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La littératie au préscolaire: Une fenêtre ouverte vers la scolarisation
La littératie au préscolaire: Une fenêtre ouverte vers la scolarisation
La littératie au préscolaire: Une fenêtre ouverte vers la scolarisation
Livre électronique617 pages7 heures

La littératie au préscolaire: Une fenêtre ouverte vers la scolarisation

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À propos de ce livre électronique

La plupart des études sur la compréhension et la production de la langue écrite s’appuient sur des interventions axées sur des unités microstructurales comme la connaissance des lettres, la conscience phonologique et la correspondance graphophonémique (décodage). Mais comment la maîtrise de ces connaissances pourrait-elle générer, à elle seule, la compréhension des textes ?
LangueFrançais
Date de sortie29 août 2011
ISBN9782760532779
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    Aperçu du livre

    La littératie au préscolaire - Hélène Makdissi

    BIOGRAPHIQUES

    INTRODUCTION

    Les développements fondateurs à l’orée de la scolarisation

    Hélène Makdissi et Andrée Boisclair

    Le domaine de la littératie occupe une place prépondérante dans la recherche depuis les dernières décennies, et ce, au sein de disciplines aussi variées que l’économie, la politique, la communication, les technologies, l’anthropologie, la sociologie, la psychologie et, bien sûr, l’éducation. En fait, la littératie est conçue comme un facteur de développement majeur pour les individus et les sociétés, ce qui explique les multiples domaines de recherche qui s’y intéressent. La littératie est conçue comme un catalyseur de développement pour l’ensemble des pays et son accès est considéré comme un droit universel selon l’Organisation des Nations Unies (ONU, 2007)¹. Bien que la première définition formellement consignée du terme remonte à 1880 dans le Dictionary of the English Language, c’est davantage autour des années 1960 que la littératie est devenue un sujet de recherche officiellement reconnu (Brockmeier et Olson, 2009). Le sens attribué à ce néologisme, qui, en français, n’a pas encore une orthographe conventionnellement figée, a subi de nombreuses transformations au cours de son évolution. Selon Brockmeier et Olson (2009), les modèles occidentaux tendent à définir ce terme avec une centration sur l’aspect phonologique, aspect impliqué en réalité dans les systèmes d’écriture alphabétiques prépondérants dans les pays occidentaux. Cet état de fait n’est pas sans relation culturelle d’ailleurs avec la première définition avancée qui insistait sur l’idée d’être « lettré ».

    Il apparaît essentiel toutefois de parvenir à définir le terme littératie dans une vision plus large qui pourrait englober les réalités, non seulement de tous les systèmes d’écriture ayant existé au fil de l’évolution de l’humanité, mais aussi de ceux qui existent encore et qui ne fonctionnent pas avec des lettres et un code alphabétique (le système idéographique chinois par exemple). Si l’on considère ces autres systèmes d’écriture, la littératie garde sa raison d’être, sans toutefois accorder une aussi grande importance à la conscience phonologique. Si l’on parvenait à définir la littératie en son sens générique afin d’inclure tout système d’écriture d’une langue, cela permettrait de miser sur l’essence de la littératie, sur les aspects fondamentaux nécessaires à son développement. Ainsi, il serait possible d’identifier les éléments sur lesquels il conviendrait d’intervenir précocement dans l’optique de l’émergence de la littératie chez le jeune enfant et dans la visée d’une scolarisation ultérieure.

    Il est toujours périlleux de définir un terme, car cet exercice risque d’en réduire le sens ou, au contraire, de ne pas le clarifier suffisamment. Toutefois, comme il faut circonscrire la littératie en relation avec les objectifs de ce collectif, une amorce de définition sera proposée. Dans ce collectif, la littératie est conçue comme l’art d’interpréter des discours distancés de l’immédiat, des discours textuels de différents genres permettant la construction de sens par un dialogue différé entre un interlocuteur scripteur absent, au moment même de l’acte de lire, et son interlocuteur lecteur, ou entre un interlocuteur lecteur absent, au moment même de l’acte d’écrire, et son interlocuteur scripteur. Cette interprétation de discours exige, par l’action même de lire et d’écrire, une prise de conscience de la langue, des concepts et des représentations du monde, connaissances construites par le lecteur/scripteur et inscrites dans des pratiques culturelles variées et récurrentes (Olson, 2009). Lorsqu’elle se fait dans le plaisir, la nécessité de répéter cet acte d’interprétation aussi souvent que possible se crée, contribuant ainsi à la développer davantage. De plus, cette interprétation de discours requiert une compréhension non seulement des intentions d’un lecteur ou d’un scripteur, mais également des intentions, des motivations, des buts, des croyances, des savoirs et des valeurs de personnages fictifs qui prennent vie dans les textes élaborés (Genereux et McKeough, 2007). Dès lors, l’émergence de la littératie peut représenter l’évolution de cette interprétation de discours distancés de l’immédiat, et ce, déjà dans un mode oral. D’ailleurs, plusieurs auteurs montrent que plus l’enfant s’engage précocement dans des dialogues portant sur des événements non présents dans l’immédiat de l’acte langagier, plus il devient habile à construire un discours narratif (Uccelli, Hemphill, Pan, et Snow, 2006), le préparant ainsi amplement au discours scolaire (Bamberg, 2002). En ce sens, Olson (1998) mettra l’accent sur l’acte illocutoire bien plus que sur l’acte locutoire effectif². Cette définition de la littératie semble toujours valable aussi bien pour les écritures alphabétiques que les écritures consonantiques, syllabiques, logographiques ou idéographiques.

    Dans cette optique, les fondements de la littératie résident dans le développement de l’intentionnalité, du langage, des connaissances sur le monde, de la connaissance de l’autre et de la similitude ou de la distinction de ses savoirs, ses croyances, ses valeurs, ses intentions, ses motivations et ses buts par rapport à soi, ces éléments permettant de soutenir la construction de sens et l’interprétation. Cette prise en compte de l’autre, « de ce qu’il sait et de ce qu’il sait que je sais », exige une pensée récursive et itérative tout en en permettant le développement, ce que Tomasello (2008) juge essentiel à toute forme de langage humain. L’écrit exigera une prise de conscience supplémentaire de cette forme de pensée récursive (Uccelli et al., 2006). En effet, l’écriture de textes oblige à tenir compte du lectorat pour parvenir à expliciter les éléments essentiels afin que le discours apparaisse cohérent à toute personne distancée du scripteur (Charolles, 1994; Vandendorpe, 1996).

    Dans cette perspective, la première partie de ce collectif regroupe trois textes centraux mettant précisément en relief le rôle de la conversation dans l’émergence de la littératie et le développement précoce du langage. Le premier chapitre, d’Andrée Boisclair, Nathalie Doré et Karine Lavoie, permet de jeter un regard sur l’interaction dans la discussion entre le pédagogue et l’enfant. C’est dans l’interaction lors de ces discussions que l’enfant parvient à complexifier à la fois ses structures syntaxiques et ses explications, tout en construisant des connaissances factuelles sur le monde étendues et distancées de son univers immédiat. Katherine Nelson et Lea Kesler Shaw proposent, dans le deuxième chapitre, une conceptualisation de la formation du système de symboles nécessitant d’emblée une expérience sociale partagée au regard de la construction de sens. Ces deux auteures développent un argumentaire montrant comment, sur la base de l’expérience sociale, se crée la nécessité de la construction et de l’expression de sens en coopération avec autrui permettant ainsi le développement langagier et la capacité d’interprétation du monde dans un mode discursif qui se complexifie en prenant une certaine distance progressive de l’immédiat. Ioanna Berthoud-Papandropoulou et Helga Kilcher-Hagedorn décrivent, dans le troisième chapitre, comment des situations de conversations issues du quotidien peuvent permettre, lors de bris de communication, des extensions du discours qui favorisent l’appropriation d’une forme distancée de l’immédiat préparant ainsi les voies de la littératie pour la scolarisation future.

    La deuxième partie de cet ouvrage collectif met également l’accent sur les discussions, mais cette fois dans le cadre du discours narratif et de l’exploitation de la littérature jeunesse, d’une part, et, d’autre part, dans l’optique du développement de l’enfant, en insistant notamment sur les concepts de temps et de causalité inhérents aux récits. Dans le quatrième chapitre, dans un contexte de construction de récit à partir d’un livre imagé sans texte, Edy Veneziano démontre que si la modélisation d’un discours narratif peut favoriser la cohérence ponctuelle du récit du jeune enfant, c’est davantage la discussion sur les causes et les conséquences portant sur les malentendus survenus entre les protagonistes de l’histoire et leurs états d’esprit qui permet de maintenir la majoration de la cohérence des récits des enfants. Hélène Makdissi, Andrée Boisclair et leurs collaboratrices développent, dans le cinquième chapitre, le concept d’intersubjectivité littéraire dans le cadre de pratiques de lectures interactives de récits. Elles montrent comment la pratique de la lecture interactive suscitant la discussion notamment sur les relations causales en cours de lecture a permis à un groupe d’élèves de progresser significativement dans leur capacité de se rappeler un récit lu par l’adulte. Christine Gamba, dans le sixième chapitre, montre également comment la lecture interactive en situation de lecture de livre imagé sans texte permet aux enfants de mieux saisir les relations entre les événements du récit tout en décrivant la guidance de l’adulte à travers cette activité socialement partagée en classe préscolaire. Cette partie se termine par une réflexion plus large sur la construction du temps et de la causalité chez le jeune enfant d’âge préscolaire, deux construits inhérents au récit, mais qui s’élaborent dans les situations communicationnelles portant sur l’organisation de concepts tels que les jours de la semaine, les saisons et l’idée d’âge. C’est d’abord sous ces angles que Jean-Jacques Ducret, Frank Jamet et El Hadi Saada traitent, dans le septième chapitre, de la construction du temps et de la causalité qui est déjà amorcée à l’âge de 3 et 4 ans. Par la suite, ils établissent une relation entre la progression de ces concepts et les capacités des enfants à sérier des images sans texte dans le but de constituer et d’exprimer un récit.

    La troisième partie du collectif est consacrée à deux thèmes centraux de la littératie: l’aspect culturel et l’entrée formelle dans l’écrit d’un système d’écriture alphabétique comme celui de la langue française. Le huitième chapitre d’Anne van Kleeck met en relief les différences culturelles présentes dans les valeurs et les croyances de diverses ethnies concernant la littératie. Elle y discute des impacts que ces diverses postures culturelles peuvent engendrer non seulement dans les interactions familiales avec le livre, mais encore dans les écarts créés entre le discours familial et les différents programmes visant l’augmentation de la lecture d’histoires aux enfants et des interventions particulières favorisant l’expression de l’enfant en situation de lecture. Enfin, si une recherche de définition de la littératie a été développée, plus tôt dans l’introduction, dans le but d’englober tout système d’écriture d’une langue, il est vrai que, dans un système d’écriture alphabétique, la langue écrite exigera également la maîtrise d’un code mettant en relation des graphèmes et des phonèmes. L’entrée dans un tel système d’écriture exigera en effet une prise de conscience de la parole et favorisera le développement d’unités plus petites que le mot allant jusqu’au phonème. Parvenir à cette construction alphabétique a nécessité de nombreuses transformations dans la phylogenèse, qui se sont étendues sur des millénaires; ainsi, il appert que l’enfant transforme ses propres représentations du code alphabétique dans la même séquence évolutive (Ferreiro, 2000; Olson, 2002, 2006). Comme pour l’évolution de l’humanité, ce n’est pas d’emblée que l’enfant a une conscience phonémique qui servira les actes de lire et d’écrire. C’est plutôt dans l’acte même d’écrire qu’il pourra construire graduellement la correspondance graphophonémique, et ce, par la prise de conscience de sa parole exigée par l’entrée dans le code alphabétique. Dans ce collectif, le neuvième et dernier chapitre permet d’entrevoir le développement et l’apprentissage du code intégrés à même la construction de textes écrits. Pauline Sirois, Andrée Boisclair et leurs collaboratrices démontrent comment l’évolution des représentations des enfants autour du code alphabétique en situation d’écriture provisoire est subordonnée à l’écriture de textes, à l’intention communicative. Ce faisant, l’apprentissage du code devient beaucoup plus fonctionnel, car la nécessité de se pencher sur le code naît du plaisir que l’enfant prend à écrire une histoire.

    Chacun de ces chapitres traite des fondements essentiels à l’émergence de la littératie et tente d’expliciter les liens avec les implications pédagogiques au quotidien. En ce sens, le collectif permettra à Andrée Boisclair et à Pauline Sirois de conclure sur les avenues prospectives en recherche et en intervention dans le domaine de l’émergence de la littératie.

    RÉFÉRENCES

    BAMBERG, M. (2002). « Literacy and development as discourse, cognition or as both? », Child Language, 29, p. 449-488.

    BROCKMEIER, J. et OLSON, D. R. (2009). « The literacy episteme from Innis to Derrida », dans D. R. Olson et N. Torrance (dir.), The Cambridge Handbook of Literacy, New York, Cambridge University Press, p. 3-21.

    CHAROLLES, M. (1994). « Cohésion, cohérence et pertinence du discours », Travaux de linguistique, 29, p. 125-151.

    FERREIRO, E. (2000). L’écriture avant la lettre, Paris, Hachette.

    GENEREUX, R. et MCKEOUGH, A. (2007). « Developing narratives interpretation: Structural and content analyses », British Journal of Educational Psychology, 77, p. 849-872.

    OLSON, D. R. (1998). L’univers de l’écrit, comment la culture écrite donne forme à la pensée, Paris, Retz.

    OLSON, D. R. (2002). « What writing does to the mind », dans E. Amsel et J. P. Byrnes (dir.), Language, Literacy, and Cognitive Development, Mahwah, Lawrence Erlbaum Associates, p. 153-165.

    OLSON, D. R. (2006). « Literate mentalities: Literacy, consciousness of language, and modes of tought », dans S. Goodman, T. Lillis, J. Maybin et N. Mercer (dir.), Language Literacy and Education: A Reader, Londres, Trentham Books, p. 67-76.

    OLSON, D. R. (2009). « Education and literacy », Infancia y Aprendizaje, 32 (2), p. 141-151.

    TOMASELLO, M. (2008). Origins of Human Communication, Cambridge, Massachusetts Institute of Technology.

    UCCELLI, P., HEMPHILL, L., PAN, B. A. et SNOW, C. E. (2006). « Conversing with toddlers about the nonpresent. Precursors to narrative development in two genres », dans L. Balter et C. S. Tamis-LeMonda (dir.), Child Psychology. An Handbook of Contemporary Issues, New York, Psychology Press, p. 215-237.

    VANDENDORPE, C. (1996). « Au-delà de la phrase: la grammaire du texte », dans S.-G. Chartrand (dir.), Pour un nouvel enseignement de la grammaire, Montréal, Les Éditions Logiques, p. 85-108.


    1 L’alphabétisation est une condition essentielle du développement et de la santé; .

    2 L’écrit ne pourrait faire sens s’il ne rapportait que l’acte locutoire, comme le dit Olson (1998). Il faut aussi préciser, dans l’acte langagier écrit, de multiples indices extralinguistiques qui permettront au lecteur de construire un sens précis à ce qui est dit, de construire une valeur d’illocution. À titre d’exemple, il convient de considérer l’énoncé suivant qui ne ferait que rapporter fidèlement l’acte locutoire: Rénald, comme je suis surprise de ce geste. En l’absence d’un contexte informant le locuteur, le lecteur absent, du ton de voix, de l’expression faciale et d’autres indices extralinguistiques, ce dernier aura bien du mal à donner un sens à cet énoncé. Pour que le lecteur puisse construire une valeur d’illocution, le scripteur doit mettre le lecteur en contexte en ajoutant et en précisant de nombreux énoncés, externes à l’acte locutoire: Rénald, comme je suis surprise de ce geste, dit-elle d’un tendre regard tout en déposant délicatement sa main sur celle de celui qui avait fait frémir son cœur. L’écriture, par nature, ne donnant pas de contexte immédiat, étant décontextualisée, requiert un remaniement du matériau langagier afin de diminuer la distance entre le scripteur et son lecteur. C’est à partir de ces précisions sur le contexte que le lecteur construira une valeur d’illocution, une interprétation valable.

    PARTIE 1

    LE RÔLE DE LA CONVERSATION

    DANS L’ÉMERGENCE

    DE LA LITTÉRATIE

    CHAPITRE 1

    LA DISCUSSION AU REGARD DU DÉVELOPPEMENT DE LA PENSÉE CHEZ LE JEUNE ENFANT

    ¹

    Andrée Boisclair, Nathalie Doré et Karine Lavoie

    Université Laval

    École oraliste de Québec pour enfants sourds

    RÉSUMÉ

    Dans la discussion, les partenaires élaborent ensemble un propos, une argumentation sur un sujet donné. Le fait, pour l’humain, d’exprimer verbalement sa pensée est déjà source potentielle de complexification conceptuelle et de prise de conscience. Le fait d’avoir à interpréter, d’avoir à faire des hypothèses interprétatives au regard de l’énonciation de l’autre, pour peu que celle-ci comporte quelques complexités, peut encore être source d’avancement de la pensée. Le fait d’élaborer conjointement une argumentation, un propos peut être une source puissante de progrès, et ce, même si la conceptualisation de l’un n’est pas celle de l’autre, chacun, selon l’expression de Bloom et Tinker (2001), gardant son autorité. L’humain est naturellement un être de communication. Naturellement, il construit du sens, lit-on régulièrement dans les écrits constructivistes et socioconstructivistes. Tant la discussion doublant des activités signifiantes et complexes, que l’attention prêtée par l’adulte à l’expression verbale de la pensée de l’enfant en cours d’activité constructive que l’extension offerte à cette expression constituent des composantes indispensables d’une pédagogie développementale.

    Le développement se produit dans l’action, avons-nous appris des grands modèles constructivistes (Piaget, 1975, 1977; Piaget et Garcia, 1987) ou socioconstructivistes (Vygotski, 1997/1934; Werner et Kaplan, 1963; Wells, 2007a; etc.). Plus précisément, il se produit dans l’interaction, dans la transaction du sujet agissant, opérant sur l’objet, l’objet situé dans un contexte donné. Cette transaction sur l’objet est le fait de l’être entier, cognitif, affectif, social, vivant et faisant graduellement sienne la culture de son milieu de vie (Bloom et Tinker, 2001). Si cette transaction menant à une complexification de la pensée est le fait du sujet structurant, c’est-à-dire du sujet qui donne sens à l’objet selon ses représentations (pour Piaget, 1967/1992, il s’agit ici de l’assimilation² de l’objet aux structures ou aux schèmes³ de pensée déjà développés), elle tient aussi de l’objet qui impose ses contraintes, lesquelles sont traitées selon les représentations développées par le sujet et peuvent provoquer un ajustement des schèmes de pensée (pour Piaget, 1967/1992, l’objet, par ses contraintes, engendre une certaine accommodation des schèmes de pensée ou « un ajustement actif »). Les modèles socioculturels de développement ont amplement montré que ce mouvement interactif, dialectique, entre le sujet et l’objet ne se produit pas en vase clos. Il y a plus. Le développement est aussi lié à l’entourage culturel et humain qui non seulement participe à la présentation de l’objet (que celui-ci soit concret ou abstrait), mais le module de façon à soutenir la transaction du sujet réfléchissant, en pensant avec celui-ci, en entretenant conjointement une zone de subjectivité partagée. Ainsi, cette tierce partie, l’autre, devient partie prenante du développement. Tout en restant le sujet qui structure l’univers, celui qui a l’autorité, selon l’expression de Bloom (2000), c’est, d’une manière ou d’une autre, avec les autres que l’humain complexifie ses connaissances et ses schèmes de pensée. Ainsi, le développement se produit dans un creuset de subjectivités partagées, d’échange et de dialogue.

    Heureusement, dès sa naissance, l’humain apparaît comme un être de communication. Dès le départ, le bébé entrerait activement dans un réel système de communication. C’est ce que Trevarthen (1979, 2001) décrit sous le concept d’intersubjectivité, soulignant ainsi la réciprocité de l’échange communicationnel qui est le fait tant de l’enfant que de l’adulte.

    Ces expériences de partage de significations⁴ prennent des formes différentes selon les cultures (Gee, 1996, 2001) et sont fonction, bien sûr, du développement de chacun des partenaires. Comme l’enseigne Piaget, un schème se développe à partir des structures déjà développées. Ces expériences répétées de partage seraient indispensables au développement sur tous les plans, à tous les niveaux de complexification de la pensée. Toutefois, il y a plus. Selon les enseignements de Bloom (2000; Bloom et Tinker, 2001) sur l’interrelation des domaines de développement, ceux de Piaget sur le développement de la pensée et ceux de Halliday (1993, 2004/1994) sur le langage comme activité de construction de signification, le partage de significations ne sert pas seulement au développement d’habiletés ou de connaissances particulières. À travers la discussion, ce ne sont pas seulement des habiletés discursives, de nouveaux mots de vocabulaire, de nouvelles structures linguistiques, de nouveaux liens d’inférence qui peuvent être élaborés. Plus fondamentalement, ces apprentissages se trouvent imbriqués dans une certaine compréhension du monde; ils sont fonction de capacités de structuration logique. Chaque apprentissage, parfois en apparence limité, impliquerait d’autres développements plus fondamentaux, soit la manière de comprendre et de structurer le monde. « Lorsque l’enfant progresse dans son développement langagier, il ne se trouve pas engagé dans un seul type d’apprentissage. Fondamentalement, ce développement concerne les processus mêmes d’apprentissage », écrit Halliday (1993, p. 931; traduction libre). Cette affirmation a d’importantes implications au regard des pratiques pédagogiques.

    Ainsi, c’est dans la multiplicité des moments d’échange et de réciprocité dans le quotidien que le parent peut soutenir le bébé qui se trouve engagé dans une complexification progressive de ses schèmes de départ, ce qui ne réduit en rien la nécessité de l’action sur le monde comme source première de développement. Dans notre compréhension, l’interaction de l’adulte soutient cette action, module la présentation de l’objet sur lequel porte l’action du sujet apprenant. Dans cette perspective, enseigner, intervenir en éducation, que ce soit en milieu de garde ou à l’école, quel que soit le niveau, revient à participer à une construction conjointe de significations, sachant que c’est le sujet qui a l’autorité, c’est-à-dire que c’est lui qui pourra être déstabilisé et éventuellement modifier sa compréhension (le sujet étant ici bien sûr l’élève, mais aussi l’adulte, celui qui est en réflexion sur son enseignement, sur les processus de développement et d’apprentissage). Si l’humain peut répéter des mots, s’il peut imiter un comportement, il ne peut copier une structure de pensée, une compréhension du monde. Or, ce qui est visé en éducation, ce n’est pas une accumulation de connaissances découpées, apprises par « modélisation », c’est, à travers les apprentissages plus ou moins larges, le développement de la structuration du monde et des capacités d’inférence sous-jacentes. C’est indirectement que l’adulte peut agir sur ce plan plus fondamental. Il le fait à travers la structuration conjointe de l’action, de l’activité en cours, dans le partage dialogique de la pensée. Plus fondamentalement, il s’agit alors de structuration conjointe de significations.

    Cette conception de l’intervention pédagogique sera étayée, dans ce chapitre, sous l’angle de la discussion adulte-enfant. Il peut être pertinent, auparavant, de retracer quelques grandes lignes du développement même de la capacité de construction conjointe de significations chez le tout jeune enfant.

    1. LE DÉVELOPPEMENT DE LA CAPACITÉ D’ÉLABORER CONJOINTEMENT DES SIGNIFICATIONS

    Le dialogue repose sur la capacité des partenaires à partager réciproquement leur intentionnalité, ce que Tomasello nomme l’intentionnalité partagée (Tomasello, Carpenter, Call, Behne et Moll, 2005; Tomasello, 2008). Comme l’expose Bloom, cette capacité tient tant à l’expression du sujet qu’à l’interprétation de l’expression du partenaire. Pour cette auteure, l’intentionnalité doit être comprise dans son sens large et non pas dans son sens restreint qui se rapporte à la capacité de dissocier le but du moyen, à la seule expression d’un but. Dans son sens large, l’intentionnalité couvre tant la représentation du monde, l’aspect affectif que les valeurs et la culture du milieu de vie.

    Dans le premier système de réciprocité, de partage de subjectivité, ce que Trevarthen (1979, 2001) nomme l’intersubjectivité primaire, l’enfant et le parent forment une dyade. Attentifs l’un à l’autre, face à face, ensemble, ils partagent leur univers émotif. Cette capacité à entrer activement dans une zone de partage sur le plan affectif et de la communication serait innée (Trevarthen, 2004, 1988). Vers le milieu de la première année de vie, ou un peu après, la dyade en venant à étendre son attention vers le monde externe, enfant et partenaire en viennent à porter conjointement leur attention à des éléments ou à des aspects du monde externe. C’est ce que Traverthen nomme l’intersubjectivité secondaire.

    1.1. Intersubjectivité primaire – partage émotionnel, développement de synchronies

    De très nombreuses recherches ces dernières décennies ont porté sur les capacités de communication du jeune bébé. Ne mentionnons que quelques éléments d’observation. Il semble que, dès sa naissance, le bébé soit attiré par les yeux du visage humain et détecte la direction du regard du visage humain devant lui (Farroni, Massaccesi, Pividori et Jonhson, 2004). Dès la naissance, il réagit à la voix de sa mère (De Casper et Fifer, 1980) et après quelques jours, il reconnaît le visage de sa mère (voir la revue de Trevarthen, 2004, sur l’expression d’intersubjectivité chez le bébé et même le bébé naissant). Autour de deux mois, en situation face à face, il réagit si sa mère montre soudainement un visage impassible (Murray et Trevarthen, 1985). Dès trois mois, décrit Tronick (1989), l’enfant qui initie un mouvement de communication avec sa mère ou un adulte proche sans obtenir de réponse insistera par une expression faciale, une vocalisation ou un geste, puis il exprimera une émotion négative (regard au loin ou détourné, expression faciale de tristesse, etc.) s’il ne reçoit toujours pas de réponse.

    Si, dès le départ, le bébé est actif dans ce système de réciprocité, d’intersubjectivité, il a aussi autour de lui des adultes disposés au partage. Très tôt, le parent, le partenaire proche, favoriserait le développement de synchronies et de l’alternance dans l’action suscitant l’alternance des tours de rôle, laissant des poses, permettant à l’enfant de prendre sa place, donnant un sens aux réactions non verbales de ce dernier. La mère traite de façon privilégiée les initiations même non verbales de l’enfant, imite celui-ci, se répète comme pour donner le tour de rôle. Les auteurs, après Bateson (1975), utilisent le terme « protoconversation » pour décrire le dialogue adulte-enfant avant le langage « conventionné ».

    Alors que le jeune bébé commencerait souvent ses vocalises pendant que l’adulte s’adresse à lui (Kosak-Mayer et Tronick, 1985), très tôt se développe l’alternance. Ayant observé longitudinalement trois bébés avec leur mère, Ginsburg et Kilbourne (1988) constatent que, dès le troisième ou le quatrième mois de vie, selon les enfants, il y aurait davantage de vocalisations alternées que simultanées, comme dans un dialogue, chacun prenant son tour après l’autre. Ainsi, dès trois mois, tout un ensemble de synchronies, d’alternances dans les vocalisations, dans l’expression faciale, la motricité et le regard, est développé (Feldman, Mayes et Swain, 2005). Kaye et Chatney (1980) ont observé à trois reprises 36 mères chez elle avec leur bébé de 6, 13 et 26 semaines sur leurs genoux. Elles ont constaté que, dès la 13e semaine, les salutations vocales sont initiées aussi souvent par le bébé que par la mère. Bloom et ses collaborateurs ont analysé le déroulement des tours de rôle chez 12 bébés et leur mère au cours de la période de l’énoncé à un mot (Bloom, Margulis, Tinker et Fujita, 1996). Une première observation a été faite alors que les bébés (âge moyen: 13 mois et 18 jours) en étaient à leurs premiers mots et une deuxième alors qu’ils produisaient jusqu’à 50 mots lors des 30 premières minutes d’interactions mère-enfant dans une salle de jeu (âge moyen: 19 mois et 18 jours). À ces deux moments de développement, les tours de rôle ont davantage été initiés par les enfants que par les mères. Si l’adulte facilite la participation de l’enfant dans l’échange, celui-ci prend facilement l’initiative. Il la prend à partir de ce qu’il a déjà développé, ce qui amène Bloom à conclure que la participation verbale de l’enfant repose vraiment sur une activité interne, centre premier de développement.

    1.2. Intersubjectivité secondaire – partage d’attention autour d’objets, intentionnalité partagée

    Alors que les premières synchronies sont réalisées entre le bébé et l’adulte (ou le partenaire), la dyade enfant-adulte en vient à élargir son intérêt, à le porter sur des objets externes (éventuellement autour d’idées). Cette nouvelle capacité émergerait avec le développement de l’intentionnalité comme telle, puis de l’intentionnalité partagée avec l’autre, alors qu’enfant et adulte se prêtent réciproquement une intentionnalité.

    Les auteurs s’entendent pour affirmer que vers la fin de la première année de vie, il y a un tournant dans le développement de l’enfant: la capacité de marquer une intention (Baldwin, 2005; Bloom et Tinker, 2001; Tomasello et al., 2005; Tomasello, 2008; Tomasello et Carpenter, 2007; Malle, Moses et Baldwin, 2001). Vers 9 mois, décrit Piaget (1936/1977), un peu avant ou après, le bébé en vient à utiliser un moyen pour atteindre un but. Par exemple, il poussera la main de l’adulte vers un objet trop loin qu’il veut prendre. Il coordonnera ainsi deux actions (ici, pousser la main de l’adulte et prendre un objet), l’une comme moyen intermédiaire, l’autre comme but à atteindre, but non immédiatement accessible. Piaget interprète qu’il y a là émergence de l’intentionnalité, c’est-à-dire conscience du désir. Pour lui, ce serait la naissance de l’intelligence en ce qu’il y a établissement d’une relation, c’est-à-dire mise en relation de deux actions qui se trouvent coordonnées dans une intention déterminée.

    L’émergence de l’intentionnalité se manifeste aussi dans la capacité de concevoir que l’autre, le partenaire, poursuit un but, qu’il a une intentionnalité, ce que Tomasello et al. (2005) observe dès 9 mois. À titre d’exemple, Behne, Carpenter, Call et Tomasello (2005) constatent que dès 9 mois, l’enfant (ici, assis sur les genoux de sa mère devant une table) s’impatientera davantage si l’action de l’expérimentatrice (qui consiste, ici, à donner une balle à l’enfant pour qu’il puisse à son tour la déposer dans une sorte de glissade placée sur la table) échoue par nonchalance (l’adulte ne regardant pas ce qu’il fait et parlant avec un autre assistant) plutôt que par maladresse. Ainsi, l’enfant dissocie l’action de l’adulte (qui est faite avec ou sans bonne foi) du but qui est de donner un objet.

    Le développement de l’intentionnalité, ainsi défini par la dissociation du but et de l’action entreprise et par la reconnaissance de cette dissociation chez l’autre, marque une étape importante dans le développement des capacités de représentation et dans celui de la compréhension de l’action de l’autre. Toutefois, un autre développement puissant doit émerger pour qu’il y ait élaboration du langage et que d’autres développements cognitifs et culturels toujours plus puissants puissent à leur tour émerger: la capacité de concevoir qu’il puisse y avoir élaboration conjointe d’un plan d’action en fonction d’un but partagé, ce que Tomasello et al. (2005) nomme « l’intentionnalité au nous ». Selon ce dernier, cette nouvelle capacité permet à l’enfant de concevoir qu’il peut chercher à atteindre un but avec l’autre, c’est-à-dire partager une intention, élaborer conjointement une activité en sachant non seulement que le partenaire est, comme lui, porteur d’intention, mais aussi qu’il peut y avoir coordination des actions. C’est ce que Tomasello nomme encore l’intentionnalité partagée, une capacité qui, selon ce chercheur, émergerait peu après un an de vie, vers 14 mois, et qui serait particulière à l’humain (Tomasello et al., 2005; Tomasello, 2008). Grâce à cette nouvelle capacité, il peut y avoir coordination des points de vue et des rôles, soutien mutuel, complémentarité dans l’action autour d’une intention partagée. Alors que les activités conjointes antérieures étaient centrées sur l’activité et le but poursuivis par l’enfant, maintenant, il y aurait véritablement bidirectionnalité dans l’élaboration d’une activité.

    Prêtant une intention à l’autre, dissociant plan et but, concevant qu’une action peut être réalisée dans une variété de buts, l’enfant saura implicitement qu’une action tire sa signification de l’intention de celui qui la réalise, un même geste pouvant avoir plusieurs significations et s’inscrire sous différents buts, selon l’intention de celui qui le pose. Par exemple, on peut prendre un livre pour le ranger, le lire, le prêter, etc. Dans l’intentionnalité partagée, il y a, d’une part, expression, formulation en action ou formulation verbale de ses propres intentions, qui sont soumises à l’interprétation du partenaire, et, d’autre part, recherche de l’intentionnalité des propositions du partenaire, c’est-à-dire qu’il y a interprétation des propositions de l’autre (Bloom, 2000; Bloom et Tinker, 2001), que celles-ci soient verbales ou non verbales⁵.

    Cette capacité de partager l’intentionnalité, soutenue par les développements de la représentation, permettrait l’émergence de nouveaux développements: les premières actions de faire semblant et de pointer du doigt, ce geste de pointer qui consiste à demander au partenaire de partager non seulement son attention autour d’un objet précis ou d’une situation donnée, mais une intentionnalité particulière. De plus, comme pour l’ensemble des développements, dans une sorte de mouvement en spirale, l’expérience antérieure partagée sert en quelque sorte d’ancrage et permet chaque fois d’aller plus loin dans ces nouvelles formes d’expression que sont le faire semblant et le partage d’attention autour d’objets précis. Ainsi, l’expérience antérieure partagée aiderait à donner sens au « pointage » du partenaire (Liebal, Behne, Carpenter et Tomasello, 2009). En effet, l’action de pointer avec le doigt, selon Tomasello, Carpenter et Liszkowski (2007), prendrait plusieurs sens: informatif (celui qui pointe informe son partenaire), impératif (celui qui pointe fait une demande à son partenaire), expressif (celui qui pointe partage une émotion ou une attitude avec son partenaire). Pour comprendre le sens de ce geste, cela demande une réelle lecture de l’intention du partenaire.

    C’est aussi l’intentionnalité partagée, doublée des capacités d’inférence et de structuration cognitive, conjointement avec d’autres développements de la fonction sémiotique (le faire semblant et l’action de pointer) qui permettraient le langage. Cherchant à comprendre l’intention de l’autre, le sens de son propos, l’enfant élaborerait graduellement son langage. Ainsi, dans la situation où l’adulte lui dit, par exemple, « tu en veux encore? », alors qu’il tend son assiette vide, l’enfant en viendrait à inférer le sens de mots abstraits de l’énoncé de l’adulte. Ici, ce peut être l’idée « d’itération » impliquée dans le mot « encore » accompagnant « tu en veux » qui retient l’attention. Notons que ce simple exemple est fort riche. Au départ, ici, c’est l’enfant qui initie le propos de manière non verbale (probablement avec quelques oralisations), puis l’adulte prend en compte l’intention exprimée en action par l’enfant et fournit les mots pour que cette intention soit exprimée verbalement. En retour, l’enfant peut attribuer un sens au propos de l’adulte, celui-ci prolongeant ce que celui-là avait initialement exprimé, fournissant les mots pour qu’il y ait expression verbale.

    Ainsi, depuis qu’il est bébé, l’enfant se trouve, plus ou moins fréquemment selon chacun, selon chaque culture, dans un contexte de partage affectif et de significations qui est un puissant moteur de développement. Comme le rappelle Nelson, dans le chapitre 2 de cet ouvrage, ce contexte constitue même une condition de développement. Les enfants qui ne bénéficient pas d’un tel cadre s’en trouvent pénalisés dans leur développement. La nature est ainsi faite que tant l’enfant que l’adulte entrent spontanément, selon les cultures, dans un tel partage qui, au fur et à mesure, prend des formes différentes.

    Comment ces activités où il y a attention conjointe peuvent-elles être aussi bénéfiques pour l’enfant? Pour plusieurs raisons simultanées.

    Ces activités se font dans l’action, l’expérimentation, même lorsqu’il s’agit de livres (les mots remplaçant alors les actions). Dans ces derniers, les illustrations doublent en quelque sorte les scènes imaginées; elles fournissent des éléments de contextualisation. L’action sera alors le point d’ancrage de l’abstraction.

    Non seulement l’initiative verbale ou non verbale de l’enfant est-elle souvent respectée, mais elle peut également faire l’objet d’une extension par l’adulte habile.

    Ainsi, les activités sont réalisées dans un cadre de dialogue, chacun prenant son tour à partir du propos ou de l’action de l’autre ou de l’action conjointe, ce qui amène Fernyhough (2005) à parler de « partage dialogique des représentations cognitives ».

    Ces activités sont source de plaisir réciproque, parent-enfant, ce qui fait que l’enfant veut constamment se retrouver dans ce contexte de bonheur.

    Ces activités touchent simultanément l’ensemble des sphères de développement, le cognitif, l’affectif, le langage, tout en étant empreintes d’une culture donnée.

    Ces activités sont signifiantes pour l’enfant, qu’il s’agisse ou non de routines, d’activités sporadiques ou de jeux, en ce qu’elles tiennent compte de l’intentionnalité de l’enfant et qu’elles prolongent cette intentionnalité tant sur le plan conceptuel qu’affectif.

    Ces activités où il y a intentionnalité partagée dans le dialogue offrent ainsi les conditions pour qu’il y ait non seulement activité conjointe, mais construction conjointe. Il convient d’examiner d’une manière un peu plus approfondie comment ce processus dialogique peut être source d’activité constructive, c’est-à-dire d’élaboration intrasubjective.

    2. LA DISCUSSION SOURCE DE DÉVELOPPEMENT, DE COMPLEXIFICATION DE LA PENSÉE

    Ce bref détour chez les tout-petits n’est pas inutile. D’une part, il permet de suivre à grands traits l’émergence de l’intentionnalité partagée. En effet, à tout âge, les situations d’interaction entre partenaires se déroulent sur un fond d’intentionnalités, de subjectivités partagées. D’autre part, il permet de rappeler que, lorsqu’il entre en classe maternelle, l’enfant a déjà une longue expérience d’activité conjointe, de construction conjointe, d’intentionnalité partagée et d’initiative verbale. L’interaction entre humains aurait naturellement un caractère d’intersubjectivité, avec bien sûr des variantes culturelles, situationnelles et individuelles. Ainsi, non seulement à 2 ou 3 ans l’enfant est-il déjà avancé dans son élaboration du langage, mais en outre il initie constamment le propos, il a constamment à dire. Il cherche spontanément à interpréter l’action et le propos de l’autre, cela à partir de ses schèmes de pensée, bien sûr. Il construit naturellement du sens. Telle est la nature humaine. S’il n’en était pas ainsi, il y aurait un bris, une reconstruction à faire dans une chaîne naturelle.

    Lorsqu’il prend la parole, l’enfant ne peut le faire qu’à partir de son propre univers conceptuel, culturel, langagier et affectif. Exprimant sa pensée en paroles, formulant des abstractions, il se trouve confronté à la fois à l’objet même de discussion et d’action, à l’intentionnalité du partenaire autour de l’objet de discussion et à ses propres schèmes ou, plus globalement, à sa propre intentionnalité. Ce sont là autant de sources de déstabilisations intrasubjectives et de prises de conscience⁶. De plus, en verbalisant sa pensée, l’enfant verbalise tant bien que mal ses représentations et informe ainsi l’adulte, celui qui cherche à reconnaître la

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