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L' Éthique et culture religieuse en question: Réflexions critiques et prospectives
L' Éthique et culture religieuse en question: Réflexions critiques et prospectives
L' Éthique et culture religieuse en question: Réflexions critiques et prospectives
Livre électronique402 pages4 heures

L' Éthique et culture religieuse en question: Réflexions critiques et prospectives

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À propos de ce livre électronique

L’Éthique et culture religieuse, un tournant majeur en éducation au Québec ? Assurément. Les réflexions présentées dans cet ouvrage soulèvent des questions éthiques, philosophiques et pédagogiques tout en proposant différentes pistes qui contribueront à l’évolution de ce programme, à sa mise en œuvre ainsi qu’au débat social et politique qu’il suscite.
LangueFrançais
Date de sortie11 oct. 2012
ISBN9782760534001
L' Éthique et culture religieuse en question: Réflexions critiques et prospectives

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    Aperçu du livre

    L' Éthique et culture religieuse en question - Nancy Bouchard

    susciter.

    Georges Leroux, professeur émérite

    Université du Québec à Montréal

    RÉSUMÉ

    Y a-t-il une place pour l’enseignement des modèles de la vie bonne dans l’enseignement de l’éthique proposé dans l’école publique du Québec ? Partant d’une analyse de l’évolution des formes de l’éducation morale dans l’histoire, cette étude propose d’abord une interprétation de cette évolution comme passage d’une éducation aux vertus à une éducation aux savoirs et aux compétences. La période contemporaine favorise une éducation formelle, a priori indifférente aux idéaux de la vie bonne. Tenant d’une position perfectionniste, l’auteur propose la reconstruction d’une éducation morale fondée sur l’histoire et capable de servir les finalités de l’enseignement de l’éthique réflexive autant que la transmission des modèles de la vie bonne.

    Parmi les questions relatives à l’éducation morale, la transmission des modèles de la vie bonne dans le cadre de l’école publique demeure une des plus difficiles. Dans le programme Éthique et culture religieuse, implanté depuis 2008, la formation à la liberté pour les jeunes du primaire et du secondaire est centrée sur l’apprentissage de la réflexion éthique, c’est-à-dire sur l’analyse et l’accès aux principes rationnels de l’éthique. Dans cette approche, la proposition de modèles moraux est marginalisée au profit de l’exercice de la rationalité et d’une formation du jugement concernant les choix moraux. L’apprentissage des formes de la délibération fait partie de ce modèle éducatif, mais les contenus substantiels de la morale sont laissés en suspens, en particulier ceux qui étaient dans la tradition ancienne et moderne associés à la proposition d’exemples ou de modèles de la vie bonne. Peut-on compléter cette approche par l’introduction de perspectives nourries des approches plus traditionnelles de l’éducation libérale ? Nous cherchons en effet des moyens pour produire des esprits libres et cette finalité peut exiger un recours plus soutenu à la tradition des modèles moraux.

    Par cet idéal de liberté, nous voulons surtout dire le moyen d’éviter les aliénations et asservissements de toutes sortes qui résultent de l’ignorance des modèles de la vie bonne. Le projet de démocratisation de l’enseignement, qui a conduit au programme d’ÉCR consiste, dans le contexte d’une éducation au pluralisme, à intégrer dans un projet de formation les normes correspondant à une idée haute de l’humanité et de la liberté. Les grandes finalités de la connaissance de l’autre et de la recherche du bien commun soutiennent ce projet, mais elles sont assujetties à une consigne de neutralité qui pourrait avoir pour conséquence de les banaliser. La compétition des modèles moraux dans la vie publique justifie leur présentation dans l’école, mais pourrait aussi exiger plus que la réflexion sur les principes ? Notre travail est donc d’essayer de comprendre comment la paideia définie pour notre temps peut poursuivre son projet de désaliénation, sans se limiter à l’apprentissage du raisonnement éthique et en s’ouvrant à l’héritage moral de la tradition¹. Maintenir un projet de formation à la liberté, c’est accepter ce défi dans le contexte du pluralisme moral. Dans la présente étude, je me concentrerai sur deux questions : je discuterai d’abord les modèles traditionnels de la vie bonne dans l’histoire de l’éducation, dans le but d’en dégager la structure et de montrer leur relation à la situation contemporaine ; ensuite, j’examinerai la possibilité, dans un contexte pluraliste, de les introduire dans un projet de formation compatible avec les finalités et compétences du programme d’ÉCR et en particulier la compétence éthique.

    1. À LA RENCONTRE DE LA PAIDEIA TRADITIONNELLE : LES MODÈLES DE LA VIE BONNE DANS L’HISTOIRE DE L’ÉDUCATION

    Jamais, autant que maintenant, ces questions n’ont été davantage dégagées des traditions et des institutions chargées de les transmettre dans les cultures et dans les sociétés qui nous ont précédés. Auparavant, même si toute initiation aux modèles de la vie libre – qu’elle ait été ou non transmise dans le contexte de religions particulières – était une proposition dans le cadre d’une formation, elle était néanmoins soutenue au sein d’une société qui était autoritaire et structurée par une discipline : l’autorité de la tradition constituait la force de la transmission des modèles et elle assurait la continuité entre les institutions de formation et la société du travail. Hannah Arendt² parle en ce sens du rôle central de la proposition d’un monde pour la jeunesse : l’éducateur est celui qui est chargé de dire aux autres : « Voici ton monde, fais en bon usage et voici les règles ». Il doit donc présupposer que le monde dans lequel le jeune va pénétrer, pour y naître, selon la riche expression d’Arendt, et y apporter du nouveau, soutiendra les principes et les règles présentés dans la formation. Aujourd’hui cette continuité n’est plus assurée et cette présupposition ne peut plus être garantie. Pourtant, l’éducateur ne peut faire cette proposition de manière morale s’il n’est pas aussi engagé dans la formation de la liberté qui permettra aux jeunes d’accueillir ce monde, d’y pénétrer pour y apporter non seulement des correctifs exigés par l’inégalité et la souffrance, mais aussi pour y introduire du neuf, de l’inédit. Autrement, il agirait toujours de manière cynique. La grande différence semble résider dans l’insistance sur la compétence de la réflexion éthique, désormais placée en position de surplomb par rapport à la transmission des morales substantielles.

    Dans une école marquée par les idéaux de laïcité de la société séculière, une telle proposition est par définition insérée dans un cadre général caractérisé par sa liberté et son pluralisme. Les orthodoxies et les convictions partagées d’autrefois ont laissé la place à un certain relativisme et seules des communautés rassemblées autour de la transmission de formes de vie particulières sont encore susceptibles de recourir à l’autorité de leur tradition pour les imposer. Elles seules peuvent dire à leur jeunesse : « Voici ton monde, voici les règles, et prends courage, le monde ne s’accordera pas nécessairement avec les principes que nous te proposons ». Pour le dire d’un mot, hors de communautés solidaires, nos institutions peuvent encore proposer le monde pluriel, mais elles ne peuvent garantir la liberté d’y intervenir et la certitude morale d’y être accueilli. Il y aurait beaucoup à dire sur le pluralisme, et en particulier sur la solution de continuité entre le monde et l’institution. Autrefois, la transition était fluide et transparente, alors qu’aujourd’hui l’institution peut encore présenter le monde, mais elle ne peut rien garantir : le spectre des normes est plus diversifié, les systèmes moraux ne sont unifiés que par la loi et les exigences posées à la liberté sont donc beaucoup plus complexes qu’auparavant.

    Toute cette institution, fortement unifiée, est le résultat de la pensée libérale, c’est-à-dire de la valorisation de ce qui, dans l’existence individuelle, privilégie la liberté sur la servitude. Nos institutions viennent de l’Antiquité gréco-romaine et de la lointaine Renaissance, alors qu’elles furent systématisées par le Ratio Studiorum de la Compagnie de Jésus³. Si elles sont libérales, comme l’on parle des liberal arts aux États-Unis, c’est d’abord parce qu’elles doivent former l’homme et la femme libres. Ce sont des lieux orientés vers la liberté et cela est notre héritage moderne le plus précieux. Une société qui renoncerait à cet idéal pour ne former que des personnes savantes ou compétentes renoncerait du même coup aux instruments de la liberté.

    Cette situation a des conséquences très importantes pour les questions qui nous sollicitent. Nous assistons en effet à une mutation fondamentale dont nous commençons à peine à prendre la mesure : je veux parler du passage d’une société des savoirs à une société de l’expertise et des compétences, ces deux modèles faisant suite au modèle antérieur de la société des vertus. Ces trois modèles, que nous pouvons situer dans le temps, ont un rapport très précis à la question de la liberté et devraient interpeller tous ceux que l’humanisme intéresse encore. Pour en comprendre les enjeux, il faut en effet se situer sur la longue durée. Vertus, savoirs et compétences constituent historiquement les grands idéaux que, de manière successive, l’humanité a choisi de privilégier dans ses modèles de transmission, dans sa proposition du monde à la jeunesse. Chacun engage une pratique particulière de l’enseignement, une structure pédagogique et aussi un engagement personnel dans le travail de l’éducation.

    Parmi les modèles éducatifs dont nous héritons, la tradition des vertus est de beaucoup la plus ancienne : c’est au sein de cette tradition, que nous pouvons qualifier de perfectionniste⁴, que la transmission de modèles de la vie bonne était à la fois la plus substantielle et la plus constante. Si une société veut d’abord prescrire le modèle du héros courageux ou celui du héros prudent, elle l’impose dans le récit épique et dans la connaissance même de la langue : ce fut le cas de la Grèce et de Rome, dont les épopées constituent le répertoire inépuisable de la morale ancienne en Occident jusqu’à la Renaissance. La philosophie morale s’est ensuite chargée de conceptualiser le modèle des vertus inhérent à la poésie épique d’Homère ou de Virgile. À ce modèle de l’éducation vertueuse a succédé la tradition des savoirs, héritée de la modernité scientifique : éduquer, c’est désormais rendre apte à la connaissance et favoriser une éducation centrée sur les aptitudes intellectuelles. On peut se demander si ces deux courants très anciens peuvent se placer dans une situation d’écoute mutuelle, de réciprocité dans la culture de notre temps, alors qu’émerge un troisième modèle, très différent et difficile à comprendre sur le long terme : le modèle de l’expertise et des compétences.

    La liberté est certes un concept complexe, mais je me contenterai ici d’une définition simple : former à la liberté, c’est former à une forme d’existence qui sera autonome et souveraine. Chacun veut cela pour lui-même, et chaque élève le souhaite même si c’est encore de manière indéterminée et confuse. La situation nouvelle engendrée par l’extension de l’idée libérale de l’éducation est telle que même les parents, même les éducateurs les plus engagés dans la promotion de valeurs particulières, sont avant tout des personnes qui respectent l’itinéraire de leurs enfants et leur accès à l’autonomie, y compris sur le registre de leurs préférences morales. Le paradoxe d’une formation à la liberté est en effet on ne peut plus vif dans une société qui a développé un respect de la liberté quasi infini. Ce paradoxe est le suivant : peut-on former sans proposer des modèles moraux, des langages, des formes de vie, des vertus ? L’école peut-elle se contenter de présenter les savoirs et laisser à chacun le choix de la conception du monde qui lui semble la meilleure, sans argumenter d’une façon ou d’une autre pour celle qui semble aux éducateurs la meilleure ? Aux États-Unis, par exemple, la crainte de l’endoctrinement (indoctrination) entraîne une réflexion très complexe sur la problématique du cursus caché (hidden curriculum), c’est-à-dire de ce qu’une institution transmet et qui n’est pas visible dans ses programmes. La formation à la liberté est donc prise entre deux écueils : trop d’endoctrinement est devenu intolérable, l’absence de cursus caché est impossible. Une éducation libérale qui serait libre de tout présupposé et tout à fait neutre est une

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