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De la didactique des mathématiques au Québec: Entretiens avec ses bâtisseurs
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Livre électronique369 pages4 heures

De la didactique des mathématiques au Québec: Entretiens avec ses bâtisseurs

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À propos de ce livre électronique

Ce livre réunit des entretiens menés auprès de huit chercheurs expérimentés qui ont fait et bâti la didactique des mathématiques au Québec. Il offre un aperçu du développement historique de ce champ de recherche, des personnes qui l’ont influencé, du positionnement de leurs travaux et de leurs contributions ainsi que des perspectives d’avenir qui se dessinent.
LangueFrançais
Date de sortie21 août 2013
ISBN9782760537590
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    Aperçu du livre

    De la didactique des mathématiques au Québec - Jérôme Proulx

    (ra)

    Introduction

    au recueil

    Ce projet de livre a vu le jour lors du colloque du Groupe de didactique des mathématiques du Québec de 2007 à Rimouski, qui avait pour thème La didactique des mathématiques au Québec : genèse et perspectives. Ce fut pour moi un des meilleurs colloques à ce jour, dans lequel des discussions fort importantes ont eu lieu sur le passé, le présent et le futur de la recherche en didactique des mathématiques au Québec. Lors de ce colloque, il est devenu évident que la didactique des mathématiques au Québec (ainsi que sur le plan national et international) entrait dans une période particulière, avec le départ à la retraite d’un grand nombre de didacticiens d’expérience qui laissent la place à une relève fort nombreuse de nouveaux didacticiens. On assiste actuellement à une rupture de générations et à une passation des savoirs d’une génération pionnière à une génération fort vibrante, mais toute jeune. Bien entendu, ce groupe de jeunes didacticiens apporte avec lui un souffle nouveau au milieu de la recherche, mais il inquiète aussi, car la transition n’est pas si facile : les didacticiens expérimentés prennent peu à peu leurs distances du milieu qu’ils ont eux-mêmes bâti durant tant d’années. La question de savoir comment passer le flambeau des grands chercheurs aux futurs (grands) chercheurs devient donc cruciale, dans le but de favoriser l’établissement d’un certain pont entre les générations. Ainsi ai-je ressenti, à l’issue de ce colloque, la nécessité de contribuer à ce grand projet de passation du flambeau entre les générations de didacticiens des mathématiques au Québec, dans l’idée de reconquérir le passé, notre histoire, pour l’offrir au futur. Le présent ouvrage s’insère donc dans cette initiative intergénérationnelle qui veut favoriser les discussions et les échanges entre les différentes générations de didacticiens pour partager, approfondir et enrichir les savoirs individuels et collectifs – en plus d’établir une certaine mémoire collective sur la didactique des mathématiques au Québec.

    Ce profond désir de contribuer à la passation du flambeau s’est cristallisé dans l’idée qui m’est venue de m’entretenir avec les chercheurs qui ont contribué à notre champ de recherche au Québec, de véritables bâtisseurs, et de les faire (nous) parler. Mon projet a donc pris la forme d’entrevues avec divers chercheurs expérimentés, qui ont bâti le champ de recherche en didactique des mathématiques au Québec. D’entrée de jeu, je dois souligner l’appui que j’ai reçu de Nadine Bednarz, Jean Dionne et Gisèle Lemoyne, que j’ai appelés mon petit « comité scientifique » pour le projet. Ces derniers m’ont épaulé dès le début pour raffiner mes idées, m’en proposer d’autres, me conseiller, me motiver, etc. Je leur dis ici un grand merci !

    Qui ?

    J’ai donc joint divers chercheurs expérimentés, de diverses institutions, qui sont intervenus à différents paliers importants de la recherche en didactique des mathématiques au Québec, avec des passés aussi divers que similaires. Ces chercheurs me sont apparus comme pouvant permettre de toucher à diverses facettes de l’histoire de la recherche en didactique des mathématiques au Québec. Voici les noms de ceux qui ont participé aux entretiens :

    Gisèle Lemoyne, Université de Montréal

    Bernard Héraud, Université de Sherbrooke

    Nadine Bednarz, Université du Québec à Montréal

    Renée Caron, conseillère pédagogique et Université du Québec à Montréal

    Carolyn Kieran, Université du Québec à Montréal

    Jean Dionne, Université Laval

    Nicole Nantais, Université de Sherbrooke

    Anna Sierpinska, Université Concordia

    Y a-t-il des absents dans cette liste ? Oui et non. Oui, car beaucoup d’autres gens ont contribué de près et de loin à la recherche en didactique des mathématiques au Québec. Oui aussi car pour moi il y a deux absents de taille : Claude Janvier et Richard Pallascio. J’ai trop peu connu ce dernier, si ce n’est lors de courtes discussions, qui m’ont toujours beaucoup apporté. Aujourd’hui encore, j’aime à citer certaines de ses idées. Mais d’autres l’ont beaucoup mieux connu que moi. Je n’ai jamais connu Claude Janvier, et j’en ai toujours été fort attristé. Il est décédé alors que je commençais mes études à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Qui sait, nous nous sommes peut-être déjà croisés sans le savoir dans les corridors du Carré Philippe ! Ce que je sais, c’est que ses travaux et sa pensée m’ont profondément influencé et que je lui dois beaucoup. Ces deux grands bâtisseurs ne sont toutefois pas totalement absents du présent recueil, car ils sont cités dans les discours des autres bâtisseurs, ce qui permet d’accéder un tant soit peu à leur pensée. Et, non pour les absents par contre, car le but de ce projet n’a jamais été de donner une vision exhaustive de l’histoire de notre champ de recherche. Donc, certaines personnes ont été choisies, et la liste des bâtisseurs est partielle : partielle dans son sens commun comme non exhaustive, mais aussi partielle au sens anglophone de biaisée, décidée et adaptée en majeure partie par moi, et les acceptations ou refus de certains didacticiens. Finalement, oui et non simultanément pour les absents, car les bâtisseurs choisis l’ont été dans un contexte particulier : soit tout juste retraités, soit près de l’être. Il était important pour moi que les nouveaux chercheurs puissent se reconnaître dans ces bâtisseurs et savoir qui sont ceux qui leur parlent. Les chercheurs ou didacticiens qui ont quitté le milieu il y a trop longtemps n’ont donc pas été considérés, malgré leur pertinence. On peut donc les voir comme des absents, ou simplement comme des didacticiens appartenant à une autre époque. Ces bâtisseurs choisis sont donc des gens qui représentent, et de différentes façons, la recherche en didactique des mathématiques au Québec : ils sont parmi ceux qui l’ont bâtie.

    Quoi ?

    Les entretiens avec chacun des chercheurs expérimentés se sont déroulés en trois temps. Dans un premier temps, chacun des chercheurs a envoyé trois de ses ouvrages ou publications qui décrivent différentes périodes de sa vie ou de sa carrière (à différents temps dans son parcours, qui montrent une évolution, qui sont importants et marquants pour lui, etc.). Aussi, pour se préparer à l’entretien, chacun des chercheurs devait réfléchir à des faits marquants dans sa carrière, que ce soit des événements, des personnes, des documents, etc. Dans un deuxième temps, un entretien individuel a eu lieu. Cet entretien a été divisé en trois parties, parsemées de questions relatives à chacune de ces parties : une première centrée sur le chercheur lui-même, son parcours, ses travaux ; une deuxième centrée sur les recherches au Québec (et sur la scène internationale) développées au fil des années ; une troisième centrée sur des enjeux généraux sur le plan de l’évolution du champ de recherche (les conditions d’exercice, le rôle du didacticien, le passage à l’autre génération de chercheurs, etc.). Pour clore l’entretien, une dernière mais difficile question a été posée à chacun des chercheurs : « Dans vos mots, et pour le simple plaisir de faire l’exercice, qu’est-ce que la didactique des mathématiques ? » Dans un troisième temps, le compte rendu intégral de l’entretien a été transcrit et retourné au chercheur pour que ce dernier fasse des ajouts, des modifications, des clarifications, etc., concernant ce qui avait été discuté durant l’entretien. Le texte de chacun des chercheurs tente donc de représenter le plus fidèlement possible les entretiens ayant eu lieu, soit leur spontanéité, mais aussi et surtout ce que le chercheur voulait vraiment dire et communiquer. Ainsi, les textes ne relatent pas toujours ce qui s’est exactement dit ou passé durant l’entretien, chacun des chercheurs ayant relu et corrigé le texte de l’entretien, modifiant, complétant et ajoutant ici et là des informations pertinentes. Évidemment, ces entretiens se sont déroulés de façon très informelle, plus en termes de conversation que d’entrevue. Certains thèmes ont été plus touchés lors d’un entretien que d’un autre, et certaines questions ont été implicitement abordées, évitées, ou posées autrement, car la nature des discussions s’y prêtait ainsi. C’est un peu ce qui fait la richesse de ce que j’ai souvent appelé la mosaïque des didacticiens des mathématiques du Québec, alors qu’on s’intéresse à des thèmes différents, des entrées différentes, mais toujours autour du même sujet : la didactique des mathématiques.

    Un dernier mot, vers les entretiens…

    Je répète souvent la phrase suivante à mes étudiants : « La recherche a un visage, celui du chercheur. Et ce chercheur, il a une histoire. » Cette affirmation prend une signification toute particulière à travers ces pages, remplies d’histoires de chercheurs relatives à l’histoire du champ de recherche en didactique des mathématiques au Québec (et ailleurs !). Il faut en effet regarder l’ensemble des entretiens, leur contenu, comme un tout, un tout qui raconte une histoire sur notre champ de recherche. Le but de ce recueil n’est pas de relater l’histoire avec un grand H. L’idée n’est pas de tracer le fidèle portrait de ce qui s’est passé, car vouloir faire ceci exposerait trop les chercheurs à la critique de la part d’autres chercheurs qui croient que les choses ne se sont pas passées ainsi. Le recueil est en fait une invitation à voir le « passé », l’histoire de la didactique des mathématiques au Québec, sous l’œil de nos bâtisseurs, à comprendre ce qu’ils en ont compris, à partager leurs idées et leurs compréhensions (non pas pour le prendre pour la chose en soi, le ding an sich, mais pour écouter leur histoire, à eux). Ces chercheurs, ces bâtisseurs, ne nous racontent pas l’histoire, mais bien une histoire de la didactique des mathématiques au Québec, la leur. Pris en ce sens, on se tourne davantage, expliquerait Maturana, vers une vision « multiverselle » de notre histoire, et non pas vers sa vision universelle.

    J’ai l’intime conviction que vous reconnaîtrez notre champ de recherche dans leurs propos, que vous revivrez des moments vécus ou relatés par d’autres par leurs idées, que vous établirez des ponts et que vous penserez à de nouvelles avenues par mes interactions avec eux. Dans leur intention ultime, ces entretiens font comprendre le passé, le présent et le futur pour mieux saisir qui nous sommes, d’où nous venons et vers où nous allons. Mais surtout, ces entretiens font penser au futur, pour saisir ce qui peut être fait, même si parfois aujourd’hui, il semble difficile de penser ainsi.

    Ce recueil a été pensé comme un livre de chevet, offrant une lecture simple et amusante de tout ceci. Il n’a pas été pensé comme un ouvrage scientifique savant, demandant à être scruté avec précision et détails. C’est davantage pour instiller la curiosité, pour en faire apprendre sur le passé, le futur et le présent, sur les chercheurs d’importance, sur leur vécu à eux, que ce livre a été pensé. Toutefois, le lecteur avide de plus de détails peut, entre autres, consulter les textes écrits par Bednarz (2007), Kieran (2003) et Lemoyne (1996) sur les dimensions historiques de la didactique des mathématiques au Québec et au Canada.

    Je souhaite que votre lecture soit aussi enrichissante que mon aventure dans ce projet l’a été, à sillonner les différentes universités et bureaux de professeurs (voire leur salon !), pour en savoir davantage sur la didactique des mathématiques, et surtout sur eux, ces bâtisseurs. En effet, égoïstement, ce projet a été un projet avant tout pour moi… pour me permettre moi-même d’en connaître plus sur l’histoire de mon champ de recherche. En ce sens, mission accomplie !

    En terminant, avec vous, je dis merci à ces huit bâtisseurs pour avoir été si importants pour notre champ de recherche, pour y avoir mis toute leur énergie, mais aussi pour avoir généreusement accepté de répondre à un jeune chercheur curieux qui n’avait qu’une envie simple de mieux (les) connaître.

    Je vous salue donc, en adaptant l’expression d’un de nos regrettés anciens…

    Didactiquement vôtre !

    Jérôme Proulx

    Montréal, février 2013

    Références

    Bednarz, N. (2007). « Ancrage de la didactique des mathématiques au Québec : à la recherche de sens et de cohérence », Actes du colloque du Groupe de didactique des mathématiques du Québec, Rimouski, GDM, p. 19-61.

    Kieran, C. (2003). « The twentieth century emergence of the Canadian mathematics education research community », dans G. Stanic et J. Kilpatrick (dir.), A History of School Mathematics, Reston, National Council of Teachers of Mathematics, p. 1701-1778.

    Lemoyne, G. (1996). « La recherche en didactique des mathématiques au Québec : rétrospectives et perspectives », Bulletin de l’AMQ, 36 (3), p. 31-40.

    Gisèle Lemoyne

    Bénéficiant de cours de premier cycle en sciences et mathématiques et d’un doctorat en psychologie qui a porté sur la modélisation informatique du développement de la sériation, elle a effectué plusieurs recherches sur l’enseignement de l’arithmétique et de l’algèbre, recherches effectuées, entre autres, auprès d’élèves présentant des difficultés d’apprentissage. Divers environnements informatiques ont alors été conçus et mis à l’épreuve. Plusieurs chercheurs québécois (Jacinthe Giroux, Sophie René de Cotret, Gustavo Barallobres, Louise Poirier, Cathy Arsenault) et européens (François Conne, Marie-Hélène Salin, Jean Brun, Alain Mercier) ont participé à ces projets.

    Entretien avec

    Gisèle Lemoyne

    Textes choisis

    « Connaissances utilisées par des élèves de 8 à 12 ans dans la formulation de problèmes arithmétiques concrets »

    Lemoyne, G., J. Giroux et D. Biron (1990).

    European Journal of Psychology of Education, 5 (3), p. 273-291.

    « Environnement informatique pour l’enseignement du calcul réfléchi : un travail orienté par la théorie des situations didactiques »

    Lemoyne, G., J. Giroux, S. René de Cotret et F. Brouillet (2005).

    Dans M.-H. Salin, P. Clanché et B. Sarrazy (dir.), Sur la théorie des situations didactiques : questions, réponses, ouvertures. Hommage à Guy Brousseau,

    Grenoble, Éditions La pensée sauvage, p. 279-286.

    « Les rencontres singulières entre les élèves présentant des difficultés d’apprentissage en mathématiques et leurs enseignants »

    Lemoyne, G. et G. Lessard (2003).

    Éducation et francophonie, 31 (2), p. 13-44.

    « Intégration en mémoire de la suite des nombres naturels chez les enfants de première année »

    Lemoyne, G. et S. Vincent (1982).

    Cahiers de psychologie cognitive, 12 (3), p. 227-258.

    Jérôme Proulx

    Vous m’avez envoyé huit textes. Comme vous me le proposiez, j’en ai fait une certaine sélection. J’ai essayé de chercher des textes qui représentaient des temps différents sur le plan des années et aussi des orientations, par exemple, technologie, difficultés d’apprentissage, et ainsi de suite. J’en ai donc pris quatre : celui sur la mémoire et la suite des nombres avec Suzanne Vincent, celui sur les problèmes arithmétiques et leur formulation, celui sur les difficultés d’apprentissage et puis, un dernier avec Jacinthe et Sophie sur la calculatrice défectueuse. Alors, si on part de ceux-ci, pouvez-vous m’expliquer en quoi et pourquoi ces textes sont des textes importants pour vous ?

    Gisèle Lemoyne

    Depuis mon entrée à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal, en 1974, l’enseignement des mathématiques aux élèves de l’enseignement primaire et secondaire présentant des difficultés d’apprentissage a été une source importante de recherches et d’embauches de professeurs. Bénéficiant d’une formation de premier cycle en sciences et en mathématiques, ainsi qu’en psychologie cognitive, avec une thèse qui a porté sur une modélisation informatique du développement de la sériation, j’ai rapidement été interpellée par le recours à des tests de quotient intellectuel et à des épreuves piagétiennes sur le développement cognitif, pour le diagnostic des difficultés d’apprentissage.

      J     Donc, est-ce que vous voulez dire que la partie enseignement n’était pas très présente dans ces travaux en psychologie ?

    G     En effet ! On pensait que les élèves avaient besoin de se développer sur le plan des structures logiques. J’ai même assisté, dans certaines classes, à un enseignement de certaines épreuves piagétiennes. Prenant acte également des recherches faisant état des relations entre le développement opératoire et la réussite en mathématiques des élèves, il m’a semblé important de préciser ces relations. C’est ainsi qu’avec Suzanne Vincent et Mireille Favreau, entre autres, j’ai effectué des études visant à mieux définir les relations entre les conduites en mathématiques des élèves inscrits en première année et les stades de développement cognitif de ces élèves à des épreuves de sériation, de correspondance ordinale, de classification, de conservation du nombre.

     J     C’est le travail que vous avez fait beaucoup au début, relié à la psychologie et aux stades de développement cognitif. Vous avez tenté de nuancer toute cette idée de progression développementale.

    G     C’est un peu la raison pour laquelle je mets ceci dans mon parcours, parce que même si j’avais fait des études de premier cycle en sciences, j’étais passée après en psychologie informatique en maîtrise et en intelligence artificielle en doctorat avec les travaux de Herbert Simon et tout. Donc, le sujet m’était assez familier pour éventuellement le mettre en doute. C’est un peu l’idée d’aller contrôler des questions qui étaient trop vite réglées. En fait, on faisait passer des épreuves aux élèves et tout à coup, on décidait qu’ils avaient besoin de ceci ou de cela et qu’il fallait développer chez eux telle ou telle chose. Mes travaux m’ont permis de mettre en question et en doute ces relations qu’on présentait comme allant de soi. Et, en même temps, il y avait aussi la question des tests d’intelligence.

     J     Oui, c’était très présent à la fin des années 1970 et dans les années 1980.

    G     Et c’est durant cette période, lorsque je travaillais avec huit élèves de l’enseignement secondaire présentant des difficultés d’apprentissage, qu’on m’avait demandé de leur administrer des tests d’intelligence, parce que j’avais appris à le faire. J’avais fait passer des tests d’intelligence, et il y avait sept élèves sur huit, selon les tests, qui montraient des déficiences et je ne le croyais pas. Je les voyais travailler pendant leur test et…

     J     C’est-à-dire qu’avec le test, vous arriviez à dire que ces élèves avaient une déficience, mais vous ne croyiez pas qu’ils avaient une déficience.

    G     Exact, parce que je les voyais répondre et je me disais : « Ça ne se peut pas, ils ne sont pas déficients ces élèves-là. » À ce moment, je leur ai expliqué comment on construisait un test d’intelligence.

     J     Vous avez expliqué le fonctionnement du test aux élèves ?

    G     Oui, puis je leur ai dit que je mettais en doute ce qu’ils répondaient et que je pensais qu’ils étaient capables de répondre beaucoup mieux que ce qu’ils avaient fait. Et j’ai recommencé et la plupart ont été « replacés » dans la zone de l’intelligence normale !

     J     Parce qu’ils comprenaient la structure du test ?

    G     Oui, mais c’est un peu comme s’ils se permettaient d’être intelligents. Il y en a même un qui était tellement doué qu’il allait plus vite que moi !

     J     C’est quand même spécial tout ça, non ? Dans le fond, on a l’impression qu’il y a une sorte de contrat implicite.

    G     C’est ça, exactement. C’est à ce moment, lorsque j’ai pris connaissance des recherches effectuées par Brousseau et Vergnaud, traitant notamment de la notion de contrat didactique et du développement cognitif, que j’ai compris qu’il y avait un effet de contrat. Ces élèves avaient l’habitude d’échouer aux tests qu’on leur présentait et de répondre n’importe quoi. Cet événement a été un moment important dans l’évolution de mes travaux.

     J     Sur vos travaux en didactique, par contre, vous disiez que vos travaux étaient quand même en psychologie. Quelle était pour vous la relation à ce moment entre psychologie et didactique ?

    G     Quand j’ai été engagée à l’Université de Montréal, c’était notamment parce que j’avais un profil non seulement du côté de la psychologie, mais également de l’intelligence artificielle. Je savais me servir à l’époque, c’est assez marrant, des vidéos et de l’ordinateur. Et on m’avait demandé si je pouvais enseigner les mathématiques. Au début, j’ai assisté à des cours en orthopédagogie. Dans la plupart de ces cours, on montrait comment ces élèves étaient en difficulté. À ce moment-là, par ailleurs, j’ai pu bénéficier des échanges que j’ai eus avec mes collègues Jacques Bergeron et Michel Desjardins. Ceux-ci m’ont permis d’élargir ma vision, car moi, je ne comprenais pas trop pourquoi on donnait un cours de didactique des mathématiques centré sur les stades de développement cognitif et les difficultés des élèves. Mes expériences en supervision de stages m’avaient également permis de mettre en doute ces orientations. Je trouvais qu’elles n’étaient pas fondées scientifiquement.

     J     Et là, à la lecture de vos textes, on sent un détachement, tranquillement, de la psychologie et de la didactique.

    G     Ah oui, tout à fait. Notamment, à partir des années 1980. C’est aussi à ce moment que la naissance de la didactique des mathématiques a été reconnue en France.

     J     Donc, la psychologie et la didactique des mathématiques au début étaient tissées très serrées d’une certaine façon.

    G     Et Brousseau, par exemple, a aidé et participé de façon essentielle à ce détachement. Et c’était, à mon sens, tout à fait indispensable qu’il le fasse.

     J     C’est intéressant, parce qu’à Prague, lors du PME de 2006, Brousseau était conférencier principal au colloque et il expliquait que ça faisait plusieurs années qu’il n’était pas venu à la conférence annuelle PME¹ parce qu’il ne croyait pas que la psychologie apporterait quoi que ce soit à la didactique des mathématiques et qu’elle permettrait de répondre aux questions qu’elle se pose. J’imagine que ça se voulait provocateur, mais je ne suis pas certain que ça l’était, car tous les jeunes qui étaient présents ce jour-là ne voyaient pas très bien le lien (mis à part le nom de la conférence : « Psychology of mathematics education », car le lien avec la psychologie n’y est plus très très fort, je crois. Par contre, je comprends que ceci aurait pu être très provocateur en 1975, par exemple, alors que les liens étaient forts.

    G     Oui, en effet. Et il a fait quelques-unes de ces sorties assez provocatrices sur le sujet lors de conférences, notamment contre la psychologie en didactique des mathématiques. Vergnaud avait fait son détachement, c’est-à-dire qu’il avait gardé son travail sur l’épistémologie génétique, mais dans le but de regarder le tout autrement. Ceci lui donnait un œil, une vision de plus enfin pour regarder ce qui se passait alors.

     J     Donc, ici comme ailleurs, les gens en didactique qui étaient en psychologie au départ ont commencé à se détacher et à avoir un autre regard sur des questions similaires. J’ai l’impression de retrouver aussi cette idée dans vos travaux sur le nombre, sur leur développement, mais dans une entrée différente qu’uniquement par les stades et une idée d’avancée linéaire.

    G     Oui, exactement ! Le travail sur la suite des nombres est un bon exemple, et il y avait aussi plusieurs travaux qui avaient été faits en Europe et auxquels j’ai participé. Il y a aussi les travaux sur la formulation et la résolution de problèmes. Ce travail était plus autour des travaux qui ont été faits à l’époque par Simon et Newell en intelligence artificielle et d’autres travaux, tels ceux effectués par Mayer et bien sûr, par les études effectuées par Vergnaud, sur la typologie des problèmes arithmétiques. C’étaient aussi des gens qui avaient des modèles soit en psychologie, soit en psychologie informatique.

     J     C’était aussi par la résolution de problèmes par expert et par novice.

    G     Oui, c’est ça, tout à fait. Parce qu’il y avait même des études qui avaient été faites en France, sur les étudiants en médecine par rapport aux gens qui étaient dans la pratique, comment les experts et les novices répondaient à des questions. Ceci a fondé tout le travail sur la résolution de problèmes par la suite. Puis, après, il y a eu des chercheurs, tel Greeno qui était plus près encore, puis il y a eu tous les modèles sur la résolution de problèmes. Donc, c’est un peu dans la lignée de ces travaux-là que je m’inscrivais. Mais le fait que j’ai toujours été présente dans les classes et que je supervisais des stages m’a amenée effectivement souvent à penser à d’autres façons de traiter ces problématiques et d’avoir des situations différentes. Bon, bien sûr que j’ai été influencée par ce qui était, entre autres, fait en Europe, mais c’était une façon d’amener des élèves à travailler autrement et de formuler et reformuler des problèmes. En fait, ma façon de fonctionner dans les classes consistait à rencontrer les enseignants et à leur demander de nous dire ce qu’ils n’avaient pas envie d’enseigner et ne voulaient pas faire. On leur disait que nous, nous allions le faire. C’était une façon de permettre l’ouverture en classe à ces questions-là. Puis, je demandais aux enseignants de critiquer. C’était eux qui devenaient les critiques et s’ils n’arrivaient pas à critiquer ce qui était fait, c’est moi qui le faisais. Et c’est comme ça que cette situation sur la formulation de problèmes est arrivée, me disant : Qu’est-ce que les élèves vont mettre dans la formulation, est-ce que la formulation va être orientée par les connaissances procédurales pour résoudre le problème ? Est-ce qu’ils vont avoir une attention au texte, à l’expression ? Bon, à ce moment-là, j’étais allée voir les études aussi du côté plus linguistique, etc. Est-ce que les situations vont être des situations qui sont raisonnables, en rapport avec la réalité, qui ont un contexte et tout ça ? Donc, c’était l’entrée.

     J     Il y a des formulations d’élèves qui sont assez jolies, entre autres, dans l’article qui traite de la formulation de problèmes arithmétiques. C’est intéressant de voir la façon dont les enfants formulent en donnant la réponse ou juste un mot. C’est très intéressant.

    G     Oui, oui. Ce qui est intéressant, c’est qu’ils finissent le problème. Pour eux, le problème est réglé, voici la question, bon, et la réponse, c’est à peu près ça, répondez.

     J     Alors, est-ce qu’on peut dire que vos premiers travaux tournaient autour du nombre, le travail au niveau des stades et puis qu’une deuxième

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