Les Fils: Le duel inégal d'un mort et d'un vivant
Par Lolvé Tillmanns
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À propos de ce livre électronique
Dans une petite ville romande, deux garçons s’affrontent. Cédric sera le souffre-douleur et Raphaël le harceleur. Trente ans plus tard, les rôles de l’enfance n’ont plus cours. Cédric, devenu un ambitieux PDG, engage un homme à tout faire, Raphaël. Mais cet employé bien particulier se pend dans le local technique laissant son patron seul face à leur enfance. Cédric se rend alors chez la mère de Raphaël pour en savoir plus sur celui qui fut son bourreau. Et sa victime.
Cette incursion aux frontières du roman noir est une occasion pour la romancière genevoise d’offrir au lecteur un nouvel aperçu de son talent. Après la chronique de voisinage virant au récit post-apocalyptique (33, rue des Grottes), après la fresque familiale (Rosa), Lolvé Tillmanns démontre une nouvelle fois son talent pour se réinventer et surprendre son lectorat.
Avec Les Fils (choisissez votre prononciation), Lolvé Tillmanns joue sur les dialogues qui détruisent, les mots qui, peu à peu, réduisent en lambeaux ses personnages.
EXTRAIT
Maria s’en va et je reste seul à mon bureau. Raphaël s’est foutu en l’air, ici, dans mon entreprise. Son corps pendouille trois étages plus bas. J’ai la nausée. J’aimerais de la pluie, des torrents de pluie, mais le soleil d’automne me rentre obstinément dans les yeux. Saloperie de baie vitrée. Je ne vois rien, ne comprends rien. Suis-je heureux de cette joie malsaine que procure la vengeance ? Je m’appuie contre mon bureau, secoue la tête, reprends-toi. Il faut que je sorte. Je vais m’étourdir de réunions, ne plus y penser. Le travail, il n’y a que ça de vrai.
CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE
Les dialogues y sont ciselés afin de donner à entendre des voix authentiques, la psychologie des personnages y est approfondie; l'auteure donne ainsi à voir des personnages d'une belle épaisseur qui ne laissent pas indifférent. - Francis Richard, blog Fattorius
À PROPOS DE L’AUTEUR
Née en 1982, à Morges, Lolvé Tillmanns a décidé un beau jour de quitter le marketing pour la littérature. Nul doute qu’elle a fait là un choix judicieux.
En savoir plus sur Lolvé Tillmanns
33, rue des grottes: La survie dans un monde rendu à sa sauvagerie Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationRosa: Roman familial Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
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Aperçu du livre
Les Fils - Lolvé Tillmanns
fiction.
1
Le soleil ne peut plus faire illusion, les journées raccourcissent. Il fait froid ce matin, la rosée s’est condensée sur le pare-brise. Je n’écoute pas les nouvelles de l’autoradio, je veux de la musique, Earth, Wind and Fire. Je sifflote en tapant le rythme disco sur le volant. Le parking, ma place tout près de l’ascenseur. Je ferme ma belle Audi d’un bip-bip jouissif. Je ne croise personne dans les couloirs, n’entends que le bruit de mes pas, le léger froissement de mon costume. Il est sept heures quarante-cinq. J’aime arriver tôt. Le soleil se lève à travers ma grande baie vitrée. Je ne cherche pas le lac, je sais qu’il est là. Avoir une vue sur le lac. C’est ça, le succès par ici. J’allume la lumière. Sur le bureau, sur la table, par terre, des tas de feuilles, des dossiers. Des taches de café. La femme de ménage a enfin compris ; personne ne touche au bordel du patron. Je démarre l’ordinateur, ferme de suite ma boîte mail. Maria me trie le tout chaque soir. Il y a déjà des années qu’elle me le proposait, mais je résistais pour une raison obscure. Maria sait toujours ce qu’il faut faire. Je la contredis pour le sport, elle adore ça. L’ordinateur bipe, j’ouvre l’agenda, que j’ai déjà en tête. Deux meetings en interne, un journaliste, la chambre de commerce et un conseil d’administration à dix-neuf heures. Un de plus. Ces machins-là se multiplient les uns les autres, comme par magie. Je n’accepte pas tout. Rien que des affaires dont je comprends les tenants et les aboutissants. Même règle de conduite pour les placements financiers. Mon banquier m’appelle « le capitaliste à la grand-papa ». Je n’ai pourtant que quarante ans, mais c’est ma façon de voir les choses. J’ai encore des valeurs. L’argent doit se mériter. Et je le mérite. J’ai tout fait tout seul, à partir de rien. J’ai trimé pour cette réussite, je l’ai voulue et je l’ai eue. Et je n’oublie rien. J’ai acheté l’immeuble dans lequel j’ai loué mon premier appartement, à peine vingt mètres carrés qu’à l’époque je ne pouvais pas me payer ! J’avais piqué de l’argent au vieux pour la caution. J’y ai décroché mon premier contrat, j’y ai construit mon modèle d’affaires. Et j’y ai mangé des tonnes de pâtes au thon. Tout était déjà là, dans ce misérable clapier à lapin. Aujourd’hui, ce vieux bâtiment pourri est l’un de mes meilleurs investissements. C’est avec ce qu’il me rapporte que j’ai investi dans ma dernière start-up, un bon concept de quatre étudiants de l’EPFL – l’argent de ce trou à rats ne peut servir qu’à nourrir de nouvelles idées. Ces quatre gamins suivent le cours From the Idea to the Market que je donne toutes les deux semaines. Ils m’invitaient depuis des années, les grands pontes de la grande université. Moi qui n’ai en poche qu’une toute petite maturité professionnelle. Je n’ai accepté que cette année. Auparavant, j’étais encore trop amer. J’ai finalement compris que je n’aurais jamais réussi dans les affaires si j’étais allé dans une grande école. Réfléchir ne rapporte rien, il faut foncer et aucune école ne vous apprend ça.
Je prends quelques notes sur un dossier, feuillette le dernier rapport de la chambre de commerce, consulte les cours de la bourse. Aucun autre bruit que le tapotis des touches sur mon clavier. Il est neuf heures. Maria n’est pas venue boire le café ni me briefer sur la journée. Personne ne m’a salué par la porte entrebâillée, personne n’a encore emprunté ce couloir ni aucun autre de l’étage. Il se passe quelque chose d’anormal. Je fouille dans ma veste. Mon smartphone. Une dizaine d’appels en absence du portable de Maria. J’effleure son numéro de l’index, ça sonne. Elle raccroche immédiatement et un SMS s’affiche : ne bouge pas. Je me lève, regarde le lac par ma grande baie vitrée. Sur le parking, j’aperçois une voiture de police. J’ai peur, mais je ne sais pas de quoi. Je m’agace, je marche, fais les cent pas entre mon fauteuil et le petit canapé pour les invités. Enfin, j’entends un excitant frottement de bas, une démarche de femme. J’ouvre ma porte et je vois Maria, son téléphone à la main, comme toujours.
– Mais qu’est-ce qui se passe, bordel ?!
J’ai crié, très fort, trop fort.
– Calme-toi, respire profondément.
– OK, OK, désolé. Dis-moi ce qui se passe !
Elle pose sa main sur ma poitrine. Maria est grave, mais elle m’apaise, comme toujours.
– Un employé est mort.
– Quoi ? Si c’est une blague, elle est très mauvaise !
– Calme-toi. Malheureusement, c’est très sérieux.
– Mais qui ? Comment ?
– Raphaël Cornuz, l’homme à tout faire. Il s’est pendu dans le local d’entretien, très tôt ce matin.
– Putain de merde.
– Comme tu dis.
– Je me sens mal.
– Assieds-toi, là, voilà. Je t’apporte un verre d’eau.
Je transpire, j’ai chaud. Je bois l’eau d’une traite.
– La police est là, ils vont venir te voir. Ils posent des questions un peu partout. Je me suis esquivée pour te l’annoncer moi-même.
– Merci, Maria. Qu’est-ce que je dois dire aux flics ?
– Qu’est-ce que tu veux leur dire ? Tu travaillais pas avec lui, il changeait les ampoules. Je suis même pas sûre de me rappeler la tête qu’il avait. Et toi ?
– Vaguement.
– Te fais pas de souci pour les flics, c’est la procédure. Un type se suicide sur son lieu de travail, la police interroge les collègues et le patron.
– La procédure, bien sûr…
– T’inquiète pas, il travaillait tout seul, impossible de nous accuser de mobbing. C’était juste un pauvre type déprimé. Les flics ont dit qu’ils viendraient te poser deux, trois questions de routine dans l’après-midi. Je vais libérer ton agenda de suite. Ça ira ?
– Ça ira. Annule le moins possible de rendez-vous.
– Très bien, tu commences dans dix minutes dans la salle Jura.
– Maria ?
– Dis-moi.
– Rappelle-moi où il est, le local technique où…
– Au premier, dans un recoin, à côté du data center. Toute la zone va rester fermée aujourd’hui.
– Et lui ? Il va rester longtemps là-dedans ?
– Non, t’inquiète pas, le médecin va emporter le corps très vite.
Maria s’en va et je reste seul à mon bureau. Raphaël s’est foutu en l’air, ici, dans mon entreprise. Son corps pendouille trois étages plus bas. J’ai la nausée. J’aimerais de la pluie, des torrents de pluie, mais le soleil d’automne me rentre obstinément dans les yeux. Saloperie de baie vitrée. Je ne vois rien, ne comprends rien. Suis-je heureux de cette joie malsaine que procure la vengeance ? Je m’appuie contre mon bureau, secoue la tête, reprends-toi. Il faut que je sorte. Je vais m’étourdir de réunions, ne plus y penser. Le travail, il n’y a que ça de vrai.
Pas de rire dans les couloirs. Le suicide se chuchote autour de la machine à café, une femme sanglote, on me regarde. Je prends l’ascenseur, contourne le premier étage. La journée se traîne, je n’entends rien, je valide, inconscient. Je mange un panini devant mon ordinateur, tripatouille le clavier comme si j’étais encore un petit programmeur. Je les entends arriver juste après l’heure du lunch. Un gros accent vaudois se balade dans le couloir qui mène à mon bureau, on frappe. Deux hommes, suivis de Maria, se plantent devant la baie vitrée.
– Bonjour Monsieur. Je suis l’inspecteur Corbaz, et là, c’est mon collègue, l’agent Da Rosa. Vous savez pourquoi on vient vous voir ?
– Maria me l’a annoncé ce matin.
– Vous avez l’air secoué. Vous le connaissiez ?
– Pas vraiment. Mais vous savez, c’était mon employé quand même. Ça fait quelque chose.
– Je vois.
L’inspecteur Corbaz me scrute. Je me sens très mal à l’aise.
– C’est quand la dernière fois que vous l’avez vu, ce monsieur Cornuz ?
– Je sais pas exactement, j’ai dû le croiser dans les couloirs la semaine dernière. Ou la semaine d’avant, quand il réparait le sèche-mains des toilettes pour hommes.
– Qu’est-ce qu’il faisait exactement pour vous, cet employé ?
– Il s’occupait des petits travaux dans le bâtiment, changer les ampoules, réparer une fuite, ce genre de choses.
– Je vois. Y a beaucoup à faire, dans le bâtiment ?
– Je sais pas, je suppose. Nous avons quatre étages, cent douze, enfin cent onze employés maintenant.
– Comment ça se passait, concrètement, une journée pour Raphaël Cornuz ?
– Je…
Maria me coupe la parole.
– Monsieur Faure est le PDG de l’entreprise, il n’est pas au courant de ce genre de détails.
– Je vois. Je vous demanderai de laisser parler votre chef lorsque je lui pose une question, même si peut pas y répondre. Donc, Monsieur Faure, selon vous, comment ça se passait les journées pour cet employé qui s’est pendu ce matin ?
– Je… je sais pas vraiment. Je crois qu’il était très indépendant, qu’il travaillait tout seul.
– C’est effectivement ce qui est écrit sur le papier que mon collègue a ramené de vos ressources humaines.
– Excusez-moi, l’interrompt Maria, vous avez fouillé dans nos bureaux ? Vous nous accusez de quelque chose ?
– Madame, nous faisons rien de plus que notre travail. Et nous le faisons comme y faut. Votre responsable RH nous l’a donné, ce papier.
Maria agrippe le document et le parcourt de ses yeux noirs, brillants. Sans relever la tête, mais en haussant le ton, elle dit :
– Je ne comprends pas pourquoi vous faites tant de mystères, notre homme à tout faire était déprimé et il a décidé d’en finir. C’est très triste, toute l’entreprise est sous le choc, mais je ne vois pas en quoi déranger nos équipes peut y faire quelque chose !
– Madame, croyez-en mon expérience, un gaillard qui se tue dans son entreprise, ça a quèque chose à voir avec son travail. S’il a fait sa connerie tout seul, il vous arrivera rien, rien de rien. Alors, ne vous souciez pas trop