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L’exercice d’écriture: Outil de souci de soi et de transformation de soi. L'exemple de Montaigne
L’exercice d’écriture: Outil de souci de soi et de transformation de soi. L'exemple de Montaigne
L’exercice d’écriture: Outil de souci de soi et de transformation de soi. L'exemple de Montaigne
Livre électronique542 pages3 heures

L’exercice d’écriture: Outil de souci de soi et de transformation de soi. L'exemple de Montaigne

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À propos de ce livre électronique

Réfléchir sur soi grâce à l'écriture et Montaigne.

L’intention au cœur de ce livre est, d’une part, de restituer à l’exercice d’écriture sa noblesse et son ustensilité et, d’autre part, d’inviter nos contemporains, à la suite de Montaigne, à se soucier davantage d’eux-mêmes. C’est la meilleure façon de résister aux nombreuses sollicitations de la vie quotidienne qui risquent de nous écarter de nos profondes convictions pour devenir enfin étrangers à nous-mêmes. À travers l’étude des Essais, nous apercevons que chez Montaigne s’allient une triple volonté : le souci de soi, la transformation de soi et le désir d’une meilleure connaissance de son humaine condition. C’est probablement ce qui explique toute la puissance de son écriture. L’unité et la cohérence de son œuvre s’expriment à travers son ardent désir de s’établir en lui-même pour mieux s’occuper de lui.

Découvrez un essai sur l'exercice d'écriture influencé par l'oeuvre de Montaigne et sa réflexion sur l'homme.

EXTRAIT

Tout au long de l’écriture des Essais se noue un profond dialogue entre Montaigne et les philosophes grecs et latins. Ceci crée une dynamique de référencement indispensable pour le présent et inaugure du même coup une nouvelle pédagogie relationnelle, celle du dialogue. En ce sens, les « humanités classiques » jaillissent des Essais de Montaigne comme des éclats de lumière qui, à la fois, annoncent l’aube d’une nouvelle humanité et en même temps invitent le monde à un retour aux sources antiques. Parlant de cette œuvre, Philip Knee affirme : "Par ses multiples emprunts et ses citations, elle inscrit l’incertitude au sein d’une tradition, mais qu’elle fait justement apparaître comme une tradition, et non comme la simple transmission d’un ordre naturel du monde. Par le libre usage qu’elle en fait, l’écriture de Montaigne réussit à relativiser en même temps qu’à faire vivre l’autorité de la tradition".
Ainsi, les Essais créent une sorte de tension entre le passé et le présent tout en orientant le regard de ses lecteurs vers l’avenir.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Doctorant en Sciences de l’éducation au Conservatoire National des Arts et Métiers de Paris, Gardiner Desravins est religieux de la Communauté de Sainte-Croix d’Haïti. Né à Fort-Liberté (Haïti) en 1974, il est titulaire d’un Master de Philosophie à l’Université Paris 8 et d’un Master de Théologie des religions à l’Institut Catholique de Paris. Passionné de l’éducation, il a décidé - après vingt ans dans l’enseignement - de reprendre ses études afin de mieux cerner les grands enjeux de l’éducation et de tenter d’y apporter sa contribution. Il est actuellement professeur de philosophie de l'éducation à l’Université Publique du Nord-Est à Fort-Liberté.
LangueFrançais
Date de sortie10 déc. 2018
ISBN9782378777210
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    Aperçu du livre

    L’exercice d’écriture - Gardiner Desravins

    Introduction

    Ce livre sur les Essais de Montaigne découle d’une quête personnelle à laquelle je ne pouvais guère me dérober. Il s’agit, en fait, d’un besoin de métamorphose, d’un désir de transformation de soi. Le dispositif mis en place pour atteindre cet objectif a été évidemment l’écriture de mon journal de recherche. En 2015, j’ai découvert les Essais de Montaigne et je me suis mis à lire cette œuvre qui m’a rejoint entièrement dans mes aspirations. D’où le titre de ce livre : L’exercice d’écriture, outil de souci de soi et de transformation de soi. L’exemple de Montaigne. Je doute fort que je puisse dire un jour à l’instar de Montaigne : « Je n’ai pas plus fait mon livre que mon livre ne m’a fait⁵ », mais je veux au moins me laisser guider par ma curiosité, cette vertu qui, selon le Professeur Didier Moreau, constitue « le moteur de la métamorphose de l’être qui ne vit plus dans l’attente d’une révélation, dans la mesure où l’action pour satisfaire sa curiosité le transforme⁶ ». Aussi, ai-je choisi de m’intéresser aux Essais de Montaigne en raison de sa conception même de l’écriture. En donnant libre cours à sa pensée, Montaigne inaugure une nouvelle conception de l’écriture. Du même coup, il lui attribue de nouvelles fonctions, dont la découverte de soi.

    À nos yeux, la première raison qui rend intéressante la réflexion sur l’écriture des Essais de Montaigne est la dynamique de transformation de soi qui s’y dégage à travers la description de son portrait, un portrait authentique : « Je me suis ordonné d’oser dire tout ce que j’ose faire, et je suis mécontent même des pensées impubliables. La pire de mes actions et de mes manières de vivre ne me semble pas aussi laide que je trouve laid et lâche de ne l’oser avouer⁷ ». Ainsi, Montaigne se livre « sans feinte, sans apprêt, avec cette aisance souveraine de qui ne cherche qu’à être vrai, ou plutôt ne le cherche pas, et l’est, et c’est ce qu’il appelle sa naïveté, qui est comme une nudité de l’âme⁸ ». La seconde raison pour laquelle nous nous intéressons aux Essais de Montaigne est la profondeur de son questionnement sur le caractère énigmatique de la condition humaine. En effet, s’inscrivant dans la dynamique du travail sur soi, les Essais constituent l’une des œuvres les plus importantes de la fin du XVIe siècle. Se servant de l’écriture comme dispositif de sa propre transformation, Montaigne livre une œuvre gigantesque dans laquelle il semble possible de trouver aujourd’hui un horizon pour ce monde où semblent disparaître les grands idéaux de l’humanité. La richesse de la pensée de Montaigne, la variété des sujets abordés et la sublimité de la forme font à la fois l’originalité et la complexité de cette œuvre. Dans cette perspective, Claude Pinganaud affirme : « Si Montaigne, dans les Essais, a considéré l’homme sous tous ses aspects, les chapitres de son livre se sont organisés au rythme de ses lectures, et de son humeur⁹ ».

    Voilà pourquoi d’ailleurs plus d’un considère les Essais comme une œuvre originale dont la compréhension va au-delà des mots et de ce fait réside dans le style même de l’œuvre. C’est probablement ce sentiment que Françoise Joukovsky a voulu faire ressortir quand elle dit :

    La pensée de Montaigne est sinueuse, souvent paradoxale ; il voit toute chose dans sa complexité, et il oppose le pour et le contre. Il nous apprend à douter, et dans certains cas, à ne pas conclure. Les Essais nous incitent par exemple à accepter les règles de la cité, mais sans en être dupe, ce qui permet d’éviter l’obéissance aveugle et le fanatisme¹⁰.

    Puisque les chercheurs sont nombreux à s’intéresser à la problématique du souci de soi comme dispositif de transformation de soi, nous aimerions préciser en quoi consiste la particularité de notre travail. En fait, en ce début du troisième millénaire où la problématique du souci de soi devient un enjeu majeur par rapport à la tendance dominatrice des nouvelles technologies de l’information et de la communication, où l’écriture via les réseaux sociaux prend de nouvelles formes, il nous paraît important d’initier une réflexion sur l’écriture comme nouvel art de vivre facilitant la transformation de notre humaine condition. Pour y parvenir, nous allons nous inspirer de l’expérience de Montaigne pour qui l’exercice d’écriture a été véritablement le levier de sa métamorphose. Nous nous proposons d’analyser, à partir des auteurs de l’Antiquité qui sont cités dans les Essais, comment Montaigne s’y est pris et quel usage il en a fait pour penser la problématique du souci de soi.

    Notre réflexion portera sur une articulation entre l’exercice d’écriture et le souci de soi dans la perspective de la transformation de soi. Nous nous demandons en quoi l’exercice d’écriture peut-elle contribuer à la transformation de soi ? Qu’est-ce qui caractérise l’écriture dans une dynamique de souci de soi ? En quoi consiste son efficacité en tant que dispositif de transformation de soi ? Comment les Essais de Montaigne peuvent-ils nous aider à penser le souci de soi dans une perspective de transformation de soi ? Ces différentes questions suscitent encore une autre interrogation plus essentielle : peut-on réellement repérer dans les Essais de Montaigne des indices susceptibles d’authentifier sa transformation ? Si oui, quelles seraient les différentes étapes de cette métamorphose ?

    C’est un redoutable défi de se lancer dans l’étude des Essais de Montaigne, parce que la densité et les particularités de cette œuvre en termes de contenu d’écriture et de pensée ne sont pas faciles à saisir. En l’étudiant, il est facile de tomber dans des mésinterprétations, car c’est un texte qui embrasse à la fois la période dans laquelle il a été écrit et en même temps la dépasse largement par sa conception sociale, politique, éducative, philosophique, etc. Ainsi, l’étude des Essais tend à plonger le chercheur dans un spectre insaisissable. En effet, à travers cette entreprise, nous ne nous retrouvons pas seulement face à un texte, mais surtout devant un homme qui se dit à travers un texte, à travers ses mots et ses expressions. Et comme l’a si bien souligné André Comte-Sponville, le génie de Montaigne demeure présent dans son œuvre :

    Ce texte, l’un des plus beaux que nous ayons, l’un des plus vrais, est aussi le moins prétentieux, le moins pontifiant, le moins fabriqué qui soit. Si c’est un chef-d’œuvre, et bien sûr c’en est un, c’est un peu par hasard, ou plutôt par cette nécessité imprévisible qu’on appelle aujourd’hui le génie et qui n’est autre, s’agissant de Montaigne, que Montaigne lui-même, avec son goût extrême pour la vérité, ce mépris de l’artifice, et cette liberté sans égal d’allure et de ton¹¹.

    Ainsi, le génie de l’écriture des Essais demeure si fascinant qu’il impose à ses lecteurs des relectures pour mieux apprécier l’œuvre et en saisir la substantifique moelle. En d’autres termes, le charme, la profondeur et les subtilités des Essais font entrer ses lecteurs dans une sorte d’« exercices spirituels¹² » les conduisant à une véritable métamorphose. En ce sens, ce texte fait apparaître une forte dimension du souci de soi. Albert Thibaudet pense que les Essais de Montaigne sont avant tout « une manière de se connaître, de s’éprouver, de se décrire, de parler de la chose qu’il connaît le mieux, mieux que n’importe qui, bien qu’il y fasse des découvertes constantes, puis ces découvertes c’est sa vie : lui-même¹³ ».

    Comme nous l’avons souligné précédemment, en ce troisième millénaire marqué par la mondialisation, la globalisation, le néolibéralisme et la puissance colonisatrice des nouvelles technologies de l’information et de la communication, la nécessité de se soucier de soi s’impose fortement à celui ou celle qui ne veut pas « céder sur son désir¹⁴ ». C’est dans cette logique que nous avons jugé nécessaire d’étudier les Essais de Montaigne. En fait, cette œuvre semble offrir des pistes de réflexion intéressantes pour développer le rapport de soi à soi. En ce sens, notre principal objectif est de tenter de montrer la fécondité et la puissance de l’exercice d’écriture dans la vie de Montaigne afin de cerner certains enjeux pour notre temps.

    Notre méthodologie consiste particulièrement à laisser résonner en nous la voix des Essais en permettant à cette œuvre de nous convier à une parole singulière qui pourrait peut-être traduire la quintessence de notre humaine condition en vue de mieux nous l’approprier. S’inscrivant dans le courant de philosophie de l’éducation, notre travail sera divisé en trois chapitres. Dans le premier, nous définirons le concept du « souci de soi » selon la pensée foucaldienne ; nous étudierons la résonnance des « humanités classiques¹⁵ » dans les Essais de Montaigne en essayant d’analyser le statut de la philosophie, la dynamique et la pédagogie du souci de soi susceptibles d’en être dégagés. Puis, nous verrons comment Montaigne se sert des philosophes grecs et latins pour penser le souci de soi. Dans le deuxième, nous examinerons – toujours à partir des extraits des Essais– comment l’écriture a été pour Montaigne un puissant dispositif pour développer ce rapport de soi à soi qui l’a conduit à sa transformation.

    Aussi réfléchirons-nous sur l’écriture comme déploiement du rapport de soi à soi et comme thérapie mentale. Nous explorerons également certains effets de l’éducation par l’écriture. Pour clore ce chapitre, nous présenterons l’écriture comme outil de domestication du monologue intérieur et comme moyen d’isolement et d’ouverture au monde. Enfin, dans le troisième, nous verrons à partir d’une approche psychobiographique, de quelle manière l’écriture de soi peut être éventuellement une source de connaissances et/ou une quête de connaissances. Notre réflexion s’articulera, en premier lieu, autour de l’écriture de soi comme une épreuve douloureuse mais libératrice. En deuxième lieu, nous analyserons comment la connaissance de soi par l’écriture peut être une expérience inouïe. En troisième lieu, nous réfléchirons sur l’écriture de soi comme une quête passionnante. L’étude du perfectionnement moral par l’écriture face aux enjeux du « langage SMS » fera l’objet de la quatrième partie. Enfin, nous terminerons par une réflexion sur le regard que porte Platon sur l’écriture. Cette partie se veut une ouverture et un approfondissement de la problématique de l’écriture. Toutefois, nous nous bornerons, dans le cadre de ce livre, à vous faire goûter les premières saveurs de cette réflexion si passionnante.

    Chapitre I :

    La résonnance des « humanités classiques » dans les Essais de Montaigne

    Tout au long de l’écriture des Essais se noue un profond dialogue entre Montaigne et les philosophes grecs et latins. Ceci crée une dynamique de référencement indispensable pour le présent et inaugure du même coup une nouvelle pédagogie relationnelle, celle du dialogue. En ce sens, les « humanités classiques » jaillissent des Essais de Montaigne comme des éclats de lumière qui, à la fois, annoncent l’aube d’une nouvelle humanité et en même temps invitent le monde à un retour aux sources antiques. Parlant de cette œuvre, Philip Knee affirme :

    Par ses multiples emprunts et ses citations, elle inscrit l’incertitude au sein d’une tradition, mais qu’elle fait justement apparaître comme une tradition, et non comme la simple transmission d’un ordre naturel du monde. Par le libre usage qu’elle en fait, l’écriture de Montaigne réussit à relativiser en même temps qu’à faire vivre l’autorité de la tradition¹⁶.

    Ainsi, les Essais créent une sorte de tension entre le passé et le présent tout en orientant le regard de ses lecteurs vers l’avenir.

    Au chapitre XXVI de son premier livre, Montaigne retrace ainsi la genèse de ses passions pour les livres :

    Le premier goût que j’eus pour les livres, il me vint du plaisir que me firent les récits des Métamorphoses d’Ovide. À l’âge de sept ou huit ans, en effet, je renonçais à tout autre plaisir pour les lire parce que cette langue était ma langue maternelle et que c’était le livre le plus facile à lire que je connusse et aussi le plus adapté à la faiblesse de mon âge, à cause de sa matière¹⁷.

    Les mots utilisés par Montaigne pour exprimer son goût du livre, son appétit de lecture et son penchant pour les philosophes sont assez révélateurs de l’usage qu’il en a fait. Le terme de plaisir qu’il emploie pour parler de ses passions pour la lecture de ces auteurs ne justifie-t-il pas la constante référence aux « humanités classiques » ? Les nombreuses références aux philosophes grecs et latins ne constituent-elles pas dans les Essais une opportunité inespérée de ressaisir au présent la profondeur de leurs pensées ?

    L’admiration de Montaigne pour les « humanités classiques » pourrait-elle justifier son projet d’écriture ? Du moins, peut-on dire que ce projet d’écriture est tributaire de la lecture de ces œuvres ? À ce stade de notre réflexion, il est difficile de répondre à ces questions. Toutefois, nous ne pouvons pas nous empêcher de reconnaître que Montaigne a été profondément marqué par les philosophes notamment Socrate, Platon, Aristote, Cicéron, Sénèque, Plutarque, Épictète, Diogène Laërce. Il est vrai que certains de ses contemporains tels que La Boétie, Ronsard, Du Bellay sont aussi présents dans son œuvre, mais la place accordée aux auteurs grecs et latins demeure plus conséquente.

    Dans ce premier chapitre, nous allons tout d’abord planter le décor en situant notre réflexion dans le contexte du concept de souci de soi développé par Michel Foucault. Cela nous servira de cadre de référence pour toutes les réflexions qui vont suivre. Ensuite, nous tenterons de définir le statut de la philosophie dans les Essais de Montaigne. Puis, nous nous proposons d’étudier la dynamique du souci de soi ainsi que la pédagogie du souci de soi susceptibles d’être dégagées des Essais. Enfin, nous verrons en quoi les « humanités classiques » peuvent être un véritable outil pour penser la problématique du souci de soi et du perfectionnement moral.

    1. Le concept du souci de soi chez Michel Foucault

    Dans un article publié en 2003 dans la revue de psychanalyse Che vuoi,¹⁸ Michel Constantopoulos souligne que le concept du souci de soi est la clé de voûte de L’histoire de la sexualité de Michel Foucault. Il souligne que le souci de soi est une notion politique traditionnelle de la Grèce antique. Celle-ci est liée à la capacité de gouverner. Dans la Lettre VII, Platon affirme : « Au temps de ma jeunesse, j’avais les mêmes passions que beaucoup de jeunes gens. Je m’imaginais qu’aussitôt devenu mon propre maître, je m’occuperais des affaires de la cité¹⁹ ». Cette citation montre à quel point dans la Grèce antique la pratique du souci de soi était liée à la vie politique. De ce fait, tous ceux qui devaient s’occuper du gouvernement de la cité avaient pour devoir de bien se former, de se soucier d’eux-mêmes.

    Ainsi, le souci de soi apparaît comme une étape initiatique dans la mesure où l’on se soucie de soi pour mieux s’occuper de la cité. Dans cette logique, Michel Foucault montre que « le souci de soi est donné à penser ici comme une pratique indiquant une distinction sociale, un privilège de rang. Cette extension formidable du souci de soi dans la culture antique en fait un principe structurant du sujet éthique²⁰ ». Ainsi, le souci de soi est exercé dans un but précis et s’adresse exclusivement à une élite politique. Cependant, dans la culture hellénistique l’impératif du souci de soi s’est généralisé à tous comme art de vivre.

    Selon Constantopoulos, une première formulation de la notion du souci de soi a été retrouvée dans les Apophtegmes laconiens de Plutarque rapportant des mots d’Alexandride, un Spartiate : « Comme quelqu’un demandait pourquoi ils confiaient aux hilotes le travail des champs, au lieu de s’en occuper eux-mêmes (kai ouk autoi epimelountai), parce que, répondit-il, ce n’était pas pour nous occuper d’eux, mais de nous-mêmes (ou toutôn epimelomenoi all’hautôn), que nous en avons fait l’acquisition ²¹».

    Chez Michel Foucault, l’étude du souci de soi a pour point de départ Socrate et Alcibiade. « Alcibiade est en effet un jeune homme riche, beau, et que son statut promet au gouvernement de la cité²² ». Voyant qu’Alcibiade s’apprêtait à s’engager dans la vie politique, Socrate, son maître, lui recommandait sans cesse de bien profiter de sa jeunesse pour se former. Ainsi, Alcibiade a été constamment exhorté par son Maître à s’occuper de lui. Cette attitude de Socrate ne confirme-t-elle pas la thèse de Foucault lorsqu’il avance : « Le souci de soi-même est une sorte d’aiguillon qui doit être planté là, dans la chair des hommes, qui doit être fiché dans leur existence et qui est un principe d’agitation, un principe de mouvement, un principe d’inquiétude permanent au cours de l’existence²³ ». En considérant le souci de soi comme un principe d’inquiétude permanent Foucault nous donne à voir qu’une telle pratique implique un travail constant et une volonté sans faille. En revanche, il nous semble important de souligner que l’inquiétude dont il est question ici renvoie à une attitude vigilante qui invite le sujet à ne pas se contenter du travail sur soi qu’il a déjà réalisé, mais au contraire à aller toujours de l’avant. D’autant plus que l’expression « principe d’agitation » évoquée par Foucault dans la définition même du souci de soi exprime clairement cette exigence permanente. L’entrée dans cet exercice nécessite une certaine prise de conscience de la part du sujet du besoin de se transformer.

    Tout l’art dialectique de Socrate concourt

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