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Un autre
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Livre électronique173 pages2 heures

Un autre

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À propos de ce livre électronique

Un autre est le récit d’un double jeu entre la réalité et la fiction, ces deux aspects prenant un malin plaisir à entrecouper le fil d’Ariane de notre labyrinthe.
Fabrice Mollier, cadre commercial dans la force de l’âge, a tout pour être heureux. Sur le plan sentimental et professionnel, il mène une existence aux contours quasi idéaux et c’est là que le bât blesse. La lassitude le gagne et il se prend à rêver secrètement d’incarner les héros créés par son écrivaine d’épouse, jusqu’à nous entraîner dans les histoires les plus fantasques.
Le plus prompt à sortir de ces dédales et toujours muni d’une pointe de dérision, Fabrice laisse éclater en outre toute l’humanité de son personnage.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Issu des métiers du travail social, Pierre-Jean Susini, musicien et compositeur, s’est également découvert une passion pour l’écriture de pièces de théâtre en langue corse et pour la fiction. Le roman Un autre s’attache précisément à décrire la part de théâtralité qui peut s’emparer de nos existences.
LangueFrançais
Date de sortie24 févr. 2022
ISBN9791037752635
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    Aperçu du livre

    Un autre - Pierre-Jean Susini

    Jour 1

    Mercredi 28 février

    Paris, 14e arrondissement

    Une journée

    Nous venions de prendre notre petit déjeuner et je m’apprêtais à partir au travail.

    Voilà, peut-on imaginer plus banale entrée en matière pour commencer un récit ?

    — Élisa, ce soir il faut que je m’arrête à la blanchisserie, tu n’as rien à récupérer ?

    — Non, non, Fabrice… par contre si tu peux me prendre une ramette de papier A4 à la papeterie.

    — Oui, mais tu devrais t’en faire livrer un stock avec ce que tu consommes.

    Les yeux déjà rivés sur son clavier d’ordinateur, Élisa ne me prêtait plus qu’une oreille distraite.

    Je cherchais à attirer son attention :

    — La semaine prochaine, il y a le pot de départ en retraite de Montpensier, il invite tout le monde, les collègues, les épouses, sympa non ?

    — Oh, mais dis donc ! Ça va être la méga fête alors !

    — Tu viendras ?

    — Je ne sais pas, Fabrice, c’est quel jour ?

    — Vendredi 8 mars. Allez viens quoi, ça sera sympa, tu verras ! Et puis je te présenterai à mes nouveaux collègues, depuis que je leur vante les qualités de tes bouquins.

    — Les qualités de mes bouquins c’est une chose, mais les qualités de ta femme qu’est-ce que tu en penses, Fabrice ? dit Élisa en se levant et en m’enlaçant amoureusement.

    — Oui, mais là il faut que j’y aille !

    Déjà en retard, j’embrassai rapidement mon épouse qui attendait mieux et je m’éclipsai.

    ***

    Cette scène est extraite de Une journée ordinaire de Fabrice Mollier, le roman de ma vie qui, sur le plan sentimental et professionnel, semble décrire une existence aux contours quasi idéaux.

    Mais allez ! Un tableau aussi idyllique cache forcément des imperfections. Non ?

    En grattant le vernis de la toile, l’on découvre sûrement quelques défauts, mais oui, vous savez bien, tels que la lassitude, la monotonie, ces perfides-là, qui ont une fâcheuse tendance à débarquer dans nos vies sans prévenir ! « Bonjour, c’est nous, c’est pour un stage ! » J’étais pratiquement sûr de ne pas leur avoir envoyé de cartons d’invitations pourtant !

    Voici donc une belle vie, sans rien à embellir, une vie organisée sans rien à déplacer.

    Tout est conforme. Circulez ! Il n’y a rien à voir ! Voilà ce qui arrive lorsque l’on roule à l’ordinaire. Et tel un leitmotiv une pensée vient chaque matin décorer mon réveil :

    « C’est une journée bien ordinaire qui commence ! »

    Et d’abord qu’est-ce que c’est « ordinaire » ? C’est « sans éclat », c’est lisse si l’on parle d’une personnalité ou insipide pour une manière de décrire, sans couleurs quand c’est une vie, la mienne peut-être, c’est sans problèmes… oui sûrement sans problèmes ; « problema » en grec ancien cela veut dire obstacle, oui c’est bien cela, une vie sans obstacle, sans relief !

    Le grec ancien ! Et allez ! C’est plus fort que moi, je ne peux m’empêcher de sortir ma maigre culture alors qu’un seul mot suffit pour décrire mon quotidien : « plat », simplement « plat », comme… un pays plat… « un plat pays »… Ah mais non, malheureux ! Impossible !

    Le plat pays comme le chantait Brel, c’est bien tout le contraire de la platitude, c’est… c’est une déferlante de sentiments et d’humanité que l’on prend en pleine figure comme une gerbe d’embruns, comme le sable des dunes du Nord qui vient fouetter ta torpeur, c’est un océan de lyrisme déchaîné contre ma fadeur et il y a bien de quoi se déchaîner contre ma fadeur, oui, tous les coloristes de la création ont bien du travail en la matière, ils ont beaucoup de pain sur la planche de mon salut… ! Oh ! mais quelle phrase !

    Mais où en étais-je ? Ah oui, je disais, « plat », effectivement le terme peut paraître équivoque si l’on songe à l’usage débridé qu’en fit le grand belge. Alors disons morne comme une morne plaine, ah mais là cela sent carrément la défaite et nous n’en sommes pas à ce point tout de même. Ma vie n’est pas une fête certes, mais pas une défaite non plus.

    Non, non, quand même, je ne suis pas Napoléon et je suis encore moins Jacques Brel ou Ferrat ou Ferré, non Léo, mon ordinaire n’est pas extra ! d’ailleurs les Moody Blues je ne sais même pas qui c’est !

    Mais alors qui suis-je ? Eh bien, je pense être un homme d’un ordinaire heureux, l’ordinaire me rend heureux. Je suis juste « un homme heureux » comme le chantait William, pas Shakespeare, l’autre.

    Je suis heureux, j’ai tout, une belle situation, une belle femme, intelligente, aimante, une belle santé, une belle maison. L’ordinaire est si difficile à bâtir, il faut savoir s’en contenter. Je suis content.

    Je n’ai pas de soucis, j’en suis content.

    Tout est possible, visible, perceptible, plausible, prévisible, compréhensible ; les mots rassurants qui finissent en « ible » sont devenus mon unique cible !

    Mais quel est le propos alors que tout va si bien ? Je vais sans doute passer une merveilleuse journée au bureau. Alors ? C’est bien !

    Ah oui j’oubliais, je suis chef du service marketing chez Cosmedon, une société qui produit des cosmétiques donc.

    Mon travail est formidable, j’ai des responsabilités, mes collègues m’apprécient, je n’irai pas jusqu’à dire me vénèrent, même si je me trouve moi-même très vénérable.

    De temps à autre, j’en ramène des échantillons à ma femme, pas de mes collègues, de cosmétiques. Elle apprécie moyennement, me dit que lorsqu’elle écrit, la crème de jour dégouline sur sa prose ; eh oui, elle ose ! Ah oui, j’oubliais, ma femme est écrivaine. Alors, est-ce que je lui dis moi que sa littérature coule sur mon sort comme le ferait la pâte visqueuse du dédain que je lui inspire ? Non, assurément non ; je ne le lui dis pas, car je ne le pense pas, c’était juste pour faire un effet de style !

    Ainsi ai-je hâte de commencer ma journée et hâte aussi de la finir et de retrouver ma petite femme qui, comme chaque soir, n’ira pas se coucher tout de suite et lorsque je lui demanderai « chérie tu viens te coucher ? » me répondra selon un rituel quasiment établi à présent « oui chéri j’arrive, je termine ce chapitre et j’arrive ».

    Mon écrivaine de femme a pris pour habitude de reléguer son mari au chapitre suivant ; je fais partie du chapitre d’après qui est probablement, si j’en juge par la charge émotionnelle, je n’ose même pas dire érotique qu’il me laisse en souvenir, le moins passionnant de tous les chapitres qui se déroulent au sein de ma maison.

    Je pense souvent à la chance qu’à mon épouse de pouvoir imaginer et ainsi, par procuration, de pouvoir vivre, fréquenter, accoster, aimer, incarner peut-être, des personnages, d’autres personnages qui ne sont pas elle, qui ne sont surtout pas moi.

    Être un autre, changer de peau, changer d’âme, même le temps d’un chapitre, cela n’est pas donné à tout le monde, en tout cas cela ne m’est pas donné, à moi. Je ne suis pas très doué pour être un autre.

    Ainsi, après une journée vécue sans le moindre instant de libre à consacrer à l’évocation même la plus fugace des dunes de Belgique, une journée qui ressemblait à la précédente, et à celle d’avant, et à celle d’avant l’avant, enfin j’ai 46 ans, imaginez le nombre de jours que cela représente, je m’apprêtais donc à passer une nuit, comme acculé au bord du précipice de ma platitude (je me suis d’ailleurs toujours demandé comment on pouvait basculer dans un précipice depuis un endroit plat), une nuit comme toutes les autres avec une voix au chapitre qui, petit à petit au fil de la journée, avait été réduite à sa portion la plus étriquée, celle de l’histoire de ma propre vie !

    Voilà, ça y est, je l’ai fait ! Je viens de prononcer la phrase la plus longue de toute mon existence ; chacun choisit sa manière de ne pas être banal, pour moi cela sera la longueur des phrases… en dehors du fait que je fais toujours référence à des chanteurs, mais là, cela relève plutôt d’un trouble obsessionnel compulsif, ce qui n’est pas banal, je vous l’accorde.

    Et pourtant, pourtant… (non Charles, rassure-toi, je ne vais pas la chanter) je ne le savais pas encore, mais j’allais vivre la nuit la moins ordinaire de mon existence, enfin n’ayons pas peur des mots, allez mon brave ! la nuit la plus extraordinaire !

    A posteriori, je peux même qualifier cette nuit de fantasmagorique ; j’ai toujours aimé employer ce style de mot ; même si je n’en connais pas toujours le sens réel leur seule esthétique sonore me plaît : fantasmatique, allégorique, faramineux, mirobolant !

    Ils résonnent comme une douce vibration sur les ondes de mon ordinaire !

    Une nuit

    La nuit promettait d’être douce, les bruits de la ville s’estompaient quelque peu en même temps que diminuait le passage incessant des automobiles sur l’avenue qui bordait notre immeuble. J’ai promis à ma femme de faire installer le double vitrage, mais inconsciemment, ou pas, j’ai un faible pour les bruits de la ville ; sans doute jouent-ils un rôle de régulation auprès de personnes qui souffrent d’insomnie, comme moi ; j’ai l’impression que l’absence de bruit constituerait le vide le plus insurmontable que mes angoisses aient jamais eu à affronter.

    À cette heure de la nuit, les appartements sur le même palier résonnaient beaucoup moins des engueulades permanentes de nos chers voisins ; là encore, je tardais à répondre favorablement à la demande de mon épouse de faire procéder à des travaux d’isolation.

    Je ne sais si je dois mettre cela sur le compte de ma pingrerie ou sur le fait que j’ai un penchant pour les feuilletons quotidiens produits par des voisins qui s’enguirlandent.

    Et voilà, la nuit est là ! « La nuit est à nous » comme le disait Guy Bedos à sa chère Sophie.

    Je dors, ma femme dort, enfin nous dormons !

    Oui, sauf que vers les deux heures du matin (« deux heures du mat’ j’ai des frissons », oui bon…) un terrible orage vint réveiller tout le monde, surtout moi.

    Vous le connaissez, c’est le fameux orage qui vient raviver nos peurs d’enfant et qui nous renvoie à la nostalgie des sales quarts d’heure passés sous la table de la salle à manger, ultime rempart contre les monstres menaçants dont la pédagogie défaillante de nos chers parents n’avait pas su nous préserver.

    Éclair, tonnerre, le temps que l’on nous invitait à compter en secondes entre le premier et le deuxième pour savoir si la foudre allait nous anéantir, tout y était !

    Le spectacle son et lumière de notre enfance jouait pour moi sa plus belle représentation.

    J’apprendrai plus tard qu’il n’y avait jamais eu d’orage durant cette nuit, le spectacle ayant été annulé. J’envisagerais de demander le remboursement de mes billets !

    Mais, si la mèche des éclairs a fait long feu, le tintamarre et les fulgurances qui ont investi mon esprit au cours de cette nuit sont bien une réalité. Je m’en souviens très bien, tout cela a l’air trop vrai pour être irréel.

    Jugez plutôt, il a été

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