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L'Amnésie des Ombres: Secrets I
L'Amnésie des Ombres: Secrets I
L'Amnésie des Ombres: Secrets I
Livre électronique316 pages4 heures

L'Amnésie des Ombres: Secrets I

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À propos de ce livre électronique

Elle se croyait aimée, elle était surveillée.
Stéphanie pensait être une simple sorcière, elle va se confronter à ses propres démons.
Et ils ont décidé de faire ce qu’ils voulaient d’elle.

Que feriez-vous si tout ce en quoi vous croyiez n’était que des mensonges ? Si vous ignoriez votre passé mais que vous n’aviez plus d’avenir ?
Oubliez l’amour,
Balayez l’amitié,
Reniez votre famille,
Et plongez avec Stéphanie dans l’univers de « Secrets ».
LangueFrançais
Date de sortie28 sept. 2016
ISBN9782312047690
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    Aperçu du livre

    L'Amnésie des Ombres - Laëtitia Faure

    cover.jpg

    L’Amnésie des Ombres

    Laëtitia Faure

    L’Amnésie des Ombres

    Secrets I

    LES ÉDITIONS DU NET

    126, rue du Landy 93400 St Ouen

    © Les Éditions du Net, 2016

    ISBN : 978-2-312-04769-0

    Prologue

    Une nuit glacée. La pluie qui battait le pavé. Tout était gris, étonnante couleur après les braises qui avaient envahi la ruelle un peu plus tôt. Un nourrisson dans les bras, une jeune femme aux longs cheveux châtains regardait à travers la fenêtre de sa maison. Une perle glissa de sa joue, tombant sur le front du bébé qui venait de s’endormir. Du pain d’épices, oui c’était cela, l’odeur qui flottait autour d’elle depuis que la Lune avait saigné, depuis que le ciel s’était mis à pleurer. Mais ils ne la récupéreraient pas.

    Elle posa l’enfant dans son couffin et se dirigea vers le plant de menthe qu’elle conservait dans la cuisine. Elle en coupa quelques feuilles ; leur vert était éclatant. La botaniste sourit, fière de ses compagnes végétales. D’un geste de la main, elle fit virevolter autour de ses doigts tout ce dont elle avait besoin. Des racines protectrices de tamaris, le silence empoisonné de la belladone, et enfin la pureté de l’asphodèle pour dire adieu au passé. Elle confectionna une pommade. Ses pouvoirs leur donneraient peut-être un sursis…

    La sorcière attrapa ensuite un couteau aiguisé, puis s’approcha du bébé, alors qu’une plainte endormie résonnait à l’étage. « Maman. » Elle arrivait, qu’elle reste sagement dans son lit, elle ne devait pas réveiller sa sœur.

    La lame griffa le derrière de l’oreille pour libérer le sang. Sa fille la fixa alors comme si elle comprenait. Les plantes se frottèrent à l’entaille. La jeune mère prit son bébé dans ses bras et monta consoler son aînée.

    Les contours s’effacèrent, lavés par la pluie battante qui tapait à la vitre. L’eau avait inondé la maison et les souvenirs de ma mère, noyés dans mon sommeil. Mon esprit avait sans doute enregistré les parfums. Menthe fraîche. Pain d’épices. Et fantasmé le reste ; un bébé ne peut pas se rappeler de ses premiers mois. Il peut juste retranscrire un sentiment, une insidieuse angoisse, un danger approchant, et un tout nouveau réconfort.

    Je fronçai les sourcils, saisie par des souvenirs bien plus récents, plongée dans une course haletante.

    Un enchevêtrement de rues. Le souffle court. Mon regard croisa mon reflet dans la vitre d’une voiture. La panique. Je tombai à terre, des cris de douleur à mes oreilles, une pique plantée dans mon bas-ventre. Une blessure de plus. « Ne pas l’arracher », me répétais-je, tandis que des ondes grinçantes traversaient mon cerveau. Je m’étais laissé piéger.

    Je me relevai dans une grimace, les doigts pleins de sang, alors qu’un corps sans vie rejoignait le bitume, empalé par ses propres projectiles en bois. On aurait pu le confondre avec un simple humain, si le cadavre du démon ne me scrutait pas de ses pupilles verticales. Je secouai la tête, perturbée par les ultrasons qu’il continuait de propager. Dans quelques minutes, ils disparaîtraient, et ma migraine s’éteindrait. Je détournai le regard. Mes sœurs avaient fini le travail, ils étaient tous morts, nous pouvions rentrer à la maison. Je devais arrêter de m’inquiéter. Je n’avais rien en commun avec eux. Je les entendais, et alors ? Un morceau de verre brisé me renvoya ma propre image. Une sorcière aux yeux marron qui n’aurait jamais leurs iris de chat, avides de carnage.

    À peine consciente, je me tournai dans mon lit. La nuit ressassait notre attaque de la veille. Nous avions tué des démons qui traînaient dans le centre-ville, à la recherche d’une proie à dévorer. Mais les incantations étaient restées bloquées dans ma gorge qui retenait déjà un râle de douleur. Peu importait, mes sœurs s’étaient occupées d’eux, prouvant une nouvelle fois mon incomparable nécessité. « Plus qu’un an et un jour et tu découvriras ton don », m’avait rassurée l’une d’elles en me faisant boire une ignoble potion. J’avais grimacé. La plaie s’était refermée. Plus qu’un jour et une autre se rouvrirait, bien plus profonde. Kelly ne pourrait rien faire. Elle aussi saignerait.

    Je pressai plus fermement mes paupières, refusant d’entendre une nouvelle fois ses paroles. Mais elles s’infiltrèrent, pernicieuses. « Maman est morte, les démons l’ont tuée ce matin. » Inutile de préciser qu’elle avait souffert. Un tel gibier se savoure. Ils avaient pris leur temps, mutilant ses mains afin qu’elle ne puisse plus faire appel à une quelconque aide végétale. Ils avaient ensuite tiré son corps ensanglanté jusqu’à notre porte. C’était beaucoup plus drôle ainsi. Jetant une paume au carreau de notre aînée, une traînée rouge imprimée sur le verre. Bien plus amusant qu’une simple sonnette. Mes sœurs avaient voulu me protéger, m’épargner le spectacle. J’avais hurlé, l’odeur de sang imprégnant toute la maison. J’en avais presque eu le goût sur la langue.

    Un an plus tôt, à un jour près…

    Je replongeai, perdue dans la vision cauchemardesque d’une autre vie, suspendue entre le passé et l’avenir.

    Seule dans les ténèbres, j’avançai vers la faible lueur qui s’esquissait devant moi. Un tintement sur le sol. Du carrelage. Froid. La lumière me réchaufferait, mon esprit transi dans une large chemise d’homme. Le vent souffla. Je me précipitai vers la flamme qui tentait de survivre en grésillant. Je me penchai vers elle, retenant mon souffle, et la ramassai. Ma luciole était un petit pendentif, un pentacle en argent. Il s’embrasa. Je poussai un cri, les doigts brûlés, emplis de cloques purulentes. Le bûcher s’étendit et m’emprisonna. Je ne pouvais plus m’enfuir, j’appelai à l’aide. Le feu déchira mes chairs. Un épais liquide noir coulait sur ma peau sanguinolente. Le ciel se mit à craquer, pauvre squelette broyé, sous le terrible hurlement d’un loup. J’éclatai en sanglots, répondant en écho aux pleurs d’une enfant dans le lointain. « Regarde-moi. » Je relevai la tête, et le feu m’engloutit, happée par deux iris verts qui fondaient avec moi dans le brasier. Cris d’agonie. Notre agonie.

    Chapitre I

    Je me redressai en hurlant, une sueur glacée sur les tempes. Je rejetai mes cheveux de mes doigts tremblants et allumai la lampe de chevet afin de revenir à la réalité de ma chambre. Je haletais ; la vive lumière qui m’aveuglait ne parvenait pas à éteindre ma crainte. Les coins sombres de la pièce m’épiaient toujours ; les prunelles obliques me poursuivaient. Elles restaient là à me fixer, à me supplier de les suivre dans le noir. Je fermai les yeux pour leur échapper, inspirai jusqu’à calmer les cahots de ma poitrine et me passai une main sur le visage. Tout allait bien. Pas de chair déchirée, aucune boursouflure, aucun adieu. J’étais seule et le bûcher n’avait jamais existé. Mon esprit endormi avait tout inventé. Ce n’était qu’un stupide cauchemar de plus.

    Je m’adossai au carcan du lit pour respirer. Inspirer, expirer, inspirer… Ce simple mécanisme me rassurait, j’étais une horloge aux rouages fonctionnels, concentrée sur mon propre tic-tac. Mais mon regard croisa son reflet dans la glace de l’armoire et je rabattis les draps sur moi, rattrapée par l’angoisse. Je me recroquevillai, entourée de mes bras, les yeux fixés sur la lueur phosphorescente du réveil. 02 h 49. Je devais oublier la douleur qui m’incendiait les veines. Ce n’était qu’un mauvais rêve, rien de plus. Juste un mauvais rêve. L’atroce cri qui résonnait encore à mes oreilles n’était pas réel. Seulement les rougeoyantes images qui m’obsédaient refusaient de s’évaporer.

    Je pressai plus fermement les paupières, hantée par deux iris verts qui m’emportaient dans le profond gouffre de leurs pupilles, et les ténèbres du sommeil m’engloutirent.

    Un rayon de lumière filtra à travers ma fenêtre. La matinée avait l’odeur du chocolat fondu et des tartines grillées. J’étais forcée d’ouvrir un œil. Je m’étirai, posai un pied par terre, me ravisai. J’esquissai un sourire moqueur, à mon âge, j’avais encore peur qu’une main décharnée surgisse pour m’entraîner sous le matelas. J’inspirai à nouveau l’air parfumé et laissai mon estomac creux prendre le contrôle de mon corps tout entier. La porte se ferma derrière moi ; mes cauchemars étaient emprisonnés. Ils ne viendraient pas assombrir ma journée. Je ne devais pas leur conférer un tel pouvoir. Pas aujourd’hui.

    Je descendis les escaliers, décidée. C’était un bon jour pour grandir et effacer les fantômes. En me voyant entrer dans la cuisine, ma sœur aînée m’accueillit d’un sourire. Comme à son habitude, c’était elle qui avait préparé notre petit déjeuner. Elle semblait fatiguée, mais sa nouvelle coupe à la garçonne lui allait bien et faisait oublier ses traits tirés. Je la vis ouvrir la bouche pour réciter la formule rituelle, une main ébouriffa mes mèches emmêlées et la coupa dans son élan.

    « Joyeux anniversaire, Stéphanie ! »

    Je me tournai vers Kelly dans une grimace, supportant mal de tels décibels si proches de mes tympans dès le réveil. Ma deuxième sœur s’esclaffa et m’observa de ses grands yeux marron, ravie de m’avoir surprise. Ses longs cheveux châtains déjà lissés encadraient son visage saupoudré de taches de rousseur. Définitivement, elle avait l’allure d’une mangouste malicieuse. Tout le contraire de notre aînée, Samantha, et sa rigueur de future enseignante.

    Kelly s’assit à table juste après moi pour s’emparer de la confiture de fraises. Soulagée qu’elle épargne mon pot consacré, je mordis avec envie dans une tranche de pain couverte de chocolat. Je savourais la substance sucrée au léger goût de noisette quand la sonnerie du téléphone mit fin à mon extase. Je me précipitai vers le combiné et décrochai. La voix aiguë de Romane acheva de me réveiller. Je fronçai les sourcils, jetai un coup d’œil à l’horloge et me dépêchai d’engloutir le reste de ma tartine pour courir m’enfermer dans la salle de bains. Mes sœurs échangèrent un regard entendu. Elles savaient que je ne pouvais résister à l’appel de la tornade blonde depuis que nous avions échangé des gommes parfumées aux fruits, nous jurant un amour platonique mais sincère. Nous avions neuf ans et adorions écouter les discussions des adultes en cachette, notamment celles de la maîtresse et du directeur.

    « Alors quel est le programme ? »

    Glissée dans une robe rose, Romane m’observait derrière ses larges lunettes de soleil sans un mot. Son air de mouche à la plage m’inquiétait bien moins que son mutisme. Je soupirai sans tenter d’en savoir davantage, mes doutes étaient fondés, Romy suivait des ordres. Elle avait adopté l’allure des agents secrets, mais imaginez seulement une Pink lady qui essaierait d’imiter les Men in black !

    La jeune conductrice gloussa et démarra la coccinelle fuchsia, véritable objet de culte qui lui servait de voiture. Résignée, je triturai les boutons de la radio à la recherche d’une musique qui n’anesthésierait pas mon cerveau déjà amolli par la chaleur. J’appuyai mon coude au rebord de la fenêtre ouverte et un violent éclair attira mon regard. Une peluche dansait au rétroviseur intérieur au gré des cahots de la route. La tête penchée sur le côté, j’essayai de déterminer à quel animal la rattacher, mais la créature refusait de me livrer son secret, chaînon manquant entre un écureuil kidnappé par des maquilleuses endiablées et un hamster passé à la machine à laver. Je finis tout de même par m’en lasser et tapotai mon genou. Le silence m’agaçait.

    « Tu ne veux vraiment rien me dire ? »

    Romane avait décidé de se taire, ne me laissant pour compagnie auditive que le grésillement du tuner ; parfait. D’un geste du menton, je désignai l’hybride rosâtre qui se balançait toujours en me narguant de son sourire de Bisounours.

    « Cette chose a un nom ? »

    Romane fit la moue. Fruity était un raton-laveur acidulé – sans doute aussi terrifiant que le chat du Cheshire. David lui en avait fait cadeau pour leurs cinq mois de complaisance mutuelle. Je levai les yeux au ciel, son petit-ami avait bien cerné le personnage. J’enlevai la peluche de son perchoir pour l’examiner de plus près.

    « Tu crois que Fruity aimerait sauter en parachute ? »

    Mon amie lâcha un instant la route du regard et fronça les sourcils.

    « L’ennui, poursuivis-je, c’est que je n’en ai pas sous la main… On tente la chute libre ? »

    Romane remonta les vitres pour assurer la sécurité de son précieux punk rose. Elle avait compris dès l’école primaire que je partageais une partie de mon patrimoine génétique avec les mules et préféra abdiquer. Elle était en mission pour Kelly et Samantha et devait me distraire pendant qu’elles préparaient la salle des fêtes. Je lui fis un clin d’œil, elle tordit le nez dans un soupir :

    « Elles vont me tuer… »

    Mais face à ma bonne humeur retrouvée, la conductrice oublia vite son cruel destin. Parvenue à destination, elle se gara sur un talus. J’ouvris la portière et un cyclone de poussière me souhaita la bienvenue. Je toussotai, sortis de la voiture et me tournai vers Romy, mais elle n’était déjà plus là. Habituée à ce genre de phénomène irrationnel, je baissai la tête et la trouvai par terre au milieu de plaintes mélodramatiques. Ses nu-pieds menaient un rude combat contre l’herbe sèche de la pampa. Leur propriétaire attrapa ma main pour se relever mais les graviers du chemin roulèrent sous ses semelles. Elle se raccrocha à moi, je perdis l’équilibre, la portière ouverte de la coccinelle nous sauva.

    Je repris mon souffle, appuyée sur la voiture, et haussai un sourcil. Romane caressait l’aile de tôle et la remerciait d’avoir épargné une douloureuse rencontre à nos postérieurs.

    « Tu vois, elle est gentille, affirma-t-elle en me prenant à témoin. Elle sait que je l’aime alors elle nous a aidées ! »

    Je la confortai d’un signe de tête sans savoir si je devais rire ou appeler l’hôpital le plus proche. Ne souhaitant pas tenir la chandelle plus longtemps, je la tirai de son étreinte et la plaçai face au petit fossé qu’il fallait franchir pour regagner la route. Sa vue lui extorqua un gémissement. Je l’encourageai, la place du village fourmillait de vacanciers venus comme nous au vide-grenier et les bonnes affaires n’attendraient pas que Superman la prenne dans ses bras pour la faire traverser. Alors, prise d’un regain de courage, elle passa l’obstacle et s’élança vers le premier exposant. Elle me fit signe d’approcher, impatiente de partager ses nombreuses trouvailles. La fièvre du shopping n’admettait qu’un antidote, le deuil du porte-monnaie.

    Romane s’évertua d’abord à démonter une pile de sacs à main. Son nouveau jeu de construction, le fashion Lego, l’absorbait. Je m’accroupis près d’une vieille malle débordant de papiers jaunis et les déplaçai avec précaution. Exaltée de la découverte d’une carte au trésor, je replongeai en enfance au contact des pages froissées.

    « Stéphanie ? Stéphanie, tu m’écoutes ? »

    Mes souvenirs s’évanouirent, je relevai la tête sur Romane.

    « À ton avis, lequel je prends ? »

    Mon amie me présenta un immense sac de toile tacheté de pâquerettes et une minuscule pochette dorée qui aurait à peine pu contenir un téléphone. Troublant dilemme.

    Voyant que je ne me sentais pas plus inspirée qu’elle, Romane ne put résister et acheta les deux. Elle s’arrêta au stand suivant où je la laissai marchander le prix d’un bibelot, une vache qui irait fièrement compléter sa collection. Puis un autre suivit. Les mouvements de foule commençaient à m’ennuyer. Nous étions les uns contre les autres et la chaleur et les odeurs humaines devenaient détestables. Romane était une véritable anguille des sables, mais moi, j’étouffais. Je me dégageai un instant de cette transhumance pour rejoindre une table reculée qui tendait ses bijoux argentés vers le soleil. Bagues, bracelets et boucles d’oreilles luisaient sur l’étoffe bleue. Les rayons d’une étoile à cinq branches m’éblouirent et ma main s’en approcha malgré moi. Appelée, attirée, terrifiée. Mes doigts se tétanisèrent. Seulement quelques millimètres de plus et je la touchais ; le pentacle m’avait hypnotisée. Je restais à le contempler sans comprendre, craignant de me brûler par son simple toucher.

    « Fascinant, n’est-ce pas ? »

    La voix masculine me fit sursauter et je levai les yeux vers le vendeur que je n’avais pas remarqué. Je le voyais pour la toute première fois, mais il possédait ce quelque chose d’indéfinissable qui me dérangeait et m’attirait à la fois. Une vague réminiscence qui m’empêchait de parler. Un appel viscéral. Le bijou avait transmis son pouvoir à son propriétaire qui me sourit avec douceur et calma ma confusion.

    « Ce pendentif m’a été légué par ma mère, elle me disait qu’il était destiné à une ravissante jeune femme, pleine de force et de cœur.

    – Alors pourquoi le vendre si…

    – Elle nous a quittés il y a peu, me coupa-t-il. Je n’ai pas le courage de le garder. »

    Je me mordis la lèvre et m’excusai, focalisée sur son piercing à l’arcade pour ne pas avoir à soutenir son regard. Il ne devait pas être beaucoup plus âgé que moi. Tête baissée, je fuis avec lâcheté le masque durci de son expression ; je la connaissais trop bien. J’enfonçai mes poings dans les poches de mon jean pour y puiser la force nécessaire. Ne pas se dérober, formuler l’aveu et ne pas se dérober. Je plantai mes iris dans les siens, sans ciller.

    « J’ai perdu la mienne il y a un an maintenant. »

    Je déglutis avec peine. Elle était morte le jour de mon anniversaire. Mes deux sœurs organisaient la fête pour l’oublier, tout du moins faire semblant. Moi, j’étais hantée par des cauchemars sanglants. Et lui était là, à croire qu’il pouvait occulter sa souffrance en se séparant de ce qui lui avait appartenu.

    « Sans vouloir te donner de leçon, repris-je sans le quitter des yeux, je réfléchirais encore un peu avant de me débarrasser définitivement de ce pendentif. Il a l’air… particulier. »

    Une voix cria mon prénom, je me retournai. Le lien mystique qui me retenait prisonnière des prunelles marron de mon interlocuteur s’était dénoué. Romane me rejoignit en courant, les bras chargés de sacs, avant de saluer avec enthousiasme l’exposant.

    « Tu as trouvé quelque chose qui te plaît ? »

    Je fixai à nouveau le pendentif d’argent sans lui répondre. Mon amie ne comprit pas ma gêne et entama la conversation avec le jeune homme qui apprit qu’elle n’avait toujours pas de cadeau pour mes dix-sept ans, et espérait en trouver un ici.

    « C’est un âge décisif, murmura-t-il en se penchant vers moi, alors fais attention aux choix que tu feras. »

    Ma paume se plaqua sur mon estomac. Encore ce vertige.

    « Ta destinée est bien plus sombre que tu ne le penses, Stéphanie.

    – Je ne crois pas au destin.

    – Tu devrais. Sois attentive à tes cauchemars. »

    Je hoquetai. Ce n’était pas un conseil, il savait. J’attrapai le poignet de Romane pour l’entraîner à l’écart, il tapa des mains et je clignai des yeux. L’esprit embrouillé, je fronçai les sourcils, j’étais perdue, je ne me rappelais plus. Je battis des paupières, éveillée d’une autre réalité contre mon gré. Mon amie me secoua l’épaule.

    « Décide-toi ! me pressa-t-elle.

    – Quoi ?

    – Réda aimerait t’offrir le pentacle. Il paraît que les bijoux choisissent leurs futurs possesseurs et que tu étais littéralement envoûtée !

    – Merci, mais je ne peux pas, refusai-je en reculant. Vraiment, je ne peux pas. »

    Je fis un autre pas en arrière et tirai mon amie vers moi. Le danger m’oppressait, comme mon souvenir dérobé. Nous devions nous éloigner du pendentif et de son héritier au plus vite.

    Insensible au lien que je venais de rompre, Romy poursuivit son exploration au cœur de la foule. Elle s’entoura le cou d’un plumeux boa rose, enfila des ailes de papillon, et tournoya sur elle-même en récitant une formule farfelue. J’éclatai de rire, la fée avait besoin d’une partenaire. Je dégainai deux pistolets en plastique, coiffée d’un chapeau de cow-boy. Mon adversaire sifflota l’air des westerns et pointa son sceptre à paillettes vers moi. Je fis un pas, les jambes arquées, sautai à pieds joints et appuyai sur les gâchettes. Elle recula, une main sur la poitrine, la tête en arrière, et ouvrit la bouche dans un hilarant cri d’agonie.

    Le vendeur auquel nous avions emprunté nos déguisements se gratta la gorge, notre remarquable prestation touchait à sa fin. Je toussotai pour reprendre mon sérieux, lissai le bord de mon chapeau et le reposai. Une petite moue de déception déforma la bouche de Romane qui rendit sa panoplie à regret. Je dus aussi me séparer des pistolets que j’avais eu le temps de baptiser, adieu fidèles Rédemption et Damnation. Plus amusé que réellement agacé de notre petit numéro, le père de famille nous renvoya un clin d’œil. Mais la fée destituée déplorait la perte du trône des papillons. Elle traîna des pieds jusqu’à la buvette et me lança un regard implorant. Je lui offris son jus de fruits préféré, le déguisement était oublié.

    La tonnelle qui nous abritait n’avait rien d’une oasis, je bouillais sous la canicule. Mais sans chameau, Romane n’avait pas le courage de retourner marcher à la chaleur. À moitié fondue, elle fixait la paille avec laquelle je jouais.

    « Qu’est-ce que tu fais ? Tu remues la caféine ? »

    Je hochai la tête en pouffant et terminai mon soda tiède, écœurant.

    « On va nager ? »

    Elle redressa la tête, intéressée. Je jetai nos canettes, marquai un trois points avec la sienne, puis sortis de l’ombre en sautillant, pressée d’aller me rafraîchir.

    Vêtue d’un large chemisier sans manche tombant en corolle sur un jean slim, la jeune fille finissait de scotcher la guirlande de ballons sur le mur. Son téléphone sonna. La voix enthousiasmée de son amie lui proposait d’aller à la piscine. Chloé accepta avec embarras.

    « Je sais que tu sais, avait crié Stéphanie à travers le combiné, et je sais aussi où tu es ! Alors on passe te chercher dans dix minutes. »

    L’état d’urgence était déclaré. Elle descendit de la chaise sur laquelle elle était perchée et courut prévenir Kelly. L’étudiante soupira et se déchargea de la lourde pile d’assiettes qu’elle portait depuis la cuisine adjacente. Sa sœur avait tout deviné. Elle fut bien obligée de laisser partir son unique soutien, la petite sauterelle aux anglaises qui n’avait pas su dire non.

    Samantha regagna la salle des fêtes, les bras pleins de biscuits apéritifs. Elle les posa et s’étonna de voir sa sœur seule au milieu des tables recouvertes de nappes orangées. Les garçons qui devaient passer les aider auraient du retard. Chloé était partie rejoindre les membres du duo infernal que formaient une diabolique brune et une blonde incapable de tenir sa langue. Mais elle était optimiste, si les fées de la Belle au bois dormant voulaient leur prêter leurs baguettes, elles pouvaient être prêtes à temps.

    L’aînée secoua la tête et alla refermer sa voiture. Ses doigts se crispèrent autour de ses clés. Stéphanie était encore si insouciante. Elle respirait la joie de vivre et ne se doutait de rien, elle ne le pouvait pas. Le hurlement qu’elle avait poussé au milieu de la nuit retentit à nouveau aux oreilles de Samantha qui sursauta. Une main s’était posée sur son épaule. Elle se retourna, Kelly lui faisait face.

    « Ne t’inquiète pas Sam, elle ne sait rien.

    – Que ferons-nous l’an prochain ? Nous ne pourrons plus lui cacher qu’elle… »

    Samantha se tut, se forçant à sourire à la voisine qui sortait de chez elle et saluait les deux sœurs d’un geste de la main. Les jeunes femmes se fixèrent quelques instants en silence et la plus âgée hocha la tête avant de retourner à l’intérieur.

    L’odeur asphyxiante du chlore emplissait les vestiaires. Je trépignais d’impatience. Nous avions récupéré nos maillots en même temps que la filiforme Chloé et j’attendais qu’elles aient fini d’enfiler le leur, ma serviette autour des hanches. Quand elles sortirent de leurs cabines, je me précipitai vers le bassin, mais m’arrêtai rapidement. Pour y accéder, nous devions passer sous un jet glacé qui déversait sa pluie sans aucune compassion. Mon terrible face à face avec le pommeau se solda par sa victoire savourée d’avance, je me glissai dessous en serrant les dents. Maudites douches obligatoires. Je m’entourai de mes bras, glacée, la chair de poule recouvrait ma peau et mes longs cheveux bruns ruisselaient dans mon dos. Les filles se moquèrent de ma mine de chat mouillé ; je les dépassai, lançai ma serviette et plongeai directement dans l’eau. Romane et Chloé se dévisagèrent, éberluées. Je remontai à la surface, un sourire aux lèvres. Imprévisible, comme toujours.

    Je pris appui au rebord et grimpai sur la margelle. À cette heure, la piscine nous appartenait. Seule une endurante petite mamie qui enchaînait les longueurs l’avait préférée à la plage. Les filles s’assirent à côté de moi et firent tremper leurs mollets avant d’entrer dans le bassin. Elles laissaient à

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