sortir les lourds filets.

    Mais combien d’arrivées aussi dans la beauté glorieuse du soleil levant, éclairant d’une lumière magique le Cap Blanc Nez et sa magnifique plage de sable blanc de Wissant, s’étirant en un reflet scintillant sur des centaines de mètres.

    Toute la beauté du monde offerte en récompense !

    Si chaque saison apportait ses joies et ses peines, même au plus fort de l’hiver, il y avait des journées si belles, que le métier de marin paraissait être le plus beau métier du monde à Wissant !

    Nathan ne se lassait pas du spectacle des lourds chevaux de trait attelés aux carrioles qui emmenaient ensuite le poisson pour le remonter vers le village, et partir par le chemin d’Herlen, dit le chemin des Poissonniers, retrouver la voie départementale de Boulogne sur Mer, où le poisson serait vendu à la criée.

    Nathan portait en cette fin d’après-midi de mars la tenue habituelle du marin, pantalon court, chemise en flanelle et gros chandail de laine bleu marine, le cou enserré dans un foulard rouge vif. Il avait retiré sa casquette et sa belle crinière blonde ondulait sous la légère brise. Elle encadrait un visage très viril, cependant adouci par des yeux si bleus qu’il semblait que le soleil s’y était établi.

    Ses camarades l’avaient surnommé ironiquement Nathan le Magnifique, au regard de sa musculature puissante, de ses hanches étroites, de son regard fier et peut-être aussi d’une allure générale qui le rendait différent, et lui donnait un ascendant sur eux.

    Les filles du village tentaient toutes d’attirer son attention et quelques unes y avaient déjà laissé leur cœur, sans pouvoir retenir le sien.

    Nathan, orphelin, était élevé seul par son grand-père et leur profonde affection mutuelle semblait lui suffire.

    Le vieil homme avait cependant tenu à lui donner une instruction plus complète que celle de ses petits camarades et l’avait confié à la sortie de l’école primaire à Monsieur le Curé de l’église St Nicolas, l’abbé Louis-Joseph Vassal, qui était originaire d’une vieille famille de notables boulonnais, et avait une sagesse et une culture étendues. Il avait su rapidement ouvrir l’esprit de son jeune élève et rêvait maintenant de le conduire vers Dieu, et de le faire entrer au séminaire de Boulogne sur Mer.

    Il ne comprenait pourtant pas pourquoi le vieux pêcheur Pierre Boutoille refusait énergiquement de laisser son petit-fils prendre cette voie.

    C’était une perpétuelle discussion entre les deux hommes qui, par moments, finissait presque par les dresser l’un contre l’autre.

    Nathan sortit de sa rêverie et se leva de son banc pour regagner la maisonnette. Dans le coin droit de la salle basse, il y avait une petite alcôve pour le lit. Son grand-père était couché le teint livide. Il le contempla avec émotion.

    – Grand-Père, je vais te préparer ton souper, j’ai fait une soupe au lard qui va te ragaillardir !

    – Laisse, mon enfant, je ne peux plus manger, mes dernières heures arrivent, et je dois te parler avant de partir.

    – Chut… Grand-Père, il faut que tu manges un peu pour garder tes forces. Demain matin, il va faire beau et je te porterai sur le petit banc pour prendre le bon air.

    Le visage de son grand-père l’atterrait et il comprenait que le moment de la séparation, tant redouté, allait venir maintenant plus vite que prévu.

    – Nathan, viens près de moi et donne-moi ta main pour me donner encore un peu de force, car, avant de partir, j’ai un terrible secret à te dire et j’espère que tu sauras me pardonner de te bouleverser ainsi.

    Sa voix n’était maintenant plus qu’un murmure, mais son regard était rivé sur celui de Nathan.

    – Grand-Père, je t’aime trop, tu m’as élevé comme ton fils et jamais je n’aurai besoin d’avoir à te pardonner quoi que ce soit, à toi qui m’as tant donné et m’as recueilli encore tout petit enfant à la mort de mes parents !

    – Mon enfant, il faut que je te raconte le secret de ta naissance. Tu n’es pas le fils de mon Baptiste et de la Pauline. Tu leur as été confié dans des conditions dramatiques par tes parents qui ne pouvaient pas t’élever.

    Hélas mon Baptiste et la Pauline ont été assassinés juste après t’avoir confié à moi et j’ai préféré garder le silence jusqu’à maintenant pour ta sécurité, car les ennemis de tes parents étaient puissants.

    Nathan, la voix vibrante d’émotion, interrogea son grand-père :

    – Qui suis-je ? Quel est mon véritable nom ? Que s’est-il passé ?

    Il voyait son grand-père décliner de seconde en seconde, et rassembler ses dernières forces pour lui parler.

    – Tu ne t’appelles pas Nathan Boutoille mais Nathan-Louis de Jade !

    Ton père était le comte Henry-Édouard de Jade, issu d’une très vieille famille française émigrée à l’île de Bourbon, cette lointaine île de l’océan indien, que l’on appelle maintenant l’île de la Réunion. Il y possédait une grande plantation de canne à sucre.

    Mon Dieu, je n’ai presque plus la force de parler, aussi Nathan écoute-moi bien : dans le coffre à vêtements, tu trouveras un petit coffret dans lequel il y a ton acte de naissance et de filiation, une bague de famille et une longue lettre de ton père qui t’explique ce qui lui est arrivé et pourquoi il a dû te confier à ma famille. Tu iras avec ces documents rencontrer Maître Landrethun, notaire à Paris, qui a des instructions te concernant.

    – Embrasse-moi une dernière fois, mon enfant ! tu auras été le soleil de ma vie, sois courageux et deviens un homme digne du nom que tu portes, sans jamais oublier tes frères de cœur de notre beau village.

    Monsieur le Curé, est dans le secret, depuis hier lors de sa dernière visite. Il m’a promis de t’aider de son mieux !

    Sur ces dernières paroles le beau vieillard exhala un dernier soupir et rendit son âme à Dieu.

    Nathan, pétrifié, les larmes aux yeux, resta longtemps le regard rivé sur cet homme qu’il aimait si profondément et qui lui avait tout donné.

    Il lui ferma doucement les yeux et se jetant à genoux, pria longuement Dieu de l’accueillir en Sa Maison.

    Puis, se levant, il alla au coffre à vêtements et sortit le coffret dont lui avait parlé son grand-père. Il le monta dans sa mansarde à l’étage.

    Avant de prendre le temps d’ouvrir le coffret, dont il apprendrait par la suite qu’il s’agissait d’un coffret de bois de Tamarin, une essence d’arbre précieuse des hauts de l’île natale de son père, il préféra s’occuper de son grand-père et du rite funéraire à organiser.

    Il sortit à pas lents de la maisonnette, retenant ses sanglots, le cœur très lourd, et alla toquer à la porte des Caron, le maçon, l’un de ses proches voisins.

    – Puis-je entrer, c’est Nathan

    – Entre Nathan et viens boire un cidre !

    – Non merci Jeanne, Grand-Père vient de mourir et j’ai besoin de votre aide.

    – Mon Dieu, Nathan ! J’voyais qu’il était très mal et que M’sieur le Curé était venu hier, mais j’pensais pas qu’il partirait aussi vite ! On va s’occuper de lui avec l’Antoinette et la Ginette. Vas-y voir Monsieur le Curé tout de suite avant que le soir tombe !

    – Merci Jeanne de ton aide, je reviens au plus vite !

    Pendant que Jeanne partait chercher ses voisines, Nathan dévala la rue en pente qui menait au centre du village, distant d’à peine quelques centaines de mètres et l’on entendit ses gros sabots claquer sur le chemin.

    Sur la place du village, l’église Saint-Nicolas, agrandie depuis 1840 pour remplacer l’église paroissiale Notre-Dame de Sombres, à une demi-lieue de là, qui avait été rasée à la Révolution, semblait veiller sur le village.

    Nathan y entra rapidement et dans sa précipitation oublia de prendre de l’eau dans le bénitier pour se signer.

    L’église comprenait deux parties : le chœur et l’avant-chœur, constitués par l’ancienne chapelle du 15 ème siècle et la nouvelle nef centrale avec ses deux bas-côtés séparés par une double rangée de cinq colonnes cylindriques.

    La cloche, appelée Louis-Joachime avait été bénie le 14 juillet 1850.

    Derrière le grand Christ en croix, en chêne sculpté, se trouvait la statue de Sainte-Wilgeforte crucifiée, qui parfois faisait sourire Nathan et ses amis. En effet la Sainte portait une barbe toute masculine, la légende rapportant qu’au 14 ème siècle, une jeune fille qui avait fait le vœu de chasteté, demanda à Dieu de lui faire pousser une barbe abondante afin d’éviter le mariage auquel son père voulait la contraindre. Elle fut exaucée. Son père de colère, l’aurait fait crucifier, supplice à l’époque uniquement réservé aux hommes.

    On évoque Sainte-Wilgeforte pour les enfants malades et les mourants.

    Il ne trouva pas Monsieur le Curé dans l’église, aussi sortit-il rapidement et alla frapper à la cure attenante, sur la place, à côté du cimetière,

    – Qui est là ? demanda le vieux prêtre, derrière la porte

    – C’est Nathan Boutoille, Monsieur le Curé !

    – Entre vite !

    – Qu’y a t-il mon enfant, tu as l’air bouleversé, est-ce que ton grand-père va plus mal ?

    – Il vient de mourir, Monsieur le Curé ! et Nathan retint à grand peine un sanglot en se jetant dans ses bras. Le prêtre eut un choc, mais apaisa Nathan par quelques mots de réconfort.

    – Je passe ma pèlerine et je vais t’accompagner pour lui apporter les derniers sacrements !

    Les deux hommes reprirent le chemin de la Place du Courgain en conversant à voix basse,

    – A t-il eu le temps de te parler mon enfant, avant de rendre son âme à Dieu ?

    – Oui, Monsieur le Curé, mais il m’a dit peu de choses, m’a laissé un coffret et m’a dit que vous pourriez m’apporter votre aide.

    Je n’ai pas encore eu le temps d’ouvrir le coffret !

    – Nous en parlerons ensemble après son enterrement Nathan. Tu dois être bouleversé par son aveu !

    N’en veux pas à ton grand-père car c’était un homme juste et bon et il avait de puissantes raisons pour avoir gardé le silence jusqu’à présent.

    Pour le moment, n’en parle à personne, nous prendrons ensuite le temps de faire le point et de voir ensemble toutes les décisions qui s’avéreront nécessaires.

    Rendons d’abord à ton grand-père les derniers sacrements de notre Sainte Mère l’Église.

    Devant la porte quelques hommes bavardaient à voix basse les yeux voilés de tristesse. Ces hommes rudes contenaient à grand-peine leur émotion devant le départ soudain de cette figure si familière. Leur solidarité naturelle, à laquelle s’agrégeaient les souvenirs de toute une vie de travail partagé, des rires, des moments de peine, des pintes de bière choquées devant la chaleur de l’âtre ou au bistrot du village, des chants de marins entonnés par leurs voix graves dans quelques beuveries mémorables, tout cela revenait à leur esprit et leur mettait un nœud dans la gorge.

    Le Pierre, était l’une des figures les plus respectées de Wissant, car dans le malheur qui l’avait frappé avec les morts de ses enfants, puis ensuite de sa femme, il était resté digne et n’avait pas émis une seule plainte. Quand il avait recueilli le petit Nathan, il était devenu à la fois son père et sa mère et avait redoublé de courage pour lui assurer la chaleur d’un vrai foyer et une bonne éducation. Pour tous les autres il était resté aussi un ami fidèle, les aidant chaque fois qu’il le pouvait, selon les circonstances.

    On le connaissait d’une honnêteté scrupuleuse, on le voyait tenir sa maison en ordre, boire modérément. Place du Courgain, il était aimé de tous et il était devenu au fil du temps la figure tutélaire du quartier.

    Une fois par an, le quinze août, il invitait tous ses voisins chez lui. Avec Nathan, ils s’activaient dès la veille, préparant les plats traditionnels et mettant au frais les boissons,

    Après la grand messe en l’honneur de Marie et la procession jusqu’au Cran de la Vierge pour honorer la mémoire des marins disparus tragiquement en mer, ils se retrouvaient tous chez lui pour un grand banquet.

    Et, l’on entendait les voix fortes réclamer à grands cris : « le welsh ! Le welsh ! Le welsh ! »

    Quand Pierre amenait l’énorme plat rempli de welschs gratinés, c’était le délire et tout le monde criait : la recette ! La recette ! La recette !

    Alors, comme un chef de grand restaurant, Pierre expliquait :

    … Il faut du fromage cheddar rouge, de la bière, du poivre, un peu de moutarde, de la sauce worcestershire, du jambon, des œufs et des toasts grillés.

    D’abord y faut faire chauffer la bière, y ajouter le cheddar, le poivre, la moutarde et quelques gouttes de worcestershire sauce et faire fondre le tout jusqu’à l’obtention d’une pâte bien lisse.

    Ensuite :

    Y faut placer les toasts grillés dans un plat à gratin, verser la pâte dessus, ajouter le jambon, casser un œuf sur chaque toast puis passer le plat cinq minutes à four chaud jusqu’à ce que le cheddar bouillonne et soit doré, et… servir ses amis pendant que c’est chaud ! disait-il en riant.

    Plus gravement il ajoutait : mon welsh à moi, s’il est bon, c’est que j’y ai mis de l’amour pour vous tous, mes amis !

    – Allez Nathan, sers la bière à chacun et claque la bise à toutes les belles !

    Nathan en général allait servir en premier la vieille Léontine toute bossue et lui claquait la bise en criant : merci la belle, c’est toi que j’aime ! Et les rires de redoubler !

    Et voilà que le Pierre s’en était allé, tout doucement, les laissant un peu comme des orphelins.

    Dans la maison, les femmes avaient mis au Pierre le costume noir de son mariage avec sa chemise blanche et sa cravate noire. Les mains jointes sur son chapelet, il semblait dormir paisiblement, et ce qui étonnait le plus était son léger sourire, comme si une grande joie intérieure l’habitait.

    Il avait probablement vu, comme l’expliquerait ensuite Monsieur le Curé, sa femme et ses enfants venir le chercher pour le présenter à Dieu.

    Elles s’étaient ensuite toutes assises autour du lit pour se mettre en prière.

    Mais, Monsieur le Curé arrivait, accompagné de Nathan.

    Il entra dans la petite salle basse, sortit son étole, la baisa et ouvrit son gros missel pour commencer à lire les psaumes, dont le très beau Psaume 23 :

    • Je ne manquerai pas de REPOS : « Il me fait reposer dans de verts pâturages »

    • Je ne manquerai pas de RAFRAÎCHISSEMENT : « Il me dirige près des eaux paisibles »

    • Je ne manquerai pas de PROTECTION : « Il restaure mon âme »

    • Je ne manquerai pas de DIRECTION : « Il me conduit »

    • Je ne manquerai pas de PAIX : « Je ne crains aucun mal »

    • Je ne manquerai pas de COMPAGNIE : « Tu es avec moi »

    • Je ne manquerai pas de RÉCONFORT : « Ta houlette et ton bâton me rassurent »

    • Je ne manquerai pas de JOIE : « Tu oins d’huile ma tête »

    • Je ne manquerai de RIEN : « Ma coupe déborde »

    • Je ne manquerai pas de BONHEUR dès ici bas : « Car le bonheur et la grâce m’accompagnent »

    • Je ne manquerai pas de GLOIRE dans l’avenir :

    « J’habiterai dans la Maison de l’Éternel »

    Tous s’étaient mis à genoux et priaient avec ferveur.

    Quand Monsieur le Curé eut finit de lire les Psaumes de la mort, il bénit le corps, et dit avec émotion à voix basse : « Vas en paix mon ami ! »

    Il retira son étole et s’adressant à l’assemblée leur dit :

    – Je célébrerai la messe d’enterrement demain à 15 heures et viendrai avec le corbillard chercher notre Pierre vers 14 heures pour le conduire à l’église.

    A demain Nathan ! Veillez-le bien tous !

    Puis il sortit doucement et la veillée s’organisa.

    Au bout d’une heure, les femmes envoyèrent Nathan se coucher en dépit de sa volonté de rester auprès de son grand-père.

    Le cœur toujours très lourd, il monta dans sa soupente.

    Il retrouva son coffret et l’ouvrit avec émotion.

    Il sortit du coffret une longue missive scellée par un cachet de cire armorié, puis une bague également armoriée, un extrait de baptême des registres paroissiaux de l’église Saint-Eustache de Paris et enfin un sac fermé par un cordon de velours rouge dans lequel il trouva avec effarement un tas de pièces d’or à l’effigie du roi Charles X et du roi Louis-Philippe.

    Il prit la missive, se résolut à briser les cachets de cire et commença la lecture en contenant difficilement son émotion,

     « Mon très cher Fils,

    Je prends la plume avec bien de la peine pour vous écrire cette seule missive que vous recevrez de votre père et vous raconter notre histoire. Je souhaite que vous appreniez, maintenant que vous devez être adulte, vos origines familiales et votre véritable nom, un nom que vous allez, je l’espère, porter avec une grande dignité, et peut-être plus tard, une grande fierté.

    Vous vous appelez Nathan-Louis Édouard de JADE et vous êtes venu au monde le treizième jour de juin de l’année 1830 à Paris. Vous fûtes ensuite baptisé le vingt cinquième jour de juin 1830 en l’église Saint-Eustache à Paris.

    Votre mère, ma très chère femme Constance-Marie Durazzo, hélas décéda des suites de ses couches. Sa santé fragile, ainsi que les circonstances dramatiques dans lesquelles nous vivions, eurent raison de sa résistance. Elle vous donna la vie en rendant la sienne.

    Avant de partir, elle vous confia à sa fidèle servante, Pauline Boutoille, qui venait d’accoucher d’un enfant hélas mort-né, et qui vous servit aussitôt de nourrice.

    La famille de JADE est une très vieille famille de l’aristocratie française, dont les origines remontent à Saint-Louis. Notre famille établie depuis toujours dans les Flandres, où elle possède encore des attaches dans la région de Lille, est alliée avec de nombreuses familles de cette région.

    Avant la révolution, en 1788, mon père le comte Charles-Édouard de JADE, voyant la situation politique se dégrader, craignant pour sa famille et ses biens, décida d’émigrer comme tant d’autres, et partit pour l’île de Bourbon, avec son frère cadet le comte Philippe.

    Arrivés sur l’île de Bourbon, après un périlleux voyage, ils se présentèrent au Gouverneur du Roi, David Charpentier de Cossigny.

    Quelques semaines plus tard ils eurent l’opportunité d’acquérir une concession agricole et décidèrent alors de se consacrer à la culture de la canne à sucre, dont ils pressentaient le développement au contraire de la culture du café qui commençait à décliner. Ils achetèrent environ 200 esclaves pour cultiver la terre et plusieurs centaines d’arpents de terre dans les hauts de la commune de Saint-Leu.

    Rapidement intégrés aux familles des planteurs, ils deviennent quelques années plus tard alliés d’une puissante famille de cette île, les Panon Desbassayns de Richemont. Mon père épousa Ombline Mélanie de la Bourdonnaye leur cousine et mon oncle Philippe, Claire-Grâce de Villèle, l’une de leurs proches parentes.

    Je suis né en 1807, seul fils et enfant unique. A ma majorité, mon père décida en mai 1828 de me faire épouser Clémence de Kerveguen, fille d’une des familles les plus fortunées de l’île. Les fiançailles furent proclamées. Cependant, pendant cette période je rencontrai, au bal du Gouverneur de Cheffontaines, une très belle jeune femme, Constance-Marie Durazzo, dont je devins rapidement éperdument amoureux. Mon père prit ses renseignements. Mademoiselle Durazzo était fille du baron Durazzo, officier militaire bonapartiste, de grande famille corse, en poste auprès du Gouverneur. Hélas, Constance-Marie, par sa grand-mère était apparentée à la famille Buonaparte. Mon père qui haïssait Napoléon refusa de casser mes fiançailles et m’exhorta à accepter l’union qu’il avait prévue, ce qui lui permettait la réunion de deux grands domaines.

    Je refusai.

    Mon père me somma de me soumettre à sa décision, sous peine d’être déshérité.

    Je décidai alors de partir pour la France avec ma bien-aimée Constance-Marie à l’insu de mon père et du sien. Nous embarquâmes secrètement sur la corvette La Seine, commandée par Monsieur Carpentin, capitaine de frégate, qui arriva à Brest le 13 novembre 1828. Il nous servit de témoin lors de la cérémonie de mariage, célébrée à l’église Saint-Louis de Brest par le curé Joseph-Marie Graveran, le 15 décembre 1828.

    Nous partîmes nous installer à Paris, chez mon ami Alfred de Vigny, connu à l’île de Bourbon, qui m’avait gracieusement prêté sa garçonnière, rue de Miromesnil.

    Votre chère mère et moi y avons vécu très heureux quelques beaux mois jusqu’en novembre 1829. Puis elle eut la joie d’attendre un enfant. Hélas sa grossesse fut difficile car sa santé était délicate. J’écrivis à mon père pour implorer sa clémence et lui annoncer votre naissance proche.

    C’est alors qu’en retour j’appris sa mort soudaine à la suite d’une épidémie de choléra.

    Mon oncle Philippe me faisait savoir que mon père m’avait déshérité et que je n’avais plus aucun droit sur son héritage. Il était l’unique légataire, et ne voulait pas me voir revenir sur l’île, sous peine de danger pour ma vie.

    Peu de temps après, je tombais dans un premier traquenard à Paris et je ne dus la vie sauve qu’à l’arrivée inopinée de quelques sergents de ville. Je compris alors que ma famille était en danger et pris des dispositions pour la protéger.

    Votre mère vous mit au monde le 13 juin 1830 et ne survécut pas hélas à votre arrivée. Notre fidèle Pauline Boutoille qui venait de mettre au monde au même moment un enfant mort-né, vous prit en charge. Après votre baptême le 25 juin, je fus grièvement blessé dans un deuxième lâche attentat, et sentant ma vie m’échapper à mon tour, je vous confiai au couple Boutoille en leur demandant de vous élever dans leur famille et sous leur nom.

    Avant de mourir, mon cher fils que je ne connaîtrai jamais, sachez que vous fûtes très aimé par vos parents. J’ai voulu vous protéger pour que vous puissiez échapper à un lâche assassinat.

    Il vous reste à me venger et à retrouver votre rang et votre héritage, car j’ai le pressentiment que mon père ne m’a pas déshérité et qu’il s’agit peut-être d’une spoliation de mon oncle Philippe.

    Soyez vigilant jusqu’à ce que justice vous soit rendue ! Vous êtes un JADE, soyez fier de votre nom comme vous pouvez être fier de votre père qui a toujours été un homme de fidélité et de courage.

    Adieu mon cher fils, je vous bénis et vous embrasse très tendrement.

    Votre père attentionné

    comte Henry-Édouard de JADE

    Paris, le 26 Juin 1830 »

    Nathan resta prostré quelques minutes après la fin de sa lecture. Tout se bousculait dans sa tête, et des sentiments contradictoires le traversaient de toutes parts. Quoi, il n’était pas Nathan Boutoille,… un père inconnu… un autre milieu que celui qui était le sien… une histoire sombre… !

    Une révolte le gagnait, un sentiment de vengeance l’envahissait, une étrange exaltation le prenait d’un destin nouveau, mais… lui revenait vite la blessure à vif du départ si brusque de son grand-père… qui ne l’était plus, mais si, qui l’était de fait par tant d’attaches de son cœur.

    Il se mit à genoux et une prière monta du plus profond de lui-même : « Mon Dieu, montrez moi le chemin, faites que je demeure digne, juste, loyal, mais donnez-moi aussi le courage et la force de châtier les ennemis de mon père, de réhabiliter son nom, de rester proche de tous ceux qui m’ont aidé à grandir depuis ma naissance, de ne jamais oublier les fidèles amis de mon village de Wissant, et, si je dois parcourir le monde, que ce soit avec Votre sainte protection »

    Un peu apaisé par sa prière, il rangea la missive de son père. En la replaçant dans le coffret, il trouva une dernière lettre avec le cachet des armes de son père, adressée à Maître Landrethun, ou successeurs, notaires, rue de Miromesnil, Paris

     « Maître,

    Comme nous nous en sommes convenus ce 24 juin 1830 en votre étude, je vous prie de recevoir lorsqu’il pourra se présenter, mon fils Nathan-Louis Édouard, comte de JADE et lui remettre tous les titres et actes de son héritage, ainsi que mon testament.

    Comme vous le savez, et pour les raisons de sécurité, dont je vous ai entretenu, il porte le nom de Nathan Boutoille.

    Vôtre

    Henry-Édouard de Jade »

    Avant de prendre un peu de repos, Nathan redescendit dans la salle commune, pour veiller son grand-père à côté des femmes. Il lui trouva un air si paisible qu’il en fut très remué, et lui parla en remuant à peine les lèvres :

    – Merci, Grand-Père, pour tout ce que tu m’as donné avec tant d’amour et de grandeur d’âme pendant toute ces années, je ne t’oublierai jamais !

    Puis il pria avec ferveur Dieu, de l’accueillir dans son Paradis.

    Ensuite, il remonta se coucher.

    L’enterrement

    Nathan se réveilla à la première lueur de l’aube, après un court sommeil très agité. Il fit sa toilette avec soin et descendit prendre son café et une tartine. Il trouva la cafetière au chaud, sur la cuisinière à charbon, se versa un bol, et dévora avec l’appétit de son âge la soupe et un morceau de lard, que lui avait aussi préparé avec gentillesse l’Antoinette.

    Il aida ensuite ses voisines à préparer la collation qui serait servie après l’enterrement à base de fromages et de fruits. Ce serait servi après les moules-frites traditionnels.

    Après avoir revêtu avec soin son costume traditionnel des pêcheurs de Wissant, vers treize heures trente, il se mit sur le pas de sa porte pour attendre que l’on vienne chercher le corps de son grand-père. Il entendit alors le glas de l’église se mettre à sonner et cette sonnerie au tintement lent, sur une seule note lui prit le cœur.

    Il vit monter du bas de la côte de la rue Louis Blanc le corbillard, tiré par un cheval, harnaché avec des pompons noir et argent et précédé par deux enfants de chœur en surplis blanc sur leur soutane noire, l’un portant un grand crucifix en argent, l’autre l’encensoir, au bout de la grande chaîne dorée, et suivis de Monsieur le curé, revêtu lui

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