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Niort et la main morte: Polar régional
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Livre électronique235 pages3 heures

Niort et la main morte: Polar régional

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À propos de ce livre électronique

À qui appartient la main momifiée retrouvée sur les lieux de construction d'une nouvelle mutuelle ?

Inspectrice de police dans le 13e arrondissement de Paris, Catherine Valet est envoyée à Niort, la ville de son enfance pour enquêter sur la découverte d’une main momifiée sur les lieux des travaux de la M.A.S.T.E.R., une nouvelle mutuelle. À qui appartient-elle ? Pourquoi l’a-t-on cachée là ? Où est le reste du corps ? C’est à toutes ces questions que devra répondre Catherine Valet en enquêtant sur les lieux de son passé. Pas à pas, l’inspectrice s’immisce au coeur du fonctionnement des mutuelles, poumon économique de la ville de Niort. Pour son premier roman, Alain Bouchon pose un regard pointu sur Niort, ses habitants et le monde mutualiste.

Bienvenue à Niort ! Ce roman policier vous emmènera à la découverte de ses habitants et des manigances du monde mutualiste, grâce à la perspicacité de l'enquêtrice Catherine Valet.

EXTRAIT

Des Niortais de tous âges prenaient le soleil aux tables avoisinantes : des jeunes, bruyants et incompréhensibles, copies conformes de ceux qui lézardaient aux terrasses du boulevard Montparnasse ; des moins jeunes, qui tentaient de le rester, par l’habit ou par l’affichage ostensible d’une fausse insouciance ; des plus jeunes du tout – comme le couple ­Valet-Potillon – s’accrochant comme par défi à des lieux qui ne voulaient plus d’eux. La vie avait du bon dans les senteurs d’herbe fraîchement coupée et dans la musique tranquille de l’écoulement du fleuve local. Catherine se demanda un instant si elle n’aurait pas mieux fait de s’enraciner dans sa terre natale, plutôt que d’aller chercher (quoi ?) ailleurs, dans le bruit, la fureur permanente et l’égoïsme de Paris. La sagesse était peut-être de se résigner à suivre les pistes toutes tracées.
– Et voilà ! L’odeur fruitée et sucrée de l’alcool chassa immédiatement les mauvais nuages de mélancolie et renvoya Catherine à sa mission :
– Revenons à notre délicieuse Nina, de quoi voulais-tu me faire part ? Potillon prit un air de conspirateur, se rapprocha de Catherine, vérifia qu’aucune oreille indiscrète ne traînait, se racla la gorge et commença :
– J’ai été un des premiers à comprendre la vraie personnalité et le dessein de Mme Vanhagen… Le contraire eût été étonnant, de tout temps les Potillon avaient fait preuve d’une perspicacité de pythie ! Le mérite ne m’en revient pas… Tiens, il s’est converti à la modestie ! remarqua Catherine. Très vite, l’un de mes oncles, qui siégeait au conseil d’administration (le rapatriement de Potillon à la MASTER s’expliqua en un seul mot !), me fit part des façons de procéder de la consultante… Elle avait décidé de mettre les administrateurs dans sa poche, les uns après les autres. En principe le charme suffisait. Lorsque ce n’était pas le cas, elle trouvait d’autres solutions…

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Le vrai personnage, c'est la ville elle-même que Catherine Valet découvre en plein chamboulement. Au service de son intrigue, Alain Bouchon agglomère vérités, fiction, vrais souvenirs, faux souvenirs. - Yves Revert, La Nouvelle République

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né dans la petite école publique de Vançais, au sud des Deux-Sèvres, Alain Bouchon a passé toute sa jeunesse à Celles sur Belle, où il réside encore aujourd’hui. Après des études de droit à l’université de Poitiers, il a rejoint le secteur mutualiste niortais, qu’il ne quittera plus. Curieusement, ce sont ses voyages professionnels à travers l’Europe qui lui ont révélé l’intérêt et la particularité de sa région. Niort et la main morte est son premier ouvrage.
LangueFrançais
Date de sortie3 juil. 2019
ISBN9791035305437
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    Aperçu du livre

    Niort et la main morte - Alain Bouchon

    couv.jpg

    Niort

    et

    la main morte

    Collection dirigée par Thierry Lucas

    © 2012 – Geste éditions – 79260 La Crèche

    Tous droits réservés pour tous pays

    www.gesteditions.com

    Alain BOUCHON

    Niort

    et

    la main morte

    Geste éditions

    L’humour est une affirmation de la dignité, une déclaration de la supériorité de l’homme face à ce qui lui arrive.

    Romain Gary

    1

    Première journée

    Il reste encore une région dans laquelle les trains traversent les cours de fermes, et il faut que ce soit la mienne !

    Depuis le départ de la gare Montparnasse, Catherine Valet était de mauvaise humeur. Pourtant, rien dans le trajet rapide de Paris à Poitiers ne l’avait justifié : ciel clair, défilé accéléré des paysages, horaire respecté, wagon silencieux. Les enfants, ces minuscules ennemis du voyage paisible, avaient dormi, gavés de biscuits et de barres chocolatées. La plupart des autres passagers s’étaient réfugiés derrière leurs ordinateurs portables, faisant semblant de taper des comptes rendus de réunion ou visionnant d’éternels navets en DVD. Seules les allées et venues d’un vol de consultants, en costumes sombres et cravates de soie strictes, avaient animé le couloir. Café à la main, leur joie, pourtant discrète, de se goinfrer d’une ligne budgétaire imprudemment provisionnée par une entreprise naïve, s’était répandue à travers les moquettes vert pomme des compartiments de première. Mais, croque-morts high-tech et policés, ils savaient se tenir en société ! Passé les ensembles parallélépipédiques de la sortie de Tours, la voyageuse avait même réussi à somnoler un peu, dans le roulis de la caisse et les grincements des articulations des wagons.

    Il faut avouer que la balade avait changé de rythme lorsque le train – fallait-il appeler « train » le TER taggué qu’elle avait eu du mal à trouver, à l’écart des quais réservés au vrai trafic ? – s’était péniblement arraché des quais poitevins. À peine le serpent gris et bleu avait-il longé les falaises et les maigres rapides du Clain en arrivant à Saint-Benoît, qu’il avait décidé de ralentir : la gare de Coulombiers s’annonçait déjà. Puis ç’avaient été Lusignan, Saint-Maixent et son habituel déversement de bidasses encombrés de grands sacs kaki, La Mothe-Saint-Héray, Rouillé, La Crèche : six arrêts en moins de quarante kilomètres. De quoi agacer un usager pressé ! Mais dire que le convoi passait dans les cours de fermes était exagéré. On avait bien longé quelques propriétés agricoles, tranquillement, au point de pouvoir compter les vaches – des Parthenaises – qui ruminaient bêtement au bord de la voie, mais jamais au grand jamais le convoi coloré ne s’était aventuré entre les bâtiments pierreux, les hangars tôlés et rapiécés, les tas de fumier puants, les engins à socs et à lames qui annoncent toute exploitation. Catherine exagérait, parce que tout simplement elle n’avait pas envie d’être là ! Dans ce train qui semblait écarter les feuillages pour tracer son chemin, un peu comme on relèverait une mèche de cheveux gênant le regard, tout lui déplaisait : d’abord ce bain de lumière et de chlorophylle qui l’agressait, elle, l’habituée de l’éternelle nuit de la ligne treize du métro parisien ; puis le regard et la curiosité des voisins de son périple – l’un d’eux lui avait même adressé la parole, rendez-vous compte ! – ; elle avait vite regretté l’indifférence et l’anonymat de ses trajets quotidiens, compressée au milieu des lecteurs de Vingt Minutes et des écouteurs de musique métallique enfoncés profond dans les oreilles ; enfin, sa propre incapacité à dominer sa fébrilité, ce qui lui était devenu inhabituel.

    Cet état de malaise permanent durait maintenant depuis deux jours, précisément depuis le moment où le commissaire divisionnaire l’avait convoquée dans son bureau. En apprenant que le vieux chauve l’attendait au deuxième étage, elle s’était demandé ce qui arrivait. Ce n’était pas dans ses habitudes de recevoir lui-même les inspecteurs de police. Tiens ! il se souvient de mon existence, s’était-elle d’abord étonnée, mais, ne trouvant pas d’explication plausible à ce brusque retour de mémoire, elle avait envisagé une autre hypothèse : il ne veut quand même pas me draguer ! La glace du poudrier qui logeait depuis des années au fond de son sac à main avait alors renvoyé une image catégorique, celle d’un visage à la fois rougeaud et bouffi, aux traits incertains, à l’expression peu engageante. Non, pas possible ! Alors ? Me virer ? Peut-être… ­Catherine avait cherché dans ses dossiers récents lequel pouvait justifier une décision aussi brutale. Trois ou quatre affaires étaient venues à sa conscience. Ce serait vraiment injuste si on me licenciait à cause de ces dossiers pourris ! Il n’y avait rien à en tirer ! Après tout, son bilan ne se présentait pas plus mal que ceux de ses collègues. Chacun traînait son lot de casseroles. Décidément, elle ne voyait pas. Elle était donc montée dans l’incertitude la plus totale.

    – C’est pour vous ! avait ordonné immédiatement le commissaire en lui tendant une chemise cartonnée chargée de quelques papiers, avant même de lui donner un bonjour qui d’ailleurs ne sortirait jamais.

    – Pour moi… ? avait bafouillé Catherine, pas habituée à une remise de ses missions ­aussi cérémonieuse.

    – Vous venez bien de Niort ?

    – Oui… j’y suis même née…

    – Eh bien, je vous offre un retour triomphal au pays ! Un début de sourire ironique s’était posé fugitivement sur le visage du grand patron, aux bajoues bouffies de triglycérides et de gamma GT.

    – C’est-à-dire…

    – C’est-à-dire quoi ?

    – Eh bien… j’avais envisagé d’autres occupations pour les prochaines journées…

    – Il n’y a pas de c’est-à-dire ! Et vous devriez me remercier ! Niort est en pétard ! Ça va faire un peu de bruit ! Une chance pour vous, pour votre carrière !

    – Je suis flattée, monsieur le commissaire divisionnaire, mais demain soir je pars pour le Langkawi. Quinze jours de vacances… Je n’ai pas pris un moment de repos depuis le début de l’année… Et j’ai réservé depuis des mois…

    – On n’est pas à la Banque de France, ici ! Vous ferez le tour du monde une autre fois… Le service avant tout ! Le vieux jubilait dans ses graisses. Il aimait tant dire non !

    – Et la police niortaise, elle sert à quoi ? Ils ne peuvent pas se la mener, leur enquête ?

    – Ils ont été obligés de faire appel à des renforts extérieurs ; vous savez ce que c’est là-bas, tous les collègues ont une femme, un mari ou un enfant dans l’assurance ! Il fallait un œil objectif, indépendant !

    – Il doit en exister un autre que le mien !

    – Chère mademoiselle Valet, le vôtre présente un avantage qu’aucun autre, dans toute la police nationale, ne peut revendiquer : il s’est ouvert et a grandi dans la préfecture des Deux-Sèvres…

    – C’est bien la première fois qu’on me présente la chose comme un avantage !

    – Allez ! arrêtez de discuter tout le temps ! Je vous offre un défi passionnant ! Et le Langkawi vous attendra bien quelques semaines ! Il marqua un temps d’arrêt, histoire de savourer cet instant d’expression de son pouvoir, puis, lorsqu’il fut satisfait de l’effet produit, ajouta : juste par curiosité, comment appelez-vous les habitants de votre Langkawi ?

    – Aucune idée… Catherine avait hésité, sentant venir le piège…

    – Voyage insuffisamment préparé, mademoiselle Valet ! Je ne peux pas vous laisser partir comme ça ! Le soir, à Niort, vous aurez le temps de vous de documenter ! Je suis sûr qu’il y a d’excellentes librairies dans votre ville ! On doit tellement s’y ennuyer ! Niort… Le paquet bichait. Aplaties sur le fauteuil, ses énormes cuisses tremblotaient de plaisir. Son sens de la répartie lui avait encore donné la victoire. ­Catherine pensait à ses vacances perdues et aux arrhes qu’elle ne reverrait jamais. Regardez au moins de quoi il s’agit ! Sans entrain, elle avait défait la sangle du dossier sur lequel figuraient seulement cinq lettres : NIORT. Puis, prenant dans ses doigts la première feuille, elle s’était mise à lire : « À l’occasion de travaux de rénovation du siège social de la MASTER, l’une des entreprises les plus dynamiques de la région, les ouvriers qui travaillaient au sixième étage ont mis à jour la main d’une femme, cachée dans l’une des cloisons d’un couloir. Il y a fort à parier qu’un corps entier se trouve emmuré sur les lieux. Les travaux ont été immédiatement stoppés et les mesures habituelles de protection prises. L’affaire nécessitera le plus grand doigté, dans une région où tout, le financier, le politique, le social, dépend de la bonne santé du secteur de l’assurance. » Catherine s’était arrêtée, avait paru réfléchir avant d’interpeller le divisionnaire :

    – Curieux quand même que l’on ne trouve que des corps de femmes dans les cloisons, et jamais d’hommes ! Vous expliquez ça comment, vous ?

    – Il doit en être des murs comme des vêtements : certains n’habillent que le sexe faible !

    – Très drôle, avait songé tout haut ­Catherine, soudain envahie par une poussée de féminisme !

    – Vous jugerez sur place, et vous me raconterez ! Le divisionnaire avait saisi une autre chemise, signifiant la fin de l’entretien.

    – Je vous tiendrai au courant, heure par heure, vous pouvez compter sur moi ! Constatant que son interlocuteur ne se souciait plus de sa présence et bien décidée à n’en faire qu’à sa tête, Catherine avait entrepris un demi-tour vers le couloir. Elle allait franchir la porte du bureau lorsqu’une voix goguenarde lança :

    – Les Malais !

    – Pardon ? Catherine croyait avoir mal entendu.

    – Les Malais ! J’ai dit les Malais !

    – Excusez-moi, je dois être idiote, mais je ne comprends pas… Catherine pensa sur le moment que le chef – qui aurait déjà dû être en maison de retraite depuis longtemps – déraillait…

    – Oui, les habitants du Langkawi, on les appelle les Malais… Non seulement il la privait de vacances, mais en plus il se payait sa tête ! L’ordure !

    Le lendemain, le séjour au paradis avait été annulé – l’hôtel Berjaya Langkawi Beach and Spa Resort serait pour une autre fois ! –, la valise déchargée et rechargée : moins de couleurs et davantage d’épaisseurs, plus du tout de crèmes bronzantes ou de laits après-soleil, quelques tailleurs et pantalons de travail à la place des paréos et déshabillés de plage. Soucieuse de conserver la clientèle de ­Catherine, l’agence avait accepté de geler les arrhes jusqu’au printemps suivant : l’achat d’un nouveau séjour éviterait de les perdre. Malgré son humeur maussade, la future touriste avait remercié. Le reste de la journée avait été occupé par toutes ces petites tâches qui précèdent l’absence d’un célibataire : laisser le Spitz nain dans sa pension, vider le réfrigérateur des denrées périssables, suggérer au concierge de ne pas laisser s’entasser le courrier dans la boîte aux lettres, vérifier les réservations de train et d’hôtels effectuées par la secrétaire du divisionnaire, prévenir les quelques amis d’un départ inattendu et d’un retour incertain, retirer suffisamment d’argent liquide pour ne pas être ennuyé (avec une mauvaise foi qu’elle faisait semblant d’ignorer, Catherine allait jusqu’à se demander s’il y avait des distributeurs à Niort), se couper les ongles des pieds – cette opération qui tient de l’hygiène mais aussi de la mutilation était sa façon à elle de se préparer à entrer dans l’inconnu – et enfin descendre les poubelles.

    Le surlendemain, à 17 h 55 exactement, entre les piliers en béton de la gare Montparnasse, elle s’était mêlée aux hommes d’affaires regagnant Niort et La Rochelle, remerciant le divisionnaire de lui permettre de voyager en première, contrairement aux habitudes. En y réfléchissant bien, cette faveur ne la ­réjouissait qu’à moitié : elle ressemblait étrangement à une promesse d’ennuis considérables.

    Après La Crèche, la grande plaine du Sud- Deux-Sèvres s’ouvrit, laissant deviner au loin les premières zones commerciales de Niort. Elle était déserte. Seules quelques éoliennes – miracle, le concept de développement durable s’aventurait maintenant jusque-là ! – pédalaient au milieu des rouleaux de paille de l’année précédente, empaquetés comme les énormes pions d’un jeu de dames abandonné dans la nature. En longeant les derniers bosquets de la campagne qui s’effaçait, Catherine ne put s’empêcher de sourire, oubliant un instant son peu d’envie de remettre ses pas dans les pas de la jeune fille qu’elle avait été. C’était dans ces chemins creux, sur la gauche de la voie ferrée, entre Aigonnay, La Chesnaye, que le fils Briand – le garage Peugeot de l’avenue de Paris – lui avait fait découvrir les plaisirs de l’amour. Excessif de parler de plaisir : elle s’était vite rendu compte que le mélange des sexes ne serait pas son truc. Pendant que le mécano s’escrimait sur son corps mal installé sur la banquette arrière de sa 4 L, elle regardait avec curiosité les feuilles des arbres environnants. Ça doit être des ormes ! Ou plutôt des trembles, s’interrogeait-elle, indifférente aux efforts de son amant pour lui arracher un signe de jouissance, un regard de complicité. Depuis ce temps-là, sa mémoire avait associé le « sont-ce des trembles ? » au ridicule des passions humaines et à son incapacité à se mêler à leurs jeux. Chaque fois que l’arbre en question ressortait dans les conversations, elle se sentait comme déshabillée, à la merci d’on ne sait quelle humiliation.

    Les premiers bâtiments que Catherine reconnut vraiment comme faisant partie de Niort – du grand Niort au moins – furent ceux de la CAMIF, l’ancienne coopérative de vente des enseignants. Trente-cinq ans plus tôt, elle les avait pratiqués de l’intérieur. Les entrepôts d’abord, où, un été durant, elle avait monté des fixations de ski, sous le regard amusé des vieux du métier, en blouses grises comme des maîtres d’école. Ne leur en déplaise, au bout de deux mois, elle maniait le tournevis à air comprimé aussi bien qu’eux ! Puis le magasin : elle y avait vendu à peu près tout ce qui pouvait se vendre : des chaussures, des fusils, des machines à laver, des abat-jour. Elle avait ­rassuré sans savoir :

    – Ça tiendra au moins, cette vachette ?

    – Vous ne trouverez pas de meilleure qualité, madame !

    Expliqué sans comprendre :

    – C’est un tambour monté sur un rotor hydraulique, ce qui se fait de mieux !

    Convaincu sans croire :

    – Avec l’armurerie belge, jamais le moindre souci !

    Aujourd’hui, ce qui avait été un empire aux portes de la ville, un symbole de la créativité locale, n’offrait plus que ses buildings fermés, éteints, ses parkings vides qui exhibaient toute leur surface de goudron comme les traces d’une maladie incurable. Une guerre impitoyable semblait avoir rayé l’entreprise du monde des vivants. Catherine avait suivi dans les journaux la chronique de la descente aux enfers de son premier employeur, elle n’était donc pas surprise de ce qu’elle voyait. Pourtant, elle ne put s’empêcher de déplorer le spectacle, de songer aux visages qu’elle avait côtoyés dans les couloirs, les ateliers, le restaurant d’entreprise. Qu’étaient-ils devenus ? La plupart devaient goûter aux joies mornes de la retraite depuis longtemps, mais les autres ?

    Toujours dans ses réflexions, elle vit s’avancer la double boîte à œufs de la MAAF, posée sur la tranche au milieu de son jardin, avec, au sommet de l’immeuble principal, le dauphin nageant dans son demi-cube aux eaux bleu des mers du Sud. La voix de sa mère lui revint aux oreilles : mais pourquoi tu rentres pas dans une mutuelle ? C’est mieux payé que la fonction publique et c’est aussi sûr ! Et tu resterais près de nous ! Le dernier argument avait été décisif : volontairement, lorsqu’elle avait fini par se résoudre à venir passer des tests d’embauche, elle avait saboté sa copie ! Tout, mais surtout pas ici, dans ce mouroir provincial, sous la coupe des siens !

    Malgré son peu de vitesse, le TER mit brutalement un grand coup de frein. On arrivait. Catherine rassembla en hâte ses bagages – ne sachant pas combien de temps elle passerait sur place, elle avait fait des réserves impressionnantes de change – et se dirigea vers la plate-forme au bout du wagon. La voie ferrée longeait le cimetière. C’est peut-être là que tu finiras, ma pauvre, à moins qu’une subite ­notoriété ne te donne un ticket d’entrée au Père Lachaise ou au cimetière ­Montparnasse ! Catherine décida une fois pour toutes que si elle avait le choix, elle élirait domicile à ­Montparnasse, plus urbain, plus vivant. Pas trop loin de Gainsbourg, ou de Noiret, ce serait sympa ! Elle surveillerait les allées et venues des fans, ça l’occuperait !

    – Qu’é to qu’o l’é ! Y couchons là ?

    Manifestement ses compagnons de voyage ne partageaient pas ses préoccupations d’outre-tombe ! Elle en tira la conclusion que le Niortais n’avait pas changé : il restait toujours aussi peu accessible au rêve, au vagabondage métaphysique. Pragmatique, les pieds bien plantés dans son terroir, il se mouvait dans le réel. Quasiment expulsée de force, encombrée de ses valises et sacs, Catherine finit par mettre le pied sur la terre des maîtres, ainsi nommait-on l’équipe dirigeante de la MASTER.

    Depuis toutes ces années, la gare de Niort avait peu changé. Mis à part les quais qui avaient été relookés – des sortes de toiles de trampoline les surmontaient – pour faire honneur au passage et aux haltes du TGV Paris-La Rochelle, le reste était demeuré identique à ses souvenirs d’étudiante : un petit hall encadré par une boutique à journaux – la nouveauté qu’elle ne découvrirait que plus tard était que l’on pouvait désormais s’y procurer des ­tickets de métro – et les guichets de la SNCF ; un bout de couloir avec les cabines à photos d’identité ; et, enfin, le buffet de la gare, toujours aussi désert malgré le coup de peinture censé le repositionner d’un point de vue marketing. ­Catherine se faufila entre les flots de silhouettes qui entraient et sortaient, constata d’un coup d’œil circulaire que personne ne l’attendait, buta à moitié sur une voiture aux couleurs de la MASTER dans laquelle s’engouffrèrent des tempes grises et des sacoches en cuir, et se mit en devoir de trouver un taxi. Très vite elle dut déchanter : les trois seuls présents ce soir-là étaient déjà pleins. Les habitués avaient giclé plus vite qu’elle du train ! Elle se retrouva donc bientôt seule sur le ­trottoir, sous la ­visière de fer forgé bleu de la gare de Niort (les indigènes, certainement sujets à l’amnésie, avaient cru bon de le rappeler sur la façade, en dessous de la pendule !) avec ses deux valises, son sac à dos et son sac à main. Un soleil puissant comme un projecteur de bloc

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