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Pourtant j'étais au rendez-vous: Roman
Pourtant j'étais au rendez-vous: Roman
Pourtant j'étais au rendez-vous: Roman
Livre électronique185 pages3 heures

Pourtant j'étais au rendez-vous: Roman

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À propos de ce livre électronique

Guidé par la soif de vengeance, Edmond est prêt à commettre le pire : tuer son propre père.

Edmond est décidé. Il va tuer le jeune gars pour franchir le Rubicon de son enfance sordide. Et aussi parce qu’il en a énormément envie. Mais auparavant, il doit écrire son histoire et convoquer tous les bourreaux qui lui ont pourri ses jeunes années, afin de les forcer à comparaître avec lui au tribunal. Après avoir dilapidé tout l’argent de son père, et le contraindre à finir sa vie dans un établissement sordide, il se rendra à la police.
Car celui qui tient la première place parmi ses bourreaux, c’est son père. Et plus il écrit, plus Edmond se souvient de l’addition de servilité, de manipulation, de culpabilisation subies dans son coin de campagne, adroitement relayées par ses camarades et ses enseignants, jusqu’au curé.
Tout est prêt. Sa vengeance sera imparable.
Mais parfois, il y a des grains de sable même dans les plans les mieux élaborés. Pour le meilleur ou pour le pire. Allez savoir.

Un roman psychologique intense, qui traite de l'impact d'une enfance difficile sur toute une vie, et explore les difficultés liées à la compréhension et au pardon.

EXTRAIT

Six ans. On n’a pas beaucoup de souvenirs de cet âge-là. Des images, quelques moments triés, des odeurs aussi. Et des sensations. La peur du noir, la douleur des coups qui lui en rappelait une autre. Pour une fois, ce n’est pas le père qui en était à l’origine. Edmond s’était débrouillé seul pour se casser le bras.
Comme tous les gamins de la campagne, son frère et lui adoraient monter aux arbres. Jusqu’en haut du cerisier même, qui devait mesurer au moins cent mètres dans sa mémoire d’enfant. Les deux garçons grimpaient jusqu’à la plus haute branche, là où seuls vont les oiseaux, parce que c’est là que se trouvaient les plus belles cerises qui avaient profité d’un soleil qu’aucune feuille ne venait voiler. Ils n’avaient pas peur et, en acrobates légers qu’ils étaient, ils pouvaient prendre appui sur les branches les plus fines. Bien sûr, arrivés en haut, ils se gavaient des fruits gorgés de jus avant d’emplir leurs sacs plastiques. Il leur était même arrivé d’y grimper un jour où il y avait grand vent et que les parents étaient partis faire les courses. En haut de l’arbre, secoués par les rafales, ils riaient en injuriant les Dieux grecs dont ils avaient lu les noms dans un livre, se moquant d’Éole incapable de les faire tomber.

À PROPOS DE L'AUTEUR

D’abord enseignant puis archéologue médiéviste, pour finir conseiller municipal de sa ville, Jean-Denis Clabaut est auteur d’ouvrages historiques et de romans. Cette passion de l’écriture, qui est née dans la librairie de son enfance, l’a amené à fonder l’Association des Auteurs Du Nord qui a pour but la promotion de la lecture et de l’écriture dans les prisons.
LangueFrançais
Date de sortie13 nov. 2019
ISBN9791037700841
Pourtant j'étais au rendez-vous: Roman

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    Pourtant j'étais au rendez-vous - Jean-Denis Clabaut

    Jean-Denis Clabaut

    Pourtant j’étais au rendez-vous

    Roman

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    © Lys Bleu Éditions – Jean-Denis Clabaut

    ISBN : 979-10-377-0084-1

    Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

    A priori, ça semble facile.

    Il suffit de trouver un critère pour établir une liste.

    Le mien est tout trouvé : mes bourreaux. Tous ceux qui ont contribué à faire de ma vie une addition de difficultés, de moments compliqués, douloureux ou pénibles. Ils sont nombreux. Certains l’ont été de façon passive, sans s’en rendre compte, agissant plus par bêtise, par inattention, que par volonté de faire mal. D’autres ont été actifs. D’une méchanceté parfois idiote, parfois voulue, parfois choisie. Perverse même. Et d’autres encore ont fait preuve d’une maîtrise absolue et consommée dans la vilenie la plus crasse, la torture psychologique et l’humiliation calculée. Des gens biens pourtant, appréciés, salués dans la rue. De belles ordures quand même. Alors dans ma liste, je dois mettre tous ces gens, tous ceux qui m’ont transformé, grâce à l’addition de leurs actions, en assassin. Merci, le travail a été bien fait.

    Ce que je rédige aujourd’hui, c’est la liste de mes bourreaux.

    Voilà donc pour le critère.

    L’ordre maintenant. Chronologique ? En démarrant de mes premiers souvenirs pour arriver jusqu’à aujourd’hui ? J’arrive à la fin. Non pas que je vais mourir. Enfin, je n’en sais rien, mais il n’y a aucun symptôme indiquant l’imminence de ma mort. C’est de la fin d’un cycle dont je parle. Jusque-là, depuis ma naissance, j’étais le fils de quelqu’un, avec des parents, comme tout le monde, ou presque. Ma mère est morte il y a plusieurs années. Aujourd’hui, c’est au tour de mon père. Allongé définitivement dans son lit, à l’ehpad qui l’a accueilli, je sais qu’il n’en sortira que pour l’étape « crématorium ». Bientôt, « dans moins d’un an » si j’en crois les médecins, donc avant la fin de l’année et nous sommes en janvier. J’ai juste le temps de lui en faire baver.

    Si j’en crois le corps médical, avant Noël, je ne serai plus un fils. Rien qu’un homme sans géniteur vivant. Bizarrement, ça me touche, ça m’affecte même. Pourtant, ce père que ma mère m’a choisi, c’est bien le bourreau « number one » de ma vie. Il est le fil conducteur, du début jusqu’à aujourd’hui, m’incitant à opter pour l’ordre chronologique de ma liste.

    Pourquoi pas ? Ou alors la progressivité. Du moins bourreau au plus épouvantable sadique. Ça aussi, ça se tient. Cependant, le classement n’est pas évident. En effet, mon appréciation personnelle des performances de ces bourreaux est fonction également de mon âge, de ma capacité à comprendre, à analyser. Quand j’étais petit, tout ce que je vivais me paraissait normal, même le pire. Je n’avais pas d’élément de comparaison. Alors les coups, les punitions, les humiliations, c’était la vie. Celle que je partageais avec mon frère. Et ma mère aussi. Les membres de la famille étaient unis dans la soumission et la crainte, subissant avec équité les foudres d’un père tout puissant. Victime dans son travail, puisque au bas de l’échelle et obligé d’obéir à tous les autres qui lui étaient forcément supérieurs, donc le plus salaud des patrons dans son intérieur, par réaction, par bassesse. Un humilié, minable, qui se déchaîne là où il a un pouvoir. Un agent de la Gestapo brutal. Puissant, intouchable, sans prédateur interne, sans loi, sans contre-pouvoir, donc épouvantable. Jusqu’à ce que je m’en aille.

    Mais halte ! Voilà que je commence à rentrer dans les détails alors que je n’ai toujours pas choisi l’ordre d’apparition de mes bourreaux. Peut-être dois-je faire confiance à mon premier réflexe et laisser ma plume courir en démarrant de l’enfance ? Ce n’est pas une mauvaise idée. L’enfance, c’est le début, là où tout commence, où se créent les premières habitudes, les premiers réflexes de sauvegarde, où se développe l’instinct de survie.

    Je ne suis pourtant convaincu par aucun de ces critères. J’aurais aimé quelque chose de différent, presque de thématique. C’est l’administration judiciaire qui m’a fourni la solution. Quand la grande enveloppe marron est arrivée, je ne pensais pas qu’elle m’apporterait de l’aide. Des contraintes, oui, du travail également. Et de l’écœurement. À l’intérieur se trouve le dossier de demande de mise sous tutelle de mon père. Je n’aurais jamais cru un jour être en passe de m’occuper de lui et de ses intérêts. Quel paradoxe ! J’aurais pu laisser cette tâche à des personnels spécialisés de l’ehpad. Mais non, même si le jour où j’ai été contacté, j’ai failli leur raccrocher au nez. Quelque chose m’a retenu. Il faudra que je prenne le temps de m’interroger sur cette pulsion, cette sorte de commandement intérieur qui me force à m’occuper de celui qui m’a maltraité avec autant de régularité que de violence. Un syndrome de Stockholm ? J’y réfléchirai un jour. Ou Pas.

    Ainsi, ce père que j’ai tenté d’oublier mais dont l’image et les coups sont obstinément restés accrochés dans ma mémoire, incrustés, tatoués par les mauvais traitements, cet homme qui malgré tout est mon seul père, le voilà devenu une ombre, un vieillard moribond allongé dans un lit, sans plus d’autonomie qu’un nouveau-né. Bien fait. Qu’il y reste longtemps et que sa fin soit lente et douloureuse. Non, je n’ai pas de cœur. Il me l’a crevé il y a longtemps et depuis, je suis un zombie, un mort-vivant de la société. J’aurais pu raccrocher le téléphone et laisser ce père exécré se décomposer sans m’en soucier, mais quelle erreur cela aurait été ! 

    Cet appel de l’ehpad a finalement été le déclencheur de mon processus de vengeance. Un scénario parfait qui me satisfera à tout point de vue. D’après le tribunal que j’ai contacté, il faudra trois mois pour que la tutelle soit mise en place. Une fois devenu gérant des affaires de mon père, je dilapiderai tout en un temps record. Je ferai des dons aux associations d’aide aux victimes de violences. Cela fait, il n’aura plus un sou pour payer son ehpad et sera obligé d’être transféré dans un mouroir à vieux. J’en espère un bien sordide, où les pensionnaires sont levés tôt, malmenés pendant la toilette, quand ils sont lavés, trop chichement nourris, couchés dès six heures et laissés seuls, leur couche pleine, les escarres remplies de merde, le corps envahi de la douleur de la décomposition durant leur vivant. Quelle joie d’imaginer ce tableau ! Ce n’est que justice. Ou vengeance. Je claquerai tout, et après j’irai me dénoncer pour le meurtre que j’ai encore à commettre. On m’enfermera, et l’administration ne pourra pas me contraindre à payer les frais d’hébergement de mon père. Enfermé, donc insolvable, voilà la solution.

    L’idée est géniale.

    J’entends déjà les commentaires de ceux qui ont eu une enfance heureuse, ou simplement normale, et qui placent leurs parents chéris sur l’autel de leur filiation sacralisée. « Tu honoreras ton père et ta mère ». Tout est dit dans ce concentré de devoir imposé. Et quand ton père a été un salaud, tu dois quand même l’honorer parce qu’il t’a donné la vie ? Ça ne lui a pris que quelques minutes et pour ça, juste pour ça, pour un coït aux conséquences inattendues, je dois me mettre à genoux devant lui, joindre les mains et le chérir ? Des clous ! J’ai été triste à la mort de ma mère. Attention ! Triste, mais pas malheureux. Pour mon père, ce n’est pas pareil. J’assume totalement le côté pervers du jeu que je vais jouer. À le savoir dépendant, réduit à rien ou presque, si vulnérable, j’éprouve une réelle jouissance. Chaque jour qu’il passe ainsi, grabataire, perforé d’escarres, attendant sa nourriture qu’il est incapable d’ingurgiter seul, dépendant des soignants trop peu nombreux pour chacun des gestes de sa vie, même si celle-ci se réduit à pas grand-chose, tout cela est une forme de compensation pour moi. C’est sa punition, distillée goutte à goutte. Une forme de justice immanente à laquelle je ne crois pas, mais qui est quand même bienvenue. Si ça continue, je finirai par croire que Dieu existe, et son alter ego diabolique aussi.

    Alors les chuchotements dans mon dos, les jugements portés sur mon manque de compassion, mon cynisme, tel que j’ai pu les entendre ici ou là, je m’en balance. Ils sont tous tellement manipulables, tellement prévisibles avec leur humanisme chevillé au corps, leur conception sacralisée de la vie, mélange de dogmes, de crainte et de superstition religieuse, et leurs concepts philosophiques qui placent la vie humaine au-dessus de tout. Moi, je la mets là où elle doit être. Au panthéon ou dans le caniveau. Ça dépend seulement de qui on parle.

    Mais je m’égare. Me voilà déjà bien loin dans mon histoire. Je dois ordonner mon récit. Comme je l’ai dit, merci aux formulaires si bien construits et présentés de l’administration judiciaire. Moi qui ai toujours détesté l’ordre et la discipline, même si je ne me suis jamais vraiment rebellé par crainte des coups, me voilà convaincu par la perfection administrative. À la lecture de cet austère écrit, j’ai immédiatement su que là était ma trame. Rien de plus formel, mécanique et froid que ces documents, mais la logique en est implacable, totalement dénuée de sentiment et d’affect. Un ordonnancement inattaquable que j’ai fait mien. Je n’ai plus qu’à suivre le chemin tracé, répondant aux questions qui, chacune, me renvoient aux différents épisodes de ma vie. 

    Le critère a été trouvé, l’ordre également.

    Maintenant, le pourquoi. Ma vie va basculer, bientôt. Je vais tuer quelqu’un que je connais à peine, parce que j’en ai besoin et tellement, mais tellement envie. Pas l’envie de le tuer, lui, mais de tuer tout court. J’ai ce besoin viscéral ancré en moi depuis longtemps. La suite permettra sans doute de comprendre ce qui a construit ce désir que certains pourraient qualifier d’inhumain. Ou de ne pas comprendre. Je me fiche de la compréhension, ou pire, de la compassion. Je veux le dégoût, la révolte, le rejet.

    Alors avant de devenir un autre, un meurtrier, il me semble nécessaire de mettre noir sur blanc le processus lent et dévastateur qui m’a amené là. Ils s’y sont tous mis, avec constance, pour me détruire et me transformer. Demain, bientôt, j’aurai rejoint leurs rangs, celui des bourreaux. Au moins, de cette manière, je serai l’un des leurs.

    J’imagine le procès. Parce que forcément il y en aura un, puisque j’irai me livrer. Cela fait partie de mon projet. L’étape sacrificielle, puis la révélation et enfin, l’enfermement. La salle d’audience, la cour, les jurés, les débats, je me les représente sans difficulté. J’ai une imagination fertile construite grâce aux nombreux livres que j’ai lus. C’était mon refuge depuis tout petit, et les auteurs sont devenus mes seuls amis, mes confidents.

    Voilà donc comment je vois les choses.

    Je raconterai tout, en détail, de la manière la plus explicite possible et, pour qu’ils comprennent bien l’importance de ne jamais me laisser ressortir, j’adopterai une technique narrative très mécaniste. Froide, distanciée, factuelle. Pour tous, ce sera la marque évidente de mon absence totale de sentiments et de remords. L’horreur n’en sera que plus grande. À mesure que je raconterai, je sentirai les jurés mais également le procureur se figer d’effroi. Quelques détails, des petits riens, des attitudes, des ambiances globales. Je les amènerai exactement où je veux.

    Le silence d’abord. Sa définition est simpliste, souvent donnée par opposition « le silence, c’est l’absence de bruit ». Mais celui qui envahira la salle du tribunal, au fur et à mesure de ma narration, sera d’une nature plus précise, complexe mais structurée. Il se répandra progressivement. Géographiquement, ce sont les jurés qui seront touchés en premier. Normal, ils sont les plus près. Puis comme une onde qui se déplace et agrandit le diamètre de son cercle, ce sera le tour de la cour, et les rangs du fond du public en dernier. Progressivement, la salle se figera. Les dernières conversations, les ultimes chuchotements s’étoufferont. Ce que j’expliquerai, plus personne ne le commentera à son voisin, même en sourdine, en aparté. Chacun s’enfermera dans son espace personnel, son refuge face à l’épouvante. Les portes de la communication avec l’autre se fermeront. Une assemblée d’individualités qui n’auront plus de liens, plus de communications entre elles. L’inverse d’une société, basée sur l’interaction collective. Voilà la première étape. J’aurai tué la société en enfermant chacun des spectateurs. Spectateurs, oui. Même les juges et leurs assistants ne maîtriseront plus l’organisation pourtant stricte d’un procès. Je serai en représentation et je les tiendrai en haleine.

    Après le silence des conversations, le silence des gestes. Une fois enfermés en eux-mêmes, concentrés sur leur audition, mes spectateurs seront figés. Les gestes réflexes, tapotements de stylos, mouvements de jambe, gratouillis et autres trifouillages des orifices et des pilosités, tout cela n’existera plus. Après le silence, j’obtiendrai la pétrification. À tel point que les respirations même deviendront toujours plus discrètes, que les éternuements et toussotements seront abolis. Voilà. J’aurai obtenu ce que je veux : la stupéfaction totale.

    J’imagine encore la famille de ma victime et je sais exactement ce que je leur dirai, face à leur désespoir tellement prévisible et faux. « Vous êtes ici en train de pleurer ce jeune homme, mais où étiez-vous avant ? Il était désespéré, malheureux, il me l’a dit, surtout à cause du rejet de sa famille dont il n’avait aucune nouvelle et qui l’avait effacé de l’arbre généalogique, enterré dans le silence. Et maintenant, vous prétendez être tristes ? C’est votre utérus qui pleure madame, rien de plus, la petite fille qui a perdu son poupon, qui ne supporte pas de ne plus avoir son bébé. Une vache qui meugle a plus de droits que vous, car jamais elle n’abandonne son petit ».

    Tout cela je le vois, je le veux. Mais auparavant, comme je l’ai dit, je dois écrire pour que chacun sache en détail d’où je viens, parce que j’ai peur d’en oublier au procès, et ce serait vraiment dommage. Ce procès, ce n’est pas du masochisme ou une quelconque exhibition. Ce n’est pas non plus la volonté de faire triompher la vérité. Ça n’existe pas dans un prétoire. Tout est question d’interprétation, d’intime conviction. Ce que je veux, ce qui se passe à chaque fois, c’est la manifestation de la justice, celle qui ne satisfait jamais complètement ni les plaignants ni les justiciables, puisqu’elle est l’expression d’une sanction équilibrée, donc juste. Grâce à ce procès, mes bourreaux comparaîtront en même temps que moi.

    On pourrait me rétorquer que je n’ai qu’à porter plainte contre eux pour avoir un procès. Qui va accepter de recevoir une plainte contre mes enseignants, mon adjudant, mon ex-femme, mes anciens camarades de classe ? Non, ce n’est pas la bonne formule. Je veux qu’ils comparaissent tous, et puisque justice ne m’a pas été rendue depuis ma naissance, je vais la provoquer. Voilà le but ultime. La sanction après m’importe peu. Ce que je veux, c’est la révélation.

    Il me reste à opérer un dernier choix, fondamental. Dois-je continuer d’écrire à la première personne, comme j’ai commencé à le faire ? J’ai un doute. Utiliser le « je », c’est risquer de décrédibiliser le récit. En lisant,

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