Le miroir des contraires: Roman
Par Martine Higonnet
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À propos de ce livre électronique
Les dirigeants de l’entreprise veulent moderniser les processus de fonctionnement du département de la communication. Ils ont décidé d’embaucher une directrice adjointe chargée de la mise en œuvre aux côtés de la directrice de la communication. Les deux femmes ont la même mission, réussir le changement. Y parviendront-elles ? Tous les ingrédients existent pour que le binôme atteigne l’objectif. Mais la part de soleil de l’une ne va-t-elle pas faire de l’ombre à l’autre ?
Découvrez ce roman intriguant qui vous plongera dans le monde des entreprises d'aujourd'hui !
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Aperçu du livre
Le miroir des contraires - Martine Higonnet
I
Diane
Le taxi remonte le boulevard du Montparnasse. Nous allons bientôt atteindre le boulevard de Port-Royal. Arriverai-je à temps à l’hôpital ? Les « petites », c’est ainsi que Maddy appelle ses collaboratrices, m’avaient téléphoné pour me dire qu’elle avait été transportée à l’hôpital, terrassée par un malaise qui l’avait plongée dans un coma profond. Mes pensées se bousculent. Que s’était-il passé ? Il est presque dix-huit heures. Dans les rues, une ambiance de sortie de bureaux, qui malheureusement se traduit par un trafic de voitures monstre. Le carrefour est évidemment, comme chaque soir, embouteillé.
–Nous arrivons bientôt, madame, me dit le chauffeur, jetant en même temps un coup d’œil vers moi dans son rétroviseur.
Je ne réagis pas, perdue dans mes pensées.
–Je me mêle probablement de ce qui ne me regarde pas, mais vous semblez tellement préoccupée. Est-il arrivé quelque chose de grave à l’un de vos proches ? ajoute-t-il.
–Ce n’est pas vraiment cela, je réponds d’une voix monocorde.
Je continue à échafauder des hypothèses. Christelle ne m’a pas dit grand-chose au téléphone. Maddy venait de recevoir un sous-traitant en début d’après-midi, lorsqu’elle s’était écroulée juste après son départ. À ce moment-là, j’étais en réunion chez un client pour un contrat difficile. On n’avait pas voulu me déranger. Ce matin, elle semblait en pleine forme, affairée telle une fourmi. Je ne la connais pas depuis longtemps. Notre collaboration remonte à un mois. Quel sacré bout de femme !
–Voilà, vous êtes arrivée au plus vite, me lance le chauffeur, content de montrer qu’il sait fort bien manœuvrer dans les embouteillages.
Je paie la course et bafouille un rapide merci. Je m’élance en dehors du taxi et me précipite vers les urgences. Là, je tombe tout de suite sur Marion.
–Alors ? dis-je.
–On attend. Les médecins ne disent pas grand-chose. Ils sont perplexes. Son cas n’est pas courant. Elle a probablement reçu un grand choc psychologique.
Marion tremble. C’est elle qui a découvert Maddy inanimée. En fait, c’est elle qui est en état de choc.
–Est-il possible de la voir ?
Marion me montre une porte d’où sort un homme en blouse blanche avec un stéthoscope autour du cou qui, je pense, est le médecin. Celui-ci me fait signe de ne pas entrer. Il y a déjà trop de monde. Je précise que je suis son adjointe, donc sa plus proche collaboratrice. Il me laisse entrer.
Je pousse la porte. Un spectacle irréel s’offre à moi. Je découvre une nuée de têtes penchées sur quelque chose d’inerte. Toutes ces têtes devenues familières depuis peu, ce sont les « petites ». Elles sont là, regardant Maddy. Une quinzaine de têtes allant du blond au brun, en passant par le châtain, attend un signe de réveil. Je me penche à mon tour. Je regarde ce corps immobile, filiforme, habillé de noir comme tous les jours. Apparemment, le corps médical la traite sans la dévêtir. Ce n’est pas possible, me dis-je. Ce petit bout de femme ne peut pas être définitivement anéanti. Contrastant avec le noir, de multiples tuyaux de couleur convergent vers la malade. Ils sortent des murs et du plafond. Je me demande où je suis. J’ai le cerveau qui s’active sans comprendre ce spectacle inattendu.
–Elle respire, je l’entends. Alice tente de rassurer les autres.
Mais où sont les médecins, les infirmières ? Pourquoi ont-ils permis à autant de personnes d’entrer dans cette salle ? Je ne comprends rien à la situation. Je continue à analyser le spectacle qui s’offre à moi. Je regarde les tuyaux un à un. Le rouge est relié au bras droit, le jaune au bras gauche. Un tuyau vert est branché au niveau des narines, peut-être pour symboliser l’air frais qui va ressusciter notre Maddy. Le long des jambes, tels de petits ruisseaux, des tuyaux de diamètre inférieur pénètrent la peau de place en place. Cette scène, avec la symphonie des couleurs qui la compose, pourrait inspirer un grand maître de la peinture, me dis-je. Je continue à examiner en détail tout cet attirail qui est supposé redonner vie à ce corps inerte. J’aperçois des inscriptions sur chacune des branches de l’espoir : Tiburce & Associés, Legrand, Moïse, Beethoven communication, Discours Management, Organisation.com. Que des noms de sociétés de sous-traitance, celles qui ont été appelées en sauvetage du département qu’elle dirige ! Est-ce possible ? Du coup, je cherche mon nom. Moi aussi, j’ai été appelée en sauvetage de la situation. Il nous faut du sang neuf, m’a-t-on dit, pour réorganiser les équipes et mener la conduite du changement. La conduite, tiens le mot est intéressant. Je me souris à moi-même. Finalement, on est en plein dans une affaire de tuyauterie… mais je ne trouve pas mon nom.
La porte s’ouvre. Toutes les têtes se redressent formant une corolle de pétales comme dans les grands ballets d’opéra. Un médecin et une infirmière entrent. Ils vérifient les données s’inscrivant sur un ordinateur géant. Le front de l’homme se plisse. Sa ride du lion devient profonde. Quelque chose ne lui plaît pas dans ce qu’il constate. Il écarte les ballerines. Il regarde Maddy, toujours immobile, mais son teint est différent. Les « petites » et moi, nous regardons à notre tour. Que se passe-t-il ?
–Vite, appelez le Dr Soustrait, crie-t-il à l’infirmière.
–Il n’est pas de service aujourd’hui, Docteur. Le médecin de garde est le Dr Trant.
–Bien, faites vite, allez le chercher. La patiente est en surdose. Il faut modifier le débit d’arrivée des sous-traitants.
Je me réveille en sursaut. Je suis dans mon lit. Il est six heures du matin, heure de se lever pour aller au bureau où, probablement, je vais trouver une Maddy en très grande forme, qui va m’accueillir d’un « bonjour, ma petite Diane » et je vais répondre « bonjour, Maddy, vous allez bien ? »
II
Maddy
J’allume ma cinquième cigarette depuis ce matin. Il est huit heures trente-cinq. Il n’y a encore personne au bureau, du moins à l’étage où se trouve mon département. Diane ne va pas tarder à arriver. Elle est mon adjointe depuis maintenant un petit mois. Elle m’est indésirable, et pourtant elle me sauve la mise dans l’immédiat. C’est moi qui l’ai choisie.
Il y a déjà presque deux ans que les premiers signes sont arrivés de la direction générale. Chaque lundi, j’ai une réunion avec le directeur général, Bertrand Molibi, tôt le matin. Ce tête-à-tête hebdomadaire me conforte dans ma position de collaboratrice privilégiée. Il me doit bien cela. Lorsqu’il est arrivé, poussant dehors sans élégance son prédécesseur, j’ai été la seule à le soutenir face à un staff hostile. Je savais que ma légitimité à ce poste de directrice de la communication avait été contestée quelques années plus tôt. En fait, j’avais profité d’une période d’intérim pour manœuvrer et me positionner au moment du départ de mon n+1. J’avais su me faire apprécier du prédécesseur de Bertrand, mais avec lui, depuis son arrivée, je sentais que tout pouvait être remis en cause. C’est quelqu’un d’honnête qui fait confiance d’emblée. Je n’ai eu aucun mal à le convaincre de mon dévouement à sa cause difficile. Un directeur général et sa directrice de communication ne doivent-ils pas fonctionner en parfaite osmose ? Je faisais depuis plus de trois ans ce qu’il fallait pour que le pot de miel soit plus grand que les conséquences de mon manque d’expérience en management. Bertrand aime être flatté. J’en ai fait un facteur de mon maintien à mon poste, jusqu’à ce lundi où, au cours de notre réunion hebdomadaire, tout a basculé.
–Écoute, Maddy, il faut que je te parle. J’apprécie beaucoup ta collaboration dynamique et dévouée. Tu es sans cesse sur le pont, mais j’ai l’impression de naviguer à vue. Notre Société se porte bien. Nous sommes reconnus par nos grands comptes, notre chiffre d’affaires le prouve, mais j’aimerais que notre image de marque ne reste pas entre professionnels et s’étende au grand public. Notre communication institutionnelle n’est pas suffisante. Nos messages sont entièrement à revoir.
–Mais, Bertrand…
–Ne m’interromps pas. Nous sommes un acteur majeur de la communication technique d’entreprise. Je veux que cela se sache. Nous devons absolument travailler sur notre notoriété et j’aimerais d’ailleurs être davantage mis en avant pour mieux incarner la marque. Pour tout dire, je songe à réorganiser ton département et peut-être à prendre un conseiller en communication.
Ce fut comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. Il n’avait pas besoin d’en dire plus. J’étais menacée dans mon poste. Depuis le début de notre réunion, j’avais bien senti qu’il ne me parlait pas comme d’habitude. Il avait tourné sa cuillère dans son café un long moment. Les mégots s’étaient accumulés dans le cendrier. Nous fumons autant l’un que l’autre. Lors de nos tête-à-tête, l’air de son bureau s’opacifie. Nos paroles voguent sur des nuages de fumée. J’aime humer cette atmosphère. Ce jour-là, l’air était pollué.
Heureusement pour moi, je ne baisse jamais les bras. Il ne fallait surtout pas perdre la maîtrise de la situation. Pour cela, je devais le devancer. Je me souviens avoir vivement répondu :
–Justement, Bertrand, je voulais t’en parler, mais tu ne m’en as pas laissé le temps. Il faut faire une grande opération de communication et que l’on parle de notre Société et de son directeur général, non seulement dans la presse spécialisée, mais également dans la presse grand public. Pour cela, j’ai besoin de conseils extérieurs et d’un budget plus important.
–Bon, je vois que tu vas dans mon sens, c’est bien. Ton département sera prioritaire pour les attributions budgétaires, me dit Bertrand.
Ce jour-là, j’avais gagné du temps. Du budget, j’en avais eu, des sous-traitants aussi. L’un d’eux avait trouvé qu’il me fallait absolument un directeur adjoint. Il en avait convaincu Bertrand. Il en avait même proposé deux avec un organigramme qui scindait les deux principales activités du département. J’allais être dépossédée de mon pouvoir. Heureusement, j’avais pu désamorcer l’idée du second adjoint. Pour l’autre, il fallait jouer le jeu et le sélectionner moi-même. Quelqu’un de compétent dans mes lacunes, à savoir le management et la conduite du changement, une personne honnête qui ne chercherait pas à m’évincer, une personne que je pourrais manipuler astucieusement pour la discréditer auprès de la direction et montrer que je suis la meilleure.
Au milieu de mes profondes réflexions, un peu diaboliques, je l’avoue, j’entends soudain la porte de l’ascenseur au bout du couloir. Il est neuf heures. C’est sûrement Diane. Les autres arriveront péniblement vers neuf heures et demie, comme d’habitude. Les bureaux se rempliront progressivement jusqu’à dix heures. Je devrais être plus sévère sur ce point. Mais cela fait partie de mon style de management ; disons de mon côté positif, qui me sert d’actif en tant que de besoin.
Des pas feutrés sur la moquette se rapprochent. Je connais déjà la cadence de marche de Diane. Elle va bientôt arriver à ma porte. Dans la