Je le jure
Par Clara Marais et Lori Miller
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À propos de ce livre électronique
Une juge à la recherche de sa fille abandonnée, une accusée qui ne peut se pardonner l’assassinat de son enfant, une ancienne prostituée qui hésite à dénoncer son pimp, une avocate piégée par un témoin, une femme battue qui veut mettre fin à son calvaire, une procureure qui fait appel aux services d’une tireuse de carte, une femme qui soutient, envers et contre tous, son conjoint accusé d’agression sexuelle et plusieurs autres personnages aux prises avec leurs démons défilent à tour de rôle dans ce recueil de nouvelles étonnant.
Clara Marais
Suzanne Coupal (Clara Marais) est juge à la chambre criminelle de la Cour du Québec depuis une dizaine d'années. Elle fut d'abord avocate de la couronne avant de devenir la seule femme procureure pour la Commission d'enquête sur le crime organisé (CECO) et a été conseillère dans les années 1980 auprès des policiers affectés à l'enquête sur les activités des motards. Elle collabore avec Céline Lamontagne, alias Lori Miller, pour l'écriture de ces nouvelles. Sous les mêmes pseudonymes, elles ont publié un roman policier en 2002, adapté depuis sous forme de scénario.
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Aperçu du livre
Je le jure - Clara Marais
rêver.
Le méfait
Àchacun de nos rendez-vous, j’ai souhaité qu’elle éteigne son cellulaire, mais elle avait pour excuse sa profession. Il y avait aussi la clochette de son ordinateur qui annonçait l’arrivée de ses courriels, même lorsque nous étions au lit. La dernière fois, une sonnerie stridente s’était déclenchée au paroxysme de mon orgasme, pour lui signifier d’aller mettre des pièces dans le parcomètre, devant son loft.
J’aurais dû comprendre les autres signaux, qui ne présageaient pas un irrésistible besoin d’abandon passionnel. Sur des musiques romantiques préenregistrées, elle prenait le temps de plier ses bas de filet noir, que je venais à peine de lui enlever.
Elle m’avait fait perdre mon sang-froid. Qu’allais-je raconter au juge ? Qu’une compulsive m’avait poussé à bout ?
Je l’avais rencontrée à l’urgence de l’hôpital du village voisin. Je m’étais blessé au gros orteil en rangeant du bois de chauffage. Je vis seul depuis que j’ai démissionné de mon poste de directeur d’une grosse boîte de publicité. Mon épouse m’a quitté lorsque je lui ai annoncé ma décision de me retirer à la campagne, pour réaliser un vieux rêve. Elle ne pouvait imaginer qu’elle puisse vivre avec un homme sans statut. Comme nous n’avons pas eu d’enfant, la rupture s’est faite sans heurt. Je ne l’aimais plus depuis des lunes. Seule l’habitude m’avait jusqu’à ce jour retenu à elle.
Sans femme dans ma vie depuis des mois, c’est sans doute pour cela que cette médecin m’a tant plu avec ses airs de citadine perdue au fond des bois.
— Il faudra des points de suture. Puis, je vous enveloppe l’orteil et vous revenez me voir la semaine prochaine. Je suis de garde dimanche. Pas d’allergie à la pénicilline ?
Sa voix était jeune, plus jeune que son corps. Elle devait être dans la quarantaine.
— Oui, si elle contient des arachides.
Elle m’a regardé sans sourire, comme pour me faire comprendre qu’elle n’avait pas de temps à perdre avec moi.
— Pas de problème de santé ?
Elle écrivait sur sa tablette de prescription, cette fois en souriant. Elle m’a tendu l’ordonnance sans lever les yeux.
J’ai lu : « Michèle Morgan, urgentologue. »
— Comme l’actrice française ?
— Mon père était un Morgan et un grand fan de madame.
— Et vous avez ses yeux.
Je regrettai le compliment dès l’instant où je m’entendis le lui faire à haute voix.
— Facile, avait-elle ajouté. Merci… Vous vivez ici toute l’année ?
— Oui, j’ai quitté la ville. Je suis écrivain, des romans d’espionnage.
— Vous avez publié plusieurs livres ?
— Aucun.
J’en ai terminé trois qui dorment sur mon disque dur. Mais je n’en ai présenté aucun à un éditeur. Je me propose de le faire bientôt, sous différents pseudonymes.
— Vous reviendrez la semaine prochaine, je veux m’assurer qu’il n’y a pas d’infection.
Je n’ai pas pensé à elle les premiers jours. Pour mieux vivre seul, il a fallu que j’établisse une certaine routine. Je me lève tôt et m’oblige à écrire quelques pages avant le déjeuner. Ensuite, je promène le chien et je fais mes courses au village. À l’heure de l’apéritif, je relis mes écrits et me console de mon manque de talent en prenant quelquefois un verre de vin de trop.
La ville ne me manque pas. Les femmes non plus. Étonné, j’espérais que le prochain dimanche arrive plus vite. Je voulais être indisposé. J’envisageais avec bonheur que la plaie s’infecte, mais malheureusement, mon orteil cicatrisait normalement. Je l’avais recouvert d’une pellicule plastique pour le protéger.
C’est un matin, en mettant mon bœuf à la mode au four, que l’idée de l’inviter à la maison m’a traversé l’esprit. Mon coup de téléphone n’a pas semblé la surprendre. Elle a accepté sans hésitation. Après lui avoir expliqué la route pour se rendre à la maison, elle a fixé l’heure de notre rencontre.
À son arrivée, j’ai cru un instant que nous serions dix personnes à table. Plusieurs sacs d’épicerie occupaient le siège arrière de sa voiture, une jeep noire d’une propreté notable. Même mon chien s’est découragé à la vue des plateaux d’amuse-gueules. D’habitude, il se lève, branle la queue pour accueillir le nouvel arrivant. Cette fois, rien ; Bozo est resté couché, les oreilles épousant le carrelage.
Après avoir déposé ses victuailles sur le comptoir de cuisine, elle s’est empressée de tout ranger au frigo. Je la regardais et n’osais intervenir. Timidement, je lui avais dit que le repas du soir était déjà préparé, mais à sa suggestion, j’avais accepté de congeler mon plat cuisiné. Nous mangerions les sushis qu’elle avait apportés. J’avais compris, au pincement de sa lèvre supérieure, qu’il en serait mieux ainsi.
Des jeans serrés moulaient ses fesses rondes et hautes. Quand elle s’est penchée, la courroie noire de son string m’a complètement déstabilisé. Je me suis approché d’elle. Mes yeux l’ont caressée et son regard s’est esquivé.
— Les points sont-ils encore fragiles ? a-t-elle murmuré en déplaçant son téléavertisseur sur sa hanche droite. Son chandail trop court mettait en évidence son appareil, habillé de faux léopard plastifié.
Puis, sur un fond de jazz, je l’ai invitée au salon. Elle a marché d’un pas rapide, sans s’attarder aux photographies ornant le mur du corridor, des clichés de mon dernier voyage en Provence. Fixant le vieux saule au bout du jardin, elle m’a demandé :
— Vous avez un petit punch ?
Elle revenait d’un séjour en Martinique et s’était entichée de cette boisson du terroir. Ça tombait bien, mon ami François m’en avait offert une bouteille lors de sa dernière visite. Le verre à la main, elle s’est assise sur ma causeuse fleurie et s’est mise à vanter les beautés de cette île du Sud. Un jour, elle s’y installerait. Puis, elle a ajouté :
— Vous pensez aussi laisser l’hiver derrière vous pour de bon ?
Je ne m’étais pas posé cette question. L’idée de me couper de mes racines ne m’avait jamais effleuré l’esprit. Maintenant que mon avenir était derrière moi, je jouissais d’une liberté sans contrainte.
En la regardant croiser les jambes, j’ai senti l’appel du vent du large. J’étais au bras de cette Vénus, vêtue d’un pagne bleu, décoré de petits papillons turquoise, qui enveloppait ses courbes douces. Ses pieds s’enfonçaient dans le sable et ses épaules nues suivaient la cadence des vagues. Puis, ma respiration s’accélérait et je n’avais plus qu’à la basculer…
À cet instant précis, elle a quitté le seul fauteuil confortable de la pièce pour venir s’asseoir à mes côtés. Son parfum m’enivrait. Comme un adolescent, j’ai passé mon bras autour de ses épaules et je m’entendais lui dire : « T’as de beaux yeux tu sais. » Et elle répliquait d’une voix feutrée : « Embrassez-moi. » De fait, elle a tourné candidement la tête et nos lèvres se sont touchées. Le souper ne me préoccupait plus. Puis, ses yeux vert opalin ont cligné :
— Où est votre téléphone ?
Tenant son téléavertisseur comme une pierre précieuse, elle s’est levée. Diana Krall s’est tue. Je suis resté calé dans les coussins, le cœur en dérive. Désormais, j’écrirais des romans d’amour. À voir son air défait, j’ai vite compris que je mangerais seul avec Bozo. Confuse, elle a insisté pour fixer tout de suite la date de notre prochaine rencontre. En enfilant sa veste marine et blanche, elle s’est approchée, et avec la tendresse d’une amante satisfaite, elle a embrassé mes lèvres mouillées, alors que son appareil nous faisait de nouveau vibrer.
Ce soir-là, j’ai substitué la promenade de Bozo à une lecture de Stendhal près du feu de foyer. Le vin aidant, je me suis réveillé au milieu de la nuit dans la même position. Je rêvais à Morgan.
Le lendemain, mon orteil m’élançait. Mon ex aurait dit : « C’est psychologique, prends un calmant », mais à mon avis, le doigt de pied nécessitait une consultation urgente. Par un heureux hasard, ma doctoresse avait laissé un message sur mon répondeur. Elle confirmait, pour le lunch, notre rendez-vous au seul café du village. Elle avait du mordant, cette Morgan ! En me remémorant la courroie noire de son string, mon sexe s’est gonflé et ma douleur a disparu.
Je me suis pointé une demi-heure à l’avance au resto et je me suis installé à la table près de la fenêtre. Je m’offrais, depuis ma retraite, ce plaisir de profiter du temps qui passe. Avec un allongé et le journal en guise de compagnons,