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Et tombent les morts
Et tombent les morts
Et tombent les morts
Livre électronique352 pages4 heures

Et tombent les morts

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À propos de ce livre électronique

POURQUOI AUTANT DE MORTS?

QUI DÉSIRE TANT LA STATUETTE, QUITTE À SUBIR LES FOUDRES DE KALI?

Une statuette de Kali, déesse qui aurait le pouvoir de vie et mort, est découverte sur le site de fouilles d’un temple hindou.

Corinne Dulac, journaliste spécialiste de l’occulte, mène l’enquête, mais découvre que la sculpture a été volée. La progression de ses recherches est marquée par les morts qui s’accumulent sur les traces de la déité ensorcelée.

Le fiancé de Corinne, le détective James Bergevin, et Alex Labonté, un ami et collègue, mènent alors une investigation, au risque d’empiéter sur les plates-bandes d’un autre enquêteur, qui ne comprend rien aux dangers semés sur son parcours.
LangueFrançais
Date de sortie25 oct. 2019
ISBN9782898036750
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    Aperçu du livre

    Et tombent les morts - Valérie Dionne

    pas.

    Prologue

    Québec, 9 août 1897

    La fraîcheur l’enveloppa dès qu’il grimpa les marches du temple. Une brise s’infiltra entre les colonnes de pierre et Akul Grant resserra son veston. De l’intérieur des murs lui parvinrent des murmures ; il se redressa, prêt à affronter la soirée. Avec son port altier, sa haute stature, son regard brun perçant et sa peau sombre, c’était un homme impressionnant. Cependant, cette fois, la rencontre s’avérerait différente. Il ne serait plus maître chez lui. Un frisson lui chatouilla l’échine et il se secoua.

    Il avança d’un pas avant de s’arrêter, puis se tourna sur sa gauche, devant le Gardien du seuil. À l’entrée du temple, un lotus accueillait le dieu à tête d’éléphant, dont seuls les pieds dépassaient de sa jupe dorée. Un étrange sentiment de paix submergea Akul alors qu’il se remémorait le rôle primordial de Ganesh : veiller sur le sanctuaire. Saurait-il le préserver du danger qui menaçait sa famille ? Le front plissé, il laissa son regard s’attarder sur le ventre rebondi de la statue, puis sur sa défense cassée. Un fin sourire étira ses lèvres : pourquoi était-elle brisée ? Le mystère perdurait. Akul prit encore quelques instants pour admirer le protecteur, confiant que la Déesse résoudrait vite ce problème qui les réunissait en ce soir d’août. D’une façon ou d’une autre. Par amour pour sa soeur et son beau-frère, il refusait simplement de penser au pire et s’engouffra dans le mandir.

    Akul traversa un long couloir qui s’ouvrait sur le sanctuaire à son extrémité. En chemin, une représentation de Shiva et son taureau trônait sur sa droite. Il s’y arrêta un moment pour se recueillir. Ce dieu était le principe masculin de Kali et symbolisait, entre autres, la force spirituelle ; un élément dont il aurait besoin ce soir, car il doutait de son courage. Son souffle se fit incertain. Comme lui. Il s’approcha davantage de Shiva, aussi dieu du temps et de la mort ; cette dernière viendrait-elle les visiter dans la prochaine heure ? Grant inspira profondément, puis posa une main tremblante sur le fidèle taureau, avant de caresser du bout des doigts la flamme brûlant dans la paume gauche de Shiva, symbole de son pouvoir de destruction. Un rapide regard vers le fond du temple, un craquement de doigts, il redressa le menton et s’engagea dans le vestibule.

    À l’intérieur du sanctuaire, il avisa les ombres qui s’étiraient sur l’enceinte circulaire. Des colonnes ouvragées de serpents et de lianes séparaient la salle principale du corridor tout en l’enveloppant. À sa gauche, la haute silhouette de sa femme se détachait sur la pierre blanche. Vêtue d’un sari jaune, Eta étincelait malgré la pénombre. Les flammes des nombreuses bougies ondulaient sur sa peau brune et le tilak — qu’il avait lui même peint en rouge sur son front lors de leur première cérémonie ensemble — luisait. Dès qu’elle l’aperçut, Eta lui offrit son plus beau sourire. Akul se força pour le lui rendre. L’heure était venue : il ne dérogerait pas à son rôle. Restait à voir ce qu’en penserait la Déesse.

    À petits pas, il s’approcha du centre et s’assit en tailleur, face à Kali. Haute d’un peu plus d’un mètre, la statue dominait les dévots qui prenaient place devant elle. Son teint sombre, sa langue rouge sortant de sa bouche ensanglantée, ainsi que ses yeux cracheurs de feu embrasaient le regard des visiteurs. Le collier de crânes et la ceinture de bras coupés, tout comme la tête tranchée qu’elle tenait dans une de ses mains, rappelaient qu’elle dispensait la vie et la mort. Akul inclina la tête, les traits détendus. Il ne craignait plus rien. Il avait trouvé la paix avec Ganesh et Shiva, et maintenant avec Kali. La Déesse saurait prendre la bonne décision. Il n’en doutait plus.

    Au moment où il redressait l’échine, sa femme, ses soeurs, ses tantes, ses oncles et quelques amis proches se regroupèrent autour de la statue. Akul se leva, puis joignit les mains, une habitude adoptée lorsqu’il réfléchissait, mais qui lui servait bien à cet instant. Nul ne devait remarquer sa nervosité. Il s’apprêtait à ouvrir la bouche quand une longue plainte s’éleva. Akul resserra ses doigts tremblants et jeta un regard préoccupé vers son beau-frère affolé.

    — Approche, mon ami, lui murmura-t-il.

    L’homme contourna la Déesse, puis se laissa choir à ses pieds, en larmes.

    Akul posa une main sur son épaule décharnée puis s’agenouilla devant lui.

    — Tu ne dois pas t’inquiéter, Abnay. Tu sais très bien que rien ne t’arrivera si tu es innocent. Kali reconnaîtra la vérité.

    Akul arqua un sourcil lorsque son beau-frère se mit à trembler de plus belle. Se pouvait-il qu’il soit coupable ? Akul risqua un œil vers sa sœur : Basanti fixait son mari d’un regard mauvais. Soucieux, il se redressa avant de reculer de quelques pas.

    Ses yeux sombres étudièrent chacun des membres de sa famille, puis il se racla la gorge.

    — Abnay, Basanti prétend que tu convoites ce qui ne t’appartient pas, alors que tu es déjà pris, commença-t-il d’une voix forte.

    Un gémissement s’échappa de la bouche du fautif présumé alors que Variya, son propre frère, l’observait d’un œil méprisant.

    — Nalini est la femme de ton frère… Mais peut-être les gestes et les regards ont-ils été mal interprétés ?

    Variya ouvrit la bouche pour protester. Akul tempéra toutefois ses émotions d’un geste de la main.

    — Laissons la Déesse décider de la vérité.

    D’un pas solennel, il contourna les dévots pour se rendre près d’une colonne de pierre plus large que les autres. En son centre, à la hauteur de son buste, une petite porte dissimulée. Bien que tous en connaissent l’existence, personne n’aurait osé toucher à son contenu. Dans un silence religieux, Akul ouvrit le battant, puis, avec des gestes étudiés, glissa ses mains dans l’orifice et en ressortit une statuette. La sculpture était une version miniature de celle siégeant au centre du temple. La différence résidait dans la ligne noire qui la traversait de haut en bas et en faisait le tour. Respectueux, Akul se recueillit un moment, puis se retourna vers le groupe.

    Des sanglots fendirent l’air tandis qu’il avançait vers l’accusé. Une gamme d’émotions dansait sur le visage ravagé par les larmes d’Abnay : effroi, regret, honte, envie de fuir. Cloué sur place, il resta prostré au sol, soumis. Il n’avait plus qu’à affronter la déité, puisque son épouse refusait de venir à son secours. Bras croisés, elle ne montrait aucun signe de pardon. Le dos droit, Basanti attendait le verdict, un éclat dans les yeux. Akul s’arrêta devant son beau-frère.

    — Il est temps, à présent, de laisser la Déesse parler. Ne crains rien, Abnay, la vérité vaincra.

    Il déglutit, peu enclin à la voir triompher puisque, pour lui, aucun doute n’était possible : Abnay avait convoité la femme de son frère.

    Retenant son souffle, il lui présenta la statuette. L’accusé ne broncha pas.

    — Abnay…

    L’interpellé renifla, puis essuya du revers de la manche son visage larmoyant. Mains tremblantes, il souleva ses bras avec difficulté. Un dernier regard vers Basanti, un sourire contrit, un léger mouvement du menton vers Akul. Puis il s’empara de la déité, garante de sa vie.

    Il gémit aussitôt. Ses phalanges se refermèrent davantage sur la sculpture et un hurlement se fraya un chemin dans sa gorge. Autour de lui, les dévots apeurés se resserrèrent les uns contre les autres, alors qu’une fumée blanche s’élevait. Basanti porta une main à son coeur, la violence de la réponse de Kali l’effrayait. Akul l’entoura de ses bras, lui-même secoué par cette vision.

    — Il est trop tard, la Déesse a parlé.

    Prisonnière de l’étreinte de son frère, Basanti ne put qu’assister à l’agonie de son mari. Elle plaqua sa paume sur sa bouche lorsque la statuette tomba des mains d’Abnay. Des plaintes montèrent à l’unisson, coupées par le cri de douleur du coupable. À genoux, il se tourna vers sa femme, chercha à croiser son regard, mais fut secoué de violents spasmes. Puis, tout s’arrêta. Doigts crochus dans la souffrance, corps tendu comme la corde d’un arc, il tomba sur la pierre.

    Basanti se libéra de l’emprise de son frère pour se laisser choir au sol. Le visage marqué par la scène précédente, elle attrapa le veston de son mari et renversa le corps sur le dos d’un mouvement sec. Les yeux écarquillés, la bouche figée dans un rictus d’épouvante, Abnay gisait, inerte. Du bout des doigts, elle frôla sa joue et retira aussitôt sa main.

    — Que lui a-t-elle fait ?

    Variya s’approcha. Ses traits ne trahissaient aucune émotion, mais lorsqu’il parla, son ton le contredit.

    — Il a été jugé et reconnu coupable. C’est ce que tu voulais. C’est ce que nous voulions. Ne dis pas de mal de la Déesse. Respecte plutôt son choix. Si Kali détruit, c’est pour faire renaître. Ne l’oublie pas.

    Basanti jeta un regard troublé sur Variya, puis sur Akul. Qui était-elle, en effet, pour questionner la décision de Kali ? Certes, la mort violente d’Abnay la dépassait, mais il l’avait bien cherché. Elle redressa la tête, fière, et accepta l’aide de son frère pour se lever, refusant cependant qu’il la soutienne. Elle était assez forte. Soulevant son sari vert d’une main, elle enjamba le corps de son mari et s’arrêta devant l’imposante statue, avant de s’incliner en signe de soumission, remerciant Kali d’avoir démasqué son époux. Sa dévotion envers elle prenait un nouvel envol. Akul avait raison : la Déesse connaissait la vérité. Inutile de le nier. Tout écart serait puni. Mieux valait être prévenu.

    Chapitre 1

    28 août 2018

    Mardi

    Une tasse de café dans une main, un crayon dans l’autre, Corinne fixait l’écran de son ordinateur. Sur ses genoux, une boule de poils blanche du nom de Déesse dormait, les pattes bien cachées sous son corps, le postérieur enfoncé dans le ventre de la journaliste. Un carnet était ouvert sur la table de travail, la feuille presque entièrement griffonnée. Tout près, des surligneurs de diverses couleurs attendaient d’être utilisés alors que des morceaux de papier couvraient le reste du bureau. Enfin libérée de ses engagements précédents envers divers journaux, elle pouvait se consacrer à un projet personnel qui lui tenait à cœur.

    Un soupir las franchit les lèvres de Corinne.

    — Pourquoi est-ce que ça me donne des pages sur les superhéros alors que je cherche « objets avec pouvoirs » ? demanda-t-elle au chat, qui l’ignora superbement.

    Elle laissa tomber son crayon sur la table, prit une gorgée du liquide désormais tiède, puis se frotta les paupières. Ses longs cheveux bruns remontés en queue de cheval dégageaient son visage et dévoilaient la détermination de son regard. Toutefois, son nez fin et ses lèvres roses soulignaient la délicatesse de ses traits, tout comme son cou élancé, marqué d’une tache de naissance pour le moins inhabituelle. Un disque pêche de la grosseur d’une pièce de deux dollars, duquel dépassaient quatre pointes semblables à une croix celtique. Dès le début de sa relation avec le détective James Bergevin, elle avait été intriguée par ce signe qu’ils avaient en commun. Il avait toujours refusé de lui expliquer sa signification, jusqu’à ce qu’elle l’apprenne par elle-même il y avait à peine deux ans. En plus de souligner que son porteur était né lors d’une fête saisonnière ou celtique, cette tache révélait la facilité avec laquelle une personne pouvait apprendre la magie. Ce secret avait bouleversé leur relation. Toutefois, découvrir que James était sorcier avait aidé Corinne à s’épanouir dans cet art. Depuis, la magie faisait partie de leur vie.

    Leur première enquête commune sur de nombreuses disparitions dans des villages québécois avait révélé un de ses principaux traits de caractère : elle ne baissait jamais les bras lorsqu’elle décidait d’un sujet d’article. Elle avait surpris plus d’un interrogé au fil des ans, et ce n’était pas une recherche Internet qui viendrait à bout de sa volonté. Elle balaya l’air d’un geste distrait, envoyant valser quelques particules de poussière mêlées à des poils de chat. La lumière du soleil les transperça et Corinne admira leur ballet improvisé.

    Des griffes dans son jean la firent grimacer, en plus de la ramener sur Terre.

    — Bon. Comment trouver ce que je veux ? murmura-t-elle en caressant Déesse.

    La page du moteur de recherche brillait sur l’écran, n’attendant qu’elle. Elle tapota son carnet du bout de son crayon, les méninges en plein travail.

    — Le vaudou utilise-t-il du matériel surnaturel ?

    Délaissant le chat et son portemine, elle modifia ses critères : « objets pouvoir vaudou », puis cliqua sur « entrée ». Des milliers de résultats s’affichèrent, le premier étant Wikipédia. Elle ouvrit le lien détaillant l’origine de la religion, ses pratiques et quelques dieux. La seule chose s’approchant de ce qu’elle cherchait étaient les fameuses poupées. Rien de nouveau ici. Elle préférerait d’ailleurs laisser la magie noire de côté pour cette fois. Trop de souvenirs de son enquête aux villages embrumaient encore ses nuits. Un article tout simple sur des objets surnaturels ne devrait pas lui causer trop d’ennuis.

    Découragée, Corinne ferma son navigateur, incita Déesse à descendre de son lit improvisé et se leva. Ses pieds rencontrèrent quelques boules de papier jetées avec frustration sur le sol, et elle poussa un soupir exaspéré. Elle savait son sujet d’article bon, très intéressant même. Comment pouvait-elle ne rien dénicher ? Le moment était venu de se changer les idées.

    D’un trait, elle termina sa tasse de café, à présent froid, ce qui lui arracha une grimace. Les mains jointes, elle les étira au-dessus de sa tête, arquant son dos vers l’arrière. Un craquement sonore accompagna l’exercice. Elle accorda un dernier regard fatigué à son ordinateur, puis changea de décor : la clarté du salon l’accueillit. Son bureau était bien aménagé, confortable, mais un énorme tilleul ombrageait l’unique fenêtre pendant presque toute la journée. L’espace ouvert de la salle de séjour lui donnait chaque fois l’impression de respirer à nouveau. À pas feutrés, elle s’approcha de la grande baie vitrée, puis entrebâilla un carreau. Une brise légère s’infiltra dans la pièce, achevant d’éveiller son esprit.

    Du coin de l’œil, Corinne remarqua son canapé préféré, avec sa chaude couverture et son oreiller rose poilu et doux comme un chaton. Un sourire étira ses lèvres et elle se dirigea jusqu’au siège, où elle s’étendit, les pieds enroulés dans le plaid couleur crème. Adossée au coussin le plus laid de la Terre — d’après James —, Corinne soupira de bien-être, laissant son regard vagabonder. Ses pupilles s’attardèrent sur une photo de son fiancé, prise alors qu’il s’apprêtait à passer devant les chutes Montmorency en tyrolienne. Aucun cliché de ce type ne la mettait en vedette : elle avait eu la trouille rien qu’à le voir filer tel le vent ! Sur la même tablette trônait un cadre où figuraient plusieurs membres de leur groupe de sorciers, les Solstices. Au centre, James, sa tante Hélène, leurs amis Alex et Chloé et elle-même. Corinne sentit son cœur se gonfler de fierté. Son esprit s’envola vers cette soirée, il y avait près de deux ans, où elle avait assisté pour la première fois à une fête saisonnière.

    Alex était passé la chercher chez elle et ils s’étaient ensuite rendus à la boutique de tante Hélène, afin de tous partir ensemble fêter Litha.

    Corinne sourit au souvenir des tentatives répétés de James d’aider sa tante à grimper dans la voiture. Malgré sa jambe dans le plâtre, elle avait refusé avec effusion.

    En chemin, Chloé, alors âgée de dix-neuf ans, s’était agitée sur le siège arrière.

    — Tu es nerveuse ? lui avait demandé Corinne.

    — Pas toi ?

    Oh oui, la nervosité l’enveloppait tout entière. Elle avait certes partagé une ou deux soirées en compagnie des solsticiens, avait découvert leur magie douce et proche de la nature, un écho à la Wicca et aux traditions celtes, mais la magie noire enseignée lors de son enlèvement était trop fraîche pour qu’elle ne l’oublie.

    — Oui, j’avoue que ça m’inquiète un peu, avait-elle murmuré, trop fort cependant pour que James ne l’entende pas.

    Assis sur le siège avant, il s’était retourné vers elle.

    — Ne vous en faites donc pas ! Litha n’est pas bien différente de la Saint-Jean ! Ce n’est qu’un gros feu !

    Tante Hélène avait alors posé une main sur sa cuisse.

    — La magie ne se limite pas aux boules de feu et aux serpentins dorés. Ne l’oubliez jamais, avait-elle ajouté à l’intention des deux novices.

    Une fois arrivés chez Francis, un des membres des Solstices, les passagers s’étaient joints aux hommes, femmes et enfants déjà assemblés devant un immense brasier, non loin de la ferme du propriétaire. Tout naturellement, ils avaient accueilli les nouvelles, leur expliquant le déroulement de la soirée. Avec simplicité, les solsticiens veilleraient à ce que le feu ne s’éteigne pas, et ce, jusqu’au matin, moment où ils iraient tous cueillir des herbes magiques. Pendant la nuit, ils discuteraient et feraient diverses offrandes aux flammes.

    — Mais prenez garde à ne pas terminer votre nuit au pays des fées, avait lancé Francine devant le regard ahuri de Corinne et Chloé.

    — Ne les inquiète donc pas avec ça ! l’avait rabrouée gentiment Hélène. Il faut quand même marcher sur du millepertuis pour que ça arrive ! Tu en as sur ta propriété, Francis ?

    Hilare, le jeune homme avait secoué la tête.

    Tante Hélène avait passé la soirée à se promener d’un groupe à l’autre, n’oubliant jamais de s’arrêter pour discuter avec Corinne et Chloé. Elle en avait profité pour les rassurer davantage. D’abord Corinne, car elle redoutait la magie utilisée par les membres des Solstices.

    — Je sais que tout ça te rend nerveuse, mais ce qui t’a été montré ne reflète en rien la réalité de notre groupe. L’accord avec la nature et le bien-être de chacun sont nos objectifs premiers. Ces sortilèges que tu as appris et pratiqués ne font pas partie de notre quotidien.

    — Alors pourquoi James en sait-il autant sur ce côté de la magie ? avait-elle demandé.

    Le visage d’Hélène s’était alors voilé.

    — La curiosité de la jeunesse, mais surtout le besoin de se préparer au pire. Et pire il y a eu… Mais tout ceci est à présent dans le passé !

    Elle avait tapoté le dos de Corinne avant de se tourner vers Chloé, qui n’avait rien manqué de la conversation.

    — L’absence de la tache de naissance n’implique pas que tu n’es pas douée. Bien sûr, je ne te cacherai pas que tu ne seras jamais aussi puissante que Corinne.

    Corinne avait voulu intervenir, pour le nier. Mais tante Hélène l’avait devancée.

    — En moins de deux mois, tu as réussi des sortilèges que des sorciers plus expérimentés peinent encore à réaliser. Ne me contredis pas, Corinne !

    Hélène avait reporté son attention sur Chloé.

    — Tout ça signifie seulement que tu devras travailler plus fort. Que tu devras être patiente. Et oubliez toutes les deux ces sortilèges d’attaque ! Ce n’est pas la façon de faire des Solstices.

    — Sauf si on se fait attaquer par des fous furieux, avait murmuré Chloé.

    Corinne quitta le canapé et prit la photo entre ses mains. La découverte du secret de James, des Solstices et de ses membres, ainsi que la manière dont ils pratiquaient la magie, lui avait en quelque sorte permis de survivre aux événements liés aux villages. À cette pensée, ses yeux s’humidifièrent et elle les essuya d’un revers de main avant de poursuivre ses observations.

    Dans l’étagère en bois marron, pas de photos. Des films. Beaucoup de films. Ceux de James et les siens se mélangeaient sans aucun ordre préétabli. La série Taxi côtoyait les saisons de Game of Thrones et Battlestar Galactica. Merlin se trouvait entre Les filles de Caleb et les X-Men qui, eux, partageaient la tablette avec les Jason Bourne et les Indiana Jones.

    Indiana Jones. Corinne repoussa des mèches de cheveux rebelles puis, fébrile, s’empara de l’intégrale des films qui avaient rendu célèbre Harrison Ford. Elle la parcourut jusqu’au dernier : Indiana Jones et le Royaume du crâne de cristal. Il lui revenait à présent en mémoire que cet objet avait été utilisé après que Steven Spielberg ait lu des ouvrages à son sujet. Peut-être trouverait-elle matière à écrire un article détaillé ?

    Reposée et revigorée, l’esprit à nouveau fixé sur un objectif, Corinne retourna dans son bureau, s’installa à sa table de travail et rouvrit son moteur de recherche, y inscrivant : « crâne de cristal ». Dès qu’elle cliqua sur le premier lien, elle tomba encore une fois sur Wikipédia, et son enthousiasme diminua. Les crânes ne s’avéraient en fait qu’un leurre. Alors qu’au départ leur origine remontait aux époques aztèque et maya, rien n’avait pu être prouvé ensuite, sinon qu’ils avaient été fabriqués au XIXe siècle. Elle tiqua, mais poursuivit sa lecture. À la fin de l’introduction, il était mentionné que le monde New Age croyait toutefois encore en leurs effets. Peut-être serait-ce une piste intéressante à approfondir… Distraitement, Corinne s’empara de son crayon et gribouilla quelques notes sur son carnet.

    Elle continua ses recherches. Plusieurs pages traitaient de légendes diverses, certaines concluant que les crânes de cristal conservaient l’énergie électrique, d’autres qu’ils étaient le vaisseau des connaissances humaines. Hum, comme dans Indiana Jones… songea-t-elle. Alors qu’elle pensait devoir trouver un autre sujet, elle tomba sur un site avec une liste de plusieurs objets qui détiendraient des pouvoirs.

    — Enfin ! s’exclama-t-elle tout haut, faisant sursauter Déesse qui venait de la rejoindre. Pardon, ma belle.

    Corinne se pencha pour la caresser de nouveau, cherchant à s’excuser.

    Après quelques gratouilles, elle reporta son attention sur l’ordinateur. Elle connaissait déjà les premiers objets énumérés : pentagramme, baguette, diverses pierres… Certains lui semblèrent farfelus, plus d’un la firent sourciller d’incompréhension, mais un seul attisa sa curiosité. Des frissons parcoururent sa colonne vertébrale : signal qui lui indiquait qu’elle venait de trouver son sujet. Une statuette de Kali, déesse hindoue ayant le pouvoir de vie et de mort. Excitée, Corinne se prépara à prendre des notes.

    Malheureusement, elle fut déçue. Pas la moindre information supplémentaire sur le site. Une moue boudeuse étirant ses lèvres, elle reposa son crayon, puis tapa dans le moteur de recherche, y détaillant aussi l’habileté présumée de la sculpture. Des milliers de pages s’affichèrent, lui arrachant une grimace. Elle ne doutait pas que la plupart parlaient de la religion hindoue et du rôle connu de la déesse. Un objet si étrange, au pouvoir si sombre, ne devait pas être de notoriété publique. Sinon, les premiers résultats l’auraient mentionné alors que, là, elle découvrait seulement l’origine de Kali et ce qu’elle représentait.

    — Ras le bol pour aujourd’hui !

    Au moment de se lever, une des premières entrées attira son regard. Un article de journal rapportait la découverte d’un temple hindou non loin de chez elle. Au Québec ? Sourcils relevés, Corinne s’empara de son crayon et poussa un peu ses recherches. Il était question de plusieurs statues. Celle qui l’intéressait y figurait-elle ? Le nez presque collé sur l’écran, désireuse de ne manquer aucun détail, Corinne ne fut pas surprise de terminer sa lecture bredouille.

    — À présent, c’est assez !

    À l’instant où elle repoussait sa chaise, la porte d’entrée claqua. Elle sursauta et son coeur s’emballa, son enlèvement quelques années plus tôt ayant laissé des séquelles. Elle entendit enfin les pas de James, qui se dirigeait vers la cuisine. Appelant Déesse à la suivre, Corinne quitta la pièce, éteignant la lumière au passage. Les traits tirés d’avoir passé autant de temps devant l’écran, elle traîna les pieds jusqu’au comptoir où se tenait son fiancé. Manches relevées, il avait déjà enlevé son veston et leur préparait une boisson.

    — À quoi avons-nous droit, ce soir ? demanda-t-elle en s’asseyant sur un des tabourets.

    — Bonsoir, ma belle ! Un bloody mary. Ça te va ?

    Elle acquiesça et posa son menton dans le creux de ses mains pour mieux déshabiller son homme du regard. Beaucoup plus grand qu’elle, la taille bien dessinée et le torse musclé, il suscitait l’admiration. Ses bras puissants — le gauche était à présent tatoué d’un pentagramme sur l’épaule — la faisaient saliver d’envie. Ses iris verts et les mèches

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