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La muséologie, champ de théories et de pratiques
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Livre électronique596 pages6 heures

La muséologie, champ de théories et de pratiques

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À propos de ce livre électronique

Quels sont les fondements de la muséologie ? Quelles sont les formes émergentes de médiation des savoirs et le devenir des fonctions d’éducation et de diffusion propres aux musées ? Les auteurs de ce livre réfléchissent aux transformations des musées et des institutions patrimoniales, ainsi qu’à la muséologie comme champ de théories et de pratiques.
LangueFrançais
Date de sortie19 juil. 2012
ISBN9782760534056
La muséologie, champ de théories et de pratiques

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    Aperçu du livre

    La muséologie, champ de théories et de pratiques - Anik Meunier

    (1996).

    INTRODUCTION

    LE MUSÉE ET LE PARTAGE SOCIAL DU SAVOIR

    Anik Meunier et Jason Luckerhoff

    Le temps demeure le même parce que le passé est un ancien avenir

    et un présent récent, le présent un passé prochain et un avenir récent,

    l’avenir enfin un présent et même un passé à venir, c’est-à-dire parce

    que chaque dimension du temps est traitée ou visée comme

    autre chose qu’elle-même […]

    Merleau-Ponty, 1994, p. 482.

    Cet ouvrage a deux buts qui ont partie liée. Le premier est de marquer un temps d’arrêt pour réfléchir aux transformations et aux mutations des musées et des institutions patrimoniales. Le second but est de réfléchir à la muséologie comme champ de théories et de pratiques. Quels sont les fondements de la muséologie ? Quelles sont les formes émergentes de médiation des savoirs et le devenir des fonctions d’éducation et de diffusion propres aux musées¹ ?

    L’ouvrage est découpé en trois parties. Il fait le point sur la question de la muséologie comme discipline scientifique et tente au-delà d’en déterminer l’avenir ; il revient sur les missions et les orientations de la recherche dans le champ de la muséologie et de l’éducation muséale ; enfin, il présente quelques projets de partenariat et des modes de collaboration entre chercheurs et professionnels dans des musées.

    Confrontés à un monde où les innovations techniques et les créations technologiques les plus récentes ont infléchi un rapport à l’espace, au temps et à la culture, les musées sont en pleine mutation. Que devient, face à ces transformations, la muséologie et avec elle sa composante essentielle : l’éducation muséale, une des « fonctions du musée », sinon la principale ? La muséologie est-elle susceptible de proposer de nouvelles approches ou de les renouveler ? N’est-elle pas par essence axée sur une analyse identitaire accédant à une certaine forme d’universalité par la transposition muséographique de contenus scientifiques et leurs diverses médiations ?

    Dans un contexte de globalisation impliquant un rétrécissement de l’espace et un aplanissement des cultures, comment la muséologie peut-elle repenser ses rapports avec le monde professionnel ? Dans cette perspective, la muséologie doit-elle être considérée comme une discipline autonome, une science appliquée ou un champ professionnel ? Et de quelle façon la composante éducationnelle gagnerait-elle à être infléchie ou transformée ? À partir d’une démarche réflexive, ou analytique, ces questions sont abordées suivant diverses approches. Les analyses diffèrent selon que la muséologie se positionne comme une discipline autonome ou que sa définition s’examine en rapport aux fonctions qu’on a traditionnellement attribuées aux musées : recherche, conservation, diffusion et éducation. Les observations seront certes autres si on s’intéresse aux divers types de musées – arts, histoire, sciences et technologie, société – ou à leurs activités. Enfin, les études seront spécifiques si on regarde plus avant la formation universitaire en questionnant sa pertinence scientifique ou sociale, ou les deux, et ses retombées sur les pratiques professionnelles.

    On sait que les chercheurs en communication et en éducation s’intéressent tout particulièrement au rapport entre médias et savoirs puisque ces derniers jouent, sans aucun doute avec l’école, un rôle prépondérant dans la formation des connaissances des citoyens. Quels sont les apports des musées, de leur composante éducationnelle et de la communication à la question du partage social des savoirs ? Les différentes modalités d’éducation mises en œuvre en contexte muséal consistent à familiariser avec le patrimoine, à apprendre à visiter et à conduire à la délectation. Ces modalités sont-elles susceptibles de conférer une nouvelle légitimité au champ de la muséologie et à celui de l’éducation non formelle ? Quelles sont les nouvelles orientations de l’éducation muséale – museum education – dont le Canada, ces dernières années, a affirmé et assuré un certain leadership ?

    Dans la muséologie comme dans l’éducation muséale, la notion de médiation se définit différemment selon les contextes. De manière plutôt consensuelle et pour la plupart des auteurs, la médiation implique le rapport entre un sujet (l’apprenant) et un objet (les savoirs). La médiation correspond aux dispositifs ou aux médias pensés et utilisés pour permettre aux publics d’accéder aux divers contenus exposés ou exhibés. Le médiateur – l’enseignant ou tout autre acteur – qui souhaite rendre accessibles et compréhensibles les savoirs exhibés peut s’aider d’un support, d’un dispositif, d’une méthode afin de favoriser la compréhension, voire l’appropriation de ces savoirs.

    Les observations les plus récentes du travail réalisé par les médiateurs à l’endroit des publics indiquent que certaines tendances se dégagent de leurs actions. La première orientation concerne le travail de conception lié à ce savoir – produire le contenu scientifique à transmettre au visiteur à partir des expôts ou des collections. La deuxième a trait aux publics destinataires du savoir – se préoccuper du public et impliquer les différentes catégories de visiteurs. La troisième relève des instruments avec lesquels ce savoir sera transmis et appréhendé – concevoir des outils, des méthodes ou des dispositifs qui permettront aux visiteurs de s’approprier effectivement les contenus de l’exposition –, le tout composant ce qu’il est convenu d’appeler le discours de médiation. Les intentions de la médiation sont susceptibles de diverger selon le contexte : il peut être celui de l’éducation formelle ou celui de l’éducation non formelle.

    Déjà en 1990, Jacobi et Schiele en s’intéressant à la vulgarisation scientifique proposent « de la séparer du champ de l’éducation dite formelle par exemple en utilisant un concept anglo-saxon : informal education (Lucas, 1983) dont la traduction littérale serait éducation informelle ». Ils considèrent que « […] qualifier cette école parallèle (Friedman, 1964) d’informelle pourrait laisser croire qu’elle n’est pas structurée, ni organisée, institutionnellement sans réelle consistance, ni moyens financiers… » Mais, tel n’est pas le cas des équipements culturels qui proposent notamment la communication et la divulgation de divers contenus scientifiques. Pour eux, il paraît « […] préférable de retenir le concept d’éducation non formelle (vs formelle) ». De plus, en poursuivant leur analyse relative à la vulgarisation scientifique, ils soutiennent que « [s]ous d’autres formes, dans d’autres lieux, avec d’autres moyens et d’autres méthodes, la VS [vulgarisation scientifique] se propose de contribuer à l’acculturation scientifique du public des non spécialistes (Lucas, 1983) » (Jacobi et Schiele, 1991, p. 84).

    Les musées et leurs expositions ne sauraient être confondus avec l’école. Ils appartiennent sans ambiguïté au champ de l’éducation non formelle (informal education). Mais qu’est-ce que l’éducation non formelle ? Selon Jacobi (2001), « le poids attribué à l’école et à l’appareil d’éducation formelle dans la genèse des conduites et des intérêts des adultes insérés socialement et professionnellement a complètement fait perdre de vue une donnée pourtant très connue et, par ailleurs, parfois dénoncée par les professionnels de l’enseignement : il existe d’autres sources de diffusion et d’acculturation dans une société moderne » (p.2). À cet égard, l’expression éducation non formelle est préférable à celle d’éducation informelle qui représente une traduction littérale de l’expression anglo-saxonne informal education et qui correspond en français au milieu informel, à celui que procure l’expérience quotidienne, la vie de tous les jours. Or, ce n’est pas de cela dont il s’agit lorsqu’on visite une exposition ou quand on s’intéresse à l’impact des différents médias : livre, disque, presse, radio, cinéma, télévision et musées. Jacobi délimite volontairement l’éducation non formelle de façon ouverte puisqu’elle se définit en rapport avec son double. Elle désigne « toutes les interventions à caractère éducatif qui sont mises en œuvre par des institutions ou des acteurs autres que l’appareil scolaire officiel » (Jacobi, 2001, p. 3). Une encyclopédie, un livre documentaire, une émission de télévision, un site Internet, un film et bien sûr un musée ou une exposition peuvent avoir des buts éducatifs même si à l’évidence il ne s’agit pas de leur seule vocation. Dans ce cas, leurs publics apprendront quelque chose sans même se rendre compte qu’ils se cultivent. « [S]i un traçage distinguant l’éducation formelle vs non formelle est effectivement possible, cela ne signifie pas pour autant que ces deux domaines s’ignorent. Les acteurs-producteurs d’éducation non formelle choisissent leurs créneaux et leurs stratégies en fonction du public […] que l’éducation formelle ne peut satisfaire » (Jacobi et Schiele, 1991, p. 85-86).

    Mais qu’en est-il des visites scolaires dans les musées ? S’agit-il d’éducation formelle ou non formelle ? Si un enseignant donne le contenu qui devait être enseigné en classe dans un musée, il s’agit d’éducation formelle délocalisée. Si l’enseignant accompagne les élèves qui seront pris en charge par un responsable des services éducatifs au musée et qui se donnera comme objectif de les faire apprendre, de s’amuser et de se détendre, il s’agira peut-être alors d’éducation non formelle. Le lieu et le contexte de l’apprentissage ne déterminent donc pas à eux seuls le caractère formel ou non de l’éducation, et les frontières entre le formel et le non formel sont assez poreuses. Bien que cette distinction n’oppose pas seulement des lieux, il est évident que la majorité des apprentissages formels se font à l’école. L’environnement, le contexte et le lieu dans lesquels se réalisent les intentions d’éducation peuvent avoir une incidence sur le projet d’éduquer qui prend place dans l’école comparativement à celui qui se déroule hors de l’école. À cet effet, Heimlich, Diem et Farrell (1996) opposent l’apprentissage scolaire formel à l’apprentissage en milieu non formel. Cette opposition, péremptoire à première vue, nous engage à réfléchir aux distinctions entre l’école et le musée avant d’y adhérer. Déjà en 1990, Jacobi et Schiele esquissent une description qui schématise les traits les plus saillants pour distinguer les oppositions entre éducation formelle et non formelle « […] : elle choisit ses contenus, ses méthodes et ses objectifs en dehors des contraintes des instructions officielles. Elle s’adresse à un public non captif. Elle ne participe pas au jeu des certifications sociales que confèrent les diplômes » (p. 84). Dans la poursuite de cette réflexion, on tente aussi de marquer les nuances entre les deux formes d’éducation, spécifiant ce que recouvre le milieu scolaire – l’école et la classe – et distinguant les particularités de lieux d’éducation non formelle tels le musée et les expositions :

    L’école a pour objet premier d’instruire et d’éduquer ou l’inverse selon les écoles de pensée. Le musée a pour objet de recueillir, de conserver, d’étudier et d’exposer des témoins matériels de l’homme et de son environnement. L’école est obligatoire. Elle compte sur une clientèle captive et stable. La clientèle du musée est libre d’y aller ou non. Elle est plus ou moins passagère. L’école s’adresse à une clientèle structurée en fonction de l’âge ou de la diplomation. Le musée s’adresse à tous les groupes d’âges, sans distinction de formation. Le musée possède sa collection propre et accueille aussi des expositions itinérantes. On ne peut lui demander d’organiser des activités pédagogiques qui ne tiennent pas compte de sa collection. L’école doit tenir compte d’un programme qui lui est imposé. Certes, elle peut intégrer quelque peu, mais elle doit dans l’ensemble y rester fidèle. Elle est aussi conçue pour des activités de groupe (classe). Le musée est organisé pour une activité qui, habituellement, se déroule individuellement ou par petits groupes. L’école reçoit sa clientèle pour au moins un an, le visiteur du musée n’y séjournera qu’une heure ou deux.

    L’activité scolaire se fonde d’abord sur la parole et sur le livre…

    L’activité muséologique se fonde d’abord sur l’observation et sur l’objet. Dans l’élaboration d’une pédagogie propre au musée, il s’avère essentiel de tenir compte de ces distinctions

    (Allard, Larouche, Lefebvre, Meunier et Vadeboncœur, 1995, p. 3).

    Selon Allard et Boucher (1998), l’éducation muséale détient une dimension muséologique, une dimension éducative et une dimension sociale. La dimension muséologique réfère évidemment à l’expérience du musée telle que vécue par les visiteurs et aux interactions entre les publics et les œuvres. La dimension éducative réfère aux choix du musée qui présente des objets artistiques, historiques, scientifiques ou autres. Finalement, la dimension sociale correspond aux caractéristiques spécifiques et aux demandes des visiteurs en tant que groupe social.

    Les dimensions tripartites attribuées à l’éducation muséale n’oblitèrent en rien la dualité éducation/communication présente dans toute forme de diffusion des savoirs en contexte d’éducation non formelle. Au surplus, on ne peut ignorer que les deux paramètres (éducation et communication) existent aussi bien dans l’éducation formelle que dans l’éducation non formelle. C’est probablement le poids relatif de l’un par rapport à l’autre qui varie et qui est modifié. Dans l’éducation formelle, le volet éducation est plus important que la communication qui est souvent secondaire. Dans l’éducation non formelle, c’est l’inverse, on admet le primat de la communication, et l’éducation se trouve en arrière-plan.

    Dans une approche en éducation, tout comme dans l’approche communicationnelle, la notion de public se déploie au centre de toute action. Qu’est-ce qui distingue, donc, la perspective communicationnelle de la perspective éducationnelle pour l’étude du musée, des visiteurs ou de la relation entre des visiteurs et des objets exposés ? En effet, la notion de médiation renvoie autant à la notion d’éducation non formelle en contexte muséal qu’à l’approche communicationnelle des faits culturels. Cette perspective bi-disciplinaire est aussi présente dans les institutions muséales : « De nombreuses actions de communication et de diffusion, voire d’éducation, de la culture et du patrimoine sont conçues et développées par les différents acteurs de la muséologie. […] Les deux modes de communication privilégiés par lesquels ils s’adressent aux visiteurs sont le média exposition et/ou les programmes éducatifs développés au sein du musée et, idéalement, à partir des diverses ressources disponibles, notamment des collections » (Meunier, 2008, p. 3).

    L’approche communicationnelle, tout comme l’approche éducationnelle, propose d’étudier les publics, les organisations et les dispositifs dans leur contexte d’échanges. Ainsi, en communication, le chercheur ne s’intéresse pas spécifiquement à l’œuvre (histoire de l’art), aux publics (sociologie), aux organisations (gestion) ou aux dispositifs techniques (ingénierie de la culture), mais bien à la situation de communication qui existe à partir du moment où un visiteur va à la rencontre d’une œuvre. En d’autres mots, l’approche communicationnelle diffère des travaux des littéraires, des sémiologues ou des historiens de l’art en ce que l’œuvre n’est pas étudiée ontologiquement sur le plan de ses seules caractéristiques formelles. Plusieurs chercheurs, dont Jean Davallon, Daniel Jacobi, Bernard Schiele et Paul Rasse, ont développé une approche communicationnelle qui a permis d’attribuer le statut de média à l’exposition. Selon Davallon (1999), on peut considérer l’exposition comme un média parce qu’elle place des codes sémiotiques en circulation dans l’espace public et propose des relations entre des publics, ces registres sémiotiques et les acteurs de la production. C’est la dimension symbolique des phénomènes de communication – ce que Davallon appelle l’« opérativité symbolique » – qui attire alors l’attention des chercheurs. Le média exposition est un « dispositif résultant d’un agencement de choses dans un espace avec l’intention (constitutive) de rendre celles-ci accessibles à des sujets sociaux » (Davallon, 1999, p. 11).

    Les sciences de l’éducation et les sciences de l’information et de la communication accordent donc une importance similaire à la relation qui s’établit entre le visiteur et l’œuvre. Dans un cas, on s’intéresse davantage à ce qui est retenu lors de la démarche d’apprentissage en contexte d’éducation non formelle et, dans l’autre à l’exposition comme fait médiatique et sémiotique capable de communiquer et de signifier. Ces deux perspectives écartent donc la possibilité d’étudier l’œuvre pour et par elle-même, c’est-à-dire ontologiquement et dans une dynamique purement esthétique. Nombre de chercheurs considèrent que, pour ce faire, ils doivent adopter une approche interdisciplinaire.

    À ce titre, la muséologie et la communication sont deux domaines pour lesquels certains auteurs revendiquent une légitimité de sciences à part entière alors que d’autres considèrent qu’ils se définissent par leur caractère interdisciplinaire. Loin de voir cette intégration lente et partielle des connaissances comme une lacune, des chercheurs verront l’interdisciplinarité comme une force ou une richesse (Jeanneret et Ollivier, 2004). La spécificité de la muséologie et de la communication dans les recherches sur les musées et leurs publics n’est pas évidente. Les méthodes et savoirs produits dans ces deux champs pourraient-ils être construits dans et à partir d’autres disciplines des sciences humaines et sociales ? Un sociologue, un psychologue, un anthropologue réaliseraient-ils des travaux différents de ceux d’un chercheur en muséologie ou en communication ? La réponse semble évidente à toute personne qui œuvre dans ces deux champs, et pourtant la spécificité de ces approches pour l’étude du musée, des publics et des relations entre les publics et ce qui est présenté n’est pas suffisamment affirmée.

    L’ouvrage La muséologie, champ de théories et de pratiques se propose d’étudier ces questions. Il se divise en trois parties et présente en un premier temps des analyses à propos du musée, de la muséologie et de l’éducation muséale².

    Dominique Poulot, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, signe un texte intitulé « Le musée et le patrimoine : une histoire de contextes et d’origines ». Selon une approche qui articule sa réflexion à partir des différents faits historiques, Poulot s’intéresse à la constitution et à la caractérisation de la notion de patrimoine tout en relevant comment, à diverses périodes de l’histoire, le patrimoine a été constitué en relation avec les musées. À cet effet, il suggère : « que le patrimoine était le fruit de reconstructions fondées sur des tris et des choix, d’oublis sélectifs comme de commémorations volontaristes : la situation des musées en fait à cet égard un objet remarquable » (p. 20). Poulot questionne aussi la figure du visiteur qui se construit au fil des définitions et des considérations liées à l’objet que représente le patrimoine. Ainsi, « [l]e musée édifie, en chaque visiteur, le législateur grâce au savoir des origines historiques qu’il peut mobiliser à son bénéfice en face de chaque œuvre » (p.26). Enfin, il relève que « [l]’une des questions centrales de l’histoire culturelle du patrimoine est alors de savoir comment négocier entre l’Ancien Régime des objets de mémoire et de leurs civilités et les nouveaux partages » (p.35). C’est ce qu’il nomme en conclusion, la relation sociale des musées aujourd’hui qui engage sur une « structure universelle minimale de la construction des passés » (p. 36).

    Jason Luckerhoff, professeur en communication sociale et en études culturelles à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) signe le texte « Le Musée national des beaux-arts du Québec est-il condamné à séduire ? » et s’intéresse à la tension que vivent les gestionnaires de nombreuses organisations culturelles entre la valorisation par les critères culturels et de marché. Une étude des rapports annuels du Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ), de 1933 à 2010, lui a permis de mettre au jour comment le tournant communicationnel et commercial a été pris au sein de cet établissement. Il a constaté que dans les changements de la mission du musée, la communication et l’éducation ont pris de plus en plus d’importance au détriment de la conservation et de la recherche. Selon lui, « la tension entre la recherche d’excellence en matière de conception d’expositions et la nécessité d’élargir le public a provoqué une ambivalence quant à l’importance qui doit être accordée à la recherche, à la conservation et à l’acquisition de nouvelles œuvres, d’une part, et à celle qui doit être impartie à l’éducation, à l’exposition et aux publics, d’autre part » (p.73). Les nombreuses réorganisations de l’organigramme ont accordé un statut changeant aux services éducatifs.

    Bernard Schiele, professeur au Département de communication de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), est chercheur au Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie (CIRST). Il propose le chapitre « La muséologie : un domaine de recherches ». Pour lui, le débat sur le statut de la muséologie est indissociable de celui sur la formation en muséologie. Il nous rappelle que les termes muséographie et muséologie sont apparus, respectivement, en 1727 et en 1839. Ils ont cessé d’être utilisés indifféremment lorsque Rivière définit la muséologie comme « la science ayant pour but d’étudier la mission et l’organisation du musée » et la muséographie comme « l’ensemble des techniques en relation avec la muséologie » en 1958 (cité dans Mairesse et Desvallées, 2005). Cette définition initiale sera ensuite enrichie afin, notamment, d’affirmer le caractère scientifique de la muséologie au moment de l’arrivée des formations universitaires au début des années 1970. Or, les musées changent, et la définition de Rivière correspond à l’idée qu’on se faisait d’un musée à cette époque. Schiele considère que les évidences du champ muséal sont transposées dans la théorie en muséologie, rendant les définitions intuitives ou réflexives. La muséologie, les museum studies ou les études muséales se sont généralisées, mais les définitions sont restées, selon lui, confuses et les appellations multiples.

    Directrice du Groupe de recherche sur l’éducation et les musées (GREM) de l’UQAM, Anik Meunier est professeure en sciences de l’éducation et en muséologie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Elle a organisé le colloque de l’Acfas L’avenir de la muséologie et dirige ce collectif. Dans son chapitre, « L’éducation muséale : fragment d’une muséologie inachevée ? », Meunier fait référence à un débat, qui n’est pas propre à la muséologie, qui est de déterminer si le champ ou le paradigme au sein duquel des chercheurs œuvrent peut être considéré comme une science, une discipline, une interdiscipline, un champ disciplinaire ou une perspective. Ce débat n’est évidemment pas sans rappeler celui qui a cours au sein des sciences de l’information et de la communication. La communication comme le musée peuvent être réduits à l’état d’objet d’étude appréhendé par de nombreuses disciplines comme la sociologie, la psychologie et l’administration. Mais il y a bien une spécificité dans le regard que portent les chercheurs qui ont institutionnalisé la muséologie et les sciences de l’information et de la communication. Meunier se demande par conséquent si l’éducation muséale est une science déjà constituée. De plus, elle considère que la muséologie produit des connaissances à propos du musée comme phénomène social (et non pas seulement comme objet d’étude), comme dispositif de communication et comme lieu d’éducation non formelle.

    Michel Allard, professeur associé au Département d’éducation et pédagogie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et fondateur du Groupe de recherche sur l’éducation et les musées (GREM), propose un texte intitulé « Le parcours et les perspectives du champ et de la recherche en éducation muséale ». Selon lui, le rôle des musées au sein de la société est mouvant. Les musées seraient passés du patrimoine d’hier et de la conservation, au patrimoine d’aujourd’hui et à la relation avec le visiteur, en s’engageant, notamment, politiquement dans des débats. Les musées multidisciplinaires sont de bons exemples de cette « nouvelle » identité muséale. Allard affirme même que puisque le musée s’inscrit dans le champ des industries culturelles, il devient ainsi un agent de développement économique. L’espace qui était auparavant dédié aux bibliothèques et aux réserves est dorénavant partagé avec les boutiques, les restaurants et les aires de repos. Allard invite aussi les institutions muséales à prendre en compte l’éducation muséale dès le début de la conception de l’exposition. Il s’agit, pour lui, d’une forme d’engagement envers le visiteur qui se trouve, de plus en plus, au centre des préoccupations et des finalités des actions des musées et des intentions de médiation poursuivies par les professionnels de la muséologie.

    La deuxième partie cerne certaines des transformations des musées et en trace les incidences quant aux formations en muséologie.

    Daniel Jacobi, professeur au Centre Norbert-Elias, UMR CNRS 3865, Équipe Culture et communication, à l’Université d’Avignon et des pays de Vaucluse, signe un chapitre intitulé « La muséologie et les transformations des musées ». Il aborde en première partie de son texte des thèmes tels le tournant communicationnel des musées et la naissance de la muséologie universitaire française dans laquelle il traite les questions suivantes : le musée comme institution d’éducation non formelle ; l’exposition comme dispositif de monstration et de communication ; l’exposition temporaire considérée comme un média qui transforme l’institution. En deuxième partie de son texte, Jacobi soulève la crise de croissance des institutions patrimoniales et muséographiques et suggère qu’elle propulse les médiations au centre de l’analyse. Il propose comme outils de réflexion et concepts d’analyse les notions suivantes : l’ingénierie culturelle, l’évaluation des connaissances, la médiation, les dispositifs et les médiateurs. Dans la troisième partie de ce chapitre, Jacobi s’intéresse à une analyse du musée lui-même en proposant la fin du paradigme de l’exposition temporaire « Comme si on avait épuisé tout son potentiel d’innovation et d’entraînement » (p.149). Il soulève alors un ensemble de questions : « Que sera la muséologie dans ce nouveau contexte ? Et quelles voies pour les formations universitaires ? » (p.149).

    Élise Dubuc, professeure au Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques de l’Université de Montréal, affirme avec son texte « Les mutations muséales : pour une compréhension élargie de la fonction des musées » que l’adéquation de l’institution muséale à la société est aujourd’hui fortement remise en cause. Elle aborde cette question en s’intéressant à la professionnalisation des musées et l’autonomisation des programmes d’enseignement. Puis, elle avance que la définition de la formation en muséologie est déterminée par huit fonctions ou métafonctions des musées qui s’articulent autour de dynamiques qui leur sont propres. Il s’agit des fonctions : conservatoire, culturelle, sociale, économique, scientifique, politique, éducative et symbolique. Enfin, Dubuc conclut sur ceci : « Les huit métafonctions que j’ai présentées ici sont une proposition qui va en ce sens. L’apport critique des autres disciplines a permis de faire avancer nos connaissances, de mieux comprendre cette institution si multiple. Mieux vaut englober cette complexité que de la mésestimer. L’impact de cette nouvelle compréhension sur le monde de l’enseignement pousse à la réflexion. Le champ est aujourd’hui si large que l’on peine à pouvoir l’englober en un seul programme » (p.162). La réflexion demeure donc ouverte.

    Marie-Émilie Ricker, professeure en histoire de l’art à l’Université catholique de Louvain (UCL), explique qu’il n’existe pas de formation spécifique en muséologie ni en médiation muséale en Belgique francophone. Elle revient sur l’opposition théorie/pratique en montrant l’importance des rencontres avec des professionnels du milieu et des visites des musées dans une formation théorique. Toutefois, assez rapidement, l’opposition théorie/pratique peut être réfutée puisque la théorie résulte d’une étude approfondie de la pratique et émerge du terrain. Elle nous rappelle l’importance du souci constant de la synergie entre la formation théorique et la formation pratique. La notion de médiation muséale, qui a pris beaucoup d’importance dans la francophonie, est mobilisée tant par les professionnels que par les chercheurs. Sa définition recoupe partiellement celle d’interprétation, mais sa spécificité vis-à-vis de la notion de guidance n’est pas toujours systématiquement établie. Selon Ricker, « [l]es médiateurs sont des spécialistes chargés de la relation entre toutes les formes d’art, de culture, de patrimoine et les populations. Leur rôle consiste à susciter une satisfaction (si ce n’est du plaisir) et à inciter le visiteur à s’approprier des outils de lecture de l’œuvre d’art, tout en ouvrant à la découverte et à l’envie de connaître davantage » (p. 172-173).

    La troisième partie aborde des recherches et des études de cas conduites dans les musées et à propos de sites patrimoniaux.

    Marie-Claude Larouche, professeure en sciences de l’éducation à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), signe quant à elle, avec deux coauteurs, Hugues Boily et Nicole Vallières, le texte « Réel versus virtuel : enjeux et perspectives liés à l’utilisation de technologies mobiles au sein d’un musée d’histoire ». Une évaluation formative d’un prototype de technologies mobiles a été conduite par son équipe et lui permet d’affirmer que l’utilisation des technologies interagissant avec le Web et d’autres ondes radio est plus adéquate en contexte de visite au sein d’un musée que ne l’est la technologie téléchargeable. Considérant le fait que le musée est un lieu de sociabilité, Larouche et al. rappellent l’importance de prendre en compte le contexte social de la visite. Les visiteurs, en effet, utilisent les technologies afin de s’orienter, de suivre un parcours, d’être guidés, de localiser des objets, d’avoir accès à du contenu et à des modes d’emploi, par exemple. Selon Larouche et al., certaines précisions doivent toutefois être apportées à l’utilisation des technologies en salle d’exposition. De ce fait, les auteurs suggèrent que l’approche documentaire se différencie de l’approche ludique en ce que la première propose des contenus multimédias en lien avec la thématique de l’exposition alors que la deuxième propose d’interagir avec l’environnement mis en valeur par l’entremise d’un jeu. Voilà une avenue riche en questionnements.

    Marie-Blanche Fourcade, professeure associée au Département de l’histoire de l’art de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), par son texte « Entre mobilité et virtualité : enjeux et défis d’un cybermusée de la diaspora arménienne au Québec », considère que la mobilité et la virtualité repoussent de manière radicale les limites de la forme, de la fonction et du sens muséal. Le musée virtuel serait apparu dans les années 1990 à titre de vitrine publicitaire des musées traditionnels. Les musées « nés numériques » se seraient affranchis des musées traditionnels en constituant des collections virtuelles, composées par exemple d’images numériques et de divers documents sonores et textuels. Un peu plus tard, certains cybermusées vont proposer une nouvelle définition du musée mettant l’accent sur la diffusion et la gestion du savoir. En ce sens, le développement de ces formes virtuelles de musées appelle à la redéfinition du musée sous sa forme actuelle. À cet égard, Fourcade ne considère pas que le musée virtuel ou le cybermusée sont l’avenir de la muséologie. Elle a plutôt l’intuition que le musée en ligne, en tant qu’outil, aidera l’institution muséale à se réinventer : « Le cybermusée remplit conséquemment son rôle à titre de médiateur en se faisant l’outil d’une action de sensibilisation qui, à la manière de poupées gigognes, s’infiltre au plus près des individus par l’entremise des communautés, des groupes d’intérêt et des familles pour qu’un réflexe de conservation puisse se mettre en place » (p.228).

    Virginie Soulier, doctorante au programme international en muséologie, médiation et patrimoine à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et à l’Université d’Avignon et des pays de Vaucluse (UAPV), dans son texte intitulé « Les collaborations en contexte muséal : le discours d’exposition polyphonique et ses faces cachées », s’intéresse à la mise en valeur par les musées des objets ethnologiques créés par ou appartenant à d’autres cultures dans un contexte d’amplification de la diversité culturelle. Selon elle, les professionnels de la muséologie considèrent que lorsqu’on prend en compte les points de vue des peuples à l’origine des collections ethnologiques s’ensuivent de meilleures expositions et une appropriation différenciée du patrimoine autochtone. Soulier a conduit des observations de terrain et une série d’entretiens avec des professionnels de musées canadiens qui l’amènent à considérer qu’il serait pertinent de réaliser des observations plus poussées afin de déterminer si ce qui est prétendu dans et par le discours des professionnels s’avère dans l’appropriation de l’exposition par les visiteurs. « Ce sont par contre les interactions des différents êtres de discours qui se nouent dans le dispositif expositionnel et qui produisent du sens et des valeurs qui sont à analyser. Il demeure à savoir comment les visiteurs, tant autochtones qu’allochtones, s’approprient ce type d’exposition et quelle reconnaissance du patrimoine ethnologique en émerge » (p. 247).

    Audrey Quintane, doctorante en cotutelle au sein du programme de sciences humaines appliquées (SHA) de l’Université de Montréal et du Département de sociologie de l’Université de Perpignan, signe le texte « La place de la mémoire dans la patrimonialisation de l’ancienne dynamiterie Nobel à Paulilles » à propos du rôle des acteurs sociaux dans la constitution et la transmission de la mémoire collective dans la démarche de patrimonialisation d’un site industriel. Le texte relate les diverses étapes de reconnaissance du site, dorénavant « classé », de l’ancienne usine de dynamiterie Nobel implantée à Paulilles dans le sud de la France. La problématique du patrimoine industriel y est traitée tant du point de vue des citoyens que des promoteurs ou des décideurs politiques. Les différents acteurs sont invités à se pencher sur l’histoire de l’industrie afin d’en révéler les spécificités et de faire ressurgir certaines des pratiques sociales qui l’ont façonnée. Cet article présente dans un premier temps, un bref survol de l’historique de l’usine de dynamite. Dans un deuxième temps, il questionne l’impact des acteurs sociaux dans le processus de mise en valeur du patrimoine et de la mémoire. Puis, il interroge le phénomène de l’émergence de la mémoire dans le processus de patrimonialisation, propre au site de Paulilles, selon une perspective sociologique.

    Les fonctions de diffusion, de communication et d’éducation propres aux équipements patrimoniaux et muséographiques rejoignent ce qui avait été esquissé il y a plus d’une trentaine d’années. Mais, elles tendent à se définir et à se manifester plus clairement. Si l’école demeure toujours le lieu déterminant de transmission des acquis de la société, la vocation éducationnelle des musées est de plus en plus manifeste. La composante communicationnelle et éducationnelle de la muséologie n’est-elle pas en train de s’affirmer et surtout d’accéder à une véritable reconnaissance sociale ?

    Si, dans une société moderne, il existe d’autres sources de diffusion et d’acculturation des contenus scientifiques que les établissements scolaires, on reconnaît aussi depuis quelques années une autre manière de penser l’éducation. Les nombreuses réformes

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