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Passer la Ligne Rouge
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Livre électronique153 pages2 heures

Passer la Ligne Rouge

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À propos de ce livre électronique

Venez découvrir Passer la Ligne Rouge, partie centrale de Sky Letters de Gabriel Ronan

LangueFrançais
Date de sortie2 oct. 2018
ISBN9781386442325
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    Aperçu du livre

    Passer la Ligne Rouge - Gabriel Ronan

    1.

    13 Octobre 1999

    L'avion amorçait sa descente. Il restait encore une bonne heure avant d'atterrir à ma destination.  Je savais pertinemment que ça allait être un nouveau départ, même si du haut de mes vingt-trois ans, cela ne pouvait signifier que peu de chose pour beaucoup de monde. Je crois que j'avais besoin d'un retour aux fondamentaux, de ne pas avoir de point d'ancrage dans ce nouvel élément, d'être totalement libre dans un environnement nouveau et inconnu. Je me disais que tout était possible, que ces erreurs passées, ces mauvais choix, mais aussi les bons, allaient tous être remis en cause. Il faudra me reconstruire, partir de zéro, et rien que cela pouvait arriver à me motiver.

    J'avais besoin de tout ça, parce que je me lassais vite d'une situation, surtout si elle était sous contrôle. C'était dans la découverte et l'exploitation de celle-ci que j'étais bon, que je développais le plus mes capacités personnelles.

    Je me lassais vite du quotidien. Pas de la routine, que je réussissais à accepter et parfois même à apprécier. Mais le fait de m'être approprié les choses me faisait les gérer avec une méthodologie que j'estimais sans faille. Cette méthodologie m'enlevait très rapidement le goût de la conquête. J'étais bon là-dedans, c'est indéniable, mais cette qualité devenait très vite un défaut quand il fallait apprécier le travail effectué et les progrès obtenus.

    J'avais trouvé dans mon compagnon d'avion un ami jetable. Il était très confortable d'avoir un ami de quelques heures, comme les couverts jetables et le plateau-repas que l'on nous remettait à bord. Pratique, efficace, totalement dédié au plaisir immédiat, sans pour autant faire passer des spaghettis bolognaises pour un déjeuner de gourmet. Pas besoin de s'appesantir sur l'état civil de son voisin. On reprenait tout à plat: pas de passé, pas de jugement. On pouvait raconter ce que l'on voulait, de toute manière, on ne se reverrait probablement jamais. Chacun d'entre nous inventait sa vie rêvée, ses objectifs. Tout était romancé, exagéré, fantasmé.

    Sur ce vol Paris-Shanghai, mon voisin était un Anglais qui venait en Chine pour rejoindre sa femme, cadre dans une usine française de cosmétiques. L'exploitation dans toute sa grandeur dans un petit complet Hugo Boss de belle qualité. Je ne pensais pas que la cravate était indispensable sur un vol aussi long, et je crois même qu'il enviait mon style plus décontracté d'étudiant en treillis et en baskets. Il avait laissé négligemment ses clés de BMW près de son plateau-repas. Je ne comprenais pas l'utilité de les avoir déposées là, à moins de vouloir poser les choses, d'expliquer que l'on a réussi, et que l’on va rejoindre sa femme à la tête d'une usine en Chine. Avec tout ça, je me demandais ce qu'il pouvait bien penser de moi.

    Je lui expliquais que j'étais étudiant en anglais, et que je me rendais en Chine, à l'Université de Lettres de Shanghai pour me perfectionner.

    C'est aussi ça l'intérêt d'un ami jetable, il ne vous demande pas pourquoi avoir choisi la Chine pour apprendre l'anglais. Preuve, s'il en est, que j'aurais tout aussi bien pu raconter que j'étais trafiquant de drogue, ou encore proxénète en quête de nouvelles employées.

    De toute manière, nous allions atterrir. L'équipage nous demandait d'attacher nos ceintures pour la descente, et nous nous quitterions sans jamais nous croiser à nouveau, même si au final la sincérité de cet échange n’était pas à remettre en doute.

    Pudong International Airport.

    Ce sont bien là les seuls mots que j'arrivais à lire, sur la seule pancarte bilingue du lieu. Je découvrais avec plaisir, mais aussi avec un peu d'appréhension, ce que cela pouvait être d'être à la place d'un enfant de moins de six ans, tout petit dans un monde où de nombreuses inscriptions incompréhensibles se présentaient à moi.

    J'aurais été bien incapable de repérer la sortie ou bien les toilettes. Une sensation assez étrange en fait. Il y avait beaucoup de monde dans cet aéroport. Beaucoup de brouhaha incompréhensible. Je n'arrivais même pas à distinguer des bribes de phrase, ni même quelques mots ci ou là. J'avais l'impression d'être retombé en enfance, et j'attendais qu'une main se tende pour me montrer le chemin et m'expliquer ce que je devais faire.

    Je réussis néanmoins à récupérer mes bagages, en l’espèce un gros sac à dos comprenant le nécessaire vital pour une à deux semaines, me disant que je trouverais tout le reste sur place.

    J'avais juste une adresse: l'Université Fudan, où je devais retrouver Claire, une expatriée française que j'avais rencontrée l'année dernière, alors que j'étais à la fac de Vancouver. J'avais eu une brève histoire avec elle là-bas, mais cela n'avait pas dépassé le stade du simple flirt. Elle était restée seule pendant trois mois, comme moi, et nous étions convenus de nous revoir une fois de retour en France.

    J'avais revu Claire à Toulouse le mois dernier. Elle travaillait à Paris, habitait chez sa mère et s'occupait d'enquêtes d'opinion pour de grands groupes commerciaux. Elle était sur le départ pour Shanghaï pour y perfectionner son chinois, qu'elle avait appris au Lycée, afin de continuer dans le commerce international. J'étais à ce moment-là juste entré à l'IUFM. J'avais obtenu ma licence grâce à ce passage à l'Université canadienne, et avais passé les concours d'entrée aux différents IUFM de France. Cela faisait partie de mon cursus. Mes parents étaient dans l’Éducation Nationale, je devais m'y rendre aussi. J'habitais alors un petit appartement, type studio en plein cœur de la ville rose. Je m'y étais construit une image de jeune dandy, écoutant du jazz sur des enceintes hors d'âge, un mobilier minimaliste et une vie nocturne fournie. J'étais déjà intéressé par l'Asie. Sans en être un spécialiste, j'excellais pourtant à me faire passer pour un connaisseur, capable de sentir la substantielle moelle de cette culture.

    Je devais donc accueillir Claire le premier week-end de septembre. Elle avait prétexté un rendez-vous quelconque pour venir, mais j'ai appris plus tard qu'elle était spécifiquement venue  me voir. J'avais donc, comme il convient, montré mon désintérêt, et notre histoire avait commencé là.

    C'était un très beau week-end. J'étais allé la chercher à l'aéroport de Toulouse au volant de mon attrape-fille, un joli cabriolet Mazda MX-5 rouge. Stricte deux-place à l'habitacle confiné, cette auto permettait une promiscuité sujette au rapprochement des corps.

    La première nuit fut simple: chacun dormait de son côté, bien que je soupçonnais qu'elle attendait que je me manifeste de mon côté, comme moi du sien. Je prenais bien soin de faire durer le plaisir. Elle aussi.

    C'est le lendemain, après une belle journée ensoleillée et quelques verres que nos regards pleins d'envie se croisaient dans la glace de la salle de bain, et que le premier baiser vint.

    Nous n'avons alors plus bougé de l'appartement avant le dimanche soir, quand j'ai dû la ramener à l'avion, entre étreintes passionnées, et scènes d'amour plutôt sympathiques, et parfois osées. Elle regagnait Paris, me demandant de la rejoindre. J'ai dû refuser. Je devais suivre mon cursus actuel.

    J’entrais ainsi à l'IUFM de Toulouse.

    Trois mille postulants pour une centaine de places. J'avais passé le concours sans stress.

    En fait, j'ai toujours été comme ça. Si je passais un concours, je le préparais assez tôt et de manière si logique, que rien d'autre ne pouvait se passer que l'obtention du dit concours. J'avais la certitude que l'examen était obtenu, j'en venais à un point où je n'y éprouvais plus de plaisir.

    Il ne faut pas croire que j'étais tellement intelligent qu'aucun concours ne pouvait me résister, loin de là.

    Je ne me considérais pas comme supérieurement intelligent. J'étais simplement très méthodique et organisé. La moitié du travail était faite. Je venais donc très détendu le jour J, ce qui me permettait d'avoir de l'avance sur les autres.

    Tel est le but d'un concours : arriver devant les autres. Et pour ça, je savais me préparer de manière quasi militaire.

    J'avais quitté le monde de la Fac de lettres, où tout était facile, les gens tous très différents, et l'obtention des diplômes assez aisée pour peu que l'on y travaille. J'ai toujours refusé l'idée que les universitaires étaient ce qu'on appelle des intellectuels. Il s'agit pour la plupart de gens besogneux, comme moi, qui préparent logiquement leurs examens et qui les obtiennent.

    Oubliée, l'image de l'étudiant de Lettres habillé seventies, un bouquin de Kant sous le bras, fumant et buvant dans des cafés populaires. Ceux-là restent des années en Fac, sans obtenir le moindre diplôme, et finissent par se recaser en filière psychologie à trente ans, espérant par là profiter de leur inestimable sens de la vie.

    Mais j'aimais bien l'image de l'étudiant de Lettres habillé seventies, un bouquin de Kant sous le bras, fumant et buvant dans des cafés populaires. Et quand je suis arrivé à l'IUFM, j'ai constaté que les étudiants qui y étaient présents étaient effectivement des gens besogneux, qui avaient réussi à avoir leur licence, parfois de haute lutte, et qui se destinaient sans discussion à l'enseignement.

    Là encore, l'image était biaisée. La plupart de mes camarades voulaient devenir profs pour le statut, les avantages, et parfois accessoirement la vocation.

    J'avais côtoyé pendant des années des profs, qu’il s’agisse de mes parents ou de leurs amis. La plupart étaient passionnés par leur métier, parfois déçus de la tournure des choses, mais reconnaissant les avantages de la profession.

    Là, j'avais en face de moi en majorité des idéalistes. Je me plaçais, ainsi que d'autres, sur un plan plus réaliste. Je n'avais grande conviction pour l'éducation. Nous ne vivions pas dans le Cercle des Poètes Disparus.

    Ces camarades m'agaçaient. J'étais beaucoup trop jeune pour me retrouver là et n'arrivais pas à m'imaginer à 23 ans dans cette administration. Un salaire fixe et des avantages indéniables, mais une lourdeur et une bêtise administrative qui rendent bien vite le plus volontaire des individus aussi bête que ses aînés, et ce très rapidement.

    J'avais décidé que je m'en irais assez rapidement. Je n’étais pas à ma place ici.

    J’ai reçu il y a deux semaines un appel de Claire, qui me disait qu'elle partait à Shanghaï, université de Fudan. J'ai tout de suite réuni mes économies et ai pris mon billet.

    Après avoir, non sans mal, réussi à m'extirper de l'aéroport de Pudong, ma mission n'en était pas terminée pour autant. Il me restait à trouver un taxi et à réussir à lui expliquer où je voulais me rendre, le tout sans avoir la moindre notion de chinois, et bien sûr sans avoir emporté le moindre dictionnaire sur moi.

    Le nombre de taxis ici est sidérant. J'en hèle un au hasard. Une antique Volkswagen Passat rouge et verte s'arrête à ma hauteur. Je rentre dans un véhicule en très bon état, à l'allure neuve.

    Il s'agit en fait des seules voitures autorisées  à faire le taxi à Shanghaï, la seule marque adoubée par l’état étant Volkswagen.

    Et afin de limiter les coûts de production, il ne sortait de ces usines que d'anciens modèles de Passat, celles que nous avions en Europe dans les années 80, d’où cet aspect neuf sous cet air « vintage ».

    Je balbutie alors un timide Fudan University dans l'oreille de mon chauffeur, qui démarre immédiatement la voiture, sans pour autant avoir je pense compris où il devait m'emmener. Je le soupçonne d’ailleurs de vouloir en profiter pour me faire faire un tour de la ville à mes frais. Mais après tout, je paie en dollars américains, et vu le prix de la course qui s'affiche en Yuans devant moi, j'avais de quoi rallier Pékin.

    Cela faisait déjà une heure que nous tournions en rond sur les différentes autoroutes et périphériques de la ville, et j'en étais à peine à dix dollars. Je me doutais que j'avais droit au traitement touriste, mais je m'en contentais.

    Je savais que Claire m'attendait. Je l'avais prévenue de mon arrivée.

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