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Et soudain tu n'étais plus là
Et soudain tu n'étais plus là
Et soudain tu n'étais plus là
Livre électronique411 pages4 heures

Et soudain tu n'étais plus là

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À propos de ce livre électronique

Après des années d’efforts pour mieux gérer son trouble bipolaire, Emily Firestone se sent enfin en contrôle de sa vie: son travail la passionne, elle est autonome, et son copain, Paolo, la comble. Lorsque ce dernier propose une escapade en voilier, elle accepte… Sa médication, du bon vin et son amoureux lui feront bien oublier son aversion pour l’eau et le fait qu’elle ne sait pas nager, non?

Lorsqu’Emily se réveille le lendemain, après une soirée romantique bien arrosée, le bateau vogue à la dérive et Paolo a disparu. Comme il est excellent nageur, la jeune femme ne croit pas à la noyade… sans toutefois trouver d’autre explication. Les heures et les jours passent, rendant la disparition de Paolo de plus en plus angoissante; Emily vacille, doutant de tout et de tout le monde. Puis, alors que des indices suggèrent que Paolo a été assassiné et qu’elle-même devient suspecte, le stress la projette dans une phase maniaque aiguë. Pour s’innocenter, Emily doit découvrir la vérité – et conserver le peu d’équilibre mental qu’il lui reste.
Et si elle était coupable de quelque chose d’aussi horrible qu’inimaginable?
Un thriller intense dans lequel, tout comme l’héroïne, on ne sait plus à qui faire confiance…
LangueFrançais
Date de sortie12 févr. 2020
ISBN9782897587710
Et soudain tu n'étais plus là
Auteur

R.J. Jacobs

R. J. Jacobs est un psychologue clinicien de Nashville aux États-Unis. Il a enseigné et donné des conférences sur les psychopathologies et effectue régulièrement des évaluations de dépistage de choc post-traumatique auprès des vétérans. Et soudain tu n’étais plus là est son premier roman, un suspense puissant.

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    Aperçu du livre

    Et soudain tu n'étais plus là - R.J. Jacobs

    Linda

    Un

    Les cheveux noirs de Paolo volaient au vent, claquant contre ses éternels verres fumés Wayfarer. Il était convaincu qu’ils lui donnaient l’air célèbre – il me l’avait déjà confié. Un genre « Hollywood », avait-il précisé, incapable de trouver le mot juste dans notre langue.

    Plus tard, lorsque je l’avais taquiné en l’appelant monsieur Hollywood, il avait froncé les sourcils d’un air boudeur, et j’avais laissé tomber. Ce souvenir me faisait sourire.

    Il conduisait, une main sur le volant de sa Jeep et l’autre sur ma cuisse, en direction du lac. Même si c’était la première fin de semaine d’octobre, le temps chaud évoquait encore l’été.

    — Je me méfie de toi, a-t-il dit.

    — De moi ?

    Je ne voyais pas ses yeux derrière les verres gris foncé.

    — Tu es… comment dit-on ? Fébrile. Tu me caches quelque chose. Pourquoi souris-tu ?

    Sa voix était à peine audible avec le vent qui s’engouffrait dans la voiture.

    J’ai secoué la tête et augmenté le volume de la radio au moment où commençait la chanson des Allman Brothers.

    — Attends, c’est Ramblin’ Man, n’est-ce pas ? a-t-il dit, tout heureux de s’en souvenir. Et la dernière chanson parlait de l’érection de Bob Seger.

    Il vivait aux États-Unis depuis moins de deux ans et s’était adapté rapidement.

    Le moteur vrombissait.

    — Emily, tu vas adorer cette marina. Des bateaux parfaits. Des voiles blanches. Parfait. Tout est parfait.

    Il a approché son pouce et son index de ses lèvres plissées. J’ai éclaté de rire en levant les yeux au ciel.

    — Je pensais que tu n’essayais plus de m’impressionner, ai-je dit. Depuis très longtemps.

    Au début de notre relation, j’avais tenté d’atténuer la douceur de ma voix, d’avoir l’air plus dure. Après un an, j’étais plus détendue.

    Il a secoué la tête en souriant.

    — D’accord, Dre Firestone.

    Il venait lui-même de terminer son doctorat, mais aimait me taquiner sur le fait que j’étais psychologue. Comme si mon intention était de l’analyser. Il a levé les mains dans une attitude faussement défensive.

    — Eh oui, j’aime les belles choses. Ce n’est pas mon pire défaut.

    — Ça se pourrait bien, en fait.

    Il a réfléchi à ma réponse une seconde de trop.

    — Quel est le mien ? ai-je demandé d’un air amusé.

    — Tu es têtue. Et tu crois que tu peux tout faire.

    — Ça fait deux.

    — Dans ce cas, ton pire défaut est que tu crois pouvoir tout faire. Il ouvre la porte à tous les autres.

    C’était blessant, mais je n’allais pas laisser cela gâcher notre journée.

    Je ne l’avais pas vu aussi détendu depuis des semaines. S’il avait l’intention de m’emmener naviguer sur un lac, il n’était pas question de nous disputer.

    Avec lui, l’amour était comme rouler à toute allure dans une Jeep sans portières. Alors que le reste du monde défilait comme une masse confuse, il demeurait concentré tandis que je m’imaginais en train de basculer sur la chaussée. Quand je frapperais le sol, le pire qui pouvait m’arriver était d’avoir le cœur brisé, n’est-ce pas ?

    J’ai pris mon téléphone. Pas de service.

    J’ai essayé l’internet et tenté de rafraîchir la page à quelques reprises. Rien. Aucun message.

    — C’est encore loin ? ai-je demandé.

    — Qu’est-ce que tu cherches ? a-t-il répliqué au lieu de me répondre. Les enfants sans défense du Tennessee vont survivre sans toi pour une nuit, tu sais !

    — Holà ! Est-ce que le pire bourreau de travail que je connaisse me reprocherait de vouloir vérifier mes messages ? ai-je dit en lui serrant l’épaule.

    Paolo m’a fait un clin d’œil.

    — Tout va bien au labo ? ai-je demandé en levant la main vers les cheveux bouclés au-dessus de son oreille. Tu ne m’as pas parlé de ton travail cette semaine.

    — Très bien. Je laisse le boulot derrière moi pour la fin de semaine.

    J’ai ouvert de grands yeux faussement étonnés.

    — Tu ne vas même pas vérifier ? Aucun dernier message à envoyer au Dr Silver ? Aucune question qui ne peut pas attendre au lendemain ?

    Il m’a jeté un coup d’œil en souriant avant de changer de vitesse, faisant passer le moteur de la Jeep à une octave inférieure.

    — Toute la fin de semaine ? ai-je insisté. Même si… comment s’appelle donc le type qui te lance des regards furieux ?

    — Matt.

    — Même si Matt met le feu au labo ?

    — Oui.

    Je faisais à peine semblant d’être surprise. Le chercheur principal de Paolo, Jay Silver, était connu pour son dévouement professionnel. Il semblait n’avoir aucune barrière entre ses heures de travail et son temps personnel ; il téléphonait parfois à Paolo pour lui sou-mettre des questions ou des idées avant même que le soleil soit levé. C’est une habitude que Paolo défendait en tentant de me faire comprendre la pression engendrée par la recherche de fonds, les subventions gouvernementales, les publications…

    J’avais protesté devant ces appels de Silver à des heures aussi indues jusqu’à ce que je m’aperçoive que cela ne dérangeait aucunement Paolo. Et qui étais-je, au fond, pour faire la leçon à qui que ce soit sur la modération et l’équilibre ?

    Quand Paolo devenait silencieux, je présumais qu’il était préoccupé par les exigences de son travail. Si je me laissais aller à penser à tout ce qu’il m’avait appris à propos des épidémies, je serais probablement devenue insomniaque moi aussi. Selon lui, il ne fallait pas se demander si une pandémie allait survenir, mais bien et quand elle frapperait. En raison de la mondialisation, une épidémie dans n’importe quelle région du globe risquerait de se répandre partout. La moitié des hôpitaux du pays manqueraient de lits en moins de trois semaines advenant une telle éventualité.

    En moyenne, une éruption de H1N24 se produisait tous les deux ans, un laps de temps qui semblait les pousser à redoubler d’efforts pour créer un vaccin.

    Paolo m’avait confié que tous les employés du laboratoire avaient un plan pour se mettre à l’abri si jamais une épidémie survenait. Je n’avais pu qu’écarquiller les yeux de terreur. Je ne savais jamais s’il était conscient de mon malaise lorsqu’il parlait d’épidémiologie – s’il remarquait que je tressaillais, crispais les orteils ou avais les larmes aux yeux en l’entendant décrire la propagation potentielle du virus qui avait tué mon père. Ce dernier était célèbre auprès de certains chercheurs pour avoir été le premier Américain connu à avoir contracté le H1N24 et y avoir succombé. Le CDC¹, à Atlanta, avait gardé son corps deux semaines lorsqu’il avait été ramené aux États-Unis.

    J’ai repoussé son image de mon esprit et me suis concentrée sur la route et sur les fleurs violettes en bordure du chemin, rendues indistinctes par notre vitesse.

    Les soirs où Paolo travaillait tard, je me répétais que ses recherches allaient sauver des vies – épargner à des enfants le vide que représente la perte d’un parent. C’était ce que je me disais lorsque Paolo ne répondait pas à mes textos durant des heures.

    — Eh bien, à la liberté ! ai-je déclaré en levant une flûte de champagne invisible.

    — On est presque arrivés, a-t-il répliqué en levant le pouce.

    Il semblait dire vrai. De temps à autre, une boîte aux lettres indiquait l’emplacement d’une allée de terre battue émergeant des boisés touffus.

    La Jeep a été secouée par un soubresaut et j’ai posé les mains sur mon ventre pour réprimer la nausée que je sentais monter. Appuyée au dossier, j’ai inspiré lentement par le nez, retenant mon souffle deux secondes, jusqu’à ce que mes poumons me paraissent trop pleins. C’était la stratégie de relaxation que j’enseignais à mes patients. C’était sûrement l’amour, me suis-je dit, qui m’avait fait accepter de passer la nuit dans un voilier sur le plus grand lac du Tennessee.

    J’ai tendu la main entre nous pour prendre sa bouteille d’eau en inox.

    Paolo a posé sa main sur la mienne, puis a touché sa gorge.

    — Ne bois pas dans la même bouteille que moi. J’ai mal à la gorge.

    — Voyons donc !

    — Vraiment. J’insiste, en tant que ton microbiologiste personnel.

    J’ai porté une main à mon cœur.

    — Mon propre microbiologiste ? Personnel ? Ça me plaît.

    Nous sommes passés devant une maison délabrée.

    Ses murs de brique peints en blanc étaient à demi effondrés et le toit s’était affaissé comme si on avait marché dessus. Des cercles noirs de cendres ou de peinture, je n’aurais su dire, entouraient les fenêtres.

    — On arrive bientôt ?

    J’ai levé mon téléphone vers le ciel. Toujours pas de service.

    — Tu crois que je ne connais pas le chemin ? a-t-il rétorqué en souriant.

    Il a couvert sa dentition non corrigée, ce qui lui a donné un air encore plus espiègle. Tout le monde éprouve de l’insécurité pour une raison quelconque, je suppose.

    Du coin de l’œil, j’ai aperçu la mallette de métal contenant son matériel photographique.

    — Tu as déjà fait de la photo ici, non ?

    Il a reporté son regard sur la route et rétrogradé pour s’engager dans une courbe sinueuse.

    — Oui, l’automne dernier.

    Une pente abrupte m’a prise par surprise. Lorsque la route est redevenue horizontale, il a poursuivi :

    — Les couleurs se reflétaient sur le lac, comme un miroir. Un côté réel, un autre comme un tableau peint à petits coups de pinceau.

    Il n’était jamais aussi passionné que lorsqu’il parlait de photographie. Je l’ai imaginé avec son appareil autour du cou, l’année précédente, lors de son premier automne aux États-Unis. Les teintes rouges et dorées autour de lui, à l’infini. L’innocence dans son regard, son émerveillement d’enfant.

    La route est devenue plus étroite et les pneus de la Jeep ont mordu le gravier sur la droite. Nous sommes passés devant le panneau annonçant la marina. Paolo a ralenti, puis s’est garé dans le stationnement. J’avais l’estomac à l’envers comme si j’avais été dans des montagnes russes toute la journée et qu’une partie de moi volait toujours dans les airs.

    — Tu viens ? a-t-il demandé, déjà hors du véhicule.

    — J’ai un peu mal au cœur. Donne-moi deux minutes.

    — Je vais aller chercher le bateau et je reviens.

    Un sentier menait à la marina à travers le bois. Paolo s’y est engagé pratiquement en gambadant. Je suis sortie et ai vomi devant la Jeep. En cherchant de la gomme à mâcher dans mon sac à main, ma main a frôlé le flacon de médicament que j’avais apporté, juste au cas.

    Pas tout de suite, me suis-je dit. Je vais attendre d’être à bord.

    Je me suis ressaisie, entourée par le bourdonnement des insectes de fin d’après-midi.

    Paolo semblait tout heureux lorsqu’il est revenu.

    — Te sens-tu mieux ?

    J’ai secoué la tête.

    Il a sorti un tube de crème solaire.

    — Tourne-toi, a-t-il ordonné.

    Il a fait glisser les bretelles de ma camisole sur mes épaules. Le soleil chauffait ma peau et la fraîcheur de la crème solaire m’a fait frissonner. Je sentais ses mains douces qui appliquaient la crème sur mes épaules. Cette sensation m’a distraite et ma nausée s’est dissipée.

    — Tu es belle.

    J’ai tourné la tête.

    — J’ai déjà accepté d’y aller. Tu le sais, hein ?

    Il a ri en caressant mes épaules du bout des doigts. Il a ensuite pris la glacière et j’ai soulevé le sac à dos contenant le reste de nos affaires.

    Des pointes de calcaire piquaient la semelle de mes sandales le long du sentier rocailleux. Les épaules de Paolo étaient courbées sous le poids de la glacière.

    — Tout ceci était complètement submergé autrefois, a-t-il déclaré.

    Tout ceci.

    Soudain, j’ai voulu qu’il me raconte une histoire à propos de ses frères et lui afin de me distraire et de dédramatiser ce que nous nous apprêtions à faire.

    J’imaginais leurs sourires et leurs épaules bronzées lorsqu’ils avançaient dans l’eau avec leurs cannes à pêche en roseau, dans leur Argentine natale. J’avais envie de donner la chance à Paolo de m’impressionner, de me laisser entrer dans sa vie, même si après un an, j’étais la seule à parler de vie commune.

    Quand je suis concentrée sur quelque chose, j’ai du mal à faire la différence entre ce que je veux et ce qui est souhaitable. Tomber amoureuse me donne le sentiment de lâcher prise, de céder. Le danger que représente cette perte de contrôle ne fait qu’accentuer la passion. L’impression qu’aimer Paolo était une mauvaise idée s’était estompée avec le temps, mais il aurait été imprudent de m’abandonner complètement. Comment ne pas remarquer qu’il était préoccupé, même lors de nos moments les plus intimes ? Parfois, après avoir fait l’amour, il vérifiait son téléphone et disparaissait dans une autre pièce, me laissant seule. Je ne voyais jamais son regard suivre une autre femme, sauf qu’un sentiment sinistre ressemblant à de la jalousie me tourmentait. Au fond, je savais que son cœur ne m’appartenait pas entièrement.

    Des gouttes de sueur avaient coulé sur mes lèvres. Je pouvais goûter la crème solaire. Quand je suis arrivée au quai en bois, le soleil se reflétait dans l’eau comme dix mille petites bougies. Paolo a désigné le voilier qu’il avait loué et j’ai hoché la tête. Il m’a pris la main pour m’entraîner et s’est retourné en sentant ma résistance.

    — Qu’y a-t-il ? a-t-il demandé d’une voix douce et inquiète. Tu as encore le mal des transports ?

    Ses doigts entrelacés dans les miens, ses yeux de la couleur d’un chocolat de Pâques.

    — Ça va. J’ai juste besoin d’une seconde.

    — On n’ira pas très loin. Promis.

    — On pourra revenir au quai si je me sens mal ?

    Il a éclaté de rire.

    — Voyons ! Pourquoi te sentirais-tu mal ? Ce n’est pas parce que tu es malade en voiture que tu le seras en bateau !

    J’ai haussé les épaules. Il semblait si certain et insouciant. Inutile d’avoir une réaction aussi infantile.

    — On va pêcher ce soir, prendre quelques photos, admirer le coucher de soleil, puis se réveiller ensemble. Ce sera très romantique.

    Il a joint les mains, comme si tout venait juste d’être décidé. Il s’est ensuite avancé sur le quai.

    — On n’ira pas à Cuba, je te le promets. C’est un endroit parfait, et je veux te le montrer.

    Je le souhaitais aussi. Il a pointé l’horizon bleu saphir, puis m’a aidée à monter sur le quai. J’ai cru que j’allais de nouveau vomir, mais j’ai pris une grande inspiration en redressant les épaules.

    Au-delà de la rangée oscillante de bateaux, des guides de pêche barbus soufflaient de la fumée en partageant des blagues à propos de mon langage corporel. Je pouvais entendre le gazouillis des oiseaux pendant que les planches fendillées par le soleil craquaient sous mes pas.

    Nous avons chargé nos affaires sur le voilier. Tout autour du lac, les pins avaient la même allure que sur d’anciennes cartes postales : sages et majestueux. Toutefois, le rivage était trop éloigné pour les distinguer avec précision. Le voilier était plus spacieux que je m’y étais attendue, avec un pont solide en fibre de verre et des coussins marine. Au centre, une ouverture permettait d’apercevoir le coin ombragé d’un drap de lit.

    — Tu vois ? C’est magnifique ! a dit Paolo d’un ton encourageant.

    Je détestais ma vulnérabilité, même si je souhaitais qu’il accepte cette partie irrationnelle de ma personnalité.

    — J’aime regarder ce paysage comme tout le monde. C’est m’approcher du lac qui me déplaît.

    J’ai fermé les yeux, envahie par un malaise.

    — Hé ! a dit sa voix légère. Tout va bien. Demain, on retournera à Nashville. On fera de la randonnée, tout ce que tu voudras.

    Il a posé une main sur son cœur.

    — Promis.

    Il m’a fait pivoter vers l’endroit où j’imaginais que le soleil se lèverait.

    J’ai jeté un coup d’œil aux guides, au nuage de fumée bleuté qui les entourait. J’ai tortillé mon annulaire.

    — Si tu détestes ça, on reviendra. Je n’approcherai pas des zones infestées de requins.

    Cela m’a fait rire.

    — Vraiment ? J’espérais en rencontrer un !

    — Eh bien, tu devras attendre. Pas de requins durant cette balade ! Je vais aller signer et chercher la clé. À tout de suite !

    Il s’est éloigné vers le comptoir de location, m’adressant un sourire éclatant sous le soleil de fin d’après-midi.

    Dès qu’il a disparu de ma vue, je suis montée sur le pont blanc et ai craché dans l’eau. Je me suis dit que la navigation serait fluide, qu’un peu d’alcool calmerait mon estomac et me distrairait de cette sensation d’impuissance. J’ai décroché deux vestes de sauvetage et suis entrée dans la cabine. Celle-ci semblait confortable, mais dégageait une odeur de terrain de camping rustique. Un placage de bois à la texture collante couvrait les parois. Le matelas était aussi moelleux qu’un plancher de céramique. À travers le hublot, j’ai vu Paolo saluer les guides de la main. Je nous ai imaginés en train de quitter le quai, puis de jeter l’ancre sous le coucher de soleil. Mon cœur était comme un drapeau agité par le vent.

    En remontant sur le pont, j’ai de nouveau vérifié mon téléphone. Toujours pas de service.

    Mon esprit a commencé à vagabonder, mais je me suis ressaisie. La peur de me retrouver sur l’eau, plus précisément le sentiment de vulnérabilité qui y était associé, n’allait certainement pas me limiter.

    J’aidais les gens à combattre leurs peurs. Je pouvais sûrement m’aider moi-même. Structurer le temps, me concentrer sur autre chose, rester occupée. Boire du vin. J’ai ouvert la glacière et plongé la main dans la glace qui entourait notre bouteille de chardonnay. J’ai regardé l’heure. Techniquement, l’heure acceptable pour boire était seulement dans trente minutes, mais comme c’était un samedi, j’ai fouillé pour trouver les gobelets de plastique. Mes doigts ont trouvé le cylindre de verre, l’ont extirpé, ont saisi le bouchon et l’ont tourné, produisant le son de minuscules feux d’artifice d’un sceau qui se rompt.

    J’ai avalé un Ativan avec une gorgée rapide de vin frais, puis ai versé un verre pour Paolo.

    À son retour, j’avais les pieds sur la rambarde et faisais tournoyer le liquide qui restait dans mon gobelet. L’intérieur de ma bouche picotait et était légèrement engourdi. Je portais une casquette de capitaine que j’avais trouvée accrochée dans la cabine, ainsi qu’une veste de sauvetage. Il a fait claquer sa langue et secoué la tête en souriant, comme s’il devinait que j’avais pris un cachet.

    C’était peut-être évident.

    Il s’est penché vers moi pour m’embrasser avec une expression neutre.

    — Tu te sens mieux ?

    — Ça s’en vient.

    Au bout du quai, un martin-pêcheur était perché, stoïque, sur un pylône. Quelques roitelets observaient impatiemment les vaguelettes le long de la digue. Ils semblaient deviner le contenu du seau d’appâts jaune que Paolo avait déposé dans le bateau.

    J’ai pris une gorgée de chardonnay et regardé les poissons argentés paniqués, réprimant l’envie de les jeter par-dessus bord. Quand j’ai tendu une veste de sauvetage à Paolo, il a eu une expression étonnée et écarté mon offre du revers de la main.

    — As-tu l’intention de tomber à l’eau ? a-t-il demandé.

    — La sécurité avant tout !

    Il a ri.

    — Ce n’est pas ton genre de dire ça.

    Il s’est agenouillé et a dégagé de l’espace dans la cabine pour son matériel de photographie.

    L’an passé, il m’avait enseigné les rudiments de la photo avec son appareil afin que je puisse prendre quelques clichés de son équipe de balle molle. Toutefois, j’avais passé la majeure partie du temps à photographier la fille de son ami Cal, Olivia, qui était généralement assise près de moi dans les gradins pendant que son père et Paolo jouaient.

    — Quand je vais remporter le Powerball, m’a crié Paolo de la cabine, je deviendrai un célèbre photographe de la nature.

    Il disait cela tous les samedis, jour de tirage de cette loterie.

    Il a ensuite tourné la clé de l’embarcation et le petit moteur s’est mis à toussoter.

    — Juste pour s’éloigner du quai, a-t-il expliqué. Ensuite, ce sera uniquement le vent !

    Il a accéléré en sortant de la marina.

    Le mouvement était plus supportable. L’appréhension est le pire aspect de la peur.

    Après avoir dépassé les autres bateaux, Paolo a coupé le moteur et hissé la grand-voile.

    — Mes frères se seraient moqués de moi s’ils m’avaient vu utiliser le moteur.

    Il a pris une gorgée du vin que je lui avais versé, levé la tête vers le soleil et dégluti. Sa gorge s’est gonflée comme celle d’un oiseau gobant un poisson.

    — Tu vas bien, maintenant, Emily ?

    Em-mi-lii.

    — S’il arrive quoi que ce soit, ce qui serait étonnant, on nagera jusqu’au bord. Tu peux voir le rivage d’ici, regarde ! Au pire, je perdrai mes lunettes de soleil. Pas toi.

    — Je ne sais pas vraiment nager, ai-je répliqué d’une voix geignarde.

    C’était le plus que j’étais prête à admettre ; même avec lui, il m’était impossible de révéler certaines faiblesses. Sans veste de sauvetage, je coulerais comme une roche au fond de l’eau.

    Il m’a fixée avec une expression incrédule.

    — Tu veux dire, pas du tout ?

    — Oui. Je n’en suis pas fière. Je travaillais tous les étés, et ensuite j’ai commencé à jouer au soccer. Tout tournait autour du soccer.

    — Tu n’as même pas nagé dans la piscine d’une amie ?

    J’ai secoué la tête. Mes amis n’avaient pas de piscine, à part celles des immeubles d’appartements locatifs.

    — Ou alors au club sportif ? a-t-il demandé avec un sourire, avant de se couvrir la bouche.

    — Je ne comprendrai jamais ta fascination pour les clubs privés. Le plus près que je me suis trouvée de la piscine était quand je servais aux tables.

    — Je pensais qu’ils obligeaient tous les enfants à apprendre à nager, aux États-Unis, a-t-il ajouté avant d’énumérer sur le bout de ses doigts. Golf, tennis, natation…

    — J’ai suivi un ou deux cours de natation quand j’étais petite, mais j’ai détesté ça. En revanche, j’ai fréquenté un sauveteur en onzième année, ai-je annoncé, car il l’avait bien cherché.

    J’ai ajouté d’un ton espiègle, en croisant les bras :

    — Malheureusement, il ne souhaitait pas me donner des leçons de natation…

    Paolo a serré les dents, indiquant que cette pointe l’avait piqué au vif, puis a tourné les yeux vers l’horizon.

    J’avais accepté le fait que Paolo ne s’était pas matérialisé le soir où je l’avais rencontré. Je voulais connaître le nom de ses anciennes copines et leurs histoires, même si les entendre était pénible. Je suis le genre de personne qui aime marcher dans l’herbe pieds nus, même si cela peut parfois égratigner ou piquer. Cependant, Paolo trouvait intolérable la simple mention de mes anciens amoureux.

    Les vagues clapotaient sur le flanc du voilier. Mes orteils ont agrippé mes sandales quand je me suis levée. J’ai décroisé les bras et posé une main sur son épaule en guise d’excuse. Il a frotté sa joue sur ma main pour indiquer que tout allait bien, mais ses yeux sont demeurés fixés sur l’horizon.

    Je me suis laissée tomber sur un coussin de plastique brûlant et j’ai ajusté ma nouvelle casquette. En tournant la tête, j’ai remarqué à quel point le quai s’était éloigné rapidement.

    Sur le lac flottait une odeur qu’aurait pu avoir un nuage – le contraire de poussiéreuse. L’air disait à mon corps de remplir mes poumons, et c’est ce qu’il a fait.

    Le voilier montait et descendait sans relâche. J’ai retiré ma camisole pour laisser ma peau absorber les rayons du soleil. J’ai fermé les yeux, mais la nausée m’a reprise aussitôt et mes paupières se sont relevées. Le voilier a ralenti. Mes orteils se sont décrispés et le souffle que je retenais a enfin pu s’échapper.

    J’ai regardé la rive ; je pouvais à peine distinguer le quai. Les parasols du terrain de camping ressemblaient à des carapaces de scarabée bleu enfoncées dans le sable rocailleux.

    Paolo a sorti sa mallette de la cabine et l’a ouverte, révélant un plateau coussiné couvert d’instruments noirs.

    — Je veux photographier ces arbres, a-t-il dit en désignant le rivage du menton.

    J’ai regardé par-dessus mon épaule. La rive était une ligne découpée et sablonneuse, et le voilier bougeait constamment.

    — Les arbres ? Mais le mouvement du bateau ne va pas…

    — La lumière est parfaite en ce moment.

    Il s’est agenouillé pour être plus stable et a ajusté l’objectif. L’appareil a produit un déclic ; il n’y a pas d’autre son semblable au monde.

    — Dis donc… a-t-il ajouté après un moment. Est-ce que le fait d’être bipolaire a un lien avec le fait que tu ne nages pas ?

    Il baissait toujours la voix en prononçant le mot « bipolaire », comme si c’était un secret.

    — Être bipolaire signifie seulement que j’accomplis plus de choses, ai-je répliqué.

    — Sérieusement, a-t-il dit en plissant les yeux, avant de braquer son appareil sur le rivage.

    J’ai terminé le vin dans mon gobelet et j’ai tendu la main vers la bouteille.

    — Je vais te raconter une histoire. La façon dont tu prononces le mot bipolaire me fait penser à ma grand-mère paternelle, qui tentait de se tuer à peu près tous les étés, généralement en se jetant dans la rivière Cumberland. Quand j’avais environ dix ans, mon grand-père a répondu à un appel téléphonique et a dit : « Oui, oui, d’accord. » Il a ensuite déposé le combiné d’un geste brusque et m’a dit que mamie Jane avait besoin de notre aide. Il a pris un bout de corde et des nouilles de piscine pastel dans sa remise, puis m’a fait monter dans sa Buick. En arrivant à la rivière, je l’ai aperçue qui avançait dans le courant, de l’eau jusqu’à la taille.

    Paolo a appuyé sur l’obturateur, les yeux toujours fixés sur la rive.

    — Je t’écoute.

    — Il a noué la corde au pare-chocs, puis a passé l’autre bout dans les ganses de sa ceinture. Avant de s’éloigner, une nouille sous chaque bras, il m’a dit que s’ils coulaient tous les deux, je devais mettre la voiture en marche arrière et appuyer sur l’accélérateur.

    Paolo a secoué la tête.

    — Tu avais dix ans ?

    — À peine. J’avais du mal à voir au-dessus du tableau de bord. Ensuite, il a descendu la rampe à bateaux jusqu’à l’eau et a crié son nom. Lorsqu’il l’a entourée de ses bras, elle a tenté de se dégager. J’étais certaine qu’ils allaient se noyer. Elle a martelé sa poitrine et donné des coups de pied pendant qu’il la transportait jusqu’à la voiture. Cependant, en me voyant, elle a arrêté comme si un interrupteur venait d’être abaissé. Elle a souri et haussé les épaules en s’essorant les cheveux, puis m’a demandé si je pouvais croire tout le gâchis qu’elle avait causé. Mon grand-père a déposé les nouilles de piscine et la corde en me disant de ne pas m’inquiéter si le siège était mouillé. Dix minutes plus tard, nos cornets de crème glacée coulaient sur nos mains à la crèmerie Bobby. Alors, quand tu me parles de ma bipolarité, je ne veux rien minimiser, mais je suis loin d’être comme elle. Je suis juste occupée. Concentrée.

    Paolo semblait vouloir garder les yeux sur moi, mais ne cessait de revenir aux images dans son objectif. Cette histoire était un peu plus intime que ce à quoi il s’était attendu, et sa posture était devenue rigide.

    — Est-ce pour cette raison que tu n’aimes pas l’eau ? Tu n’as pas pu y retourner après ce qui est arrivé à ta grand-mère ?

    — Oui et non.

    Si seulement la réponse était aussi simple.

    — Sa tentative de suicide dans la rivière n’a pas aidé, mais ma peur ne vient pas d’une seule cause. Mon prof de natation m’a tenu la tête sous l’eau jusqu’à ce que je commence à paniquer. Je crois que j’avais peur bien avant ça.

    J’ai posé une main sur ma poitrine en cherchant les bons mots pour décrire ce sentiment.

    — Quand je suis dans l’eau, je suis impuissante. Je me sens tirée vers le bas.

    Engloutie, ai-je failli ajouter. Ou submergée, comme si j’étais envahie par des émotions impossibles à contrôler.

    Je me suis aperçue que mon cœur battait trop vite.

    — Parlons d’autre chose. Tu prends ce genre de sujet trop au sérieux. Je vais bien, et elle s’en est sortie. Elle a vécu heureuse jusqu’à un âge avancé.

    Toutefois, j’avais laissé délibérément cachée ma propre terreur lors de cet incident – le moment où je m’étais levée d’un bond du tapis moelleux de la maison de mes grands-parents après l’appel téléphonique, celui où j’avais vu le reflet d’une deuxième grand-mère sur la surface de l’eau. Le tablier noué derrière son dos, entraîné par le courant, pendant que ses cheveux décolorés flottaient autour de sa tête comme une tornade blonde.

    Quand mon grand-père lui avait tendu la main, elle avait crié d’une voix qui ne ressemblait en rien à la sienne. Dans le silence qui avait suivi ses cris, j’avais entendu le moteur de la voiture, le vent qui faisait bruisser les branches de chêne et peut-être même la sirène d’un chaland au loin. Sur le chemin du retour, ma grand-mère avait chanté en même temps que la radio crépitante, pendant que le ciel prenait peu à peu une couleur indéfinissable.

    J’ai pressé ma poitrine d’une main rendue froide par le gobelet de vin.

    — Et ma

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