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EN MANQUE DE RE-PÈRES?

« il faut se construire une fiction sur mesure », préconise Marc Dugain. Y compris pour redessiner les contours de la famille, source de joies, de névroses et d’inspirations littéraires. Bon nombre d’auteurs tentent d’en extraire les non-dits qui nous façonnent et nous fascinent. Ainsi, l’animateur de « 28 minutes » (Arte) Renaud Dély nous livre dans Le un récit très personnel. Il y raconte deux histoires parallèles. D’abord celle d’un ado au sein d’une entité familiale dysfonctionnelle. Entre une mère dépressive « si fragile », il interroge la filiation dans le monde agricole du Jura. « Une longue lignée de labeur » unit Brun et Mo, qui partagent une complicité silencieuse. Deux hommes voués à la terre, mais chacun en a une vision bien particulière. « Labourer, semer, récolter et respirer », telle est la vie du père si attaché à sa ferme, au respect des saisons, de la faune et de la flore. Tourné vers l’avenir, son fils préfère planter des éoliennes dans leurs champs. Quand Brun, rongé par la maladie, s’éteint à petits feux, il s’interroge:que léguer à Mo? Il veut lui « dire ce qu’il a été. Qu’il sache de quelle nuit ils sont sortis. De son fils, il fait son frère. » Un esprit symbiotique et écologique qu’on retrouve dans Sidérations de l’écrivain américain Richard Powers (auteur de , prix Pulitzer). Intrigué par l’intelligence artificielle, les neurosciences et la génétique, il se glisse dans la peau d’un astrobiologiste en quête de traces de vie dans le cosmos. Brisé par le décès de sa femme, ce dernier doit élever leur fils en solo. En dépit du chagrin, leurs liens se resserrent. Le petit garçon, pas comme les autres, le suit dans ses expérimentations pour abolir les frontières entre les vivants et les morts. Une légende affirme que sur la petite planète Xénia, « tout le monde était parent de tout le monde et enfant de tout le monde ». Une jolie utopie qui aurait pu se prêter à la famille recomposée du nouveau roman de Jean-Baptiste Del Amo, . Un père au regard sévère tente de réintégrer le foyer qu’il a quitté. Depuis son départ, mère et fils vivent en fusion – elle murmure même à son petit:« C’est toi mon homme. » Mais voilà que cette femme rêve « d’un nouveau départ » avec son grand amour, l’homme de retour. Le fils, lui, « voudrait emprunter à la tendresse qu’il témoigne d’ordinaire à la mère, la transposer à l’égard du père ». Afin de recréer le cocon initial, le trio se coupe du monde pour s’installer au fin fond des bois. Un huis clos dans lequel une révélation innocente provoque une tangente violente… C’est au contraire le silence qui scelle le sort des hommes dans le cercle filial des , de François Noudelmann, ou chez Marc Dugain (). L’histoire et la guerre étant le ciment qui s’étend aux générations suivantes. Complémentaire de La Chambre des officiers, la bio familiale de Dugain scrute le côté paternel. Bien que le fils se sente « un éternel adolescent », il doit « tuer le père » que son géniteur « n’était pas vraiment ». Sachant que ce dernier est mourant, Marc Dugain préfère dérouler le fil de l’existence de cet homme à la force mentale de Mohamed Ali, frappé de plein fouet sur le ring de sa vie. Atteint de polio, le père handicapé à la volonté de fer a connu l’amour, une carrière dans plusieurs pays et divers défis. Difficile de grandir à l’ombre d’un géant qu’on vénère au point de vouloir « venger les jambes de son père ». L’écrivain y parvient par le biais de « la transmission. La seule postérité qui vaille est celle de l’être perpétué chaque jour dans sa descendance. » Encore faut-il de la chance… La plume de Sorj Chalandon a déjà questionné la figure paternelle, mais là il découvre qu’il est un Enfant de salaud:« Mon père avait été SS. À 31 ans, je repartais dans la vie avec cette honte et ce fardeau. » Dire que ce menteur invétéré s’était fait passer pour un résistant, qui avait soi-disant combattu l’ennemi avant d’être envoyé au front russe. Une ruse de plus pour embobiner son fiston. À l’heure où ce journaliste couvre le procès Barbie et le volet sur la déportation des enfants d’Izieu, il doit regarder une autre réalité dans les yeux. « Mon père, le premier de mes traîtres. Pourquoi en es-tu devenu un papa? » Nulle ne peut scruter l’âme de ses pairs ou de ses pères, mais comme le rappelle Richard Powers, « chacun de nous est une expérience en soi. Nous sommes tous merveilleusement imparfaits. »

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