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Dog brother: Roman noir
Dog brother: Roman noir
Dog brother: Roman noir
Livre électronique379 pages5 heures

Dog brother: Roman noir

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À propos de ce livre électronique

Valbert de Crécy, riche financier, respire enfin le doux air de juillet après six mois passés en prison.

Pourtant, issu d’une bonne famille et respecté professionnellement, Valbert n’a pas vraiment le profil du délinquant véreux... Comment en est-il arrivé là ? Quels événements ont provoqué l’inexorable descente aux enfers de cet homme jusqu’ici plutôt gâté par l’existence ? C’est ce que l’intrique passionnante de Dog Brother propose au lecteur de découvrir, au rythme trépidant des rebondissements et renversements de situation qui ponctuent ce roman dans lequel deux univers que tout oppose entrent en collision : celui de deux marginaux laissés pour compte et celui de notre riche trader... Un choc des cultures d’une sincérité foudroyante où se mêlent espionnage, manipulation, coup de théâtre démontrant ainsi que les apparences sont souvent trompeuses.

Une intrigue haletante et un regard sans concessions sur notre société composent ce roman pour le moins addictif !

EXTRAIT

Entrer dans l’Histoire comme dernier détenu libéré de la prison toulousaine, la belle affaire ! Ça n’effacera jamais l’avanie de six mois d’incarcération.
Valbert avait récupéré son stylo-plume Montblanc et mis sa Rolex au poignet, le regard méprisant à l’endroit du gardien. Depuis le temps, ces vulgarités
répétées auraient dû le blaser, mais c’était sans compter sur la fierté et l’attachement viscéral des De Crécy au code d’honneur. Un attachement dont le zèle ostensible frisait parfois le ridicule. Alors, forcément, surveillants et codétenus s’en donnaient à cœur joie. Combien de fois dut-il se faire violence pour ne pas
leur mettre son poing sur la figure ! Bref, il était temps que ça cesse.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Jean Roncenelle a quitté les terrains de jeux des coteaux du Lyonnais à l’âge de 8 ans pour aller écumer les cours de récréation des collèges tunisiens pendant 6 ans, avant de percer ses boutons de puberté de la seconde à la terminale au lycée Rascol d’Albi.
Les 5 années suivantes, il parcourt les campus universitaires scientifiques Toulousains et Bordelais, avant de rentrer à France Telecom en 1981, entreprise où il travaille encore aujourd’hui...
LangueFrançais
Date de sortie5 janv. 2018
ISBN9791090894907
Dog brother: Roman noir

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    Aperçu du livre

    Dog brother - Jean Roncenelle

    an.

    Première partie

    1

    Cet après-midi, Valbert avait encore tenté sa chance. Il s’était connecté sur les sites internet d’analyse financière mais, comme ce matin, sans succès. La Bourse de Paris fermée le 1er mai, les rares infos glanées sur les autres places financières ne présentaient aucun intérêt pour les portefeuilles de ses clients. Que le volume de transactions à l’ouverture du NYSE fût au plus bas, c’était loin d’être un scoop. Tant que la banque centrale américaine ne dévoilerait pas son prochain programme monétaire, les investisseurs continueraient à jouer la prudence, tout en restant à l’affût, calés dans leurs starting-blocks.

    Alors, Valbert avait éteint l’ordinateur et, pour célébrer la fête du Travail, s’était rabattu exceptionnellement sur des tâches domestiques. De toute façon, il n’avait pas le choix.

    « Le 1er mai, encore une idée de fainéant ! Quel pays ! » rageait-il en vissant la molette du gicleur pour régler le jet du nettoyeur haute pression, son nouveau joujou.

    L’été dernier, un voisin s’était fait installer un carport avec système de lavage intégré. Alors, il n’y avait pas de raison, il s’en était fait installer un lui aussi, pas plus tard qu’hier. « Ça sera parfait pour nettoyer la boue du chemin du golf, se disait-il pour se donner bonne conscience. En tout cas, ça me servira d’avantage qu’à ce maniaque de Joncour. Avec son Audi S8, on dirait qu’il ne roule jamais ailleurs que sur un tapis de billard. »

    Après avoir testé l’efficacité du jet sur ses clubs de golf encore sales du parcours d’avant-hier, il était prêt pour son premier lavage. Il effleura les touches shampooing + eau chaude du panneau de commande, le tuyau haute pression se raidit et un jet de vapeur s’échappa de la lance.

    Si laver sa voiture ne le passionnait guère, pas question de déléguer pour autant. Moins on touchait à ses jouets, mieux c’était. Surtout lorsque le jouet, une Maserati GranTurismo Sport, moteur V8 de 400 cv, valait la bagatelle de 130 000 €. Pour le reste, l’entretien du parc et de la piscine, c’était l’affaire de Nestor Zacharie, le Haïtien de service, l’homme à tout faire de la résidence, employé le plus souvent au black.

    En pensant à lui, le jet de vapeur se fit plus agressif sur les jantes du bolide.

    Ce matin, Valbert lui avait téléphoné pour qu’il vienne tondre la pelouse.

    – Voyons, patron, un 1er mai ! Je viendrai demain si vous voulez.

    Le patron, contrarié, l’avait pris de haut.

    – De qui te moques-tu Nestor ? Tu as vu l’herbe ? Une vraie savane ! Tu crois qu’elle va se couper toute seule ? Je t’attends dans une heure.

    – S’il vous plaît patron, c’est la fête à la maison, on baptise le petit. La tradition, vous comprenez…

    Le père de famille avait timidement essayé d’apitoyer Valbert, mais ce dernier, qui détestait qu’on lui résiste, surtout un jardinier, avait coupé court.

    – Écoute, si tu ne viens pas, je dirai à tout le monde que tu m’as volé de l’essence et personne ne te fera plus jamais travailler. C’est à prendre ou à laisser. Et si tu n’es pas content, tu n’as qu’à rentrer dans ton pays.

    Puis il lui avait raccroché au nez.

    Une heure plus tard, la tondeuse avalait la pelouse, tirée docilement par un Nestor en chemise du dimanche qui, dans l’urgence et la peur de la menace, n’avait pas pris le temps de se changer.

    « Ah, ces gens-là ! Un coup de pied au cul, c’est la seule façon de les faire bosser. » pensa Valbert deux heures plus tard, en tendant à l’homme deux billets de 100 €, comme pour le dédommager de son caprice.

    Valbert éteignit l’automate et rangea la lance dans son fourreau. Il prit du recul et plissa les yeux, satisfait. Le chrome des pare-chocs éblouissait sous le soleil déjà bas dans le ciel. Puis il s’installa au volant et tourna la clef de contact, juste pour le plaisir de faire ronfler le moteur. En même temps, lui revint en mémoire le jour où, avec Madeline, ils ont poussé la porte du concessionnaire. Il sourit à la façon dont le vendeur expédia un jeune en jeans et tongs, aux moyens manifestement limités, pour s’intéresser à un gibier plus crédible. Au début, en les voyant tourner autour des modèles exposés, le commercial avait estimé que le budget d’aussi jeunes gens ne pouvait coller aux tarifs de la maison. Mais lorsque son œil averti repéra les habits de marque, la Rolex au poignet et la Mercedes garée à l’entrée, une C 220 cdi toutes options, le vieux briscard s’était ravisé. Aussi, s’était-il empressé de les inviter à prendre un café à l’espace VIP. Il ne regrettait pas d’avoir largué le jeune en tongs pour ce grand brun aux yeux bleus, qu’une barbe naissante finement entretenue allait à ravir, et cette jolie petite blonde en Nina Ricci qui, au moindre regard soutenu, baissait les yeux sur la généreuse féminité que laissait entrevoir son décolleté.

    « Chéri, tu en as pour longtemps ? » fit une voix douce et menue du bout de la terrasse. En réponse, Valbert fit hurler les chevaux en éperonnant les huit cylindres en V à grands coups d’accélérateur.

    – Est-ce que je peux commencer à faire cuire les entrecôtes ? se hasarda Madeline entre deux accalmies.

    – Bon sang ! jura Valbert en haussant les épaules. Arrête de me demander sans cesse la permission de faire ceci ou cela. Fais-le, et puis c’est tout !

    Puis il se ressaisit et coupa le contact. « C’est bon, j’arrive ! »

    Avant, il alla jusqu’au portail voir sur la route s’il ne distinguait pas la silhouette de Maya. Car depuis quelques semaines, la chienne avait pris la fâcheuse habitude de s’échapper pour ne rentrer que tard le soir. Même si elle connaissait bien les environs, même si le quartier était calme, il s’inquiétait toujours quand, au-delà d’une certaine heure, il ne la voyait pas rentrer.

    Mais il eut beau scruter la campagne environnante, les murs et les haies bordant les parcs des villas voisines, les portails massifs en fer forgé, l’enclave du golf de Vieille-Toulouse dans la résidence avec son drapeau flottant sur le trou numéro 13, pas trace de la petite Maya.

    Le magnifique coucher de soleil sur l’horizon dentelé des Pyrénées n’avait pas échappé à Madeline. Aussi avait-elle dressé la table sur la terrasse et, pour faire plus romantique, avait préféré aux lampadaires la lumière diffuse de la piscine éclairée.

    Valbert s’installa sans dire un mot. S’était-il seulement aperçu des efforts de son épouse ? « Un peu cuite, mais bon, pas mauvais quand-même, ta viande. » Ce fut le seul semblant de compliment que laissa Valbert ce soir-là, avant de lâcher un laconique : « Il n’y avait pas d’échalotes ? »

    De toute façon, Madeline connaissait trop son mari pour attendre de lui une quelconque manifestation de reconnaissance. Valbert avait un caractère difficile, il fallait s’y faire, un point c’est tout. Parfois même, elle l’excusait presque quand il n’était pas trop humiliant. Elle devinait une grande tristesse, une souffrance qu’il gardait pour lui, comme la plupart de ses sentiments, celle de ne pouvoir faire un enfant.

    Et pourtant, ce n’était pas faute d’avoir consulté les plus éminents spécialistes. Mais tout éminent qu’ils fussent, les analyses et examens cliniques aboutissaient à la même conclusion. Biologiquement, Madeline et Valbert fonctionnaient parfaitement. Ils réunissaient toutes les conditions pour concevoir un enfant avec des chances maximum de réussite. Sexuellement ? Pas de problème non plus de ce côté-là. Le couple s’entendait très bien. Leurs jeux érotiques implicites tombaient souvent dans une relation dominant dominé. Et même si Madeline culpabilisait de consentir à des situations de soumission extrême, elle était bien obligée d’admettre en rougissant que c’était comme ça qu’elle prenait le plus de plaisir. Et puis, elle se disait que le sexe était le ciment de leur couple, et Dieu sait s’il en fallait pour accepter le machisme de son mari, son sale caractère et, par-dessus le marché, ses idées facho qu’elle détestait.

    Pendant qu’elle débarrassait la table, Valbert alla encore jeter un coup d’œil au portail.

    Au loin, plus bas dans la plaine, après la vallée de l’Ariège, la ville rose scintillait.

    Dans la pénombre, une silhouette apparut, se dandinant. Mais ce n’était qu’une vieille femme avec son chien. Il la connaissait pour la voir se promener dans le coin de temps en temps. « Bonsoir ! » fit-elle en passant devant lui. Mais Valbert, préoccupé par sa chienne, feignit de n’avoir pas entendu. « Maya, Maya ! Allez, viens mon chien ! » cria-t-il en regardant au bout de la route.

    Peine perdue ! D’ailleurs, il se demandait bien pourquoi il s’escrimait à l’appeler car, quand elle s’en allait comme ça, elle n’obéissait jamais.

    Soudain, une tache brune apparut au détour d’un virage. Valbert soupira de soulagement. La tache trottinait d’une allure débonnaire au cliquetis cadencé des griffes sur le goudron, flairant de-ci de-là le bas-côté de la route, s’attardant parfois sur une odeur. Quand elle aperçut son maître, elle pressa le pas de ses courtes pattes, accélérant sa course au fur et à mesure, pour finir dans un galop effréné à l’approche du portail. Au moment d’en franchir le seuil, elle enclencha le turbo pour éviter un coup de pied rageur, et se mit à hurler avant d’avoir mal, comme un écorché vif.

    « Sale chien ! gronda Valbert. La prochaine fois, je te jure ! Je te laisse coucher dehors. » Mais au fond de lui, il était soulagé de la voir rentrer au bercail.

    2

    Qu’elle s’échappe du parc et revienne une heure après, deux, grand maximum, Valbert avait fini par s’y faire. Et puis, le quartier était calme. Situé dans une impasse, la circulation était pour ainsi dire inexistante. Quant aux résidants, c’était pour la plupart des retraités, des gens paisibles à l’abri du besoin et surtout, sans garnements susceptibles de martyriser une créature à quatre pattes de cinq kilos tout mouillé. Bref, Maya ne craignait pas grand-chose à errer aux alentours.

    « Alors, ça y est, tu as fait la tournée des p’tits vieux ? » lui disait-il à son retour, une fois sa colère passée. Car pour lui, le mobile de ses escapades, c’était ça. Faire du porte à porte et se proposer pour l’après-midi comme animal de compagnie moyennant quelques friandises canines.

    « Notre petite Maya fait du social ! » aimait dire Madeline en imaginant les personnes âgées en mal d’affection, ravies de sa visite.

    Pour preuve, lorsque le dimanche, il leur arrivait de la sortir aux abords de la résidence, il n’était pas rare qu’un promeneur aux cheveux blancs la reconnaisse. En réponse à ses sourires complices, Maya remuait la queue comme pour dire : « Chuttt ! Je ne suis pas seule. Alors, pas de blague ! »

    Mais depuis peu, c’était différent. La chienne avait pris l’habitude de partir de plus en plus tôt et de prolonger ses absences. Si bien que depuis environ quinze jours, aussitôt échappée, elle ne rentrait qu’à la tombée du soir.

    Pour autant, Valbert n’allait tout de même pas l’enfermer, et il était hors de question de renforcer les quelques cinq cents mètres de clôture autour de la propriété, juste pour retenir une chienne à peine plus grosse qu’un lièvre. Non, mieux valait s’attaquer à la racine et identifier ce qui l’attirait dehors aussi longtemps. Il s’était promis de voir ça quand il aurait le temps.

    Tout au fond de la villa, à l’opposé de la terrasse, Valbert avait fait installer une salle de projection. Résultat d’une lubie d’il y a deux ans, comme pour l’achat du car-port de lavage. Capitonnée de rouge, moquettée, équipée de quatre rangées de fauteuils, hormis sa taille, elle n’avait rien à envier aux salles des grands complexes. Et comme on pouvait aussi regarder la télévision, c’est là que les deux époux venaient s’installer après le dîner.

    Maya, d’un bond leste et discret, sauta sur le fauteuil de Valbert et parvint à se nicher entre sa cuisse et l’accoudoir, une faveur que Madeline n’appréciait guère. Des poils de chien partout sur la moquette et les fauteuils, dans une salle de ce prix, quel gâchis ! Mais bon, il y a belle lurette qu’elle avait cessé de se battre. De toute façon, entre ses arguments et le confort de la chienne, pour Valbert, il n’y avait pas photo.

    « Brave Tymè ! » fit Valbert en lui gratouillant le menton. Contraction extrême de « Petite Maya », Tymè était le petit nom qu’il lui donnait quand il la caressait.

    Madeline tendit la zapette à Valbert. Coup d’œil sur les programmes... Pas de sport, pas de magazine économique...

    « Tiens, mets ce que tu veux. » dit-il en lui rendant la zapette, comme s’il lui faisait une fleur.

    Madeline aurait bien aimé regarder La grande librairie mais Valbert détestait les émissions littéraires. Alors, elle en fit son deuil et se rabattit sur Envoyé spécial, une des rares émissions communes à leurs goûts. Et encore, ça dépendait des sujets. Mais aujourd’hui, avec une enquête sur la fraude à la sécurité sociale, Madeline savait que son mari ne risquerait pas de s’endormir. En effet, il n’arrêta pas de s’enflammer. « Regarde-moi ces parasites. Ils nous ruinent la sécu ! » « Il était temps qu’on en parle à la télé. D’habitude, la presse se complaît dans son silence, mais là ! Etonnant, non ? »« Pour une fois qu’on ne tape pas sur les patrons ! »

    Puis, changeant de sujet :

    – Avant-hier, au golf, Bruno m’a proposé de faire partie de sa liste aux prochaines municipales. Je crois bien que je vais accepter.

    – Enfin, Chéri ! s’offusqua Madeline, il n’y a pas plus facho que cet homme.

    – Voilà ! dès que dans ce pays, on parle de faire respecter la loi, on se fait traiter de facho. Tout ça parce qu’un jour, il s’est dit favorable aux contrôles renforcés des arrêts de travail. Eh bien moi, tous ces gens, toujours les mêmes d’ailleurs, qui tombent systématiquement malades, comme par hasard, pendant les vacances scolaires, ça me met hors de moi.

    Les mains crispées sur les accoudoirs, son tic ne le lâchait pas, ses épaules ne tenaient pas en place.

    – Alors, si je peux l’aider à gagner les élections, ce sera avec plaisir.

    – Après tout, c’est ton affaire. Ceci-dit, j’ai du mal à t’imaginer en train de faire campagne. Pour lui ou un autre d’ailleurs.

    – Pourquoi donc ? s’agaça Valbert.

    – Eh bien… hésita Madeline, sentant l’orage menacer, je te vois mal distribuer des tracts sur les marchés et parler avec n’importe qui.

    – En somme, tu ne me crois pas capable de discuter avec un ouvrier ou quelque chose comme ça. Et Nestor, ce n’est pas un ouvrier, peut-être ?

    Elle ne craindrait pas sa réaction, Madeline lui aurait ri au nez et balancé quelque chose du genre : « Tu t’es vu quand tu lui parles ? Parce que tu crois qu’engueuler les électeurs, ça va les faire voter pour toi ? » A la place, elle glissa en soupirant :

    – Disons que tu es beaucoup plus à l’aise avec certaines catégories sociales qu’avec d’autres.

    – Alors ça, c’est la meilleure ! répliqua Valbert. Bientôt, tu vas me reprocher de m’intéresser aux gens qui ont réussi.

    – Parce que pour toi, la réussite se résume à la taille du compte en banque ? osa Madeline avec une pointe de masochisme.

    – Tu connais un indicateur plus fiable ? répondit Valbert du tac au tac, dont le sang commençait à bouillir.

    Madeline abandonna. Elle avait atteint le point de rupture. Insister déboucherait sur une querelle interminable et une soupe à la grimace pendant trois jours minimum.

    Dieu qu’il est triste, pour exposer son point de vue, d’être obligée d’avancer ses idées sur la pointe des pieds, par suggestion et allusions subliminales, avant de s’écraser à la fin.

    Valbert n’attendit pas le reportage suivant. Il se leva, direction la chambre. Maya lui emboîta le pas. Madeline ne tarda pas à les suivre.

    Pendant qu’elle se déshabillait, elle se pinçait les lèvres en regardant la chienne sauter sur le lit. Valbert saisit sa grimace au vol. « Ben quoi, une chienne de plus ou de moins ! » ricana-t-il. Madeline se sentit rougir. Elle n’eut pas le temps d’éteindre la lampe de chevet que déjà, l’homme la plaquait contre lui d’une main, et de l’autre, la saisissait par les cheveux d’une poigne à la fois douce et virile.

    Le cœur affolé, le corps fébrile, la jeune femme se soumit docile aux injonctions de son mari. Ravalée au rang de serpillère, frémissant à ses qualificatifs abjects, elle sentait les prémices du plaisir l’envahir, attendant honteusement de sombrer corps et âme dans une transe orgasmique. Tout cela sous le regard expressif de Maya, oreilles mi-dressées, hochant la tête, intriguée.

    3

    Lorsque Valbert ouvrit l’œil, Madeline était déjà partie depuis une heure. Prof de français à Saint-Orens, il lui fallait environ trente minutes pour se rendre au Lycée de l’Espace. Si le trafic était toujours fluide sur la route des crêtes dominant les coteaux, on ne pouvait pas en dire autant de la traversée de Saint-Orens aux heures de pointe, et encore moins à l’approche du lycée, à l’ouverture du portail.

    Valbert, lui, n’avait pas ce souci. Non seulement il ne recevait jamais ses clients avant 9h00, mais en plus, pour aller travailler, il lui suffisait de descendre au rez-de-chaussée.

    Au début, peu soucieux d’un prix locatif du mètre carré exorbitant, il avait songé louer un local à Toulouse, sur les allées Jean Jaurès, mais les embouteillages endémiques de l’hyper-centre l’avaient fait changer d’avis. Incontestablement, pour se garer, Vieille-Toulouse, c’était le paradis comparé à la capitale occitane. Et puis, un autre argument l’avait séduit. Il s’était dit que dans son métier, exposer son train de vie ne pouvait qu’inspirer la confiance. A choisir, mieux valait savoir son patrimoine géré par un SDF, au sens de « Sans Difficultés Financières » plutôt que par un courtier aux allures de fins de mois difficiles. Il avait la chance d’appartenir à la première catégorie, alors, autant mettre en vitrine sa villa et le reste, preuve tangible, s’il en fallait, de sa qualité de gestionnaire. Certes, la propriété, héritage du patrimoine familial, n’était pas le fruit de ses talents de spéculateurs, mais néanmoins, il était réputé pour être très doué en affaires.

    Si Valbert était issu d’une famille fortunée et qu’il y avait pire pour débuter dans la vie, en revanche, son enfance n’a pas toujours été rose. Son père, dont il n’a aucun souvenir, a disparu après sa naissance sans même avoir pris le temps de le reconnaître. Quant à Laszlo, le nouveau mari de sa mère, il a toujours eu du mal à l’appeler papa tant il brillait par son absence dans l’intimité familiale, trop absorbé par sa passion, les affaires, les affaires, et encore les affaires. Et lorsqu’il y a dix ans, sa mère, passionnée de pilotage, périt aux commandes de son Cessna 210 en manquant son atterrissage sur la piste de Montaudran, il ne fallut pas six mois au businessman pour partir s’installer en Australie, à l’affût de nouvelles opportunités.

    L’annonce officieuse d’une présence d’hydrocarbures dans le détroit de Bass l’avait mis en alerte. Flairant un bon coup, il s’était associé à des financiers fermement résolus à jouer les premiers rôles dans la logistique des futures plateformes pétrolières.

    À la mort de sa femme, plus attiré par le goût du risque qu’intéressé par l’argent, Laszlo n’avait même pas contesté sa maigre part d’héritage, ce qui était somme toute logique puisque les biens communs du ménage étaient minimes comparés aux biens propres de son épouse.

    Depuis, Laszlo n’a jamais perdu contact avec Valbert, même si leurs échanges annuels se cantonnent le plus souvent à un e-mail à l’occasion de la nouvelle année.

    Et c’est ainsi qu’à l’âge de 25 ans, l’unique héritier de la famille De Crécy s’est retrouvé seul dans l’immense demeure familiale, à la tête d’une fortune estimée à plus de dix millions d’euros.

    Valbert avait deux rendez-vous ce matin, un à dix heures, l’autre à onze. Et sur toute la plage horaire qui couvrait l’après-midi, l’agenda de son notebook affichait le mot GOLF en lettres capitales. Les mardis après-midi, c’était sacré. C’était l’espace réservé à la détente entre amis, le temps d’un parcours et du dix-neuvième trou autour d’une bière au club house.

    Valbert acheva son café et regagna son bureau. Son premier rendez-vous n’était que dans une heure mais il y avait longtemps qu’il n’avait pas examiné son portefeuille d’actions. Dans son travail, recevoir ses clients n’était que la partie émergée de l’iceberg. La plupart du temps, il le passait à s’informer, se documenter, s’imprégner de tout détail susceptible d’influencer les marchés. Savoir détecter dans l’actualité les événements qui influenceront l’économie mondiale de demain, c’était la condition sine qua non pour gagner beaucoup d’argent en période de croissance et a minima, limiter la casse quand ça allait mal.

    Au fur et à mesure qu’il allumait ses ordinateurs, les écrans se remplissaient de tableaux et de graphiques. La Bourse de Paris fermée trois jours pour cause de 1er mai, Valbert avait hâte de connaître la tendance à l’ouverture.

    A priori, les chiffres avaient une mine sympathique. Il les décodait aussi sûrement qu’un amateur de sport éclairé consulte les résultats de matches et les tableaux de classement dans les pages de l’Equipe. Concentré, il prenait des notes, consultait les valeurs phare du CAC 40, jetait un coup d’œil sur le second marché...

    Monsieur Denis était son premier client de la journée. Fils d’une riche famille d’agriculteurs, hermétique aux rouages des placements financiers, il souhaitait placer à court terme cinq cent mille euros sur un produit à haut rendement, mais avec des risques limités. Bref, en bon maquignon, il voulait le beurre et l’argent du beurre. Et pour cela, il avait toute confiance en Valbert.

    Mais les sentiments bienveillants du multimillionnaire n’étaient pas réciproques. Même s’il comptait parmi ses clients les plus fortunés, Valbert n’aimait pas cet homme débonnaire et bedonnant, carrément aux antipodes de son milieu. « L’argent de ce paysan pue, pensait-il avec mépris. Feu son père avait eu la Légion d’honneur pour être entré dans la résistance un mois à peine avant le débarquement. Si c’est ça, un héros… Surtout quand on sait que sa fortune, il la doit au marché noir qu’il pratiquait à grande échelle. »

    Du coup, peu scrupuleux à l’égard de son client, Valbert l’utilisait comme cobaye en le faisant miser sur les produits les plus hasardeux du marché.

    C’est ainsi que Denis avait eu la chance phénoménale de quintupler son capital en trois mois. Sur une rumeur de gisement pétrolier pressenti au large des côtes guyanaises, Valbert lui avait fait acheter une quantité déraisonnable de call warrants qui anticipaient la hausse du cours des matières premières. Et comme l’info était passée de simple rumeur à quasi-certitude, les plus-values avaient dépassé de très loin les pronostics les plus optimistes.

    Il va sans dire, considéré du jour au lendemain comme un demi dieu, Denis ne jurait plus que par lui, même si depuis, il eut des placements nettement moins fructueux.

    D’un clic de souris, Valbert ouvrit une page d’info sur les nouveaux marchés. Dans ses cotations, Alternext proposait une chaîne européenne de distribution de produits halal. « Dire que malheureusement, ça risque de marcher ! soupira-t-il. Tiens ! Excellente opportunité de placement pour ce gros lard. » Machinalement, Valbert écrivit 5 000 € sur son bloc note. C’était le montant de la commission qu’il s’était fixé comme objectif, soit 1 % du capital investi. Une rétribution acquise, quelque-soit le cours de l’action à terme.

    Coup de sonnette au portail. Valbert jeta un coup d’œil à l’écran de l’interphone. « Le voilà ! Je sens qu’on va bien se marrer. » Puis il actionna l’ouverture.

    En attendant son arrivée, il se composa un sourire obséquieux et s’entraîna à prendre un ton de miel dégoulinant : « Bonjour Monsieur Denis. Comment allez-vous Monsieur Denis ? Vous prendrez bien un café Monsieur Denis… Savez-vous ? J’ai trouvé exactement ce qu’il vous faut. Vous verrez, dans trois mois, ça va faire un malheur… »

    Après avoir raccompagné ses derniers clients, un couple de retraités embarrassés d’un million d’euros après la vente d’une résidence secondaire à Saint-Tropez, Valbert regarda sa montre. « 11h30 ! Le temps de me changer et je peux encore être au club pour midi. »

    Vingt minutes plus tard, dans une tenue Lacoste de la dernière collection, Valbert regagna le hall et composa le code de l’alarme anti intrusion sous l’œil triste de Maya. Elle savait que ce rituel signifiait le départ imminent de son maître.

    Quelques minutes plus tard, la Maserati rutilante cahotait dans les ornières du chemin du golf, avant de se garer sur le parking à l’entrée du club house.

    Bruno Grosset et Gérard Vidal étaient au bar.

    – Désolé, on ne t’a pas attendu, dit Bruno en levant son whisky.

    – Vous avez bien fait. Ernest, Comme d’hab ! fit Valbert au garçon, accompagnant sa commande d’un pouce incliné vers le bas.

    – Bien Monsieur ! répondit Ernest d’une voix neutre.

    Bruno était un grand bonhomme au quintal joliment charpenté. Ingénieur en chef chez Airbus, à deux ans de la retraite, il travaillait à mi-temps, ce qui lui laissait du temps libre pour ses deux passions, le golf et la politique. Sympathisant FN des premiers jours, militant depuis peu, il s’était mis en tête de conquérir la mairie de Vieille-Toulouse aux prochaines élections. Et comme avec Valbert, ils avaient les mêmes opinions, il lui avait logiquement proposé de l’inscrire sur sa liste.

    Gérard, lui, croquait la vie à pleines dents depuis qu’il avait failli la perdre dans un accident de moto. Réveillé miraculeusement sans séquelles après trois mois de coma, sa devise était plus que jamais, carpe diem. D’autant que la prime d’assurance qu’il avait touchée complétait plus que généreusement ses revenus provenant de la revente d’objets d’art.

    Bel homme, la quarantaine, amateur de femmes, il passait le plus clair de son temps à chasser aux terrasses des cafés de la place du Capitole et dans les boîtes de nuit du grand Toulouse. Et quand il n’était pas bredouille, il était fier d’exhiber ses trophées au club, histoire d’épater ses amis.

    Ainsi, les trois hommes avaient pris l’habitude de se retrouver au golf de Vieille-Toulouse tous les mardis pour le rituel triptyque : déjeuner – parcours – apéro ; sans compter les éventuelles prolongations lorsque, au bar du club house, après le troisième single malt, ils décidaient de refaire le monde.

    Gérard ne manqua pas de frétiller à la vue d’une jolie brune qui essayait des lunettes de soleil dans la boutique du club, juste derrière eux.

    – Visez la fille là-bas. Pas mal, non ? On dirait qu’elle me regarde.

    – Arrête de prendre tes désirs de vieux beau pour des réalités, se moqua Valbert. Tu as vu ton âge comparé au sien ?

    – N’importe quoi ! rétorqua Gérard, vexé.

    Malgré leur amitié, Valbert avait fait de lui sa tête de Turc. Et il y avait des moments, comme celui-ci, où Gérard lui en aurait bien collé une. Des fois, il se demandait ce qu’il faisait avec un type aussi puant et se disait que sans Bruno, son ami d’enfance, il y a longtemps qu’il aurait déserté les rendez-vous du mardi.

    Evitant la surenchère, car à ce jeu, Valbert était imbattable, il se contenta de marmonner : « De toute façon, toi, le jour où tu baiseras une autre femme que la tienne… »

    – Parce que tu ne m’en crois pas capable ? Tiens ! Je te parie un resto aux Jardins de l’Opéra que ta brunette, je me la tape avant la fin du mois.

    – Chiche ! Tu as entendu Bruno, tu es témoin.

    Mais Bruno, le front plissé derrière ses lunettes, était ailleurs, loin de leurs taquineries d’ado et des concours à qui a la plus grosse.

    – Quelque chose ne va pas ? demanda Gérard.

    La question sortit Bruno de sa torpeur. Un peu embarrassé, il se gratta la tête.

    – Vous vous rappelez le mois dernier, le jeune melon que j’avais surpris chez moi en train de forcer la porte du garage ?

    – Si on s’en souvient ! s’exclama Valbert. Rien qu’au récit de la dérouillée que tu lui as flanquée, j’en frissonne encore.

    – Eh bien, figurez-vous que les parents ont porté plainte pour coups et blessures.

    – Hein ??? fit Valbert estomaqué, secoué par un haussement d’épaules. Mais où va-t-on !!! Bientôt, on nous accusera de non-assistance à personne en danger pour n’avoir pas laissé les clefs sur

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