Récit d’un nouveau visage
TU CONNAIS probablement ce sentiment. Tu es dans un bar avec des amis, tu t’amuses, un peu ivre. Tu te lèves pour aller aux toilettes. En ouvrant la porte, tu jettes machinalement un oeil au miroir, tu aperçois une image réfractée et floue de toi-même, et pendant une fraction de seconde, tu te demandes: c’est qui, ce mec?
Mais c’est toi, bien sûr que c’est toi. Ce sourire, ces yeux, tu les connais. Le sol tangue un peu, tu ressens un léger vertige, furtif, mais très vite le puzzle de ton reflet se recompose en une image familière.
Ce vertige, il a duré pour moi environ un an: le temps que les changements engendrés par la testostérone impriment mon corps, redessinent peu à peu ce visage que j’avais toujours connu.
J’ai commencé la “T” en janvier 2020. Deux mois plus tard, alors que je venais d’emménager avec un groupe d’amis à Limerick, dans le sud-ouest de l’Irlande, nous étions contraints au confinement.
J’avais déjà fait des coloc’, mais jamais avec des potes. Le timing était parfait; nous cherchions tous un endroit pour vivre. Il nous a fallu un petit moment pour trouver notre bonheur, et après quelques déconvenues, mon amie Eloïse et moi sommes allés voir une maison en lisière de la ville. Une vieille bicoque mal isolée, à la moquette élimée, certes, mais c’était exactement ce que nous cherchions. Un endroit que nous pourrions nous approprier pleinement. Avant même d’avoir signé le bail, nous avions déjà tous choisi nos chambres.
Nous avons emménagé et, tous ensemble, nous nous sommes adonnés aux activités classiques de confinement:
