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Le feu du Royaume
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Livre électronique155 pages2 heures

Le feu du Royaume

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À propos de ce livre électronique

René-Samir mesure près de deux mètres mais il est beaucoup moins grand dans sa tête. Sa seule passion, c’est ‘Isa (Jésus en arabe). Après une jeunesse défavorisée et une surprenante conversion, il rêve de devenir prêtre. « Curé racaille dans le neuf trois, c’est choc ! » s’enflamme-t-il. Mais pas si simple. Car malgré une foi aussi fervente que naïve, parfois dangereusement exaltée, René-Samir - qui tient tant à son premier prénom à cause de son récent baptême - est sans cesse recalé pour l’accession aux Ordres Sacrés. Rebuté par les études théologiques, soupçonné de « penchants désordonnés », déstabilisé par un prêtre psy à la singulière thérapie… tactile, le garçon dépérit dans son séminaire francilien. Pour survivre, il décide alors d’appliquer son plan B : faire raconter sa vie par un écrivain privé, un sexagénaire marginal qui fut prêtre autrefois. Une lumineuse amitié les lie peu à peu tandis qu’ils partagent des goûts communs pour la musique, le cinéma, la gastronomie… et une passion intacte pour leur mystérieux et toujours fascinant « hôte intérieur » que le jeune dépressif appelle avec ferveur ‘Isa mon Amour. L’amitié semble pouvoir accomplir des miracles. Mais la menace du terrible Vendredi Noir se précise…
LangueFrançais
Date de sortie23 mars 2023
ISBN9782312132174
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    Aperçu du livre

    Le feu du Royaume - René-Samir Helcim Nilbel

    Du Sud profond jusqu’à Asnières destination Issy-les-Moulins

    Mon prénom est René-Samir. C’est surprenant mais c’est. À la rigueur, on peut m’appeler Samir-René. Mais pas Samir tout court. Jamais plus. La variante inversée et tolérée est plus respectueuse de la chronologie, c’est vrai. Mais moi, je tiens à la priorité de la première phrase car, en ce qui concerne ma vie, surtout ma conversion, la longue suite des heures importe moins que les élans de mon cœur.

    Le très cher écrivain-conseil dont je parlerai souvent dans ce petit livre, bientôt posthume hélas, me donne raison. C’est ton choix – il appuie – c’est ta vie. Lui m’appelle toujours René-Samir. (Parfois, pour se moquer gentiment, il dit : Petit émir.) Il trouve aussi que René-Samir est une « trouvaille lexicale » – toujours ses mots savants pour m’impressionner et faire l’intéressant exprès ! En fait de trouvaille, c’est surtout une astuce dont je suis fier, que j’ai forgée tout seul, rapport à ma conversion qui a tout déclenché et va finir par m’attirer des ennuis mortels.

    Mais pour l’instant, c’est la vie et l’excitation des débuts de livre. Un jour, en corrigeant mon style, mon écrivain privé a évoqué devant moi Monsieur de Chateaubriand en personne, toujours à propos du prénom composé. Et il a ajouté, avec son œil malicieux et sa gomme impitoyable, que ce grand auteur français pourrait devenir mon maître et mon mentor mais que, pour le moment et pour longtemps, j’aurais encore besoin de ses précieux conseils à lui. Car j’arrive pas à la cheville littéraire de François René. Qui dit le contraire ?

    Je m’appelle donc René-Samir, n’en parlons plus, René-Samir point, et qui n’est pas un garçon stupide, ne vous en déplaise. Ce second renseignement sur moi est capital. Car, si j’en ai pas l’air, si mes racines sont au bled et la tige aujourd’hui parisienne, on dit autour de moi que je suis plutôt fin, sensible, courageux. Trop sensible même. Et imprévisible ! Et surtout serviable et pas fier. Donc des commentaires plutôt encourageants. Ma tante, la sœur de maman, ajoute que j’étais bien trop bien pour être entré chez les prêtres, de chez nous ou de France c’est kifkif, qu’ils ne me méritent ni ici ni là-bas, que c’en est une misère, une injustice. C’est vrai, aussi loin que je me souvienne, Tante Samia a toujours bouffé de l’imam mais elle a bon cœur. Et depuis ma conversion, elle est la seule qui a fait bonne figure, qui ne m’accuse pas d’avoir lâché Muhammad pour ‘Isa, le fils de Marie – toutes ces horreurs si blessantes, si injustes que j’endure. Les autres, tous les autres, même ma mère, sans cesse ils crient après moi en aboyant m’tournis ! m’tournis ! – ce qui veut dire en français raciste « retourneur de veste ». (Mon écrivain-conseil, qui en est un aussi, dit savamment « apostat »). Mais Tante Samia, elle, n’a jamais rien dit. Ni pleuré ni ri. Elle m’a simplement regardé en silence, longtemps, profondément, puis serré fort sur sa poitrine et là, bien au chaud, j’ai senti qu’elle souriait en ma faveur par-dedans. C’est sûr, elle porte bien son prénom : elle seule est Noble. Hélas, noble ou pas, je parlerai d’elle à l’imparfait car Samia est morte l’automne dernier, après vingt ans de bons et loyaux services dans une maison de retraite suisse. Mais je me souviens d’elle, toujours, car elle était belle et très parfumée, ma Samia, alors que maman est triste, toujours triste et soumise à raser les murs. Je veux lui rendre hommage, je veux commencer mon récit en parlant de celle que j’appelais en ce temps-là et pour l’éternité Tata Samia de mon cœur.

    Donc, quand j’étais petit, dans les années soixante ou quatre-vingt dix, celles du siècle dernier… En fait, je sais pas la date exacte, lui il dit « parcours biographique » ; moi je dis simplement « ma vie » mais je sais vraiment plus où j’en suis parce que l’écrivain, mon écrivain privé, celui qui racontera ici la vie de René-Samir, mon double en fait, l’homme noir qui lui ressemble comme un frère (c’est ses mots à lui, je crois même que c’est une citation il m’a dit, pourtant je suis pas très brun pour un Arabe, plutôt châtain)… Bref, mon écrivain privé raconte en même temps sa vie, sa vie à lui et la mienne. Il aura 60 berges en juillet prochain alors que je vais avoir en avril le même âge que mon idole, celui que j’appelle désormais ‘Isa mon Amour. Car, si le titre du livre est exotique, il vaut mieux à l’intérieur des pages traduire en français politiquement correct. Donc وعَسُي c’est ‘Isa, en français dans le texte, n’en parlons plus, même si j’ai chaque fois la nostalgie des origines, car la langue, ça compte, non ?

    C’est forcément compliqué nos deux vies mêlées par écrit. Nos trois vies en fait puisque le Dieu de Bethléem habite aussi nos deux vies d’hommes réunies. Donc trois vies, pour le meilleur et pour le pire. Une histoire d’amour à la fois moderne et anachronique, il dit. Parfois, il parle dans la notice de ses livres (qu’il est pas chaud à me montrer), de son parcours biobibliographique. Je comprends encore moins, même si je suis pas tout à fait demeuré. Je trouve qu’il y a trop de b dans le même mot, ça fait compliqué et prétentieux. Il prétend au contraire que c’est simple, en fait, un « condensé sémantique » ou quelque chose comme ça. Et il ajoute que j’ai moi aussi un parcours valable, à trente berges bientôt, même si c’est mon premier roman et pas forcément le dernier (à cause de ma disparition éminente mais il n’est pas d’accord sur mon scénario), et qu’en fait, puisque l’Église, ma nouvelle Patrie, est éternelle, qu’elle change jamais, à n’importe quel âge où on entre à son service, qu’on ait 10 ans en 1957 ou en 1987, même si on est comme moi un converti de la 11e heure, à n’importe quel âge aussi qu’on la quitte, c’est pareil, décourageant idem, du pareil au même comme disait maman (qui parlait pas de religion mais de ses ménages, que ce soit en Kabylie ou à Toulon.).

    Le même parcours et pas tout à fait pareil pourtant puisque, dit mon écrivain privé, je suis pour lui comme son fils spirituel, à la fois son héros et son anti-héros. Un peu son amant aussi, pardon, son ami, j’ai même trouvé des indices dans sa vie et je serai bien obligé plus loin de les glisser avec la honte ici ou là puisque, comme dit mon idole des évangiles, que ton oui soit oui, ton non aussi. Son fils prodigue en tout cas qui sera toujours, il prétend, jeune et beau, surtout avec de tels abdos. Tu parles ! Une fois, j’ai répondu pour me foutre… pardon, pour me moquer de lui : « Moi, ton Petit émir, je suis ton zéro ! » Mais mon biographe très très savant n’a pas ri du tout. Il m’a dit que je suis vraiment un garçon stupide, que j’avais pas à me déprécier sans cesse devant lui, que je ferai bientôt un bon prêtre, malgré mon passif musulman, aussi bon que le mauvais qu’il a été malgré son pedigree de naissance chrétienne. Sur le tard, car il a été d’abord un bon et beau curé en rodage, promis, très valable d’après ce qu’il m’a raconté.

    C’est pas compliqué tout ça ? Mon écrivain privé ajoute qu’il faut en tout cas jamais faire d’autodérision, perdre l’estime de soi, oublier ses racines etc. c’est ses mots à lui. En fait, je sais pas ce qu’il pense de moi, ce qu’il veut faire de moi dans son bouquin mais je tiens beaucoup à lui depuis plus d’un an qu’on se connaît, comme un grand frère, et il a besoin plus de moi que moi de lui, je le crois sans orgueil, car les choses vraies sortent de la bouche des enfants comme il prétend ! D’ailleurs, il me dit que je suis resté un gosse formidable et que c’est dans sa bouche un compliment. Alors ! En fait, il a la trouille de vieillir. Souvent, quand il joue au philosophe stoïque, il pleurniche dignement que vivre, c’est perdre du terrain ; le temps qui passe, c’est le temps qui reste ; chaque matin neuf est un jour de plus en moins gnagnagna… alors que ce qu’il veut, dans le fond, c’est simplement redevenir jeunot avec et par moi, l’enfant demeuré ! Par Lui, avec Lui, en Lui comme on a chanté ce matin à l’office, même que mon accompagnateur spirituel m’a dit que je devais éviter à l’avenir ce genre de plaisanterie facile.

    Mais je reviens à Tata Samia que j’ai failli oublier dans son mouroir suisse. En fait, la sœur de maman, aussi incroyable que ça paraisse, a toujours vécu à cheval entre la Suisse et la France, et l’Algérie c’est pour elle une histoire très ancienne. Un peu comme un mythe qui n’existerait plus, ou à peine. Samia a traversé la Méditerranée toute jeune, vingt ans avant la tribu, pratiquement dans les malles de sa famille d’accueil à elle, des diplomates ou des banquiers, je n’ai jamais bien su, pour qui elle a toujours bossé en devenant de plus en plus moderne, de plus en plus belle sur les photos du Polaroïd et donc de moins en moins arabe. Alors, la religion et ma conversion…

    Quand elle était jeune, ma Samia, donc quand j’étais enfant, moi, disons dans les sixties, elle avait été déjà promue gouvernante dans sa riche famille de l’ex-sud. C’était à Cologny, sur les hauteurs de Genève et aussi très souvent en vacances dans le Gard, ou le Var, je mélange toujours, en tout cas à St Jean quelque chose que je me rappelle plus. Car, comme pour le bateau, Samia voyageait toujours avec les malles, et aussi les deux enfants mignons comme des cœurs et friqués comme des Crésus miniature. La seule chose que je me rappelle : les oliviers et les cyprès en veux-tu en voilà, la grande maison toute blanche aussi vaste qu’une barre du 93 couchée, et bien sûr la piscine. L’unique fois où on a eu le droit, nous, sa famille de sang, de visiter le palace, Madame était précisément dans sa résidence du Midi de la France. Mais elle avait dû retourner dare-dare à Genève pour une histoire de banque ou de mort subite, je me souviens plus. Pour Samia, c’était la belle vie ! C’est pour cette raison qu’on a osé débarquer à St Jean quelque chose. On a pu tout inspecter à l’œil, tout, les trois salons emboités, les douze chambres à l’étage, la cage du merle des Indes, l’appartement d’Adrien le chauffeur et aussi la piscine mais elle était bâchée. Heureusement, les chiens, des énormes il paraît, même de race, avaient suivi leur patronne ou étaient en vacances ailleurs, peut-être à Menton. Bref, on a aussi visité les chambres des deux garçons qui avaient le même âge que moi, allaient souvent en Angleterre et étaient très forts en cheval. C’est d’ailleurs comme ça que leur paternel est mort tragiquement. L’aîné s’appelait Pierre-Yves, l’autre j’ai oublié, peut-être bien Jean-Guy, celui que mon écrivain privé m’a dit que c’était le plus doué de la famille, qu’il est devenu banquier et que même une banque porte son nom près du pont du Mt Blanc.

    Tata Samia est restée trente cinq ans chez ces ex-sudistes pleins aux as, je veux dire aisés, trente cinq ! et, quand elle est partie en retraite forcée, elle a eu des beaux cadeaux de la part de Madame, un lampadaire, un transitor, je crois, et deux de ses tailleurs démodés qui étaient en plus trop vastes pour elle. Quand j’étais petit, papa aurait voulu acheter pour notre salle à manger un gros lampadaire tout pareil en vessie de porc. Je comprenais pas trop, j’avais honte, ce mot me gênait, surtout pour un musulman pas encore ex, mais papa disait que seuls les abat-jour suisses de cette qualité donnent comme à St Jean quelque chose une belle lumière chaude, douce, si douce qu’on peut plus jamais l’oublier. Aujourd’hui, mon écrivain privé lui donne raison car il déteste les hallucigènes. Ces lampes modernes, il dit, consomment trop. Lui, il est pour la décroissance. Donc, « rétrospectivement » c’est son mot, il donne raison au père de René-Samir qui aurait bien aimé être plus riche et qui le disait, surtout maman qui, elle, ne faisait que le penser en pleurant tout le temps tout le temps.

    C’était quelque chose les tenues de Samia quand elle venait nous visiter ! Des robes qui gonflaient, avec des gros pois, je me souviens, des bas invisibles et des talons aiguille vertigineux. Elle était devenue une vraie Française, une sorte de star pour tout le quartier. Elle était si belle, si généreuse avec ses cadeaux suisses, que les hommes lui pardonnaient tout, même son manque de décence. Dans notre cité, on l’appelait la Reine des mocos ! Moi, en tant que gosse, j’ai même entrevu une fois sa combinaison de dessous en soie rose, qu’elle avait déchirée quand j’ai fait du vélo tout seul pour la première fois devant l’immeuble et qu’elle avait pas lâché ma selle assez vite. Son parfum capital la suivait partout. Je repensais à ça la semaine dernière, à sa trace, quand on a étudié en cours d’exégèse l’histoire de Marie-Madeleine et de sa crème de jour – du « nard », j’ai appris ce nouveau mot – qu’elle a versé par amour-propre sur les pieds de mon idole dont je parlerai longuement dans mon livre puisque c’est le titre. (Car c’est aussi et d’abord mon livre, pas rien que le sien !)

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