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Anaissoune à l'école des blancs: Roman
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Livre électronique271 pages4 heures

Anaissoune à l'école des blancs: Roman

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À propos de ce livre électronique

Quand un enfant d'Afrique se voit obligé d'aller à l'école des blancs...

A la lecture de ce récit une phrase que connaissent tous les écoliers francophones me vient à l’esprit, Rodrigue, dans le Cid de Corneille, clamait :
"Aux âmes bien nées, la valeur n’attend pas le nombre des années". Anaïssoune avec ses 7 ans est certes une âme bien née ! Benjamin d’une grande fratrie, orphelin déjà de père et de mère, il a grandi au sein d’une famille qui l’entoure d’un amour infini. Il va être arraché aux siens pour intégrer l’Ecole nomade de Gourma Rharous et son départ est un véritable drame. Il parvient à braver les obstacles, à concilier son sens de la révolte et son désir de fuite pour retrouver sa famille avec les principes d’honneur inculqués par son éducation traditionnelle peule. Malgré sa méfiance pour tout ce qui vient de l’Ouest et grâce à son courage et à sa finesse d’esprit, il va réussir à résoudre cette équation aux données contradictoires : comment rester soi même, fidèle aux siens, à ses principes d’honneur et devenir un « petit esclave des blancs » fier et libre. Anaïssoune voudrait revenir chez lui et vivre auprès des siens dans ce Gourma qu’il aime tant mais son intelligence et ses réussites scolaires le prédisposent à poursuivre toujours plus loin sur le chemin de la connaissance. Au cours de ces années vécues dans « la prison dorée » de Bengao, il va aussi forger sa personnalité au contact des enfants peuls et touaregs et tisser avec eux des liens d’estime et d’amitié indestructibles. Au moment où le Mali cherche à résoudre le difficile problème de la réconciliation nationale, ce récit nous apporte une brise d’espoir, l’espoir que les hommes d’honneur et de valeur de ce Nord, aujourd’hui meurtri, sauront rétablir la trame du tissu social et les liens solides de fraternité et d’amitié qui liaient les familles des ethnies peule, sonraïe, arabe et touarègue du nord du Mali. Puisse le temps de la Baraka revenir dans notre pays !

Un récit d'Afrique qui touchera les lecteurs du monde entier !

EXTRAIT

J’ai été élevé dans le mépris du mensonge : en répétant « nos ancêtres les Gaulois », je souffrais beaucoup car j’étais convaincu que je mentais ! Je connaissais mes ancêtres et honnêtement, il n’y avait aucun gaulois parmi eux ! Ce n’était absolument pas par hostilité aux Gaulois, mais par fidélité à mes vrais ancêtres et par devoir de vérité. J’ai été donc envoyé dans la cour pour « refus de répéter nos ancêtres les Gaulois » ; j’ai donc attendu que l’on sonnât la récréation, et sa fin pour pouvoir retourner en classe et, on ne me demanda jamais de répéter nos ancêtres les Gaulois ! 

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né en 1940 à Gourma Rharous (région de Tombouctou, Mali), le petit Younouss Hamèye Dicko a été « pris » à l’Ecole des Blancs, en novembre 1947. Il fit alors ses classes jusqu’en 1953 à l’École Nomade de Gourma Rharous, école spécialement créée pour les enfants « des grandes Maisons » du Gourma.
En 1953, contre son propre souhait et malgré les gris-gris de tous les marabouts de sa famille, Younouss décrocha le Certificat d’Etudes Primaires et réussit brillamment le Concours des Bourses. Il fut alors orienté au Collège Moderne de Diré où, en 1957, il fut admis au Brevet Elémentaire et réussit le Concours d’Entrée à l’Ecole Normale William Ponty à Sébikhotane (Sénégal).
De retour au Mali, après de solides études à Montpellier (France), il enseigna à l’Université de Bamako la thermodynamique, l'optique, la mécanique quantique et l'histoire des sciences.
Depuis plusieurs décennies, Younouss prend activement part à la vie politique et à l'action sociale de son pays. Il est l'auteur de plusieurs livres, marié, père de cinq enfants et grand-père de sept petits-enfants.
LangueFrançais
Date de sortie27 juil. 2018
ISBN9782378773472
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    Aperçu du livre

    Anaissoune à l'école des blancs - Younouss Hamèye Dicko

    Arrivée à l’école nomade de Gourma-Rharous

    Oui, en cette fin d’automne de l’année 1947, en fin d’après-midi, notre pirogue accosta à Bengao, site de l’École Nomade de Gourma-Rharous. Bengao est situé sur la même rive que Rharous, la rive droite et à l’ouest de cette ville, à deux journées de marche ou de pirogue.

    Le Directeur de l’école était bien là, au bord du fleuve, avec, je pense, d’autres maîtres, quelques élèves touaregs et les enfants peuls curieux pour nous accueillir. Nous descendîmes de la pirogue. J’ignore aujourd’hui quel était notre nombre. Mais je me souviens parfaitement de l’effet que nous avions produit sur l’assistance. Il n’y avait parmi nous ni enfant touareg ni enfant arabe, nous étions tous des enfants peuls ; de surcroît, nous avions tous la tête rasée et cela fit une très forte impression sur l’assistance ! Le Directeur de l’école semblait ravi du spectacle en scrutant nos « calebasses » et mon cousin Châfy, cette petite teigne, partageait ce qualificatif avec nous, celui d’être « porteur de calebasse » comme moi et les autres.

    Le Directeur de l’école, Monsieur Bocar CISSE nous sourit et nous mit en confiance ; il nous parla même sonraï, ce qui finit par convaincre les plus sceptiques et les plus amers.

    Rien que par nos « têtes de calebasses », il a compris que nous étions des enfants peuls car lui-même était peul. Bocar était un jeune homme beau et vigoureux ; dès que nous avions compris qu’il parlait sonraï et qu’il était peul, nos parents et nous-mêmes étions devenus confiants ; son âge faisait de lui juste un de nos grands frères restés au village ! Nous l’avions aimé tout de suite.

    Les enfants touaregs présents à l’accueil étaient déjà jaloux de nous car le « Dilacter » (le Directeur) était peul ! On venait donc de leur ravir la vedette, ces petits morveux avec leurs tignasses pleines de poux, mais aucun de nous ne réalisera jamais l’exploit d’Abdoulmajid qui avait collé une gifle à un goumier, le représentant du Commandant Blanc !

              La suite des évènements me semble confuse, mais avant que le soleil ne plongeât sous l’horizon pour aller se coucher, nous étions déjà distribués dans nos « nationalités », c’est-à-dire introduits parmi les enfants de nos tribus car nous étions les derniers arrivés en fin Novembre 1947, sans oublier que les enfants peuls n’étaient pas tous de la même tribu. Ce crépuscule vit des retrouvailles avec d’autres cousins et parents dont nous ne soupçonnions même pas la présence à Bengao. J’ignore aujourd’hui, si cette nuit-là à Bengao, j’avais mangé du riz ou du tô, si j’avais bu du lait de chèvre ou de vache, si j’avais passé la nuit sur une natte ou par terre sur le sable. Je ne sais pas non plus si mon cousin Châfy, qui était d’une autre tribu, a pissé dans le pantalon de son père ou pas ! Ce plus grand pisseur de tous les enfants peuls de l’école de Gourma-Rharous à Bengao ! Cependant, les premières heures de la nuit ne me restaient point marquées de tristesse et d’ennui car j’avais retrouvé aussi bien d’autres enfants peuls que des enfants touaregs que je connaissais déjà. En tout cas leurs parents m’avaient accueilli avec affection et même considération malgré mon jeune âge.

              Comme d’habitude, je me suis réveillé tôt, mais j’eus peur de l’eau et je n’ai pas osé plonger dans le fleuve ! C’est un fleuve étranger que je ne connaissais point. Il est imprudent, au petit matin, d’aller s’offrir aux crocodiles et aux hippopotames qui infestaient le fleuve en cette fin d’automne !

              Ce matin là, à la bonne heure, probablement à 8 h, on nous fit asseoir sous un vaste hangar, mais par terre à même le sol. Je me souviens aujourd’hui que j’avais observé le hangar avec minutie et, je crois, avec un peu d’ironie. Il était spacieux, mais je m’étais dit : « voilà un grand bougou » ! Le bougou est une hutte par opposition au « hougou », la case habitée par les nobles, tandis que le bougou est habité par les gens de caste ou quelquefois par de vieilles femmes sans soutien. Sous ce bougou, il y avait des petits blancs, des Rouges, des petits bruns et des petits noirs ; il y avait, des petites « calebasses » et des petites têtes à tignasses ! J’ai rapidement compris que cette petite foule représentait les talibés de la même génération, ou si vous préférez la promotion, ma promotion d’élèves, qui doivent étudier ensemble ; les camarades de promotion quoi ?!

              Puisque nous sommes des talibés, j’ai instinctivement cherché des yeux, le marabout. Je ne vis rien qui ressemblait à un marabout ; mais j’aperçus au fond, devant nous, un jeune homme grand, vigoureux, bien « repassé » (il était propre, avec des habits bien propres, cheveux bien peignés, dents blanches), mais en culotte ! Il souriait, mais sérieux, n’avait pas l’air d’un homme « maudit », même avec sa culotte, il était plutôt avenant et sympathique. Première vraie et grande surprise pour moi : « voilà un homme qui porte une culotte et qui ne paraît ni maudit ni méprisable ! Au contraire, il plaît et ne ressemble point à un kafre » ! Cet homme jeune, beau et vigoureux, allait entrer dans notre vie, au moins pendant deux ans, pour nous pétrir et nous apprendre les éléments et notions des deux premières années, Cours Préparatoire Première Année (CP1) et Cours Préparatoire Deuxième Année (CP2), de l’école française. Il était debout à côté de ce que nous appellerons donc plus tard le tableau noir monté sur des chevalets ! Il y avait aussi un objet que nous appellerons le bureau du maître sur lequel étaient posés divers objets qui auront pour noms le cahier de préparations du maître, le registre d’appel des élèves, la boîte de craie, le chiffon, la règle, etc. Alors que mon esprit vagabondait et que mes yeux scrutaient les coins et recoins de ce bougou duquel j’avais l’irrésistible envie de m’extraire pour aller jouer au bord du fleuve ou dans le bois d’à côté, le maître frappa dans ses mains pour attirer notre attention ! Il parlait, il parlait encore et il souriait. Il avait peut-être parlé en français ; nous n’avions rien compris à ce qu’il voulait dire, mais à force de sourire, je crois que j’avais souri à son sourire ; en tout cas, j’étais mélancolique et nostalgique, mais je n’étais pas triste.

    Alors, le maître souleva un énorme papier, le registre d’appel, pour prononcer le nom de chaque enfant, de chaque élève de la classe. Il commença par Abba qui ne comprit pas qu’il fallait répondre ; nous nous tournions dans sa direction et le maître s’avança alors vers lui ; Abba était visiblement apeuré et se demandait s’il ne devait pas attraper une correction ; nous-mêmes ne savions pas ce qui allait lui arriver. Le maître le prit par la main et lui fit comprendre qu’il devait se lever et dire « Présent » ! Il lui fit répéter « présent » à haute voix ! C’était la première leçon qui consistait à répondre présent à l’appel de son nom ! Tout ça était très loin des belles et bonnes manières feutrées de l’école coranique ! Mais j’aurais aimé voir la tête qu’aurait faite François de MALHERBE, poète savant, à l’idéal de clarté et de rigueur, en nous écoutant répéter « présent » car, nous, enfants arabes, touaregs et peuls, nous ne disions point « présent », mais nous hurlions « Bréça » !

    Le maître continuait son appel : Alhader, Alhassane…, Amadou….. , Anaïssoune…… , Châfy.

    Alors, mon cousin qui était très pressé d’entendre son nom, et qui souffrait mal qu’un nom eût pu être prononcé avant le sien, hurla à faire voler des brindilles de notre bougou, mais alors très distinctement « BRE-ÇA » ! Surpris par le zèle de Châfy et par sa mauvaise prononciation, le maître partit d’un rire éclatant et nous l’accompagnâmes d’une hilarité qui envahit toute l’école de Bengao et qui attira l’attention des autres classes sur la nôtre, ce qui fit de nous, désormais une classe spéciale, grâce à Châfy, pendant tout notre séjour à Bengao ! Du coup, ce teigneux de Châfy venait de révéler au grand jour notre « jolie » manière de prononcer le mot « présent » ; le maître avait donc pris un grand soin pour faire prononcer « présent » au point où notre classe avait pris de l’ascendant sur toutes les autres en matière de rigueur dans la prononciation de la langue française, cette fois grâce à cette teigne qu’était Châfy ! Mais à cause de Châfy cette fois, notre classe a été surnommée par les enfants touaregs qui avaient de l’humour à revendre, « la classe des BRÉ-ÇA » ! Cette appellation désavantageuse venait s’ajouter à l’autre surnom de « la classe des calebasses » à cause de nos têtes rasées !

    Mon premier maître : Mallam Ba

            Nous adorions notre maître. Il s’appelait Mallam BA. Il nous aimait comme si nous étions tous ses petits frères ou ses neveux. Il aimait son métier et il était resté pour nous un grand frère et le maître à imiter et à respecter. Monsieur BA a donc été notre maître en CP1 et CP2. Il nous façonna avec amour pour nous et pour son métier. Plus tard, j’eus l’impression qu’il cherchait à nous sortir de l’ignorance et à faire de nous des espoirs pour notre peuple car nous étions de la zone la plus géographiquement défavorisée du Soudan Français. Alors qu’il avait quitté l’école nomade de Gourma Rharous, Mr BA continuait de s’enquérir des nouvelles de ses chers élèves, dont l’auteur de ces lignes. Il avait été muté de notre école en 1949. Plus tard, en 1959, je pris le bateau à Koulikoro pour me rendre à Gourma-Rharous et à Bamba. Je venais de passer l’année scolaire au Lycée Terrasson DE FOUGÈRES à Bamako. Entre Mopti et Niafunké, je croisai un homme sur le bateau par le plus heureux des hasards. Alors que je venais de le dépasser, il s’arrêta et me lança : « jeune homme, n’es-tu pas Anaïssoune fils d’Abani Sorba MBONDY de Rharous » ? Son regard était si intense et si pénétrant que je compris que cet homme était sûr de ne point se tromper sur mon identité ; cependant, je n’avais aucune idée de qui il pouvait être et dans quelles circonstances il avait pu me connaître. J’étais en outre convaincu que cet homme ne m’avait jamais vu, mais qu’en bon peul, ayant connu mon père, mes oncles ou mes frères, il était aisé de me situer et de me localiser dans la famille dont je présente les traits dominants. En effet, le peul berger est capable, ayant connu une chèvre, une brebis ou une vache, de descendre leurs filiations pour retrouver les descendants de celles-ci ; il est tout aussi facile pour lui de faire la même chose avec ses congénères. Mais, non, je me trompais, car l’homme, lui, me connaissait !

              Revenu de ma surprise, et même de ma honte, de ne pas reconnaître un homme de cet âge qui, lui, me connaissait si bien, je répondis en souriant : « Oui, je suis bien Anaïssoune Abani Sorba MBONDY ». L’homme éclata d’un rire triomphant ; il me fixa de ses yeux de feu, tout en souriant, me prit la main et me dit : « Est-ce que tu connais celui qui te parle ? » Penaud, je remuai la tête pour dire non ; l’homme toujours triomphant, rit et me dit : «  je suis ton maître, ton premier maître à Bengao, à l’école nomade de Gourma Rharous, alors que tu étais tout petit, le plus petit de ta promotion, en tout cas le plus jeune » ! Hésitant, je dis : « Monsieur Mallam BA » ? Alors mon maître jubila, renouvela son grand rire, me fit une grande accolade en coinçant ma tête, dans le creux de son bras, contre son propre cou, m’entraîna vers la cabine où se trouvait toute sa famille, son épouse, de grands enfants, filles et garçons presque de mon âge. Il dit alors à sa femme et à ses enfants : « Je vous présente Anaïssoune MBONDY ; j’ai été son premier maître à l’École Nomade de Gourma-Rharous à Bengao. Je ne l’ai jamais oublié car c’était un élève très brillant qui n’oubliait jamais ce qu’on lui disait ; il a une mémoire phénoménale ; quant à vous les enfants, Anaïssoune est votre frère. Je sais même qu’il est maintenant dans le plus grand lycée du Soudan ; d’ailleurs, il est de passage là-bas, car il était admis au concours d’entrée à l’École Normale William PONTY à Dakar ; il va aller faire son baccalauréat à Dakar ! Pour vous, comme pour tous les enfants peuls, c’est un exemple. Je suis fier de lui ! » Je ne savais plus où me mettre, tant j’avais été assommé par les compliments de mon maître et par les yeux admiratifs de ma tante (son épouse), de ses enfants parmi lesquels il y avait une jeune fille dont le regard assassin ne manquait pas de me remuer jusqu’au fond de mes entrailles.

    Les présentations finies, nous avions fait connaissance, mis les pendules à l’heure ; le maître me donna son adresse et me fit promettre de lui écrire régulièrement désormais. Entre-temps, un de mes camarades de Terrasson partit à ma recherche, vint me récupérer chez Mr Mallam BA. Mon camarade, ami et parent, lui aussi de Rharous, fut présenté par mes soins à Mr BA ; j’ajoutai qu’il était le neveu de Monsieur Agaly MAIGA. À ce nom Mr BA s’exclama de plaisir car il connaissait Monsieur MAIGA, instituteur d’élite bien connu et renommé dans tout le Soudan, à l’instar de nombreux autres enseignants de renom parmi lesquels je citerai seulement Modibo KEITA, Mamadou KONATE, Gaoussou DABO, Fily DABO SISSOKO, Ibrahim Alpha Seydou, Moussa KONE, Sékou TRAORE (de San), Samassékou et qu’Allah me pardonne d’avoir oublié des plus éminents !

    Bagarres

    À Bengao, commencèrent mes plus belles années de l’école des Blancs ; mais aussi les meilleures années de mon école coranique.

    Chaque matin, nous allions en classe, sous notre énorme bougou ; je n’avais jamais vu, avant, autant d’enfants peuls et touaregs, en même temps, sous un même toit ; les enfants peuls pouvaient communiquer entre eux ; de même les enfants touaregs pouvaient communiquer entre eux ; mais enfants peuls et enfants touaregs ne pouvaient pas communiquer entre eux. En effet, nous étions trop jeunes pour être en mesure de parler tamasheq ou bien en ce qui concerne les enfants touaregs de parler sonraï. Mais, au bout de deux ans, les enfants peuls avaient déjà commencé à s’exprimer en tamasheq, les touaregs étant nettement plus nombreux ; autour de nous, partout, c’étaient des petits touaregs qui criaient, qui s’insultaient, qui parlaient, parlaient et parlaient ! Ils se battaient entre eux à longueur de journée. Nous étions surpris et étonnés par la grande agitation, voire excitation de ces petits broussards ! Ils étaient très combatifs et nous ignoraient presque.

              Mais cette apparente ignorance ne durera pas longtemps. Il s’agissait d’un simple oubli ou d’un manque de temps ! Ils avaient surtout à guerroyer contre eux-mêmes et notre tour, dès qu’ils auraient fini de vaincre les petits voisins ou d’être vaincus par ceux-ci, viendra et sans le moindre doute ils s’occuperont de ces petits peuls de rien du tout ! Il était courant de voir s’arrêter à 30 ou 50 m de notre groupe ou de nos groupes, un petit touareg à la tête hirsute et la morve coulant du nez, nous interpeller, sans que nous ayons posé le moindre acte de provocation, en ces termes : « Yâ, Ihatane, Issicinankawane Massinagh » ! (Hé, les Sonraïs, que Dieu vous fasse souffrir) !

    Pendant que certains d’entre nous se tordaient de rire, car le petit morveux qui parlait ainsi n’était point méchant, mais faisait de la provocation pour jouer, mon cousin Châfy qui semblait, prier Dieu afin qu’il lui envoyât de telles histoires, et en grande quantité, bondit vers le garnement qui prenait immédiatement ses jambes à son cou pour aller se réfugier dans un groupe qui l’attendait pas loin de là. Nerveux, impulsif et violent, mon cousin qui n’était cependant pas le plus courageux d’entre nous n’osa pas avancer !

      Alors, le petit groupe touareg, loin de nous, mais parlant suffisamment fort pour que nous puissions entendre, nous abreuvait de toutes les insultes entre ethnies du genre : « petits sonraïs, mangeurs de poisson, de silures et de carpes, mangeurs de nénuphars et têtes de calebasse ». Ce qui nous faisait mal, c’était qu’ils transféraient sur nous les mêmes provocations que nous faisions pour les enfants sonraïs ! À «  têtes de calebasse », et « petits sonraïs » nous avions la parade : « têtes à tignasses pleines de poux », ou « non, nous sommes peuls, pas sonraïs » ! Par contre, Peuls et touaregs sont de gros bouffeurs de poisson, de carpes, de silures et de nénuphar qu’ils se plaisent à mépriser en public ; ils se faufilent dans les villages sonraïs pour se régaler avant de rejoindre leurs campements au petit soir ! Les hypocrites ! Mêmes enfants, nous savions que le Prophète (PSL) a dit que « ceux qui ne mangent pas le poisson ne sont pas des nôtres » ! Sur ce, Châfy nous poussait à aller nous battre, mais nos aînés Hima et Bâba nous retenaient. Mais si Hima était réellement pacifique, Bâba était lui, très dangereux, capable de tout et je me demande aujourd’hui si ce n’était pas sa dangerosité qui le rendait plus pondéré. Châfy excédé nous traitait de lâches et nos petits cousins à « tignasse pleine de poux » nous traitaient de couards ; Hima conseilla à Châfy de faire comme les garnements d’en face en utilisant lui aussi sa bouche et sa langue, en nous faisant remarquer que les lâches étaient ceux qui provoquaient et qui n’osaient point approcher le lieu où la lutte pouvait s’engager. Châfy fut donc libéré par les paroles sages de Hima et se mit à injurier les petits touaregs comme un possédé aidé en cela par quelques enfants peuls et qui étaient par hasard les moins combatifs dans l’épreuve ! Lorsque les deux camps eurent épuisé leurs sacs d’injures les plus acerbes et les plus vexatoires, la bagarre cessa comme par enchantement ; les enfants Kel Tamasheq se retirèrent complètement satisfaits d’avoir provoqué les peuls en les traitant de sonraïs, alors que les peuls avaient le sentiment d’avoir remporté la victoire puisque les agresseurs avaient dû s’en aller sans aucun avantage !

    Longtemps après, Châfy continua de pester contre nos petits provocateurs ; la conversation suivante s’engagea entre Châfy et Hima :

    — Pourquoi, toi Hima, tu es toujours du côté des petits touaregs ?

    À cette question, Hima, indigné, faillit porter la main sur Châfy. Bâba n’avait pas bougé, mais, bien que très jeune, je me précipitai sur Hima en m’interposant entre lui et Châfy. Hima se calma et dit à Châfy :

    — C’est toi qui es du côté des touaregs ! Ton père fait le berger pour les Touaregs et il appartient à une tribu commandée par des Touaregs. Moi, mon père est le Chef de la tribu des Peuls Zorhaye ! En 1916, il a été le héros de la bataille de Gabéro contre les Blancs colonisateurs ; ce n’est donc pas moi qui aurais peur d’un touareg pour être de son côté !

    Dieu, que les choses venaient de se gâter ! La guerre venait de se déclarer entre les enfants peuls ! La réplique de Hima ne laissa aucune sortie à Châfy et à son clan et partant à aucun d’entre nous ; nous ne pouvions pas échapper à une bataille rangée entre enfants peuls à cause de la provocation des petits cousins touaregs. Je ne savais absolument pas quoi faire ; je regardais intensément Bâba, espérant qu’un des aînés trouverait une idée lumineuse ! Or visiblement Bâba était du côté de Hima ; le père de Hima était l’oncle de Bâba, tandis que le père de Hima était le neveu de mon propre père, donc moi-même, sans être de la même tribu que Hima, j’étais du même clan que lui, en cas de conflit avec le clan de mon cousin Châfy !

    Instantanément, Châfy s’éclipsa avec certains enfants pour aller préparer leur vengeance contre Hima ; mon oncle, cousin de ma mère, Modad emboîta le pas au clan de Châfy et je ne pus m’empêcher de lui crier : « Toi, où vas-tu ? » Il s’arrêta net ! Dieu arrangea les choses immédiatement car Bâba traita tout le monde avec un certain mépris et nous dit : « C’est à cause des provocations de ces petits touaregs que les enfants peuls vont se battre entre eux ! Ces voleurs de chèvres et d’ânes ! Mais toi Châfy, ta bouche est mauvaise ! Tu ne respectes personne et tu insultes tout le monde. Qu’est-ce qui te fait dire que Hima est du côté des touaregs ? Parce qu’il nous conseille de ne pas nous battre ? Tu provoques tout le monde sans distinction et tu auras un jour ce que tu cherches !

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