L’avocat: Recueil de nouvelles
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Avocat, magistrat, puis conférencier sur les bâtiments de plaisance, Jean-Philippe de Garate contribue à plusieurs médias, Opinion Internationale, la Revue Histoire Magazine... Il est un chroniqueur de notre temps.
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Avis sur L’avocat
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Aperçu du livre
L’avocat - Jean-Philippe de Garate
Du même auteur
Couve de Murville, Un président impossible, éditions L’Harmattan, Paris, 2007.
Manuel de Survie en Milieu Judiciaire, éditions Fortuna, Tournai, 2016.
Bréviaire de la Destruction, La justice politique à l’œuvre, éditions Fortuna, Tournai, 2018.
Du côté de chez Céline, éditions Portaparole, Arles, 2019.
Le juge des enfants, éditions Portaparole, Arles, 2019.
Le conférencier, éditions Portaparole, Arles, 2020.
Sous le pseudonyme de John Rupert Glastod :
Trouver la fin, éditions Mélibée, Toulouse, 2013.
Le menteur, éditions Amalthée, Nantes, 2015.
15 juin 1963. Loudun, en Poitou, ville des « possédés ». Charles de Gaulle, président de la République, fait une halte et serre des mains. Dans la foule, Marie Besnard, accusée puis acquittée pour treize empoisonnements. Son affaire a fait la une des journaux. Elle s’approche du général et se présente :
— Marie Besnard.
— Eh bien, madame, continuez !
Avant-propos
« Comment pouvez-vous, Maître, défendre de pareilles ordures ? Il a trafiqué, il a tué ! ». La question, présentée sous des formes variant selon les situations, se répète. Ma réponse demeure : « l’autre, c’est moi ».
Il ne s’agit pas d’une simple formule. Si je m’imagine à la place de mon client, si je l’écoute longuement « partir dans tous les sens » – car son dossier, celui du tribunal, il en a soupé – je trouverai toujours, oui, toujours, des arguments pour nourrir sa défense. Ces « éléments de contexte » expliqueront ses actes, s’ils ne les justifient pas. Pour moi, les trois quarts du travail utile se font dans le parloir des prisons.
Et puis, il y a autre chose, un avocat vieillit, évolue. Une « affaire sans importance » – un vol de carottes – a déclenché en moi de puissants mécanismes que je ne me connaissais pas¹. De son côté, le monde de la drogue, qu’on dit obéir à une logique d’argent, me semble à l’expérience se conformer aux us et coutumes politiques. Et pour finir, les crimes de sang : j’ai serré la main de bon nombre d’assassins présumés sans éprouver rien d’autre en retour que le serrement de ma main par celle d’un homme.
L’essentiel du métier d’avocat découle de ce qui précède : le client tente de vous attirer dans son monde. S’il perçoit votre empathie, s’il prend confiance et constate votre conviction, il tentera d’aller plus loin et d’établir avec vous une relation de complicité. Le mot est à double tranchant. Des amis « complices » peuvent fumer ensemble sans penser à mal, mais ne rêvons pas : par cent artifices, le client passera son temps à tester son avocat.
L’art de parler en public dans l’intérêt d’un autre n’interdit pas de verrouiller certaines parts de soi-même, d’autant plus que les clients se déprennent de leur avocat dès qu’il a cessé d’être utile, ce qui fait mal. De cette fin programmée, ce contrat ad litem – l’avocat intervient « pour le procès » – découle une sensation de « raideur aux entournures » chez nombre de confrères. Elle n’est que l’expression d’un réflexe de défense de l’avocat, cette fois envers soi-même. Ce n’est pas un choix, c’est un réflexe. Puis un constat, un peu triste. Jusqu’à la fin, l’avocat demeure seul².
La pierre tombale
Le mois de janvier commençait, et madame Lumière serait ma première cliente, pour avoir pris rendez-vous à onze heures. Je venais de prêter serment et nous nous trouvions à Reims.
La ville des sacres royaux est connue pour ses aurores blanches, lumineuses et à peine rosies le jour venant. L’hiver y est souvent rude mais sec et ensoleillé, comme ce matin-là quand j’arrivai au tribunal pour une audience de procédure. En sortant du palais de justice, deux heures plus tard, le ciel s’était métamorphosé. D’énormes nuages noirs avaient plongé la place dans la nuit. Et puis, d’un coup, les cataractes s’ouvrirent, accompagnées du crépitement d’une batterie de canons. Je devais être de retour à mon cabinet d’avocat pour le rendez-vous. Il était 10 h 50. Je n’avais pas le choix et m’élançai.
De la place Myron T. Herrick à la rue Libergier où se trouvait mon bureau, il n’y a pas plus de cent mètres. En courant de droite de gauche, je tentais d’échapper à la pluie. Ce n’étaient plus des cordes mais de vraies cuves qui déversaient leur contenu. Il rebondissait sur les devantures, les toits, les murs, m’écrasait de sa masse et percutait le sol avec fracas. Quand j’arrivai, c’est simple : j’étais non pas trempé, mais nu. Tout, vêtements, sous-vêtements, tout était à tordre. Des années après, je me revois sur le seuil de l’immeuble abritant le cabinet. Je retire un à un mes mocassins et les vide. L’eau en sort comme d’une carafe.
Je montai à grands pas, laissant de larges traces humides sur les tapis, et me déshabillai, me séchai puis utilisai la tenue de rechange, sagement rangée dans le dressing. Je les avais oubliées : il n’y avait pas de chaussettes.
On survit sans chaussettes. Arrivé dans mon bureau, encore transi, je mis en marche la cafetière avec l’idée d’offrir une tasse à madame Lumière, mon rendez-vous. Mais la dame vêtue de violet gris n’y prêta pas la moindre attention.
— Onze heures, ce n’est pas onze heures vingt ! maugréa-t-elle…
Ma première cliente ! ça commençait bien. Je gardai pour moi les répliques bien senties et mes effets trempés, glacés, que je lui aurais volontiers balancés dans le nez. Quelle sale bique !
La dame était âgée, et lorsqu’on a moins de trente ans, avec devant soi une femme au visage que je découvrais si triste, si défait, on garde pour soi sa « plaidoirie pluviale » et on présente platement des excuses… pour passer à l’objet de sa venue.
Son histoire était incongrue. Méfiante, nerveuse, elle vérifiait par d’incessantes répétitions que je l’écoutais bien, et que j’adhérais à son récit. Son mari était mort quelques mois auparavant et elle avait commandé un monument funéraire dans le village dont les deux époux étaient originaires, sur la route de Laon, là où il reposait. Rien que de tristement ordinaire.
Le défunt avait dix-sept ans de moins qu’elle. En me confiant cette différence d’âge, ma cliente scruta mes réactions, vérifia que je ne la jugeais pas. M’apercevant attentif, elle changea de ton. Certaines de ses intonations se firent désormais douces, voire tendres. Elle s’exposait telle qu’elle était, meurtrie par cette perte du « seul amour de sa vie » : c’étaient ses mots. Puis elle se détourna vers la fenêtre, le regard perdu au-delà de son auditeur. La pluie ruisselante semblait l’attirer, comme un miroir des larmes qu’elle « n’en pouvait plus de verser ». J’étais ému d’une telle confession. Jamais jusqu’alors une femme ne m’avait parlé ainsi ! Elle précisa se recueillir chaque jour sur la tombe et y apporter des roses de la variété orangée appréciée de celui qu’elle chérissait toujours. Elle passait « un certain temps » à disposer les fleurs dans les vasques de marbre, disposées de part et d’autre du monument, en parlant à son amoureux. Je l’écoutais sans l’interrompre mais ne voyais toujours pas où elle voulait en venir.
Pour prier, me disait-elle, elle s’agenouillait ou plutôt essayait de le faire. Non pas que la station à genoux lui fût douloureuse ! non ! mais la pierre tombale bougeait. Et pas qu’un peu ! Elle crut tout d’abord à quelque lubie de sa part, mais personne n’était à même de le lui confirmer. Elle était seule dans le cimetière et ne croisait dans les allées que deux trois badauds qui détournaient le regard. Enfin, tout de même, cette pierre tombale plus que branlante, oscillante, qui lui avait presque valu une chute – car elle s’était rattrapée on ne sait comment –, c’était gênant ! Elle téléphona donc à l’entreprise de pompes funèbres, mais sans doute avait-elle mal choisi son jour, ajouta-t-elle. En tout cas ses mots (peut-être, pensai-je assénés comme ceux qu’elle avait réservés à mon retard) étaient tombés dans une oreille peu amène. Le marbrier lui avait raccroché au nez. Elle n’avait pas digéré cette réception de rustre, de surcroît renouvelée deux fois, et avait filé prendre rendez-vous avec ma secrétaire.
Cette fois, j’avais compris.
J’appelai devant elle le patron des pompes funèbres. Il me rembarra et fut si vulgaire, si inadapté, qu’il nous permit l’économie d’une lettre recommandée ou tout préalable d’arrangement amiable. Cela me poursuivit et demeura un motif d’étonnement. Comment un tel homme, confronté à la mort quotidienne, aux pleurs des proches et aux scènes qui sont son lot, avait-il pu prospérer ?
À l’audience, il arriva sans avocat, joua les bravaches et indisposa si bien le magistrat d’instance qu’il se trouva condamné « sur le siège » – c’est-à-dire sans délai – à une expertise, de surcroît à ses frais et avec une provision, deux mille euros à verser à ma cliente.
La vieille dame trouva la condamnation « normale » et oublia jusqu’à la présence de son avocat qui avait plaidé pour elle, auquel elle omit de dire un simple « merci » ou « au revoir ». J’étais jeune, et en fus cloué sur place… ce jour-là,