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L'homme de la rivière: Roman
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L'homme de la rivière: Roman
Livre électronique311 pages5 heures

L'homme de la rivière: Roman

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À propos de ce livre électronique

En plein cœur du trafic d'armes et de munitions en Afrique !

Lors du trajet, mes génies m’expliquent que le gouvernement a interdit la chasse sur toute l’étendue du territoire national. Ce qui signifie que la détention des armes à feu et des minutions de toutes sortes constitue une infraction. Tout contrevenant est jugé et condamné à cinq ans de prison et à une forte amende. Pour contourner ces condamnations, la vente des minutions est devenue un trafic très secret.
L’homme de la rivière est le récit d’une rencontre entre le narrateur et un devin né par hasard quelque part dans un village africain, qui invite le lecteur à découvrir son histoire, de son enfance à sa rencontre avec une mystérieuse femme des eaux qui lui permet de retrouver son père biologique en échange de sa position de devin au sein de son village.

Découvrez sans plus attendre le récit d'une rencontre entre un homme et un devin africain qui lui propose un étrange marché...

EXTRAIT

Je dormais profondément lorsque subitement, je vois comme dans un rêve une ombre imaginaire dotée d’une force herculéenne qui m’ordonne d’ouvrir les yeux. Je m’exécute et vois une forme apparemment humaine vêtue tout de blanc, de la tête aux pieds, qui se tenait en bordure de ma natte de raphia. Je crie, mais aucun son ne sortit de ma bouche. Je cherche à dévisager cette présence, mais cette lumière aveuglante m’empêche de cerner la nature de cette présence. Je crois continuer de rêver, mais la présence de mes frères qui ronflent sans cesse dans notre petite chambre qu’éclaire paresseusement un vieux lampion, vient me rassurer que la scène que j’ai sous les yeux est d’une réalité incroyable. Je pense tout de suite à mon beau-père, à la mise en exécution de son plan diabolique. Je haïs ce devin peuhl que nous étions allés ma grand-mère et moi rencontrer de n’avoir pas réussi à me protéger.

A PROPOS DE L'AUTEUR

Alabassa Worou est né à Sokodé où il fait ses études primaires, secondaires et obtient le Bac. Il vit en Allemagne depuis quelques décennies et est titulaire d’un diplôme de l’Académie Sabel de Munich. L’homme de la rivière est son cinquième roman.
LangueFrançais
Date de sortie19 oct. 2018
ISBN9782378776770
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    Aperçu du livre

    L'homme de la rivière - Alabassa Worou

    Mon départ pour le Togo

    Le lendemain, je prends la décision de rentrer au pays. J'achète immédiatement un billet et une semaine plus tard, je suis dans l'avion pour Lomé, après une escale de quelques heures à Paris.

    J'arrive vers vingt heures à l'aéroport de Lomé et à la descente de l’avion, un sentiment de soulagement m’envahit et, comme le fait le pape Jean-Paul II lors de ses déplacements, je baise le sol sous le regard ahurissant de certains voyageurs. Je ne comprends pas très bien la signification de ce geste papal, mais mon geste spontané est plutôt synonyme de délivrance, car quelles que soient les relatives difficultés économiques que pourraient vivre les populations des pays africains, la joie de vivre ne devrait en rien être comparable au carcan dans lequel je me trouve engoncé en Europe. Là, je vis constamment à pertes, jonché dans des dettes qui ne finissent jamais. Le système est conçu de telle sorte que seul l’État s’enrichit véritablement au détriment de la grande majorité qui végète dans un relatif bonheur, une misère travestie, une sorte de cercle vicieux, une mort lente, mais cruelle. Comme dans tout bon système capitaliste, quand on a des moyens, on en aura davantage, et si on en manque, on en manquera de moins en moins. À moins de se laisser emporter par le gain facile avec tous les risques que cela comporte, le bonheur y est comparable au Mythe de Sisyphe. On autorise et encourage les crédits. Plus on en prend, plus on s’enfonce et on en devient totalement dépendant, accroc. C’est la drogue des temps nouveaux. Chaque jour est une épreuve incommensurable, surtout lorsque le moment vient d’ouvrir la fameuse boîte à lettres qui crache plus de mauvaises que de bonnes nouvelles. On s’attend souvent au pire. On lutte constamment contre les huissiers qui ont pignon sur rue. 

    Arrivés généralement après le quart de siècle de vie sur terre, nous sommes déjà habitués à cette relative existence facile du quotidien africain qui s’apparente à un séjour dans une pirogue sans rames, guidé par les humeurs du vent.

    En Europe ou en occident en général, il faut s’acclimater, être constamment moulé dans une organisation méticuleuse qui a tendance à laisser sur le carreau les impertinents. Et il y a plusieurs d’entre nous qui ne sont jamais parvenus à prendre le train en marche ; ce qui est synonyme de dettes et de valses répétées des huissiers qui ne manquent aucune occasion de nous harceler au petit matin en se comportant dans nos appartements comme en territoires conquis.

    Je n'oublierai jamais les conseils de Hannes, un vieil Allemand, ami et tuteur de mon grand-frère Bachir, arrivé deux ans avant moi. Celui-ci me dit trois jours après mon arrivée que pour être heureux dans la société allemande, il ne faut jamais laisser à demain ce qu'on peut faire aujourd'hui. Cette maxime est non seulement valable en Allemagne, mais partout ailleurs. Ai-je suivi ses conseils ? Non. Même si ce conseil n'est pas la particularité du monde allemand, en raison de son universalité, il répondrait plus aux exigences de cette société qui se veut plus organisée, souvent exagérément ordonnée. 

    Après les formalités aéroportuaires et ma sortie, un sentiment de joie mêlé d'inquiétude m'envahit. J’ausculte les visages de mes frères escomptant le pire ; il n’en est rien. Ma tante est donc encore vivante. Sans le laisser transparaître, je redoute un peu mon adaptation dans ce milieu qui m'a vu naître et grandir. L'accueil royal dont je bénéficie, me rend moins nerveux et me fait oublier rapidement ma détresse d'Europe. Une voiture neuve louée pour la circonstance et conduite par un jeune frère, Omar, nous conduit à la maison. Sur le trajet, rien n’a apparemment changé, puisque je reconnais les rues, les bâtiments administratifs sont les mêmes, et certains arbres sont toujours à leurs places, la lutte contre la déforestation oblige.

    N'ayant pas profité de mon séjour en Europe pour me construire une maison, je demande à mon cadet d'aller partager la chambre de notre cousin. Nous passons toute la nuit à bavarder de tout et de rien. Moi, je veux des informations du pays, tandis que les jeunes frères qui m'entourent, tiennent à s'imprégner des réalités de mon pays d'adoption. Fatigué par le voyage, je les congédie et vais au lit vers quatre heures, avec la promesse de leur remettre leurs cadeaux à notre réveil. Ils acquiescent tous bruyamment, preuve qu'ils avaient été là plus pour leurs cadeaux que pour m'écouter leur faire un débriefing de la vie en Europe.

    Vers midi, nous prenons la route de Sokodé, ma ville natale ; lieu où vivent ma tante et tous les autres membres de la famille. Pour moi, chaque seconde compte. C’est une course contre la mort. Il faut la voir avant qu'elle ne meure, si vraiment elle serait agonisante. Ma croyance en la tradition est si forte que j’ai peur d’avoir à essuyer des conséquences de ma négligence. Je ne veux pas manquer sa bénédiction, avant qu’elle ne rende l’âme, moi qui essuie déjà des difficultés dont l’origine me paraît liée aux choses occultes. Ne risqueraient-elles pas de  s’aggraver ?

    A notre arrivée le soir, nous sommes accueillis par quelques proches parents dont le visage ne laisse transparaître aucune émotion ou un deuil quelconque, si ce n’est la joie de me revoir après toutes ces années d’absence. Cela me rassure un peu. Sans attendre trop longtemps, je demande d'après ma tante. On m’indique qu’elle est chez un guérisseur à une douzaine de kilomètres de Sokodé, dans un village nommé Kolina. À la question de savoir ce dont elle souffre au juste et pourquoi a-t-on préféré un guérisseur plutôt que de la conduire à l’hôpital, les réponses ne sont pas à la hauteur de mes attentes. Les parents présents évoquent pêle-mêle un envoûtement et des cris stridents dans la nuit profonde. Je comprends alors que ma tante ne souffrirait que d’une fièvre. Je demande aux jeunes frères qui m’accompagnent de continuer le voyage vers ce village le jour suivant.

    L’animation qui prévaut le jour suivant, un jeudi, jour de marché à Sokodé, est infernale. Les voitures klaxonnent dans un brouhaha indescriptible pour se frayer le passage. Je demande à mon jeune frère s’il y a encore un maire dans cette ville et à quoi il servirait ? Il ne comprend pas très bien ma question et je dois lui expliquer que si le maire avait existé et que s’il s’occupait réellement de ses attributions, cette pagaille n’aurait pas droit de cité sur cette voie. Nous reprenons ce qu’on désigne pudiquement ici par la nationale numéro un, cette route sur laquelle les chauffeurs sont devenus tous des prestidigitateurs pour éviter des accidents. Nous nous dirigeons vers le nord. Elle n’a de route asphaltée que de nom, car elle est jonchée partout de nids-de-poule qui se disputent la largeur et la profondeur. Le chauffeur s’y connaît. Pour les éviter, s’arrête souvent brusquement comme s’il voulait observer une pause et reprend comme s’il venait de l’écourter. Cela m’amuse et je ris aux éclats ; ce qui ne semble pas perturber la quiétude de mes frères pour qui cela relève de la routine.

    Une vingtaine de minutes plus tard, nous entrons à Kolina, ce village qui est aussi le mien, car peuplé par les habitants de mon clan. Mes frères demandent à une jeune fille d’environ treize ans, habillée d'une jupe en lambeaux et d’un corsage trop ample pour elle, qui vend des arachides au bord de la route, de nous montrer le sanctuaire du devin. Elle demande à une autre jeune fille moins âgée qu'elle, de nous y conduire. Trois concessions plus loin, nous empruntons une ruelle cabossée au bout de laquelle surgit à trois cents mètres devant nous, perchée sur une petite colline, une villa très belle. Cette habitation est comme sortie des rêves. Que vient chercher une villa aussi cossue dans un tel endroit ? Me demandai-je intérieurement. C’est la seule habitation très belle dans les environs. Une merveille dont la présence montre la disparité entre elle et les hameaux qui jonchent ses environs. La petite fille qui nous accompagne nous indique la villa du doigt en disant : « C’est le sateau », puis sans attendre notre réponse, tourne les talons en courant. Je demande à mes frères ce qu’elle voulait dire. Ils me répondent qu’elle parlait du château du guérisseur.

    - Un guérisseur qui vit dans une telle forteresse, cela paraît bizarre, dis-je un peu inquiet.

    Nous montons la petite colline et pénétrons dans la villa. Le spectacle est ahurissant. Je trouve le luxe des lieux insolent. Des dizaines d’hommes et femmes bondent la vaste cour carrelée très propre. Certains d’entre eux sont assis sur de longs bancs, d’autres se tiennent debout, éparpillés par petits groupes. Une cinquante ? Une soixantaine ? Il est difficile d’évaluer leur nombre, mais ce qui frappe le regard à première vue, c’est qu’il y a plus de femmes que d’hommes. Au bout du mur sur notre gauche, une porte en fer qui devrait conduire vers une autre cour.

    Beaucoup de patients viennent de Sokodé et des villes environnantes, car j’ai pu reconnaître quelques vagues visages connus. Il se susurre qu’il y aurait même qui viendraient le consulter des pays voisins. Je dévisage tour à tour les autres visiteurs et ils en font autant à mon endroit. Soudain, je reconnais un ancien camarade du lycée qui se lève et s’avance vers moi en souriant. Il se blottit dans mes bras quelques secondes durant. Nous échangeons les civilités et il m'informe être enseignant dans un collège de Sokodé. Par curiosité, je lui demande ce qu’il enseigne et j’ai failli m’écrouler quand il m’apprit être professeur de français. Je pense d’abord à une mauvaise blague, et face à mon étonnement, il affiche un air sérieux. Au lycée, il n’était pas mieux loti dans la langue de Voltaire et je ne peux m’imaginer par quelle alchimie ou gymnastique intellectuelle, il avait entre-temps réussi à combler ses imperfections dans cette langue pour parvenir à élever de manière conséquente le niveau des élèves dans une matière aussi complexe, à moins qu’il n’enseignât ses propres tares aux enfants, me dis-je intérieurement.

    Il me dit du bien du devin que nous sommes venus visiter et m’informe que les malades qu’il traite se trouvent derrière la villa dans une autre concession. Ceux-ci ne peuvent être visités qu’avec son autorisation ; ce que je savais déjà, car il paraîtrait que la plupart d'entre eux souffriraient d’un sort que leur aurait jeté un parent ou un ami, ou encore une connaissance et que les responsables de ces sorts profiteraient souvent de son absence pour venir achever leurs victimes. Qu’il habite à Sokodé et ne vient ici que trois fois par semaine ou en cas d'urgence certaines après-midis pour s’occuper de ses patients ! Qu’il prédit également l’avenir en prescrivant le plus souvent des cérémonies pour chasser un sort moindre, rendre heureux, permettre de reconquérir l'amour perdu et beaucoup d'autres choses qui font que sa cour ne désemplit pas. Je nage en plein polar, tant toute cette situation me paraît tout simplement incroyable. Je décide de garder patience pour découvrir l’homme, ce charlatan aussi fortuné dont la personnalité pourrait cacher quelque roublardise.

    La rencontre du devin

    Alors que j’échangeais encore avec mon ancien camarade de classe sur la pléthore des patients qui attendaient, assis sur des bancs comme dans un hôpital, sur la disponibilité, le savoir-faire et le sérieux qui seraient ceux du devin de pouvoir tous les consulter dans le courant de la  journée, un homme d’une cinquantaine d’années ou légèrement un peu plus, à l’allure d’un métis, mais au teint qui tirait déjà sur le brun, fait son entrée et tous les visiteurs se lèvent comme reliés par un fil invisible.

    Habillé d'un pantalon de lin et d'une chemise aux rayures bleues sur le blanc et aux manches longues, son allure faisait plus penser à un administrateur qu'à un guérisseur. Il fait le tour de l’assistance en échangeant des poignées de main avec les hommes et en lançant à chaque fois des blagues aux femmes qu’il désigne par « Ma femme » en Tem, la langue locale - langue populaire parlée dans la région septentrionale du Togo, au Ghana et dans le Nord-Ouest du Bénin -. Je tends l’oreille pour comprendre la nature de son tem. Il parle un Tem clair, limpide, sans accent aucun. Il est soit Tem métissé ou a passé toute sa vie dans ce milieu. Son accent est si pur que je suis confus à l’idée de penser qu’il aurait appris cette langue lors de son séjour dans le milieu. Cela relève de l’impossible, me dis-je intérieurement. Mais pourquoi n’ai-je jamais entendu parler d’un métis guérisseur dans cette région ? Serait-il arrivé après mon départ ? Toutes ces questions sans réponses se bousculent dans ma tête et me tourmentent. Un jeune homme très soigné aussi et trapu le suit avec un bloc-notes. Il ne peut s’agir que de son assistant, peut-être de son garde du corps. Je broie du noir en voyant cet homme à l’allure d’un intellectuel au milieu de cette masse d’incultes qui devrait s’évertuer à leur promettre monts et merveilles. Je me demande si cela ne sentait pas une quelconque arnaque pour boucler quelques fins de mois hypothétiques, à l'image des pasteurs devenus par endroits de vrais arnaqueurs qui contribuent à l'appauvrissement des masses crédules ? Mais en Afrique, il ne faut jamais se fier aux apparences qui peuvent à tous moments être trompeuses. Je ne le quitte pas des yeux durant le temps qu’il passe en revue ses clients. J’essaie de percer le mystère qui entoure cet individu, en vain. 

    Il arrive enfin à mon niveau, me serre la main et je crois d’abord être dans un rêve lorsque j’entends des mots allemands venus de nulle part. Non, c’est le devin qui a parlé.

    Je suis d’abord confus, mais je m’imagine que quelqu’un lui aurait soufflé que je venais de l’Allemagne. Ayant encore des bribes de cette langue apprise au lycée, il a voulu s’amuser un peu pour se donner quelques airs. Mais ce n’est pas le cas, car l’accent qui a embaumé l’air est si pur, débité avec aisance. Au moment où je cogitais sur la nature de ces mots, il enchaîne avec quelques questions qui finissent de me jeter dans un trouble interminable.

    J’écarquille les yeux suite à cet échange, en regardant l’homme continuer son petit bonhomme de chemin. Je ne peux répondre, tant ma langue reste coincée quelque part dans ma bouche, sans que je ne puisse la remuer. Éberlué, aucun son ne sort de ma bouche. Je me contente d'ouvrir grand les yeux, admiratif. Il me demandait si j'avais le temps de discuter avec lui un peu plus tard ; tout ceci dans un allemand parfait, sans accent également. Une fois encore le ciel faillit me tomber sur la tête. Il entre dans la villa et le jeune homme trapu sort chercher l'un après l'autre les visiteurs. Cela dure déjà deux heures que les patients défilent à une allure vertigineuse dans son salon, et il faut une bonne dose de patience dans cette concession. Je suis surpris par les critères de choix des patients qu’il devrait consulter. On me raconte même que des gens y passent souvent des journées entières sans parvenir à le rencontrer, et qu’il faudrait souvent soudoyer ses collaborateurs pour être aux premières loges. Trois heures de temps plus tard, le jeune homme trapu vient vers moi et m’annonce que je pouvais enfin aller voir ma tante. S’il ne s’agissait que de cela, pourquoi m’avoir fait donc attendre des lustres ? demandai-je à mon jeune frère assis juste derrière moi.

    Dans la concession où loge ma tante, il y a environ une vingtaine de femmes, pas un seul homme. C’est à croire que les envoûtements ne concerneraient que la gent féminine. En un clin d’œil, ma tante me reconnaît et court me sauter au cou. Elle crie à l’endroit de ses camarades de la concession que son fils vivant en Allemagne est arrivé. Je la vois sautiller de gauche à droite. Tout le monde ici connaît apparemment sur le bout des doigts mon histoire, sans m'avoir vu et les questions qui s'en suivent me convainquent que j'y suis un peu la star. Elles devraient enfin mettre un visage sur ce fils vivant en Allemagne que ma tante évoque tout le temps. 

    Après avoir cherché en vain à expliquer à ma tante qu’elle aurait mieux fait de se faire soigner dans un hôpital parce qu’elle souffrirait d’une fièvre, je dois me résoudre à accepter ses allégations tapageuses.

    Ma tante et moi passons deux heures à parler de tout et de rien. Je lui remets les cadeaux et promets de payer directement au devin ce qu’elle lui doit. Je la sens très heureuse et ma mission semble être accomplie. Même si je devais mettre tous les moyens pour la voir totalement guérie, je n’avais plus peur si la Providence lui rappelait son destin. Le jeune homme trapu vient me chercher de la part du devin. Je comprends que le moment était venu de discuter avec lui selon ses vœux. S’il m’appelait, c’est qu’il n’avait plus de visiteur. Qu’a-t-il fait de ces dizaines d’hommes et de femmes qui avaient pris d’assaut sa cour ? Quand je sors dans la vaste cour, pas âme qui vive. Cette célérité était tout sauf un travail soigné, me dis-je intérieurement.

    Je rejoins le devin dans un vaste salon très luxueux, climatisé à outrance, où il prenait un thé à la menthe allemand. Un vrai connaisseur apparemment. Il appelle le garçon qui vient me demander ce que je veux boire. Je commande du thé noir. Il me parle encore en allemand et serait apparemment très fier de pouvoir encore échanger des mots dans la langue de Goethe qu’il maîtrise parfaitement. Il m’annonce que c’est sa troisième langue après le Tem et le Français, mais je n’ose pas lui demander où il l’a apprise et qui il est réellement. Nous discutons de la santé de ma tante et il me rassure que tout est presque fini et qu’elle regagnerait Sokodé dans quelques jours. Je reconnais devant lui sans vraiment chercher à le vexer, que ma tante souffrirait d'une fièvre et qu'il serait adéquat de la faire consulter plutôt un médecin. Le devin m'appuie d'un regard moqueur et lâche qu'il est lui-même médecin et que, s'il s'était agi d'un problème qui relevait de la médecine moderne, qu'il n'aurait pas hésité à la soigner dans sa clinique de Sokodé. Le personnage, assis devant moi, me paraît plus énigmatique. Ainsi, il est médecin, me dis-je intérieurement. Quel paradoxe de voir un homme allier si parfaitement la modernité et la tradition ! Et pourquoi le fait-il ? À quelle fin ? Je me résous à éclaircir certains mystères qui enveloppent le maître des lieux. Je décide d’être patient et prudent, de ne rien bousculer, si je tiens à cerner le personnage.

    Cette réponse résume à elle seule la personnalité de ce métis, devin, guérisseur, médecin et que sais-je encore ?

    Il s’excuse auprès de moi, se lève et me lance qu’il était temps d’aller voir ses malades, comme il les désigne. Il va vers sa bibliothèque bien rangée, prend trois livres qu’il me remet. Ils sont tous en allemand et tous traitent de la psychanalyse freudienne. Il me prie de me sentir à l’aise et m’annonce qu'il serait de retour dans une demi-heure pour me dire quelque chose d’important. Resté seul dans ce grand salon au luxe démesuré, je me fais du sang bleu. Mes jeunes frères sont dans la cour et n’ont pas le privilège qui est mien d’être convié dans ce cadre luxueux. Je ne peux tout du moins pas plaider en leur faveur : demander au maître des lieux de les associer à notre entrevue, alors que je ne sais pas moi-même à quoi elle tenait. 

    Je n’aime pas beaucoup les charlatans et autres devins qui ont coutume de bousculer la tranquillité des gens en leur annonçant des informations souvent alarmantes sur leur vie ou leur situation socioprofessionnelle. J’assimile beaucoup ces charlatans à des vendeurs d’illusions, des escrocs qui profitent de la faiblesse et du malheur de certaines âmes pour leur soutirer leurs avoirs. Lorsqu'on est dans un sale pétrin duquel l'on souhaiterait vivement sortir, il est souvent difficile de jauger la bonne foi de ceux qui vous proposent des solutions. Vous êtes si engoncés dans les turpitudes qu’il vous est souvent impossible d’analyser l'essence sur laquelle se fondent leurs approches de solutions. Votre jugement est souvent brouillé, au rabais. Votre seul objectif est de sortir de l’ornière. C'est souvent trop tard qu’on se rend que la situation n’a pas évolué et qu’il ne s’agirait rien d’autre qu’une arnaque.

    Il me vient à l’esprit cette histoire que me raconta un jour mon oncle pour me détourner définitivement de ces prétendus devins et charlatans. À Tchawanda, le quartier le plus cosmopolite de Sokodé, il y avait un de ces charlatans qui détenait des pouvoirs prétendument « immenses » qui lui permettaient de déceler tout voleur et les gens semblaient lui faire une confiance aveugle. Alors que mon oncle, disait-il, était encore apprenti-chauffeur dans les années 50 chez l’un des grands transporteurs et barons de Sokodé du moment, ce dernier constata un jour que sa recette journalière avait comme par enchantement disparu sous l’oreiller où il l’avait glissée. Agacé, car aimant l’argent plus que tout au monde, nul ne réussit à l’apaiser et il conduisit tous ses huit apprentis chez ce charlatan. Il avait des enfants, filles et garçons en âge de pouvoir lui subtiliser ses avoirs, mais il les exclut et son choix se porta uniquement sur ses apprentis, ses sous-hommes à qui il enseignait un métier. Chacun avait son tour sur un petit tabouret où il devrait évoquer des paroles qui le disculperaient. Le charlatan tenait en main un cauris qu’il vous mettait dans l’œil et celui-ci, malgré sa grosseur, engageait un petit voyage dans les profondeurs de votre œil. Et c’est après avoir reconnu le forfait qu’il ramenait son petit cauris à l’air libre et souvent en vous donnant des gifles. Une fois arrivés chez le charlatan, disait mon père, chacun d’eux eut son tour et un collègue originaire de Kadambara, village situé à quelques kilomètres seulement à l’Est de Sokodé, fut reconnu comme coupable, alors que ce dernier avait déjà fini son apprentissage et devait passer son examen dans un mois. Il fut renvoyé par le patron qui refusa alors de lui faire passer l’examen de la conduite. Il s’exila au Ghana pour travailler dans les plantations de cacaoyers. Six mois plus tard, alors qu'une femme de ce riche patron donnait un coup de balai sous le lit, elle ramena quelques billets qui étaient en réalité la somme d’argent supposée avoir été volée. En réalité, les vrais coupables étaient les souris, mais le charlatan avait pu trouver le coupable parmi les apprentis. Rappelons qu’on ne payait pas ses honoraires, s’il ne retrouvait pas le coupable. Le patron pour s’excuser d’avoir commis une injustice envoya un autre apprenti au Ghana pour chercher son collègue. Il revint avec une mauvaise nouvelle, ce dernier fut assassiné une semaine auparavant par des bandits, alors qu’il travaillait dans une plantation de cacaoyers. Depuis ce temps-là, je n’ai plus porté les charlatans dans mon cœur.

    Mais celui-ci me fascine au point que je décide de l’attendre et d’écouter ce qu’il a à me dire. Une heure plus tard, il fait son entrée dans le salon et s’adresse encore à moi en allemand.

    Je bois ses paroles et m’interroge sur le sérieux que celles-ci représentent. Certes, je sais créer et raconter des histoires sur papier, mais j’ai toujours estimé que l’écriture des romans relevait d’un art, d’une certaine maîtrise de mots, de leur agencement dans un style qui susciterait l’admiration du lecteur, des enseignements, d’un vocabulaire au dessus de la normale, d’un savoir-faire aigu. Je pensais que la littérature n'était pas un jeu de bougres, qu'il fallait plus que la maîtrise de la langue, qu'il fallait posséder un art propre, faire chanter les mots, les phrases par une mélodie, une cohérence, qu'il fallait qu'une histoire supposée ou réelle fût palpitante, intrigante, qu'un enseignement de taille puisse s'y dégager ; ce qui n'est pas donné à tout le monde. L’écriture des romans appartient à une certaine catégorie sociale, celle dont la langue n’a plus aucun secret pour elle. Je suis persuadé qu’il faudrait plus que le seul agencement de mot, plutôt que cela découle d’un don. Ce savoir-faire, je

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