Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

La VIE... QUEL MODE D'EMPLOI: L’OBJECTIVITÉ DE LA RÉALITÉ, DE LA VÉRITÉ, DU BIEN ET DU MAL
La VIE... QUEL MODE D'EMPLOI: L’OBJECTIVITÉ DE LA RÉALITÉ, DE LA VÉRITÉ, DU BIEN ET DU MAL
La VIE... QUEL MODE D'EMPLOI: L’OBJECTIVITÉ DE LA RÉALITÉ, DE LA VÉRITÉ, DU BIEN ET DU MAL
Livre électronique523 pages5 heures

La VIE... QUEL MODE D'EMPLOI: L’OBJECTIVITÉ DE LA RÉALITÉ, DE LA VÉRITÉ, DU BIEN ET DU MAL

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Avec rigueur et clarté, ce livre propose une réflexion sur la réalité, sur la vérité, sur le bien et le mal ainsi que sur leur objectivité. Alors que, depuis des siècles, un consensus se dégage quant à l’impossibilité d’identifier un fondement objectif pour la morale, l’auteur relève le défi d’y parvenir. L’auteur reconnaît la vie comme le bien le plus précieux pour tout être vivant, et la santé physique et mentale comme la manifestation d’une plénitude de la vie humaine. Il explicite ensuite comment les conséquences du comportement humain sur la santé physique et mentale des personnes concernées constituent un fondement objectif pour la morale.
LangueFrançais
Date de sortie22 juin 2021
ISBN9782898310539
La VIE... QUEL MODE D'EMPLOI: L’OBJECTIVITÉ DE LA RÉALITÉ, DE LA VÉRITÉ, DU BIEN ET DU MAL
Auteur

Michel Boileau

Pendant près de 10 ans, à la suite de formations suivies au Centre de Relation d’Aide de Montréal, Michel Boileau a pratiqué la relation d’aide individuelle et relationnelle. Il détient également un baccalauréat en psychologie obtenu à l’Université Laval. Le présent ouvrage est issu de son intérêt pour les questions philosophiques et éthiques liées à l’existence humaine.

Lié à La VIE... QUEL MODE D'EMPLOI

Livres électroniques liés

Philosophie pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur La VIE... QUEL MODE D'EMPLOI

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    La VIE... QUEL MODE D'EMPLOI - Michel Boileau

    Remerciements

    Je tiens à exprimer ma reconnaissance à Sylvestre Angers, à Valérie Bélanger, à Lise Duchesne et à Simon Laliberté, pour le temps qu’ils ont consacré à lire différentes versions du texte préliminaire.

    Vos questions, commentaires et suggestions m’ont aidé à améliorer le contenu et la forme de ces chapitres.

    J’adresse un merci particulier à Cendrine Audet, réviseure linguistique, pour son travail compétent et attentionné.

    Merci aux Éditions Crescendo ! et à l’équipe professionnelle dévouée sans laquelle ce livre n’aurait pas vu le jour.

    Avant-propos

    La vie… quel mode d’emploi ?

    Pour vivre une vie satisfaisante, nous avons tout intérêt à prendre soin de nous-mêmes et de nos proches. La majorité des moralistes et des professionnels de la santé y voient même un devoir envers nous-mêmes. Selon eux, si nous négligeons ce devoir, nous compromettons notre qualité de vie et celle de notre entourage. Au pire, nous donnerions à nos existences respectives une amère saveur à laquelle, malheureusement, certains individus désespérés tenteront de réagir de façon radicale, en mettant fin à leurs jours.

    Nos modes de vie affectent, directement ou indirectement, non seulement nos proches, mais également l’ensemble des humains, des autres êtres vivants, ainsi que notre environnement planétaire. Dans ce monde inter-relié, notre existence individuelle et collective demeure éphémère. Les scientifiques estiment à environ 13,8 milliards d’années l’existence de l’univers. Notre planète serait formée depuis environ 4,54 milliards d’années. Depuis lors d’innombrables espèces vivantes ont existé, puis disparu. Les premiers hominidés – des primates présentant des caractéristiques humaines – sont apparus il y a environ 7 millions d’années. Notre espèce – homo sapiens – est âgée d’à peine 200 000 à 300 000 ans. L’univers peut très bien subsister sans nous, si nos modes de vie individuels ne favorisent pas la survie collective.

    La vie actuelle de chacun profite de la contribution souvent anonyme d’une multitude d’individus contemporains et des siècles passés. Notre avons contracté envers eux une dette aussi immense qu’inestimable en termes de savoir, de technologie, d’organisation sociale, etc. Individuellement et collectivement, nous nous devons d’adopter des comportements appropriés pour transmettre aux générations futures le meilleur de notre héritage humain.

    Existe-t-il des règles de conduite qui garantissent assurément le bonheur ou la santé, ou encore la richesse ou la survie de l’espèce ?

    Un tel « mode d’emploi » universellement valable et infaillible, nous assurant d’une vie réussie peu importe le contexte et les circonstances personnelles, n’existe pas ! Ceux qui prétendent le contraire recherchent fortune et pouvoir à nos dépens.

    Nos conditions de vie réelle comportent trop de spécificité et de complexité pour être encarcanées dans un cadre théorique rigide qui prétendrait tout codifier. Le mieux que nous puissions espérer, c’est une perspective générale qui puisse clairement nous orienter vers des comportements bénéfiques individuellement et collectivement.

    Ne détenons-nous pas déjà un « mode d’emploi » personnel, pour guider notre vie ?

    Notre conception de nous-mêmes, du monde et de l’existence humaine, ainsi que la façon conséquente de mener notre vie découlent de multiples influences. Parmi les facteurs contributifs, il y a notre éducation, nos talents et faiblesses innés, nos conditions de vie particulières, notre statut social – au sein de la majorité ou d’une minorité de la population –, les contraintes ou les opportunités du contexte économique et politique, etc.

    Au moins implicitement, nous avons développé notre propre savoir sur la meilleure façon de mener notre vie dans les conditions qui sont les nôtres. Plus ou moins consciemment, ce « mode d’emploi » personnel intègre des normes présentes dans l’environnement familial et social, ainsi que des leçons tirées de nos expériences personnelles. Souvent, c’est en nous adressant à d’autres personnes que nous explicitons des éléments de notre mode d’emploi : « Moi, à ta place, je… » ou encore « Il faut que tu… », « Tu ne devrais pas... », etc.

    Existe-t-il un fondement objectif pour guider notre vie ?

    La conception du monde et de la vie est-elle uniquement relative à chacun ? Est-elle uniquement tributaire d’une époque ou d’une culture ? Peut-elle s’appuyer sur un fondement objectif ? Pour répondre affirmativement à cette dernière question, il est nécessaire de chercher et de reconnaître un fondement objectif à la réalité, à la vérité, au bien et au mal. Telle est la démarche que je vous propose au fil de mes chapitres explorant ces différents thèmes.

    Je ne détiens pas la vérité. Le titre de ce livre se termine par un point d’interrogation et les différentes sections de chaque chapitre débutent par une question. Vous pouvez y lire chaque fois une invitation à formuler votre propre réponse. Bien sûr, en tant qu’auteur de cet essai philosophique, je détiens moi-même une certaine conception du monde et de la vie; celle-ci transparaît inévitablement dans chaque page de ce livre. Au travers des faits, des points de vue et des citations d’autres auteurs, ce sont mes idées, mes analyses, mes raisonnements que j’exprime. Je recherche la vérité, mais je ne suis pas infaillible. Mon objectif n’est pas de solliciter une confiance aveugle, mais d’alimenter votre propre réflexion critique.

    Bonne lecture et bonnes réflexions !

    Chapitre 1

    La réalité

    « Mais la plupart du temps

    C’est le bonheur qui dit

    Comme il faudrait de temps

    Pour saisir le bonheur

    À travers la misère

    Emmaillée au plaisir

    Tant d’en rêver tout haut

    Que d’en parler à l’aise »

    Gilles Vigneault, Les gens de mon pays¹

    « Reality is that which,

    when you stop believing in it,

    doesn’t go away. »

    Philip Kindred Dick, How To Build A Universe
    That Doesn’t Fall Apart Two Days Later

    ²

    À la racine des mots réel et réalité se trouve l’écho du mot latin res qui signifie « chose ». Dans le mot réalité, comme dans la plupart des autres mots, la terminaison « ité » indique un état de fait. Étymologiquement, le mot réalité désigne donc « l’état de fait d’une chose », « l’état du réel ». Il n’est donc pas étonnant que, pour définir ce mot, les dictionnaires actuels restreignent la portée de son sens premier à ce qui existe concrètement.

    Alors que, de façon générale, la majorité des personnes fondent la réalité sur ce qui est perceptible directement par les sens, plusieurs penseurs ont adopté une position contraire, à commencer par Platon, philosophe grec ayant vécu de 428 ou 427 à 348 avant notre ère :

    « [Pour Platon] – écrivent les auteurs du livre pédagogique Philosophie et rationalité : de la certitude au doute –, la réalité se divise en deux parties : le monde sensible dans lequel on vit, monde en devenir toujours changeant et insaisissable, parce qu’accessible aux sens seulement, et le monde intelligible, monde invisible où les essences des choses et des phénomènes, sous forme d’Idées, existent de façon immuable et éternelle. […] Entre ces deux mondes, il existe une relation de modèle à copie : les choses multiples ne sont que des copies imparfaites des essences du monde intelligible. […] Pour Platon, l’humain a le pouvoir de reconnaître l’animalité à travers la diversité parce qu’il possède en lui, avant même l’expérience de la diversité, l’Idée d’animal. Il conçoit le monde intelligible comme l’essence du monde sensible; en d’autres termes, le monde sensible n’est que le reflet du monde des Idées³. »

    D’un autre côté, encore aujourd’hui, les croyances religieuses affirment l’existence de « réalités » immatérielles, imperceptibles pour nos sens. On qualifie de « métaphysiques » les perspectives platonicienne et religieuse. Elles ont en commun d’accorder une valeur prépondérante à ce qui, selon elles, existe au-delà de la réalité concrète. Reconnaissons tout de même qu’au sens étendu de sa définition, la réalité inclut l’existence effective du rêve, des idées, etc. Cependant, ces entités abstraites sont issues des réalités concrètes auxquelles elles réfèrent ou dont elles s’inspirent.

    Affirmer qu’une vie réellement heureuse ou satisfaisante inclut le contact avec la réalité constitue une déclaration quasi redondante. La qualité de nos relations interpersonnelles – nos interactions avec des personnes réelles – représente la principale source d’une vie satisfaisante. Dans nos relations avec les autres, et particulièrement avec les personnes affectivement significatives, il importe d’être authentique et de connaître véritablement l’autre personne. Il convient de partager sincèrement ce que nous ressentons, ce que nous pensons, ce qui nous plaît ou nous déplaît. Comment pouvons-nous être vraiment et mutuellement heureux dans une relation qui n’est pas vraie ? Qui plus est, comment pouvons-nous satisfaire nos désirs et nos ambitions si nos projets sont fondés sur des illusions ? Comment pouvons maintenir ou rétablir notre santé physique ou mentale si nous ne connaissons pas les réalités qui lui sont favorables ou nuisibles ? Bref, si nous recherchons une vie saine réellement heureuse ou satisfaisante, il est pertinent de nous attarder à clarifier ce qu’est la réalité.

    Pouvons-nous vraiment connaître la réalité ?

    Au fil des siècles, de nombreux penseurs ont réfléchi sur la question. Certains ont affirmé qu’il était impossible de connaître vraiment la réalité :

    « Les sophistes [penseurs grecs du Ve siècle avant notre ère], adhérant à la conception héraclitéenne d’un monde en mouvement, ont cherché à montrer, arguments à l’appui, qu’il était impossible de connaître véritablement le monde et que l’être humain devait se contenter de l’interpréter. Qui plus est, aucune interprétation ne pouvait prétendre s’imposer comme la vérité sur le monde⁴. » [Caractère italique dans le texte cité]

    « Devant l’impossibilité de trouver un fondement universel et naturel à toutes choses, le célèbre sophiste Gorgias [né vers 480 et mort vers 375 avant notre ère] prétendit, pour s’opposer à Parménide, que « rien n’existe »⁵. »

    Toutefois, ce qui importe à la majorité de nos contemporains, ce sont moins des abstractions philosophiques passées ou récentes, mais les réalités concrètes de leur vie quotidienne au sujet de l’existence desquelles ils n’éprouvent aucun doute. Abordons donc la question sous un angle concret.

    Afin de percevoir ce qui se passe dans notre environnement, nous, les êtres humains, mobilisons simultanément plusieurs de nos sens. Cette approche multisensorielle est liée au fait que la réalité est complexe et multidimensionnelle. Considérons, à titre d’exemple, une réalité en apparence aussi simple qu’une pomme. Pour connaître cette réalité à travers ses multiples aspects, la vue, le toucher et le goût sont conjointement sollicités et, dans une moindre mesure, l’odorat. Si la pomme est croquante, le sens de l’ouïe est également impliqué.

    Notre première voie d’accès à la réalité, ce sont nos sens, mais ils demeurent vulnérables aux illusions induites par les apparences et par des manipulations artistiques ou autres. De plus, nos sens ont une portée limitée. D’une part, pour chacun d’eux, il existe des animaux dotés de plus amples capacités perceptives. L’odorat du chien, la vue de l’aigle, l’ouïe de la chauve-souris ou encore les capacités d’imitation sonores de l’oiseau lyre ne sont que le début possible d’une longue énumération… De nombreux aspects de la réalité nous échappent parce qu’ils sont imperceptibles pour nos sens.

    D’autre part, l’appréciation sensorielle est teintée de subjectivité. Ainsi, une personne trouvera un morceau de pomme trop dur ou insuffisamment sucré ou trop acidulé. Une autre percevra différemment le même fruit. Durant son sommeil, un rêveur se convainc de la réalité de la pomme qu’il pense goûter. Un pomiculteur peut imaginer l’hybridation d’une variété de pommes encore inexistante. Un autre producteur, ayant un préjugé favorable aux fruits de son verger, les percevra de qualité supérieure à celles de ses compétiteurs. De même, notre subjectivité peut influencer toutes nos perceptions, quel qu’en soit l’objet.

    Des instruments de mesure ont été inventés pour connaître la réalité en dépassant les limites de nos sens et en contrant les biais de la subjectivité humaine. Revenons à notre exemple d’une pomme. Après la calibration de sa taille au millimètre près, elle pourrait également être pesée avec précision. Ensuite, nous pourrions la réduire en purée afin d’analyser et de quantifier rigoureusement ses composants chimiques. Chacune de ces mesures parvient à compenser certaines limites de nos perceptions imparfaites de la réalité. Mais l’instrument utilisé est lui-même restreint par la spécificité de ce qu’il peut évaluer, à l’exclusion d’autres aspects de la réalité. De plus, tout appareil de mesure, même réputé pour sa précision, peut nous induire en erreur en cas de défectuosité ou d’utilisation inadéquate.

    L’arbitrage de la raison soutenue par l’intelligence humaine est aussi invoqué pour valider la perception et les mesures de la réalité. Toutefois, même les personnes les plus foncièrement rationnelles demeurent faillibles et donc sujettes à des erreurs d’appréciation de la réalité. Elles peuvent aussi, à l’occasion, adopter un point de vue partisan ou tenir pour réels des hypothèses non fondées sur des faits objectifs. Imaginons, par exemple, un débat sur des enjeux sociaux, économiques, politiques, éthiques, climatologiques, etc. Sous l’influence de valeurs personnelles et chargées d’émotions, ces mêmes personnes rationnelles peuvent également adopter des positions développées avec intelligence, mais dont le fondement réel est, au minimum, ténu.

    Le constat de la faillibilité de nos perceptions sensorielles et de nos mesures instrumentales ainsi que celle de nos facultés rationnelles peut engendrer du découragement quant à notre capacité de connaître la réalité. En alléguant que nos sens nous trompent et que « l’erreur est humaine », certaines personnes affichent une attitude de scepticisme généralisé. Mais nul ne peut vraiment soutenir un doute absolu, puisque la conviction d’une incertitude absolue constituerait une certitude. Une telle contradiction invaliderait le bien-fondé du doute allégué.

    Comment se caractérise notre relation avec la réalité ?

    Le monde réel possède une existence indépendante des observateurs. C’est comme si, vivante ou inanimée, toute réalité opposait une certaine résistance aux désirs de la transformer ou d’en disposer sans restriction. C’est comme si la réalité « résistait » à nos tentatives de perception exacte et exhaustive des êtres, des objets et des faits. Il n’est donc pas surprenant que l’acquisition des connaissances requière du temps et des efforts. Une telle « résistance » ne décourage pas les scientifiques contemporains. Au contraire, la majorité d’entre eux la considère même comme une caractéristique fondamentale de la réalité.

    Vers la fin du XXe siècle, des chercheurs de différentes disciplines ont utilisé l’expression résistance du réel afin de désigner l’échec de l’aspiration humaine à connaître, à comprendre et à dominer tout ce qui existe. (Cette expression apparaît d’ailleurs explicitement comme titre d’un texte pédagogique expliquant la nature d’une démarche expérimentale⁶.) La difficulté de nos perceptions, mesures et raisonnements à saisir tous les aspects d’une réalité, même d’apparence simple, illustre bien cette résistance du réel. Pour connaître vraiment la réalité, nous devons, écrit le théoricien de la connaissance scientifique Karl Raimund Popper, vaincre sa résistance :

    « Or considérer que ces lois [de la nature] sont nécessairement vraies ou que nous réussissons immanquablement à les prescrire à la nature constitue une erreur. La nature, dans bien des cas, résiste très bien et nous contraint à nous défaire de ces lois parce qu’elles se trouvent réfutées; mais tant que nous demeurons en vie, nous pouvons faire de nouvelles tentatives⁷. »

    Déjà, en 1687, Isaac Newton a formulé le « principe d’inertie » : « La force inhérente à la matière est le pouvoir qu’elle a de résister. C’est par cette force que tout corps persévère de lui-même dans son état actuel de repos ou de mouvement uniforme en ligne droite⁸. » Nous pouvons considérer la notion de « résistance du réel » comme une extension phénoménologique du principe d’inertie : la réalité, c’est ce qui « résiste » à nos efforts de connaissance ou d’action. De même, en raison de la persistance des attributs propres à chaque être ou objet, la réalité, c’est ce qui résiste à nos efforts de transformation.

    Par ailleurs, les connaissances scientifiques reconnues sont considérées comme la réalité scientifique du moment. Chaque nouvelle conclusion de recherche représente une tentative de mieux connaître la réalité de notre monde et de modifier la réalité du savoir acquis. Il n’est donc pas surprenant qu’une nouvelle découverte rencontre une résistance dans le milieu scientifique ou social, avant d’être admise à son tour comme ayant une réalité effective et non seulement théorique. Pour qu’elle soit confirmée vraie, d’autres experts en la matière doivent la constater soit directement soit indirectement par l’entremise d’une conséquence observable de son existence.

    Par exemple, en 1916, en se fondant sur sa théorie générale de la relativité, Einstein avait annoncé l’existence des ondes gravitationnelles : ces oscillations dans la courbure de l’espace-temps se propageant dans le vide sidéral à la vitesse de la lumière. Cette découverte s’est heurtée à de la résistance – le scepticisme d’autres scientifiques – avant d’obtenir une reconnaissance officielle. Il a fallu attendre un siècle, soit le 11 février 2016, pour que l’existence réelle des ondes gravitationnelles soit officiellement confirmée à partir de l’observation directe du phénomène durant la dernière fraction de seconde avant la fusion de deux trous noirs :

    « La trajectoire de Neptune, la déviation de la lumière, les trous noirs, l’expansion de l’Univers et la dilatation du temps, depuis 1915, toutes ces prédictions d’Einstein ont été vérifiées. Seules les ondes gravitationnelles résistaient encore aux détecteurs des astrophysiciens. Ce siècle de frustration a pris fin le 14 septembre 2015, lorsque les chercheurs de l’observatoire LIGO ont enfin détecté ces ondulations de l’espace-temps. Les scientifiques de la NSF (National Science Foundation) ont tout de même attendu jusqu’au 11 février 2016 pour l’annoncer officiellement. «We did it!», ont-ils alors proclamé fièrement. La communauté scientifique a applaudi l’exploit et les journaux du monde entier se sont fait le relais de cette extraordinaire découverte⁹. »

    « Moins de quatre mois après la première détection directe d’ondes gravitationnelles, une nouvelle fusion de trous noirs a été observée par la collaboration LIGO-Virgo.

    Alors que physiciens et astronomes avaient dû attendre près d’un siècle pour annoncer la première observation directe d’ondes gravitationnelles prédites par Einstein, quatre mois de fonctionnement des deux interféromètres d’Advanced LIGO (aLIGO) auront suffi pour repérer deux, voire trois, passages de ces perturbations du tissu de l’espace-temps¹⁰ ! »

    Même s’ils souhaitent le contraire, les scientifiques acceptent généralement que des délais parfois très longs soient nécessaires avant la confirmation de leurs découvertes théoriques. « La science, écrivait Albert Einstein en 1938, n’est pas et ne sera jamais un livre achevé. Tout progrès important fait surgir de nouvelles questions. Tout développement révèle, à la longue, de nouvelles et plus grosses difficultés¹¹. » Les scientifiques savent que la « résistance du réel » aux efforts de connaissances comporte un avantage non négligeable : à plus ou moins long terme, les théories erronées seront balayées par la réalité.

    Tant qu’il existe uniquement dans la pensée, un objet n’offre aucune résistance à la définition et aux manipulations mentales que veut bien lui imposer la personne qui le conçoit. Toutefois, l’existence d’un objet ou d’un personnage purement imaginaire – c’est-à-dire une entité non réelle au sens premier de notre définition – se limite à la durée de temps qu’un esprit humain lui accorde. C’est ainsi que certaines entités, divines dans l’esprit des personnes de leur culture nationale ou tribale, ont été reléguées au rang de personnages mythiques. D’autres dieux, après n’avoir jamais existé pour des populations étrangères, sinon comme objets d’idolâtrie ou comme croyances superstitieuses, sont progressivement retournés au néant de l’ignorance générale, sauf pour quelques érudits des siècles ultérieurs. Ces divinités doivent alors leur survivance à des œuvres concrètes qui ont résisté à l’usure des siècles. C’est en raison d’écrits anciens rapportant leurs attributs, des vestiges de constructions érigées en leur honneur ou de représentations à leur effigie qu’elles peuvent encore susciter un intérêt archéologique. Voilà bien une illustration possible pour les propos de Philip Kindred Dick, cités en début de chapitre : la réalité, ce sont les éléments factuels qui subsistent en l’absence de croyances ou de parti-pris idéologique.

    La résistance du réel ne s’oppose pas seulement à nos capacités de perception et de connaissance, mais à l’ensemble de nos interactions avec lui. Un projet anticipé par une imagination créatrice ne deviendra réel qu’en triomphant des obstacles réels à sa matérialisation. En effet, la mise en œuvre concrète d’une tâche ou d’un projet s’avère souvent plus complexe et plus exigeante qu’anticipée. Il arrive aussi que la résistance du réel soit amplifiée sous l’effet de l’anxiété, mais qu’ensuite la réalité effective soit moins ardue que celle appréhendée.

    Une fois réalisée, une œuvre existe dans la durée et dans l’espace; elle offre une résistance aux effets du passage du temps et à l’interaction avec d’autres réalités. Une « réalité » virtuelle – c’est-à-dire non réelle au sens premier de notre définition – ne peut exister sans un support matériel. Ce dernier offre une résistance à la capacité de connaissance et d’utilisation des personnes qui le manipulent en vue d’accéder à l’objet virtuel, mais ce support offre aussi une résistance à la transformation et à la disparition de l’existence virtuelle. Par exemple, une fois un personnage fictif rattaché à un support matériel (livre, film, support numérique, etc.), son existence ne peut pas être altérée sans interaction avec le matériel réel qui le véhicule.

    Nous faisons aussi partie de la réalité : nous rencontrons en nous-mêmes des forces d’inertie quand nous tentons d’aller à l’encontre de nos inclinaisons spontanées. Songeons, par exemple, aux efforts requis et aux échecs fréquents rencontrés dans le changement de nos habitudes de vie. Même si l’intention venait de nous, combien de tentatives furent nécessaires pour parvenir à cesser de fumer ou à perdre du poids, à faire davantage d’exercices physiques ou à diminuer nos dépenses, à entreprendre et à persévérer dans une nouvelle activité, etc.; combien de nos projets se sont heurtés à la résistance du statu quo ?

    La résistance du réel se manifeste particulièrement dans nos interactions avec d’autres personnes. La réalité dans une relation interpersonnelle, c’est l’état de fait qui caractérise cette relation, c’est-à-dire sa nature, son degré d’intimité, ses manifestations d’affection ou d’animosité, etc.; bref, l’ensemble de ses caractéristiques effectives. Souhaiter faire évoluer une relation, quelle que soit la nouvelle orientation envisagée, c’est vouloir en modifier la réalité factuelle. Comme toute modification, celle-ci ne se réalisera pas sans une quelconque forme de résistance au changement. Même les personnes ayant des attentes « réalistes » sont confrontées à des conséquences imprévues ou même sciemment non désirées. Qui, par exemple, n’a jamais été étonné par la réaction inattendue d’un collègue, d’un supérieur hiérarchique ou d’un subalterne ? Quel couple et quels amis ne rencontrent pas des difficultés relationnelles non souhaitées ? Quel parent n’observe pas des comportements contraires à ceux escomptés par son projet éducatif ?

    Malgré la résistance du réel, quelle importance revêt le contact avec la réalité ?

    La « soif de connaître » la réalité semble partagée par tous les êtres vivants. Au fil de l’évolution des espèces, l’accès à un minimum de connaissances sur l’environnement immédiat s’est révélé être une question de vie ou de mort. Entre autres scientifiques, Jean-Claude Bonnefont, géographe et professeur émérite de l’Université de Nancy 2, n’a-t-il pas décrit le rôle exploratoire actif des racines d’arbres, particulièrement les racines pivotantes qui s’efforcent de traverser le sol « pour aller quérir l’eau de nappes profondes¹² » ? Les animaux, plus encore que les plantes, se familiarisent activement avec leur territoire afin d’y trouver leur subsistance ou un abri contre leurs prédateurs. Avec leurs niveaux plus élevés de conscience et de capacités intellectuelles, les êtres humains n’ont cessé d’approfondir et d’élargir leurs connaissances du monde ainsi que celles relatives aux menaces ou aux moyens d’améliorer leur qualité de vie. L’accumulation de savoir ne se réalise pas sans obstacles, mais il devient pour nous source de sécurité, d’efficacité et de plusieurs autres avantages matériels ou sociaux.

    La notion de résistance du réel nous ramène à mon affirmation en début de chapitre : pour être réellement heureux ou satisfait de sa vie, mieux vaut privilégier le contact avec la réalité. Par définition, les faux-semblants et les illusions ne témoignent pas d’une représentation fidèle de la réalité. Dans toute relation humaine non superficielle apparaissent, à un moment ou à un autre, des divergences, des déceptions, des contrariétés. Le contact avec la réalité ne signifie pas la résignation à un statu quo insatisfaisant. Au contraire, l’expression authentique des malaises couplée à une recherche d’avantages mutuels rendent possible la conciliation de la réalité avec une satisfaction partagée.

    Le contact avec la réalité n’empêche nullement de « rêver éveillé » en nous projetant dans le futur et en nous mobilisant pour réaliser un projet ou pour modifier nos conditions de vie. Toutefois, comme l’illustre le texte de Gilles Vigneault cité en exergue et comme l’ont affirmé de nombreux philosophes – dont le Britannique John Stuart Mill (1806-1873) –, nous ne confondons généralement pas la vie réelle avec le fantasme d’un bonheur permanent composé exclusivement de plaisir :

    « Si l’on entend par bonheur une continuité de plaisirs élevés, il est évident qu’alors il est impossible à atteindre. Un état exalté de plaisir dure quelques instants, rarement quelques heures ou quelques jours, c’est une flamme brillante, mais qui s’éteint vite. Les philosophes, qui enseignent que le bonheur est le but de la vie, le savent aussi bien que ceux qui les insultent. Le bonheur dont ils veulent parler ne compose pas une existence d’extase, mais une existence faite de peines peu nombreuses et transitoires, de plaisirs nombreux et variés, avec une prédominance de l’actif sur le passif, une existence assise sur ce principe qu’il ne faut pas demander à la vie plus qu’elle ne peut donner¹³. »

    Un mode d’emploi pour la vie qui prétendrait le contraire serait une fable illusoire et trompeuse.

    La psychologie moderne considère le contact avec la réalité comme un paramètre important de la santé mentale. Dans un chapitre intitulé « Les individus accomplis : une étude de la santé psychique », le psychologue humaniste Abraham Maslow (1908-1970) décrivait ainsi cette catégorie d’individus :

    « Ils sont donc beaucoup plus aptes à percevoir ce qui existe réellement au lieu de la voir [cette catégorie] à travers le prisme de leurs propres souhaits, de leurs espoirs ou de leurs peurs, de leurs inquiétudes ou de leurs théories et convictions personnelles, ou à travers les croyances de leur groupe culturel¹⁴. »

    À l’opposé, le terme psychose désigne un trouble mental sévère caractérisé par une perte de contact avec la réalité, se manifestant par des hallucinations ou par des idées délirantes ou absurdes. Quoique d’une moindre gravité, des déformations de la réalité sont également associées à des problèmes psychologiques. C’est d’ailleurs ainsi que l’approche psychodynamique considère les « mécanismes de défense », tandis que les thérapies cognitives-comportementales envisagent les « distorsions cognitives » et les « schémas inadaptés » comme des pensées erronées nuisibles qu’elles s’efforcent de confronter.

    Par exemple, une distorsion de la réalité se manifeste dans le pessimisme qui caractérise la dépression. En 1976, Aaron Beck, le père de la psychologie cognitive, avait identifié trois composantes de pensées négatives déformant la réalité et caractérisant la dépression. La « triade cognitive dépressive¹⁵ » comprend : la mésestime de soi (ex. : « Je ne vaux rien », « Je n’ai pas de talents, d’intelligence, etc. »), la dépréciation de son environnement (ex. : « Tout le monde est contre moi », « Personne ne peut m’aider ») et le découragement face à l’avenir (ex. : « Il n’y a rien à faire », « Il n’y aura ni solution ni amélioration possible »). Ces cognitions caractéristiques de la triade dépressive affectent négativement l’humeur, la motivation et les comportements.

    Toutes les déformations de la réalité ne se manifestent pas à travers une perception négative. Elles n’en demeurent pas moins généralement susceptibles de conséquences désagréables. Par exemple, nous savons, par expérience personnelle ou pour l’avoir observé chez d’autres personnes, que l’idéalisation d’une personne, d’un objet ou d’une situation est généralement suivie d’une amère déception.

    En raison de son caractère complexe et multidimensionnel, la réalité résiste aussi aux théories simplificatrices. En effet, un strict réalisme n’est pas toujours absolument bénéfique, tandis que le déni

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1