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La Fille au grain de beauté: Un thriller psychologique et palpitant
La Fille au grain de beauté: Un thriller psychologique et palpitant
La Fille au grain de beauté: Un thriller psychologique et palpitant
Livre électronique305 pages4 heures

La Fille au grain de beauté: Un thriller psychologique et palpitant

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À propos de ce livre électronique

Quand un détective privé est pris à son propre piège…

Jérémy Bast travaille dans le domaine de l’intelligence économique comme « Agent Privé de Recherches et Filatures ». À la demande de commanditaires occultes, il établit des dossiers sur certains salariés afin de protéger les intérêts vitaux, les secrets de fabrication ou les brevets d’invention des entreprises. Un job qu’il accomplit consciencieusement et sans états d’âme. Un soir, à son bureau, une belle et mystérieuse inconnue, l’accusant de meurtre, l’assomme à coups de sac à main et lui laisse en guise de carte de visite, la vision érotique d’un magnifique lentigo qu’elle possède sur le milieu du genou. En recherchant la fille au grain de beauté, il se retrouve en cavale, vivant aux crochets d’une famille malienne sans-papier, accusé du meurtre de trois policiers, traqué par deux tueurs iraniens et pisté par un vieux dégénéré flanqué de son avocat de fils. Devenu victime à son tour, Jérémy va devoir mettre tout son savoir-faire de détective privé pour tenter de sauver sa peau et le peu qui lui reste d’honneur.

Un thriller à couper le souffle !

EXTRAIT

La veille, je m’étais foulé la cheville en voulant échapper à un type qui me coursait à travers les rayons d’un hypermarché de la banlieue parisienne. Sensé être en arrêt maladie et cloué au lit par un lumbago aigu, ce fonctionnaire appointé de l’administration pénitentiaire faisait l’article de gaines amincissantes pour dames fortes dans les grandes surfaces. J’ignore encore comment il m’avait repéré, mais tout à coup, une gaine avait sifflé à mes oreilles, et le maton rouge de colère s’était rué sur moi, menaçant et proférant des insultes. J’avais dû mon salut à la sainte gaine, laquelle, en dégommant une montagne de boîtes de crabes russes en promotion, avait littéralement enseveli une sexagénaire et son caddie, provoquant les hurlements de la susdite, et une mini-émeute de la part des clients, entraînant une intervention musclée des vigiles.

A PROPOS DE L’AUTEUR

Alain Vince vient à l’écriture au milieu des années 1980. D’abord scénariste, il s’oriente vers le polar. Du Raisiné sur le P’tit Lu, son premier roman, qui évoque un Nantes atypique est remarqué et primé. Suivra Haro sur le clown dont l’action se situe dans le Paris populaire qu’il connaît bien, puis Cinq Nazes en Brière, qui montre son attachement profond au pays noir.
LangueFrançais
Date de sortie26 févr. 2015
ISBN9782843625664
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    Aperçu du livre

    La Fille au grain de beauté - Alain Vince

    CHAPITRE PREMIER

    La veille, je m’étais foulé la cheville en voulant échapper à un type qui me coursait à travers les rayons d’un hypermarché de la banlieue parisienne. Sensé être en arrêt maladie et cloué au lit par un lumbago aigu, ce fonctionnaire appointé de l’administration pénitentiaire faisait l’article de gaines amincissantes pour dames fortes dans les grandes surfaces. J’ignore encore comment il m’avait repéré, mais tout à coup, une gaine avait sifflé à mes oreilles, et le maton rouge de colère s’était rué sur moi, menaçant et proférant des insultes. J’avais dû mon salut à la sainte gaine, laquelle, en dégommant une montagne de boîtes de crabes russes en promotion, avait littéralement enseveli une sexagénaire et son caddie, provoquant les hurlements de la susdite, et une mini-émeute de la part des clients, entraînant une intervention musclée des vigiles.

    Malgré la quantité d’anti-inflammatoires absorbée, je boitais et ressentais la douleur chaque fois que mon pied se posait par terre. La société qui m’avait engagé m’avait imposé la tenue de rigueur des cadres de la maison : un costume gris, acheté à mes frais, qui m’allait comme un gant à un manchot, une chemise bleue et une cravate du même ton. Leader dans son domaine, spécialisée dans la fabrication d’un alliage aluminium ultra-performant, elle attaquait le marché asiatique et recevait ce jour-là une délégation d’ingénieurs chinois dans l’usine de production. Elle craignait par-dessus tout l’espionnage industriel de la part des Chinois, réputés pour leurs capacités à piller les brevets de fabrication et les refaire chez eux à leurs prix coûtants. C’était, disait-on, l’un des secrets du boom économique chinois. Mon travail à moi était d’empêcher, en toute discrétion, la moindre manipulation de l’alliage en question, qui aurait pu aboutir à un détournement. Les visiteurs avaient juste le droit de toucher avec les yeux et de signer un contrat juteux avec l’entreprise. Depuis une plombe, je suivais le péril jaune, marchant du même pas, à la queue leu leu, écoutant attentivement en hochant la tête, la traduction de la très belle Asiatique que l’entreprise avait embauchée pour la circonstance et j’étais plus enclin à détailler l’anatomie avantageuse de cette dernière qu’à m’attarder sur ces petits bonshommes habillés par le même tailleur et auxquels on avait greffé le même sourire. À force de la reluquer de bas en haut et de bas en bas, je finis par remarquer que, là où la fille mettait un pied, la poussière et les copeaux d’aluminium disparaissaient comme par enchantement. Elle devait avoir un aspirateur planqué dans ses pompes à semelles compensées et ça m’ennuyait presque de prendre cette jolie fille en flagrant délit. Vérification faite, les semelles de la fille étaient équipées d’autocollants double-face afin de récupérer les copeaux de l’alliage en alu.

    Je venais de gagner 1200 euros en un seul après-midi de boulot, de quoi me faire digérer la station debout et mon costume de mauvaise coupe.

    Voix parlée dans un dictaphone.

    Vendredi 8 octobre 2008. Ville de Saint-Cloud 92. 123 rue Florent Schmitt.

    7 heures du matin. La voiture du surveillé sort du garage. Il prend la direction du centre-ville, s’arrête devant un bar-tabac, en descend. Quelques secondes plus tard, il remonte dans sa voiture. Prend la direction de la grande banlieue. Non, je dirais maintenant qu’il prend l’autoroute vers Chartres. Exact, on arrive au péage. Nous roulons à vive allure depuis une quinzaine de minutes, et il vient de mettre son clignotant pour s’engager vers une aire d’autoroute, dite aire de Brou. Là, je suis coincé, car si je lui colle aux fesses, il va s’apercevoir qu’il est suivi, vu qu’à cette heure-ci l’aire est déserte et tout va foirer. Donc… (hésitation), je dois improviser… j’improvise donc, je continue… et je vais me garer sur la voie d’urgence, à cinq cents mètres de là. Je mets mes warnings pour simuler une panne, j’ouvre le capot, je pose mon triangle de signalisation, je revêts ma veste jaune fluo et je refais le chemin à pied. Cela va raviver la douleur de ma cheville, mais tant pis, je n’ai pas le choix. Bon sang, j’ai beau être sur la bande d’urgence et à contre sens, chaque voiture qui passe me fait sursauter. C’est incroyable comme les gens peuvent rouler vite. J’arrive enfin sur l’aire et sa voiture est toujours là, et lui dedans. Apparemment il attend quelque chose ou quelqu’un. Je repère un bosquet assez épais pour me dissimuler. J’ai retiré le jaune fluo. Je suis juste en face de lui, mais à une cinquantaine de mètres. Avec mes jumelles, je l’aperçois qui tapote son volant, consulte sa montre et regarde sans cesse dans le rétroviseur. J’espère que cela ne durera pas longtemps car il fait un froid de canard. Il est 7h48, et ça caille sec. Le ciel est noir de menaces, d’ici peu ça va me tomber dessus, et je n’ai pas pris mon imper. Mais j’ai mon thermos de café, j’ai le temps de m’en jeter un petit pour me réchauffer. Bingo ! une BMW noire vient à son tour de s’engager dans l’aire de repos et se gare à dix mètres derrière lui. Deux types en costume en descendent, l’un semble faire le guet, tandis que l’autre qui tient un attaché-case monte dans la première voiture. Me reste plus qu’a prendre les photos. Je coince le dictaphone dans une branche. Voilà. (On entend les clics de l’appareil photo). Ça y est, le type en costume vient de sortir de la voiture. Il porte sous le bras une grande enveloppe kraft que vient de lui remettre le surveillé et il n’a plus son attaché-case qui devait contenir une jolie somme. Les soupçons de la direction étaient donc fondés, un secret de fabrication vient probablement de changer de mains. Je n’aimerais pas être à la place du vendeur, il a peut-être touché le paquet, mais il va comprendre sa douleur. Ha ! Ha ! Sale temps pour les balances. Maintenant, un petit café ! Terminé.

    Lundi 20 octobre 2009.

    Je venais de prendre trois kilos en quinze jours à force de déjeuner tous les midis au restaurant Le Mistral, à Courbevoie, là où tous les salariés de la société M., spécialisée dans les logiciels informatiques, viennent déjeuner. Au bout d’une semaine de fréquentation assidue, ma tête étant devenue familière, je pus m’asseoir à la table commune sans éveiller une quelconque attention. Il me fallut trois autres jours pour que l’on m’appelle par mon prénom. J’avais fini par m’immiscer discrètement dans les conversations, après tout j’étais un salarié comme les autres, travaillant dans la communication, un vaste domaine qui ne voulait rien dire de précis, mais qui jetait assez de fumée pour faire écran et s’abriter derrière. Je me montrais envieux de leur société et je glanais des renseignements pour en faire partie, moi aussi. J’étais curieux de tout savoir sur leur entreprise, et eux, tellement fiers d’en vanter les mérites et les avantages. Ma stratégie était bien au point. D’abord, j’attaquais sur la dureté des temps qui courent, la mondialisation, la concurrence déloyale des pays d’Asie, les trente-cinq heures et les heures sup. Tous avaient quelque chose à dire sur le sujet. Les RTT, les salariés de M. étaient pour, à cent pour cent. La plupart d’entre eux étaient mariés, avaient des gosses et voulaient profiter de leur temps libre. Avec la sortie d’un procédé révolutionnaire prévue à la fin de l’année, ils deviendraient leaders dans leur domaine et feraient des gains de productivité. Je supposais que la société qui m’avait engagé était l’un de leurs concurrents immédiats. Sans pour autant me mettre dans la confidence, car je n’étais que la modeste pièce d’un système, j’avais deviné qu’elle procéderait à un rachat d’actions, voire à une OPA sur la société M. Ils voulaient juste connaître la date de sortie dudit procédé. Moi, j’avais gagné 3000 euros, tous frais payés et trois kilos en plus.

    Souvent, je rentrais complètement vanné à force d’avoir suivi un contrat à travers tout Paris. On ne s’imagine pas la fatigue que l’on peut accumuler, même pour un travail qui consiste à attendre dans sa voiture, des heures entières, mais toujours sur le qui-vive. C’était cela le facteur principal de mes coups de pompes à répétition. Les nerfs, jamais détendus, prêts à réagir à la moindre alerte. Je fis des courses rapides et allais me poser chez moi, devant mon écran plat regarder le film que je venais de louer.

    Mardi 21 octobre 2009. Soir.

    On frappa à la porte.

    – Entrez Aminata, lançai-je, assis à mon bureau, concentré sur ma calculette, en train d’accomplir la seconde plaie de mon métier après les séances d’attente interminables dans la voiture : comptabiliser les nombreuses notes de frais occasionnées en 8 jours, 2 nuits et 1400 kilomètres à travers la banlieue sud de Paris, 4 pleins au sans-plomb, 160 heures de voiture, 32 canettes de bière, 24 sandwichs, 8 paquets de cigarettes, 2 péages d’autoroute à 4,50 euros, une carte mémoire pour mon appareil photo numérique, omettant à regret les deux prestations de prostituées auxquelles j’avais eu recours durant ce boulot. Je trouvai quand même un moyen d’amortir ces petits extras aux frais du commanditaire en surfacturant certaines dépenses.

    Je levai soudain la tête, m’étonnant de n’avoir pas déjà entendu le salut chantant de la femme de ménage « bojour, Mossieu Bast, ça va bien aujourd’hui ? » qu’elle répétait invariablement en ouvrant la porte, pour aussitôt poser son manteau sur une chaise et filer dans la pièce à côté s’emparer du balai et de la serpillière.

    – Je ne m’appelle pas Aminata, répondit d’une voix un peu hésitante, une jeune femme plutôt pas mal foutue. Êtes-vous… Jérémy Bast, détective privé ?

    – Vous avez frappé à la bonne porte, Mademoiselle, et l’appellation exacte est « agent privé de recherche », rectifiai-je surpris, et avec un sourire un peu niais, mais le joyau de ma collection face au genre féminin. Mon tarif, c’est 55 euros de l’heure, 68 la nuit et 230 le forfait photos. À votre service. Mais je préfère vous prévenir, je suis très pris en ce moment. Ceci dit, de quoi s’agit-il ?

    Alors la fille s’est mise soudain à jouer à fond du bassin, faisant soulever à chaque pas sa courte jupe qui montrait deux genoux parfaits, dont l’un d’eux, le gauche, possédait en son milieu un petit grain de beauté. J’avais jamais vu un truc pareil, situé juste sur la bosse du genou, assez gros pour accrocher le regard, mais discret, élégant, tel un label de qualité. Je ne sais pas si je me fais bien comprendre en l’expliquant ainsi, les mots me manquent, il faut le voir. J’étais fasciné par sa rondeur parfaite, sa chaude couleur marron sur son genou blanc, un point d’horizon au milieu d’un… d’un… désert de douceur… et c’est à peine si j’entrevis qu’elle s’avançait en faisant tournoyer son sac à main de plus en plus vite autour de son bras.

    – Je tenais personnellement à vous remercier, non seulement de faire perdre leur boulot aux gens, sale connard de mouchard, mais aussi de les conduire au cimetière. Assassin ! a-t-elle lâché.

    Fasciné par le grain de beauté qui me faisait de l’œil, le téléphone se mit de la partie en sonnant, et acheva de me déconcentrer. La suite, c’est 36 chandelles qui se sont toutes allumées en même temps pour me faire fête, tandis que je vacillai en arrière, emportant le bureau, le téléphone, les appareils photos, les pellicules, la paire de jumelles 10x50, les factures, la calculette, avec moi.

    Et ma voix dans le dictaphone qui crachait : « 7 heures du matin, la voiture du surveillé vient de sortir du garage… »

    CHAPITRE II

    « Mossieu Bast, Mossieu Bast, réveillez-vous ! Ouh là là là là! Mossieu Bast ! Qu’est-ce qu’on vous a fait mon pôve mossieu ? Vous êtes pas mort au moins ? Réveillez-vous ! Ouh là là!

    La tête gonflée comme une citrouille, les lèvres pendouillantes et respirant comme un phoque sur la banquise, j’ouvris difficilement un œil, mais pas l’autre. Pour apercevoir la moitié de la femme de ménage soulever le bureau et me libérer la poitrine.

    – Mer… ci Ami… nata, qu’est-ce qu’il a mon œil ? Il me fait un mal de chien et j’y vois que… que dalle.

    – Il est tout noir et fermé, mossieur Bast. Ouh là là, c’est pas beau ça !

    – Putain de merde, qu’est-ce qui m’est arrivé ? Aidez-moi à me relever, s’il vous plaît.

    Elle saisit mon bras et me releva comme elle l’eut fait d’un fétu de paille. Mes jambes flageolantes se dérobèrent sous moi et Aminata me rattrapa in extremis, me plaquant brutalement contre son opulente poitrine. Elle m’entraîna jusqu’au vieux canapé en cuir jaune où je m’allongeai. Pas moyen d’ouvrir mon œil gauche obstrué par quelque chose de lourd et d’opaque. Fallait absolument que je me vois dans un miroir et j’appréhendais déjà le pire : une tendance à l’hématome disproportionné et à durée interminable.

    Je parvins tant bien que mal à me remettre sur pieds et à me traîner jusqu’au lavabo. Jamais encore mes jambes n’avaient autant souffert sous mon poids, et la tête me tournait. Mon œil gauche n’était plus qu’une vilaine chose informe, toute violacée. L’autre était tout ahuri d’être encore ouvert et de voir l’étendue des dégâts. Quant à mes lèvres, je me demandai si l’inférieure n’allait pas se mettre à traîner par terre. J’étais bon pour sucer de la glace pendant un bout de temps. Par bonheur, mes dents n’avaient rien pris. Il n’aurait plus manqué que je me fasse refaire la devanture. Assujetti à une profession libérale et débutant dans la carrière, ma couverture sociale était plutôt légère. Je crois même que je n’étais pas à jour de mes cotisations. Tout réfléchi, j’avais même de la chance. Aminata me prépara une serviette enveloppée de glaçons qu’elle m’appliqua sur le visage.

    Doucement, je repris mes esprits et essayai de reconstituer ce qui s’était passé. Une femme avait fait irruption dans mon bureau, mais, bon sang, rien à faire, je n’arrivais pas à lui mettre un visage, à celle-là. D’ailleurs, elle portait de larges lunettes noires, genre italiennes, avait un manteau court, en fausse fourrure, la couleur ? Macache ! Quant à la fille, elle était blonde, châtain… blonde ? Je n’aurais pas su dire. Tout était allé si vite. Elle me connaissait puisqu’elle m’avait appelé par mon nom, et décliné ma profession. Donc aucune erreur sur la personne. J’avais beau essayer de me remémorer son visage, c’était impossible et la seule chose dont je me souvenais avec précision, c’étaient ses… genoux.

    Ah ces genoux… comment dire… Ils étaient pas gros, pas maigres, pas moyens non plus, parfaits. Des genoux bien ronds que je n’avais jusqu’alors vus que sur des statues grecques au musée du Louvre. Un galbe impeccable, magnifiquement enveloppé dans des collants de couleur chair, me semblait-il. Celui de gauche surtout était frappé d’un sublime petit grain de beauté en son milieu. C’est cela même qui m’avait perdu. Obnubilé par cet adorable lentigo, je n’avais pas vu le coup arriver. Elle avait dit venir me remercier d’avoir fait perdre leur boulot aux gens, et… Elle m’avait traité de connard, mouchard… d’assassin ! Et même accusé d’envoyer les gens au cimetière. Assassin ! Moi ? Qui avais-je tué au juste ? La moindre des choses, c’eut été de me le dire, parce que moi, franchement, je ne voyais pas. Sans doute, cette fille était-elle complètement folle. C’était n’importe quoi. Mais ce qui l’était encore plus, c’était que l’évocation de son petit lentigo, venait de provoquer chez moi une érection inattendue. Le contrecoup, sans doute, je me mis à grelotter de froid et je demandai à Aminata une couverture.

    L’émotion et un sédatif aidant, je m’endormis aussi sec sur le canapé après avoir entendu Aminata s’en aller, ayant décroché le téléphone et fermé à double tour le bureau derrière elle.

    Elle sortit du métro Hôtel-de-Ville en proie à des bouffées de chaleur. Sa veste de mouton retourné lui collait sur les épaules à cause du temps qui s’était subitement radouci. Drôle d’automne finissant où la plupart du temps manquait le froid. Et, lorsqu’il arrivait enfin, c’était pour se réchauffer le lendemain. Un temps à vous faire perdre la notion du temps. Il était encore tôt, dix-sept heures à peine, pourtant la lumière du jour s’éteignait déjà. Elle se dirigea vers le 9 de la rue Saint-Martin, pas seule, le trac, des picotements dans les jambes et la gorge sèche l’accompagnaient. N’étant pas d’une nature belliqueuse, elle devait mentalement entretenir constamment sa colère pour accomplir ce qu’elle avait sur la patate. Elle n’avait pas giflé quelqu’un depuis le lycée. Un certain Jules, qui s’était permis de mettre la main sous sa robe, un jour de printemps. L’évocation lui arracha un sourire furtif. Elle se demanda si, des années plus tard, elle saurait encore gifler quelqu’un. Sans doute. Coller une baffe, ça ne s’oublie pas. C’était avant tout une question de motivation qu’elle maintenait vive par des insultes répétées en boucle. Connard, sale con, pauvre mec, fils de pute… Dans sa tête, elle se fit un scénario. Surtout éviter d’engager une conversation avec cet enfoiré de détective. Il serait fichu de s’en tirer avec une simple admonestation verbale, aussitôt oubliée. Ce salopard de fouineur, ce chien au service des patrons, devait recevoir une leçon pour ce qu’il avait fait. Mais frapper quelqu’un qu’on n’a jamais vu et qui ne vous a rien fait directement, n’était pas évident. L’envie de repartir la prit, prétexter un malaise, n’importe quoi. Mais non, elle devait accomplir ce à quoi elle s’était engagée auprès du groupe, et c’était un passage obligé afin d’être adoubé par lui. Une gifle ne lui disait rien, un coup-de-poing encore moins. Pas son genre. Elle fouilla dans son sac pour prendre une cigarette et aussi, sans doute, ralentir le moment fatidique. Elle alluma sa clope et tira dessus nerveusement. Passant devant une boutique qui vendait des bibelots importés d’Asie, elle repéra sur un présentoir un réveil de poche en métal, couleur rose bonbon. Carré, solide, sans être trop encombrant, il pouvait parfaitement faire l’affaire. Pour 5,80 euros, elle acheta le réveil qu’elle glissa dans son sac. Il pesait bien son poids et l’épaisseur du sac amortirait le choc. Elle ne voulait pas détraquer le réveil, ni tuer le type. La motivation remonta alors d’un cran et l’amena au pied d’un de ces immeubles du vieux Paris, surplombant une rue pavée devenue zone piétonne au moment de l’aménagement du centre Beaubourg. Sur la porte était apposée une plaque :

    J. Bast, Agent Privé de Recherche et Filatures 2e étage gauche

    Elle poussa la porte, heureusement sans digicode, et s’engagea dans un escalier qui tournicotait, aux marches recouvertes d’un tapis. Chaque marche voulait la dissuader de monter lui flanquer la trouille, mais elle tint bon malgré la lourdeur de ses jambes. Parvenue devant la porte, elle se rassura en sentant sur son épaule le poids de son sac à main. Elle prit sa respiration et frappa fermement. Attendit, et n’entendit rien. Presque soulagée, elle s’apprêtait déjà à repartir, regrettant tout aussitôt de devoir remettre cela au lendemain et surtout de repasser par toutes les pénibles étapes de l’appréhension. Soudain une voix de l’intérieur de l’appartement lui cria d’entrer. Penché sur son bureau, simplement éclairé par une lampe d’architecte, l’homme attendait manifestement une certaine Aminata. La trentaine à peine, le visage poupin, elle se l’était imaginé plus âgé, il était occupé à faire ses comptes sur une calculette, il leva la tête, la regarda étonné, ahuri. S’agissait pas de se tromper, elle vérifia son identité et obtint même son tarif pour le même prix. Avec un sourire imbécile, il mata ses jambes en roulant des yeux comme des billes, et provoqua chez elle la montée d’adrénaline qui fit déborder le vase. Elle ôta son sac de son épaule, le fit tournoyer au bout de sa main, de plus en plus vite, et marcha crânement vers le connard.

    CHAPITRE III

    La face de l’homme penchée sur moi n’avait rien d’avenante et puait l’alcool. J’hésitais entre cauchemar et réalité, mais elle mit le son.

    – Eh ben dites donc, mon vieux, on vous a bien arrangé.

    – Hein ! Sacrément, et je ne vois plus que d’un œil. Qui êtes-vous ?

    – Police ! dit la face en exhibant une carte tricolore. C’est bien vous, Bast, qui exercez le métier d’Agent privé de recherches et filatures ?

    Je me redressai, ressentant d’un seul coup mon corps endolori.

    – Oui ! Aie ! J’ai mal partout ! La police ! Hein ! Qui vous a averti ? Mais comment êtes-vous entré ? La femme de ménage avait fermé la porte à double tour, je m’en rappelle.

    Le policier interrogea du regard un deuxième homme, enrobé, de type méditerranéen, qui se tenait en retrait.

    – C’est justement votre femme de ménage qui nous a prévenus que vous vous étiez fait agresser. Une chance encore qu’on passait dans le coin. Quant à votre porte, elle n’était pas fermée, n’est-ce pas, collègue ?

    L’autre policier secoua la tête d’un air entendu.

    – Exact ! Et puis on a frappé, mais, en vain. Normal, vous étiez dans les vapes.

    – J’aurais pourtant juré qu’elle était fermée.

    – Dans votre état, on se mélange les pédales, c’est normal. Qu’est-ce qui vous est arrivé, monsieur ? Racontez-nous.

    Ma migraine revenait en force, sans doute due à l’effort que je fis pour me rappeler des faits.

    – Une femme a fait irruption dans mon bureau et m’a frappé d’un coup de sac à main. J’ai perdu connaissance.

    L’enrobé ricana.

    – Un coup de sac à main, rien que ça ! Elle n’y a pas été de main morte, dîtes donc.

    – J’ai été surpris, c’est tout ! dis-je, vexé.

    – Ouais, reprit le premier, les femmes sont parfois surprenantes. Que vous voulait-elle au juste ?

    – Me remercier de faire perdre leur emploi à des gens, qu’elle m’a dit. Elle m’a même traité d’assassin. Vous vous rendez compte ?

    – Tiens donc ! Vous auriez donc provoqué des licenciements par vos agissements ?

    – Mais ça va pas ! Quels licenciements d’abord ? D’abord, ce que vous appelez des agissements, c’est un travail, figurez-vous. Ça m’arrive, c’est vrai, de pister des salariés sur demande des entreprises. Même que ce n’est pas ce que je préfère, mais faut bien faire le boulot. Seulement une fois que j’ai remis mon rapport, j’ignore ce qu’il advient d’eux.

    Celui qui posait les questions pointa son index vers moi.

    – Vous vous en lavez les mains, en quelque sorte !

    – Non, j’ai fait mon boulot, c’est tout. Si ces personnes n’ont rien à se reprocher, il ne leur arrive rien.

    – Qu’en savez-vous, puisque vous venez de dire que vous ignorez ce qu’il advient d’eux.

    – Je ne réponds pas à ça, dis-je en haussant les épaules.

    Avec leurs questions à la con,

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