Yxsos ou le songe d'Ève: Roman de science-fiction
Par Pierre De Grandi
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À propos de ce livre électronique
Une grippe mortelle a touché la ville, puis s’étend sur le monde entier, profitant des transports aériens pour se propager. Chose étrange, cette pandémie ne touche que les hommes, menaçant l’équilibre démographique du monde. Un groupe de chercheurs est réuni sous la responsabilité du professeur David Wise. Ils vont tenter de trouver l’origine du fléau, qui semble bien criminelle, et l’enrayer sans plus tarder. Sur fond de luttes entre les genres et de recherches génétiques, sauront-ils trouver la voie d’un nouvel avenir pour les êtres humaines ?
D’un réalisme précis et convaincant, richement documenté sur la science moderne, ce roman offre aussi un suspens puissant à celui qui le découvrira. Avec YXSOS ou Le Songe d’Ève, l’auteur déroule une intrigue effrayante et inédite tout en questionnant subtilement les rapports hommes-femmes. Et s’il aborde ce sujet avec tant d’empathie, de tendresse et d’humour, c’est très certainement parce qu’avant d’être écrivain, il est gynécologue...
Ce roman d'anticipation haletant et réaliste interroge la possibilité d'un futur dépourvu d'hommes.
EXTRAIT
Chaque fois qu’il se rendait dans le service des Soins intensifs, le Professeur David Wise se sentait gagné par la même impression : la vie, c’est un peu comme une glace en cornet. Ça fond.
Quand tu arrives au biscuit, tu sais que l’essentiel est consommé. Et si tu avais choisi vanille-fraise, pas question de vouloir encore goûter stracciatella-café ou melon-cassis. Sauf qu’il arrive parfois que ton karma te confie, par exemple, à un chirurgien qui parvient à te remettre une boule de sorbet. Si tu as la chance de sortir des Soins intensifs, tu te réjouiras en constatant que tu n’es pas encore tout à fait sur le biscuit. La vie est exquise : demain il y aura un matin, tu t’étonneras de plein de ciels, et tu pourras espérer entendre chanter des générations de merles.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Originaire de Zell, dans le canton de Zurich, Pierre De Grandi est né à Vevey en 1941. C’est à Lausanne qu’il obtient son diplôme de médecine en 1966 puis son doctorat en 1970. Médecin-chirurgien, enseignant et scientifique, il a terminé sa carrière en 2007 en tant que Chef du Département de gynécologie-obstétrique, Directeur médical du Centre Hospitalier Universitaire vaudois et Professeur à la Faculté de Médecine de Lausanne.
Fils de peintre et homme d’une très grande culture, il est passionné de musique et préside l’Association vaudoise des amis de l’Orchestre de la Suisse romande. Il est l’auteur de nombreux livres et articles scientifiques mais YXSOS ou Le Songe d’Ève est son premier roman publié.
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Aperçu du livre
Yxsos ou le songe d'Ève - Pierre De Grandi
ISBN 978-2-940486-13-7
© 2013 Editions Plaisir de Lire. Tous droits réservés.
CH – 1006 Lausanne
www.plaisirdelire.ch
Couverture : Naila Maiorana – www.fatformat.com
Version numérique : NexLibris – www.nexlibris.net
PIERRE DE GRANDI
YXSOS
ou Le Songe d’Eve
ROMAN
Le vrai rêveur est celui qui rêve de l’impossible.
Elsa Triolet
PREMIÈRE PARTIE
FRED
Chaque fois qu’il se rendait dans le service des Soins intensifs, le Professeur David Wise se sentait gagné par la même impression : la vie, c’est un peu comme une glace en cornet. Ça fond.
Quand tu arrives au biscuit, tu sais que l’essentiel est consommé. Et si tu avais choisi vanille-fraise, pas question de vouloir encore goûter stracciatella-café ou melon-cassis. Sauf qu’il arrive parfois que ton karma te confie, par exemple, à un chirurgien qui parvient à te remettre une boule de sorbet. Si tu as la chance de sortir des Soins intensifs, tu te réjouiras en constatant que tu n’es pas encore tout à fait sur le biscuit. La vie est exquise : demain il y aura un matin, tu t’étonneras de plein de ciels, et tu pourras espérer entendre chanter des générations de merles.
Si par contre on te garde aux Soins intensifs, c’est que ta boule supplémentaire fond décidément trop vite. La seule question qui demeure est celle de savoir si le bip de l’électrocardiogramme s’arrêtera avant que tu ne croques le biscuit un peu chocolaté du cornet. Quoi qu’il en soit, tu n’entendras pas ton cœur s’arrêter puisque, lorsqu’il s’arrête, c’est que tu es mort. Bien entendu, il y a ceux qui disent que la mort n’existe pas tant qu’on est vivant et qu’ensuite, on ne se sait rien d’elle, puisqu’on est mort. Paraît-il. Mais plus exactement, on n’en sait fichtre rien.
Avec le philosophe, certains répètent qu’ils sont, parce qu’ils pensent. Ce n’est de loin pas l’avis de David Wise. Il ne lui suffit pas d’être parce qu’il pense. Surtout si c’est pour essayer de trouver des explications à tout ce qui existe au lieu de rien. C’est pourquoi il serait plutôt d’avis de dire : « Je rêve donc je suis. »
Mais cette nuit-là, une cauchemardesque réalité avait brusquement expulsé toute possibilité de rêves. David venait d’apprendre que Fred, son ami de toujours, son alter ego, avait dû être hospitalisé. Dans le Service des soins intensifs. Il s’y précipita et, pas une seconde, l’image futile d’un cornet de glace n’effleura son esprit affolé. Il s’adressa à la première infirmière suffisamment disponible pour l’écouter :
− Mademoiselle, s’il vous plaît, je cherche Monsieur Fred Kipling.
− Bonsoir, Monsieur Wise. Je vous accompagne.
− C’est vous qui vous en occupez ?
− Je viens de prendre ma garde.
− Alors vous êtes au courant… vous savez comment…
− Nous faisons tout ce que nous pouvons, mais…
− Mais ?!
− Il nous échappe.
Branché, pompé, aspiré et monitoré comme il l’était depuis trois jours, gisant inconscient et à moitié nu sur son lit d’hôpital comme un naufragé sur un radeau de survie, Fred était méconnaissable. Inerte et apparemment inanimé, il n’avait même plus la fièvre qui l’avait précédemment agité de grands frissons, lorsque son organisme était en guerre contre une étrange pneumonie, puis contre cette encéphalite aveugle dans laquelle il ne reconnaissait maintenant plus personne.
Toute cette grande maladie s’était emparée de lui au décours du plus banal des refroidissements. Il avait terminé ses fumigations, son rhume avait mûri, il ne toussait plus et sa gorge s’était adoucie au point qu’il s’était même remis à fumer. Et voilà qu’à peine quelques heures plus tard il avait perdu connaissance, eu sa ponction lombaire et transité dans les tunnels du scanner puis de l’IRM. Maintenant, sa vie dépendait de médicaments très puissants destinés à contrer la spirale des complications qui mettaient ses fonctions vitales hors circuit les unes après les autres.
Les infirmières omniprésentes et calmes semblaient butiner d’une inconscience à l’autre. Parfois une alarme accélérait momentanément leurs gestes : ce qui pouvait être fait était fait, sans agitation, avec la maîtrise assurée de leur engagement professionnel. Dans ce cocon, la vie hésitait, silencieusement. Rares étaient les yeux ouverts et les regards encore suffisamment habités pour donner sa chance à un sourire.
A minuit, il résulta d’un rassemblement de blouses blanches que, pour Fred, la dialyse était indispensable : les reins ne fonctionnaient plus. A cela s’ajoutait la nécessité d’une intubation : les poumons n’assuraient plus une respiration adéquate. David eut l’impression que son ami entrait en apesanteur, qu’il n’intéressait plus la gravitation, qu’il se détachait de la vie, malgré les passerelles que la médecine installait entre elle et lui. Le bip de son électro battait la chamade, tantôt espaçant ses battements, tantôt se précipitant dans des débauches angoissantes de salves auxquelles les infirmières donnaient le pourtant joli nom de tachycardie.
Lorsqu’un nuage rouge vif apparut dans le sac de plastique drainant l’urine, David sentit sa gorge se serrer. Il eut froid et frissonna, puis une violente brûlure se répandit et s’agita dans son ventre. Il tomba dans les yeux d’une infirmière dont le regard revenait aussi du sac, si subitement si plein de rouge. Sur un mouvement de tête en signe d’approbation signifiant qu’elle partageait son inquiétude, David prit la main de Fred dans la sienne. Du sang très liquide coulait sur la peau au point de ponction des canules de perfusion. Subitement envahi d’une peur panique, c’est à cette main abandonnée qu’il s’accrocha lorsque, sur le visage de son ami, il vit s’installer comme l’ébauche d’un sourire venu d’ailleurs.
Serein, Fred semblait découvrir avec étonnement la solution d’une énigme.
Paniqué, David tremblait, submergé par le retour de la question lancinante et sans réponse que la mort de son père avait jadis plantée dans sa chair d’adolescent : « Et maintenant, comment faire sans lui ? » Vaincu, il se tassa sur une chaise. Déchiré, il sanglota dans ses mains, longtemps. Révolté, il en voulait à la médecine, qui était pourtant sa vie, de ne rien comprendre à cette mort. Epuisé, il eut la douleur de se souvenir du rire de Fred, de son indéfectible gentillesse, de l’énergie de son optimisme et de la confiance totale qu’ils s’accordaient l’un à l’autre.
Lorsqu’il se résolut à lâcher la main de son ami, il sentit une pression sur ses épaules et reconnut la voix de la fille de Fred : « Maman n’est pas là ? » Il se leva, se retourna et entoura de ses bras la voix qui répétait « Pourquoi, David ? Pourquoi ! Comment c’est possible ? Non, David, je refuse ! Explique-moi ! Dis-moi qu’il va se réveiller ! »
DAVID
En quittant l’hôpital, David traversa le hall de réception des Urgences. Jamais il n’y avait vu une telle affluence : les ambulances faisaient la queue, et le vaste espace d’accueil était rempli de chariots sur lesquels la plupart des malades semblaient dormir. Malgré cet engorgement tout à fait inhabituel, aucune agitation n’était perceptible, ni parmi les patients ou ceux qui les accompagnaient ni parmi le personnel hospitalier.
L’inquiétude avait-elle cédé devant l’évidence d’une indéchiffrable fatalité ? Ces taches rouges que David croyait avoir vues accrochées ici ou là sur les chariots des malades étaient-elles aussi des sacs d’urine envahis par du sang ?
Il se précipita vers la sortie pour quitter ce lieu qui lui semblait être tombé sous une influence maléfique. Tout en se hâtant, il s’efforçait de se persuader qu’il se méprenait à propos de ce qu’il venait d’observer tant il était peiné par la mort brutale et incompréhensible de son ami Fred.
Des amoncellements effilochés de nuages poussaient devant la lune de blafardes transparences. Assez rares pour marquer le macadam de larges impacts noirs encore isolés, quelques grosses gouttes de pluie traversaient verticalement l’indolence d’un vent mou. En démarrant le moteur de sa voiture, David remarqua qu’il était presque quatre heures. L’heure à laquelle les amants et les insomniaques cèdent au sommeil qui se refuse encore aux malades, accaparés par la nécessité de dompter la douleur ou d’échapper à la montée des eaux glacées de l’angoisse.
L’éclairage des rues et les feux réglant la circulation étaient les seuls éléments de la machinerie urbaine restés actifs jusqu’au bout de la nuit. Dans à peine une heure, le trafic allait reprendre, puis le jour se lèverait sur un monde apparemment inchangé.
Pourtant David sentait que quelque chose avait basculé dans l’ordre régissant la vie des humains. La foule silencieuse des malades étonnamment passifs ou endormis qu’il avait observée aux Urgences trahissait les premiers signes d’une catastrophe dont il ignorait encore le visage. Il pensa à Fred, fit l’effort de s’extirper de la gangue de tristesse qui entravait ses capacités de réflexion, et reprit un à un les éléments de la maladie qui avait emporté son ami. Il dut, une fois de plus, se résoudre à admettre que rien n’était explicable dans l’évolution catastrophique de ce qui s’était initialement manifesté comme une simple rhinopharyngite.
Il alluma la radio avec le besoin d’être emmené par une mélodie, d’entendre une chanson, de s’entourer du ton et de la survivance d’une tendresse qui puisse lui confirmer que le malheur fait parfois une pause, et laisser alors flotter quelques banderoles de bonheur. Mais c’était l’heure des bulletins d’informations.
Quatre ambulances envahirent le giratoire dans lequel il allait s’engager. Leurs sirènes couvrirent la voix de la radio, et lorsqu’elles s’éloignèrent, David parvint uniquement à saisir qu’une des informations du bulletin dont il avait manqué l’essentiel concernait l’engorgement des hôpitaux.
Rentré chez lui, il eut le sentiment que son appartement l’attendait. Que son décor familier venait au-devant de son besoin de se lover entre lui et lui, de se recroqueviller à la recherche d’une position refermée pour faire silence, de se retrouver pour se prémunir contre cette étrange sensation qui l’obnubilait : celle de se sentir seul sur une banquise dont des pans entiers se détachaient pour aller se perdre à la dérive.
Il laissa un message sur la boîte vocale de sa secrétaire pour l’informer que son ami Fred était décédé tard dans la nuit et que lui-même voulait se reposer. Puis il se rasa, but deux cafés sucrés, prit une douche, avala un somnifère dont il n’usait qu’au cours de vols intercontinentaux, ouvrit toutes grandes les fenêtres de sa chambre donnant sur le parc et se glissa, nu, dans les draps frais de son lit non encore défait.
Peu après midi, il se réveilla. Une lumière laiteuse et sans ombre stagnait dans sa chambre. Il se pressa deux oranges et alluma le téléviseur. Il fallait qu’il en sache plus.
Le téléjournal ne parlait que de désordre et ne montrait que des images de confusion, voire de panique : pharmacies dévalisées, personnels infirmiers et médicaux épuisés, hôpitaux dépassés, morgues encombrées, pompes funèbres en rupture de stock. La ville était secouée et décimée par une fièvre mortelle dont les ravages touchaient tous les quartiers et s’étendaient déjà aux banlieues les plus éloignées.
A l’instant même où David se décida enfin à répondre à la sonnerie insistante du téléphone, le visage éprouvé du Premier Ministre apparut sur l’écran.
− Ministère de la Santé. Monsieur David Wise ?
− Oui, Bonjour Madame.
− Bonjour Professeur, je vous transmets un message de Monsieur le Ministre. Les Ministères de la Santé et de l’Intérieur ont pris conjointement la décision de créer une cellule de crise à propos de l’épidémie qui… enfin, je pense que vous êtes au courant. Vous êtes convoqué toutes affaires cessantes . Monsieur le Ministre tient à vous faire savoir qu’il considère votre participation comme indispensable et par conséquent incontournable.
− Puis-je savoir, Madame, qui, avec moi…
− Pour arrêter définitivement la composition de cette commission, Monsieur le Ministre souhaite connaître votre avis. Il vous attend dès maintenant. Annulez tous vos rendez-vous, Professeur Wise. Monsieur le Ministre vous en remercie.
LE MINISTRE
Du perron à l’huissier, puis sur les pas d’une secrétaire, à travers couloirs et antichambres, David se trouva devant le Ministre sans avoir eu nullement à attendre. Pas vraiment intimidé, il était néanmoins impressionné par l’accélération si brutale que l’imprévu et la menace imposaient au cours de son existence. Les méandres de sa vie plutôt nonchalante se trouvaient d’un instant à l’autre transformés en d’imprévisibles cascades.
Le Ministre se leva et vint à sa rencontre. David sentit qu’il était attendu avec cette impatience qui empêche même un personnage de haut vol de penser à quoi que ce soit d’autre qu’à l’obsessionnel besoin de voir arriver son interlocuteur.
− Merci, Professeur, je vous suis reconnaissant d’avoir pris la peine de me rejoindre si rapidement.
− Monsieur le Ministre, j’ai perdu mon meilleur ami de cette maladie probablement infectieuse. Bien que spécialiste des maladies transmissibles, je ne comprends rien à ce phénomène. Je me sens pris en défaut, mis en question.
− Pris en défaut et donc mis au défi, si je vous entends bien. Vous n’en serez donc que mieux motivé et plus acharné !
− Je suis surtout impatient, Monsieur le Ministre. Pressé d’en découdre car, voyez-vous, contrairement aux catastrophes naturelles, ce que nous appellerons encore un phénomène a déjà pris le visage d’une épidémie. Il ne s’agit donc pas d’un événement ponctuel, mais bien de l’installation d’un processus évolutif. Nous commençons à peine à en connaître les effets. Le terme de cette calamité n’est pas prévisible, son potentiel de nuisance est hors de tout contrôle. Du moins dans une première phase.
− Je comprends. Vous voulez dire qu’une catastrophe naturelle se manifeste en un lieu donné, plus ou moins circonscrit, avec un début, un paroxysme et une fin. Les cours d’eau débordent, l’inondation monte et s’étale, puis vient la décrue. Les tremblements de terre cassent puis, à quelques répliques près, cessent. Alors les hommes réparent et reconstruisent. Mais avec une épidémie rien ne laisse présager de la fin ni de l’étendue du désastre, surtout lorsque l’agent causal est inconnu. Les mesures spécifiques de prévention font défaut : pas de vaccins, peut-être même pas de traitement efficace. La seule défense sera l’isolement.
− Et l’isolement, lorsqu’il se prolonge, peut s’avérer encore plus délétère que la maladie : échanges, déplacements, communications, et surtout ravitaillement, risquent d’être paralysés.
− Mais, Professeur, pas pour tout le monde, vous savez bien.
− Que voulez-vous dire ?
− Je fais simplement référence à la caractéristique la plus saillante de cette hydre mortelle.
− C’est-à-dire ?
− Mais, Professeur, avez-vous déjà eu affaire dans votre carrière à une épidémie qui tue de manière aussi