De nouvelles configurations éducatives
Par Philippe Maubant et Lucie Roger
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De nouvelles configurations éducatives - Philippe Maubant
couverture
INTRODUCTION
PHILIPPE MAUBANT
Université de Sherbrooke
LUCIE ROGER
Université de Sherbrooke
DES COMMUNAUTÉS APPRENANTES À LA COÉDUCATION
Itinéraires des nouvelles configurations éducatives
Les universités partout dans le monde soutiennent aujourd’hui de nombreux dispositifs, méthodes et outils visant l’aide, le soutien et l’accompagnement de l’apprenant, jeune ou adulte. Désormais, grâce à l’enseignement à distance, par exemple, un professeur peut enseigner à plus d’une centaine de personnes en même temps, chacun étant confortablement installé dans son espace de travail. D’autres dispositifs, tels les portfolios électroniques, les blogs, les wikis et les forums de discussion, permettent eux aussi de mettre en place des situations d’apprentissage à distance qui s’organisent dans les interactions entre apprenants et entre apprenants et formateurs. Ces initiatives participent de la création et de l’essor de communautés d’apprentissage que celles-ci soient virtuelles ou non. Elles bouleversent les modèles éducatifs traditionnels. Elles soulignent et rappellent le rôle essentiel des tiers dans la réussite des apprentissages. Dès lors, ces nouvelles configurations éducatives en émergence ne préfigurent-elles pas le recours à de nouvelles situations d’enseignement-apprentissage où formateurs comme apprenants s’inscrivent dans une visée de coéducation, chacun des membres tenant tour à tour le rôle d’apprenant et de formateur? Derrière cette idée de coéducation se mettent en place de nouvelles figures de l’éducation, où différents éducateurs, professionnels ou non, interviennent dans une visée d’apprentissage. Qu’il s’agisse d’écoles accordant une large place aux parents dans l’action éducative ou encore de lieux «hors l’École» soutenant les élèves en difficulté, nous ne pouvons que constater l’essor de situations et de lieux éducatifs où différents intervenants posent des actes d’éducation, souvent structurés autour des trois missions de l’École: instruire, socialiser, qualifier. Nous chercherons dans cet ouvrage à cerner ces nouvelles formes éducatives, à préciser ce que peut être cette finalité de coéducation et à en identifier les dimensions opératoires et pratiques.
Nous questionnons tout d’abord l’idée de coéducation et ses effets sur les processus d’apprentissages. Ainsi, Jean-Pierre Astolfi pose-t-il le problème des nouvelles formes de l’échec scolaire et interrogent l’idée de coéducation comme ressources possibles à cette réalité éducative. Pour lui, le développement de la coéducation témoigne d’un partage des rôles entre l’École, qui se recentrerait sur les bons élèves, et d’autres dispositifs, spécialement conçus pour les élèves en difficulté. Jean Houssaye, quant à lui, cherche à montrer, à partir d’une présentation de l’évolution des centres de vacances d’enfants, que la coéducation risque fort de se révéler une fausse bonne idée. Pour lui, la coéducation incarnée par les centres de vacances est une autre forme d’éducation épousant une forme scolaire. Pour lui, les colonies de vacances sont instrumentalisées à cette fin. Ce recours à la forme scolaire pour penser les centres de vacances constitue une forme de régression et confère aux enfants qui les fréquentent un statut d’élèves.
Nous présentons ensuite certaines valeurs ajoutées de l’idée de coéducation, tant sur le plan des apprentissages que sur celui d’un possible développement de communautés apprenantes. Thérèse Laferrière et Louise Ménard, par une étude du système d’activités d’une classe d’élèves de troisième secondaire, montrent que la classe, dans les textes officiels, est considérée a priori comme une communauté d’apprentissage. Mais, selon elles, cette classe demeure tout au cours de l’année scolaire une communauté d’apprenants en devenir. Elles constatent en effet que, progressivement, de nouveaux rôles se déploient chez l’enseignant et chez les élèves et que de nouvelles routines de classe s’installent. Claude Leclerc interroge l’idée de coéducation à partir des contextes éducatifs prenant en charge des apprenants en situation d’illettrisme. Il propose une configuration éducative permettant de définir un principe de coéducation et dont les caractéristiques didactiques et pédagogiques s’organisent autour de la coopération, selon un modèle de communauté apprenante. Jean-Claude Kalubi s’intéresse au topique de l’influence qui, selon lui, est présent dans les conseils de coopération dans des écoles primaires du Québec. Ces conseils favorisent un travail sur les relations entre élèves et encouragent des formes de reconnaissance mutuelle entre les différents membres du collectif éducatif. L’élève prend ainsi conscience de son appartenance à une communauté d’apprentissage.
Finalement, cet ouvrage interroge les relations entre les différents acteurs impliqués dans les dispositifs de coéducation. François Larose, Jimmy Bourque et Claude Lessard posent en premier lieu la question du partenariat entre l’école et la famille qui, rappellent-ils, doit soutenir, selon le discours gouvernemental, la réussite et la persévérance scolaire. Une analyse documentaire nord-américaine tend à démontrer que la fonction dévolue aux parents demeure principalement celle de superviseurs du travail scolaire à la maison et d’acteurs, voire d’exécutants au sein d’un univers défini par les spécialistes et les experts de l’acte éducatif. Isabel Orellana démontre que le développement de communautés d’apprentissage, dont les pratiques épousent le fonctionnement social de l’être humain, constitue un axe de développement particulièrement prometteur pour le développement des sociétés tant elles cherchent à valoriser l’idée d’un vouloir agir et d’un pouvoir agir individuels et collectifs; cette auteure définit les principales caractéristiques d’une communauté d’apprentissage et montre de quelles manières elle peut conduire à développer de nouvelles stratégies pédagogiques. Lucie Roger présente les différentes figures de la coéducation telles qu’elles se présentent dans une école alternative du Québec. L’auteure démontre que les missions des écoles alternatives au Québec, même si elles s’inscrivent pleinement dans les principes et dans les missions de l’École québécoise, encouragent la construction et la mise en œuvre d’un type de communauté d’apprentissage organisée autour d’une coopération forte entre tous les acteurs impliqués sur le territoire éducatif. Selon Lucie Roger, le modèle de communauté d’apprentissage porté par le Réseau des écoles alternatives du Québec permettrait de dessiner un modèle de coéducation. Pour terminer cette réflexion sur la coéducation, Yves Lenoir soulève un paradoxe. Pour lui, le néolibéralisme triomphant, tout en soutenant le développement de communautés d’apprentissage, impose de facto l’individualisme au sein de l’organisation scolaire. Pour cet auteur, l’école devient un lieu d’inculcation d’un individualisme compétitif et érige cet individualisme en valeur suprême.
Cet ouvrage propose donc une ébauche de définition de la coéducation en montrant sous quelles formes elle se pense, se structure et s’opérationnalise. Outre ce qui semble être une belle idée éducative, nous invitons le lecteur à déceler les enjeux idéologiques explicites et implicites qu’elle porte et à examiner les effets qu’elle peut avoir sur la réorganisation de l’institution éducative et, plus généralement, du tissu social qui l’encadre.
CHAPITRE 1
JEAN-PIERRE ASTOLFI
Université de Rouen
L’ÉCOLE ET LES SAVOIRS FACE À LA COÉDUCATION
RÉSUMÉ
Au cours de la dernière décennie, le marché du travail s’est profondément transformé. En effet, les exigences de qualification, donc de formation induite, n’ont sans doute jamais été aussi élevées. Il lui est ainsi de plus en plus difficile de résorber un échec scolaire, pourtant en net recul au regard des années 1980. L’évidence de ce dernier ne peut désormais échapper à personne, ni à l’institution (ministère, enseignants, etc.), ni aux usagers de l’école, en l’occurrence les élèves et leurs parents, augmentant ainsi une pression déjà forte. Quelles tendances se dessinent et quelle sera dans les années à venir la distribution des rôles entre école et coéducation? Ne risquons-nous pas d’assister à une externalisation de l’échec scolaire vers la coéducation avec un recentrage de l’école sur les bons élèves?
L’idée d’échec scolaire est devenue un leitmotiv qui surdétermine les questions d’éducation, mais il recouvre un peu tout et n’importe quoi. Or, de la difficulté localisée à la difficulté globale, de l’échec au refus scolaire, tout n’est pas équivalent. Comme la notion d’illettrisme, c’est une construction sociale. On pourrait employer à son propos la formule d’Anne-Marie Chartier: un objet fuyant, indéterminé dans sa nature, surdéterminé dans ses manifestations.
Qu’est-ce qui justifie une telle affirmation? D’abord, que l’idée d’échec est récente, ne remontant qu’aux années 1970. Auparavant, il y avait sans doute davantage d’échec qu’aujourd’hui, puisqu’un faible pourcentage d’élèves atteignait le secondaire, mais on n’en parlait pas en ces termes. On admettait sans s’en scandaliser que les élèves aient une plus ou moins grande facilité pour les études, soient plus ou moins «doués». Sans doute parce que ceux qui ne réussissaient pas pouvaient trouver malgré tout un emploi adapté à leurs possibilités. Ce qui a modifié la perception sociétale de l’échec scolaire, c’est le fabuleux succès de la sociologie de la reproduction. La prégnance de l’idéologie des dons a pu être dénoncée et l’importance de l’influence sociofamiliale, mise en évidence. Du coup, le fait que certains échouent est apparu injuste et insupportable. Cette prise de conscience est en soi une bonne chose, mais elle a conduit à en oublier une autre, tout aussi importante: que l’idée d’échec scolaire est le corollaire des efforts de démocratisation de l’enseignement. Si précédemment, on n’en parlait guère, c’est que la sélection précoce faisait disparaître les élèves faibles de la vue des professeurs et de leurs préoccupations, et donc d’un traitement pédagogique adapté. Maintenant, ils sont là et provoquent facilement une nostalgie de «l’entre soi». Parler d’échec scolaire témoigne d’abord des difficultés à assumer cette situation nouvelle, avec l’inconfort professionnel qu’il occasionne. L’hétérogénéité des classes, qui est trop immédiatement vécue comme un problème à réduire, est à la vérité une condition nécessaire pour assurer la réussite du plus grand nombre.
À cela il faut ajouter au moins trois autres éléments. Le premier est la cécité sur le fait que le niveau ne cesse de s’élever, pour ne pas dire sa dénégation professionnelle. Le deuxième est que l’échec (tout comme l’illettrisme) est constamment redéfini, et que même les progrès obtenus conduisent à considérer comme étant en échec (ou comme illettrées) des populations qui n’étaient pas identifiées de cette façon dans la période précédente (Chartier et Hébrard, 1990). Et puis, troisième élément, on connaît ce qu’Antibi (2003) a appelé la «constante macabre». Quels que soient la classe, la localisation géographique ou le milieu social, il y a toujours un tiers des élèves dont on dit qu’ils n’ont pas le niveau! Imaginons qu’on exclut ce tiers, il s’en reconstituera rapidement un nouveau avec l’effectif restant… On connaît le cas limite des classes préparatoires aux grandes écoles, qui regroupent l’élite scolaire des meilleurs établissements, et dans lesquelles, un mois après la rentrée, s’applique là encore la constante macabre. Certains de ces élèves, qui avaient réalisé jusque-là un parcours d’excellence, ne s’en remettent jamais.
Ces remarques ne sont pas dénonciatrices envers quiconque. Elles cherchent seulement à attirer l’attention sur le fait que l’échec scolaire, qu’on dit être une «réalité», est d’abord une construction sociale. Mieux: que l’école, qui parle constamment aujourd’hui de lutte contre l’échec, est la première à l’organiser dans son fonctionnement quotidien. Antoine Prost n’avait pas tort de dire que l’école fonctionne à l’échec comme l’automobile fonctionne à l’essence! Et Perrenoud (1984) a décrit depuis longtemps le fait qu’une école qui s’organiserait vraiment autour d’une pédagogie de la réussite, en se donnant les moyens d’atteindre ses objectifs pour le plus grand nombre, serait immédiatement dénoncée comme laxiste, et provoquerait la fuite vers le privé… D’une certaine façon, n’est-ce pas cela qui se produit avec l’externalisation de l’échec scolaire vers la coéducation? Qui serait vraiment attristé par un recentrage de l’école sur les bons élèves? L’incapacité de l’école française depuis vingt ans à accepter de gérer l’hétérogénéité, et l’échec des projets successifs de rénovation en ce sens, montre que c’est déjà largement le cas.
Le développement des dispositifs hors l’école et leur contractualisation (contrat éducatif local, contrat local d’accompagnement scolaire, etc.) sembleraient intervenir en compensation des pratiques de l’école, dès lors que l’impératif de la réussite scolaire s’impose comme un élément fort de la nouvelle donne. L’accompagnement scolaire serait en train de passer de la prise en charge de l’échec à celle de la réussite scolaire. Le passage d’une aide aux devoirs à une aide aux savoirs marquerait une incontestable transformation de l’accompagnement scolaire. Comment, dès lors, percevez-vous ces changements? Quels en seraient, selon vous, les possibles effets sur l’école, les pratiques enseignantes, le rapport au savoir des élèves? Faut-il penser le phénomène dans les termes d’une concurrence engagée entre école et coéducation, avec quelques retombées positives pour chacun des acteurs, ou au contraire craindre une généralisation de la forme scolaire à des domaines préservés jusque-là?
C’est sans doute un peu les deux à la fois. Dans un sens, le succès de l’enseignement privé, comme l’ont démontré Langouët et Léger (1991) – qui n’en sont pourtant guère idéologiquement partisans –, s’explique d’abord par la meilleure écoute individuelle qu’y reçoit chaque élève, par l’accent mis sur le projet et le développement personnel, par l’octroi possible d’une seconde chance. Rappelons-nous ce qui sort des «bilans de savoir» établis par Charlot, Bautier et Rochex (1992): la répétition lancinante par les élèves de leur ennui scolaire, de la peur omniprésente et surtout de l’impossibilité pour eux de «parler avec les profs». Autrement dit, les familles vont chercher ailleurs ce que la lourdeur du «traitement standard» (Perrenoud, 1984) empêche l’école publique de proposer. Le recours de plus en plus net aux dispositifs hors l’école peut s’expliquer dans ce contexte, d’autant plus que jouent deux autres éléments. D’une part, l’évolution de la société vers les comportements individualistes et hédonistes, qui fait aspirer chacun à un besoin de reconnaissance comme à l’obtention de gains immédiats. D’autre part, la généralisation de la logique de la concurrence, qui conduit à évaluer différemment un service, dès lors qu’il a été librement choisi par l’individu au sein d’une gamme de possibles.
Mais en même temps, le succès de la forme scolaire reste éclatant, et il a même largement débordé les portes de l’école. Le mode scolaire de socialisation, devenu hégémonique, s’impose sans doute dans cette multiplication des activités d’accompagnement. Vincent et Lahire (1994) en ont noté de nombreux traits dans l’organisation de la vie personnelle et sociale des familles. Les mères, qui passent leurs mercredis et samedis à courir pour déposer leurs enfants en voiture d’un lieu d’activité à un autre, cherchent avant tout à régler et structurer le temps de leurs enfants, à organiser leur occupation incessante; avec une visée qui relève moins de l’encadrement et de la surveillance que de l’inculcation d’une discipline personnelle et du goût de l’effort. Il s’agit en quelque sorte que les enfants aient un agenda personnel calqué sur l’emploi du temps scolaire, afin de faire de chaque instant un instant d’éducation.
Tout cela peut conduire, en effet, à ce que ces dispositifs prennent davantage en charge la réussite que l’échec scolaire, qu’ils proposent d’offrir de nouvelles cartes plutôt que de s’attaquer véritablement aux problèmes d’apprentissage. Mais l’aide à la réussite est-elle nécessairement une «aide au savoir»? Piaget (1974) avait bien caractérisé l’écart fondamental entre «réussir et comprendre». Plus récemment, Meirieu (1987) a souvent insisté sur le fait que l’apprentissage est toujours un détour coûteux, et qu’il est souvent tentant de chercher à réussir avec ce que l’on sait déjà, en contournant précisément l’acte d’apprendre. Il avait notamment montré dans sa thèse qu’en travaillant par équipes, les élèves ne s’organisent pas ipso facto en «groupes d’apprentissage». S’ils se structurent en groupes affectifs, ils cherchent d’abord à installer – et à conserver le plus longtemps possible – le cadre douillet et protecteur d’une structure fusionnelle. S’ils se structurent en groupes de production, comme c’est encore plus fréquent, ils mettent en commun leurs compétences déjà installées en vue de réussir une production. Et la logique de production est aux antipodes de la logique d’apprentissage, parce qu’elle vise une réussite pratique par la mise au point collective du meilleur produit possible, en exploitant au maximum les atouts de chacun, sans s’aventurer en terrain inconnu. Mais justement, sans prise de risque, il n’y a pas d’apprentissage en perspective. Une publicité radiophonique met en scène ces jours-ci une mère qui s’inquiète des mauvaises notes de son fils et craint qu’il n’échoue au baccalauréat, le fils lui répondant sans le moindre stress qu’avec l’aide de tel accompagnement, il ne se fait aucun souci. Peut-être réussira-t-il son examen, mais qu’aura-t-il appris? On sait depuis longtemps que le bachotage n’est pas l’apprentissage, et que la pratique des «abrégés du bac» ne favorise guère une véritable entrée dans les savoirs.
Un marché du soutien scolaire, considéré dans son acception économique, s’est développé, sous-tendu par un processus de professionnalisation des intervenants tout autant que par le développement d’un grand nombre d’associations, d’entreprises, mobilisant à la fois les modalités de l’enseignement en présence et à distance, instaurant avec les familles de nouvelles modalités relationnelles. N’assistons-nous pas à un formidable mouvement centrifuge visant à intégrer aux objectifs de l’école l’ensemble des dispositifs de la coéducation? Partagez-vous cette orientation et, dans le cas contraire, quels seraient, selon vous, les garde-fous à envisager?
Ce qui précède laisse effectivement entendre qu’un processus de «marchandisation» est à l’œuvre en éducation, même si d’autres secteurs d’activité sociale basculent plus rapidement du côté de la «profitabilité». Le thème des «consommateurs d’école», développé depuis longtemps par Ballion (1982), était en ce sens prémonitoire et risque de se développer avec un changement d’échelle, dans le contexte mondial de dérégulation économique. Un tel mouvement se traduit effectivement par un processus de professionnalisation des intervenants, mais la professionnalisation marchande, fondée sur des arguments commerciaux, n’est pas forcément synonyme d’une évolution de ces nouveaux acteurs en «professionnels de l’apprendre». La question me paraît rester ouverte de savoir si cela enrichira l’école de nouveaux dispositifs l’aidant dans ses objectifs propres, comme c’est souvent le cas depuis quelques années lorsque les collectivités locales (régions, départements, communes) prennent en charge des actions d’appui à l’enseignement, ou si au contraire cela dépouillera l’école de ce qui fait aujourd’hui sa spécificité.
À l’école est souvent fait le procès de «scolariser» les savoirs en procédant notamment à des formalisations, voire à des cristallisations excessives. Le reproche lui est également fait de ne procéder à une approche plus didactique que très ponctuellement et selon les disciplines. En un mot, l’école déposséderait les savoirs de leur saveur (sapere) au nom d’une exigence dont la seule justification avancée est celle de la sélection des meilleurs. Dans l’hypothèse où l’école se maintiendrait dans cette logique, quelle devrait-être celle de la coéducation?
Je pense que l’évolution souhaitable serait l’inverse. Dans une contribution récente à la publication genevoise Raisons éducatives consacrée à la forme scolaire (Maulini et Montandon, 2005), j’ai proposé plusieurs pistes pour ce que j’appelle une «déscolarisation positive» de l’école. J’y développais l’idée que la «forme scolaire» héritée de l’histoire de l’éducation depuis la fin du XVIIe siècle fonctionne sur l’ambivalence d’un effet positif d’exposition obligée, combiné à un effet négatif de réification larvé. Exposition obligée, car elle a produit une rupture avec les apprentissages expérientiels de la vie familiale et sociale et professionnelle, comme au temps du compagnonnage (Vincent et Lahire, 1994), ce qui lui a permis d’échapper à l’aléatoire d’apprentissages incidents et garanti une meilleure programmation curriculaire. Mais simultanément réification larvée, car la contrepartie négative de cette exposition obligée est l’autonomisation des moments d’apprentissage par rapport à la «vraie vie», la constitution d’un univers séparé de l’enfance, et du coup le dessaisissement didactique de l’ensemble du corps social au profit de l’institution scolaire. Ce qui se gagne en efficience risque ainsi constamment de se perdre en signification, puisque l’apprentissage, qui était immanent à des pratiques sociales contextualisées, mute en «grammaires formelles» des savoirs.
Pour redonner leur «saveur» aux savoirs, j’avançais trois directions dont les recherches actuelles en didactique des sciences montrent déjà des exemples. La première conduit à restituer à la science son statut de «science humaine». Car celle-ci se présente volontiers comme diffusant des connaissances