Explorez plus de 1,5 million de livres audio et livres électroniques gratuitement pendant  jours.

À partir de $11.99/mois après l'essai. Annulez à tout moment.

Le voyage
Le voyage
Le voyage
Livre électronique507 pages6 heures

Le voyage

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

une expérience encore jamais tentée par l'humanité. dix personnes en quête d'une aventure spatiale aux nombreux rebondissements (dans tous les sens du terme)...
LangueFrançais
ÉditeurLes Éditions du Net
Date de sortie25 nov. 2013
ISBN9782312016634
Le voyage

Auteurs associés

Lié à Le voyage

Livres électroniques liés

Science-fiction pour vous

Voir plus

Catégories liées

Avis sur Le voyage

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Le voyage - René Michel

    cover.jpg

    Le voyage

    René Michel

    Le voyage

    LES ÉDITIONS DU NET

    22 rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes

    © Les Éditions du Net, 2013

    ISBN : 978-2-312-01663-4

    Prenons les six journées de la Genèse

    comme image pour représenter

    ce qui, en fait, s'est

    Passé en quatre milliards d'années.

    Une journée égale donc six cent

    Soixante millions d'années.

    Notre planète est née le lundi à zéro heure.

    Lundi matin et mercredi jusqu'à midi

    la terre se forme. La vie commence

    mercredi à midi et se développe dans

    toute sa beauté organique pendant les jours suivants.

    Samedi, à quatre heures de l'après–midi

    seulement, les grands reptiles apparaissent.

    Cinq heures plus tard, à neuf heures du soir,

    lorsque les séquoias sortent de terre,

    les grands reptiles disparaissent.

    L'homme n'apparaît qu'à minuit moins trois minutes.

    Samedi soir, à un quart de seconde avant minuit,

    le Christ naît. À un quarantième de seconde

    avant minuit commence la révolution industrielle.

    Il est maintenant minuit samedi soir

    et nous sommes entourés de gens qui croient

    que ce qu'ils font depuis un quarantième

    de seconde peut durer indéfiniment.

    David Brower

    Prologue

    Les chambres que l'on nous a attribuées sont plutôt confortables, la décoration est assez futuriste mais quoi de plus normal. Pour un 3 juillet en Floride la température est très agréable et, connaissant l'agressivité des climatiseurs aux États-Unis pour y avoir effectué plusieurs séjours, j'ai réglé le mien au minimum.

    J'ai un regard désolé vers l'immense lit à trois places et, par la baie vitrée qui occupe la totalité du coté sud, j'aperçois la base dans un état léthargique à l'heure qu'il est. Pas ou peu de trafic, quelques véhicules de service qui traversent lentement les pistes et, à une extrémité de l'une d'elles, presque dans l'obscurité, la navette attend. Le bar de l'espace loisirs semble avoir conservé un peu d'activité si j'en juge aux lumières qui filtrent à travers les ouvertures et le souvenir de la serveuse et de ses transparences me traverse l'esprit, malheureusement, je ne parviens pas à figer l'image et elle s'évanouit.

    La question que je refoule depuis longtemps ne fait aucune difficulté pour remonter à la surface et s'y maintenir malgré tous mes efforts : pourquoi suis-je ici ? Pourquoi abandonner tout ce que j'aime et tous ceux que j'aime ? Mais le contrat est signé et il est trop tard pour renoncer, nous partons demain et il faut absolument que je termine. Je lui enverrai par le RTU et elle en fera ce que bon lui semblera.

    J'ai encore un peu de temps, j'essayerai malgré tout de dormir un peu, mais je ne suis pas certain d'y parvenir. Demain sera un grand jour.

    Chapitre 1

    L'annonce était dans le journal « Le Monde ». Nous étions le 12 juillet, je me souviens très bien de la date. C'était la veille de mon départ en vacances. Cette année là, le Haut-commissariat avait décidé que le centre de recherches serait fermé en juillet et en août.

    On ne nous l'avait pas présenté de cette façon mais nous avions tous bien compris que les restrictions de crédits n'étaient pas étrangères à cette mesure. Quinze jours à ne rien faire, au Costa Rica. Lieu de villégiature pour touristes moyennement fortunés, j'étais assuré d'y trouver le soleil, la mer, c’est-à-dire tout ce qui me convenait et me plaisait, et la liberté de ne pas participer à ce qui était prévu pour nous donner une impression de divertissement. Les vacances ne sont pas très compliquées à organiser quand on gagne relativement bien sa vie et que l'on n'a pas de famille, par pas de famille je veux dire ni compagne ni enfants.

    Pendant les deux autres semaines de congés, je me réfugiai chez mon père à la campagne. À ne rien faire non plus. Mais cette inactivité me permit de revoir mon village natal, des amis que j'avais perdu de vue depuis la première école, des paysages et des rues qui avaient bien changé et que je ne reconnaissais pas tous. Mon père n'était pas au mieux de sa forme, et mes visites, peu fréquentes, lui redonnaient un peu de la vigueur et du courage que ses soixante et quinze ans lui avaient pris. À l'époque, je résidais par commodité professionnelle dans la banlieue parisienne, à Saclay, et me rendais environ trois fois par an dans cette Provence où j'avais été élevé et que la grisaille parisienne me faisait souvent regretter.

    L'annonce paraissait peu suspecte de fantaisie, le sérieux du média dans lequel elle avait été publiée garantissait son authenticité. Ce n'était d'ailleurs pas vraiment une petite annonce, elle ne se trouvait pas à l'emplacement réservé à ce genre de communication. Elle figurait dans un encart à la suite d'un article en rubrique internationale traitant des projets développés par une agence américaine la « Spacial Research Agency » basée à Houston au Texas.

    Je ne prenais le temps de lire attentivement les journaux qu'au cours de mes voyages, sinon, je procédais habituellement à une première lecture en diagonale qui était généralement la dernière. J'avais tout d'abord parcouru distraitement l'article, il faisait un temps superbe, et les circonstances n'étaient pas vraiment propices à la lecture attentive du « Monde » : terrasses de café bondées, environnement bruyant, grouillant de touristes (depuis plus d'un demi siècle les japonais n'en finissaient pas de découvrir Paris), prévisions de mon voyage... Et l'encart n'avait pas vraiment attiré mon attention.

    Il avait fait très chaud ce jour-là. J'avais l'impression que les rues étaient remplies de vapeur d'eau et en cette fin d'après–midi, la chaleur remontait des trottoirs par bouffées suffocantes, troublant la netteté de leurs contours. Je sentais dans mon dos que mon up-body en épongyl avait perdu toute son efficacité.

    Ce n'est que le soir assez tard, en rentrant chez moi, que je ne sais quel sentiment – que pourrais-je en déduire aujourd'hui ? – me fit rouvrir le journal à la page précise de l'article. Plié en quatre dans ma poche, il avait également souffert de la chaleur mais demeurait parfaitement lisible. Je retrouvai assez rapidement l'emplacement.

    L'encadré précisait :

    Si vous êtes ingénieur de formation scientifique

    Si vous parlez couramment l'anglais

    Si vous êtes disponible

    Si vous avez moins de quarante ans

    Si vous êtes intéressé par ce projet

    Vous pouvez contacter le correspondant de la SRA à Paris : M. Norman Johnson.

    Suivait un numéro de connexion télématique et une adresse : 6 rue G. Washington FR 75008 Paris - Europe (Pour la rue Washington, je ne sais si c'était une coïncidence ou pas)

    Je partais en vacances le lendemain pour un mois, j'avais un travail intéressant, un appartement confortable, doté des derniers équipements domotiques, pas vraiment de soucis financiers ni d'angoisse existentielle, trente quatre ans et j'étais pratiquement libre de toute attache familiale.

    Même si je répondais à toutes les conditions, pourquoi aurais-je été intéressé ? Je n'en sais rien, ce que je sais, c'est que j'ai composé le numéro le lendemain avant de partir. Mon correspondant, le professeur Johnson (c'est sa secrétaire qui m'apprit qu'il était professeur, et je constatai que les américains avaient apparemment la même curieuse manie que nous, qui consiste à appeler professeur quelqu'un qui est professeur, mais pas plombier ou boulanger quelqu'un qui est plombier ou boulanger. Quant à moi, on ne m'a, fort heureusement, jamais appelé monsieur l'ingénieur). Le professeur Johnson donc, fut très courtois, il s'exprimait correctement en français et, après lui avoir laissé mes coordonnées, me fixa un rendez–vous le 6 septembre à 10 heures a.m. dans les locaux de l'agence à Paris.

    J'avais tout oublié en rentrant de chez mon père et c'est en consultant la messagerie électronique de mon terminal, au milieu des diverses factures et de leur rappels, habituellement réservées au mois d'août et qui attendaient mon retour, que je me remémorai ma communication en découvrant un message au logo particulier dont il était difficile de ne pas identifier l'origine : le sigle SRA apparaissait entre la Terre et la Lune, sur fond de drapeau américain.

    Je pris d'abord le temps de défaire mes maigres valises. Je n'ai jamais aimé être trop encombré dans les transports collectifs, et mes déplacements, pourtant fréquents dans mon travail, m'avaient habitué au minimum en ce domaine. Rien n'est plus désagréable que d'attendre une demi-heure ses bagages dans un aéroport.

    Je crois aujourd'hui que, malgré cet oubli temporaire, ce manque d'empressement à prendre connaissance du texte masquait une réelle curiosité et la crainte d'un refus qui aurait inévitablement entraîné une déception.

    Il ne contenait qu'en termes toujours aussi courtois, la confirmation de notre rendez-vous.

    Je pourrais dire que j'étais parfaitement reposé en rentrant de vacances, mais je n'avais pas un travail particulièrement épuisant et l'idée de le reprendre ne m'était pas désagréable.

    Mon séjour au Costa Rica s'était plutôt bien passé. Il est vrai que je fais partie de ces gens qui ne s'ennuient pas lorsqu'ils sont inactifs. Je peux passer des journées entières allongé au soleil sur une plage, mais je peux aussi enchaîner trois matches de volley-ball et plusieurs séances de plongée sous–marine.

    Je pourrais dire aussi que les deux dernières semaines à la campagne avaient pour objectif de me ressourcer, mais me ressourcer de quoi ? Je n'ai jamais vraiment eu le sentiment d'être privé de mes racines. Ou plutôt je n'avais jamais eu ce sentiment mais par la suite, ce fut de bien davantage que mes racines dont je fus privé !

    J'ai, plus ou moins comme chacun, toujours rêvé d'aventures. Le monde d'images qui a bercé l'enfance de ma génération exaltait toujours les mêmes héros, les mêmes valeurs. Le début du troisième millénaire n'eût rien à envier aux débuts du précédent. L'environnement multimédia avait changé les supports, et les aventuriers modernes, aidés par les dernières innovations technologiques qui ne servaient pas seulement à délivrer d'antiques belles endormies mais aussi à tuer de manière extrêmement sophistiquée et indolore, perpétuaient les légendes.

    J'ai, plus ou moins comme la plupart des adolescents de mon village, poursuivi des études, plutôt plus longtemps qu'eux, mais il n'était pas dans la tradition de la population rurale que les jeunes gens fassent des études prolongées. Les avancées sociales de gouvernements successifs à bout d'arguments et qui étaient parvenus à leur limite de crédibilité à l'issue d'une crise de confiance qui durait depuis bientôt cinquante ans, n'avaient en rien réduit les inégalités sociales. L'égalité des chances continuait à n'avoir de sens que pour ceux qui avaient déjà de la chance, pour les autres, ce n'était que l'égalité des risques. Je ne sais si je suis le résultat de la traditionnelle exception qui confirme la règle, mais je suis aujourd'hui un peu la fierté de mon père, regrettant profondément que ma mère n'ait pas vécu assez longtemps pour la partager, et ce qu'ils considèrent comme une réussite est aussi, pour moi, une revanche tardive mais discrète sur les vexations que ma croissance retardée me fit subir de la part de mes camarades.

    De mes études, j'ai retenu le goût pour deux disciplines qu'apparemment rien ne rapprochent ni ne lient : la littérature et les sciences physiques. Je crois pouvoir affirmer que les excellentes appréciations que j'y obtenais me permirent d'acquérir sans trop d'efforts mon diplôme universitaire.

    Ma première aventure fut le séjour que j'effectuai dans le cadre de la préparation de mon certificat d'ingénieur aux États–Unis. L'université de Princeton, dans le New-Jersey, m'accueillit pour quatre mois après avoir, près d'un siècle plus tôt, dû sa célébrité à l'illustre A. Einstein. En fait, ce n'est pas tout à fait par hasard que je demandai à effectuer mon stage dans cette institution. Ma passion pour la physique m'avait fait découvrir et apprécier, à défaut de comprendre tout de suite, les théories de la relativité restreinte et générale et je vouais une profonde admiration à ce personnage hors du commun. La réputation de l'université ne se trouva probablement pas grandie de mon passage mais j'y laissai un embryon de thèse sur les frontières possibles de l'univers qui, je peux l'espérer, facilitèrent peut-être les recherches de quelques étudiants passionnés.

    À mon retour, diplômé, certifié, mais peu expérimenté, j'eus la chance de rencontrer par hasard – les deux sont souvent liés– le directeur d'une unité de recherche du haut–commissariat qui souhaitait renforcer son équipe de Saclay afin d'affiner la mise au point des réacteurs à fusion nucléaire pour lesquels la maîtrise scientifique était désormais acquise mais qui devaient maintenant pouvoir être utilisés à usage civil et parfaitement fiabilisés.

    Je pus donc dire à mon interlocuteur que je bénéficiais de six années d'expérience professionnelle quand il me le demanda.

    Il avait été ponctuel et moi en avance d'une bonne heure, il était accompagné de deux personnes qu'il ne me présenta pas et que je supposai être ses collaborateurs.

    L'entretien dura plus de deux heures malgré les précautions que j'avais prises en guise de préambule informant M. Johnson que ma visite n'avait d'autre objet qu'un complément d'informations.

    À part ce que tout le monde avait pu lire, voir ou entendre dans les médias de l'époque, je n'en appris guère davantage.

    Bien sûr, j'avais eu connaissance du projet. Du temps où la NASA existait encore, les bases en avaient été jetées, puis rejetées par les gouvernements successifs.

    Il avait fallu un accord de financement international durement obtenu pour qu'il voit enfin le jour. Le Consortium franco–anglais avait fini par accepter, seuls représentants d'une Europe en déliquescence pour cause de déficience allemande. Ce pays venait de traverser une grave crise intérieure, mettant en péril l'union pourtant établie depuis déjà quelques décennies. Il avait renoncé à toute participation dans ce projet et je me demande encore pourquoi les autre États y avaient adhéré.

    – Les conditions de votre participation exigeront de votre part une disponibilité totale et pour une durée indéterminée, aussi nous vous mettons en garde contre toute décision hâtive de votre part (il rajoutait chaque fois «  de votre part », je me doutais bien qu'il s'agissait de moi) et sommes obligés de vous informer que cette mission comportera des risques certains.

    Ces risques certains, qui signifiaient probablement que c'était très dangereux, ne m'effrayèrent pas. Pour l'instant, j'attendais d'en savoir davantage. Il s'agissait d'un premier contact et mes fonctions, sans que je n'aie jamais été chargé du recrutement du personnel, m'avaient amené parfois à procéder à quelques embauches dans mon laboratoire. Les techniques de base ne m'étaient pas inconnues : tester les réactions du postulant par des affirmations un peu excessives en début d'entretien, les définir avec plus de modération ensuite.

    – Je me permets d'attirer votre attention sur le fait qu'il s'agit d'une mission très particulière, un type d'expérience auquel personne n'a encore participé.

    J'eus soudain un doute et pensai que j'allais servir de cobaye pour les nouveaux traitements anticancéreux dont on parlait beaucoup depuis quelques années, mais je ne voyais pas ce que l'espace pouvait bien apporter à ces expériences. Les tests pouvaient très bien s'opérer à terre.

    – Mais cette mission dans l'espace a bien un objectif ? Une raison d'être ?

    J'essayai d'être poli, mais je lui rappelai que j'avais accepté l'entretien pour avoir plus d'information et je souhaitais tout de même n'être pas venu seulement pour apprendre ce que tous les médias avaient déjà diffusé.

    Il me répondit avec complaisance que, comme je venais de le souligner, il s'agissait d'une première prise de contact, qu'il ne pouvait me donner qu'un minimum d'informations mais, compte tenu de la particularité de ce qui me serait demandé, il souhaitait me laisser réfléchir avant d'aller au delà.

    – Nous allons vous accorder un délai de réflexion de trois mois. Passé ce délai, vous reprendrez contact avec nous. En attendant, je vais vous remettre un formulaire qui nous permettra de mieux vous connaître.

    Il appelait cela un formulaire, c'était pratiquement un livre ! Il comportait au moins trente pages. Il me demanda de le renseigner soigneusement et de le lui faire parvenir sous quinze jours.

    Ni les conditions de travail, ni les niveaux de salaire ne furent abordés au cours de notre rencontre. L'essentiel de la discussion porta sur mes aptitudes à affronter des situations imprévues, mes capacités physiques, mes goûts. Je crûs deviner qu'il n'était pas particulièrement attiré par la littérature, ni par les sciences. Ses deux collaborateurs restèrent muets et lui même ne se présenta que par son identité sans me donner sa fonction ni son rôle éventuel dans la conduite du projet.

    Mon activité professionnelle fut, pendant quelques temps, perturbée par une recherche qui n'avait rien à voir avec celle pour laquelle j'étais rémunéré. Le Centre Scientifique de Ressources Européen était situé à proximité de mon domicile et j'y passais très souvent après mon travail, les premiers jours. Je finis par y consacrer des demi–journées entières. J'y recherchai et rassemblai tout ce que je pus trouver sur le projet qui, je dois l'avouer, m'occupait l'esprit plus que tout le reste et surtout plus qu'il n'aurait fallu. J'avais tout enregistré sur mini disque et je me constituai un dossier qui devint rapidement volumineux lorsque je l'imprimais.

    J'en savais désormais un peu plus, mais j'ignorais toujours ce qu'on attendait ou attendrait de moi. Je ne jugeai pas utile, pour l'instant, d'en parler à mon entourage, relativement limité, ni à ce qui me restait de famille.

    Une revue scientifique éditée sous forme de vidéodisque publiait les plans de la future station, et je l'avais achetée.

    Confortablement installé devant mon terminal, j'en découvrais une vue générale ainsi que les différentes parties qui la composaient. Gigantesque ! Irréaliste et irréalisable à mon avis ! Et pourtant elle existait réellement. On disposait de peu de détails, mais l'ensemble comprenait un module de propulsion et un centre de vie. Ce devait être une station spatiale comme on en avait rêvé, depuis que la conquête de l'espace avait repris ses droits après avoir été abandonnée une première fois après le débarquement sur la Lune et une seconde fois à la suite de la catastrophe de « Red Target ». Afin qu'on en perçoive mieux les formes, la station, probablement en images de synthèse, tournoyait lentement sur elle-même. Et je ne compris pas très bien pourquoi on allait avoir besoin de moi dans un tel engin, pour y faire quoi, et pour combien de temps ? Je m'aperçus que je ne m'étais pas encore posé la question de sa destination, mais j'eus – à cet instant précis – l'étrange pressentiment que quelque chose d'important allait se produire dans ma vie, ce qui jusqu'à présent ne m'étais encore jamais arrivé, dans un quotidien fait de routine et de banalités.

    Les idées un peu perturbées par ce que je venais de voir, le trouble provoqué par mon rendez-vous de ces derniers jours, la perspective d'un proche avenir différent et inconnu, m'empêchèrent de dormir. Sachant que plus j'y réfléchissais, moins j'avais de chance de trouver le sommeil, je décidai de me lever, revêtit ce que j'avais sous la main sans aucune considération esthétique ou hygiénique et descendit sur le boulevard. La nuit n'avait pas réussi à dissiper toute la chaleur du jour. La température était encore de 33° Celsius au cadran de mon organiseur et je me dirigeai vers le méga centre de distribution. Ouvert vingt quatre heures sur vingt quatre, on y trouvait absolument tout : nourriture, vêtements, matériaux, médias, restaurants et quantité d'autres services. C'est au comptoir du bar le plus bruyant et surpeuplé du centre que je terminai ma nuit, sans alcool, sans compagnie, l'esprit en pleine confusion, dans l'indécision la plus absolue.

    J'apprécie à leur juste valeur les développements scientifiques qui ont permis aux technologies d'évoluer et je vis entouré d'objets performants qui rendent de grands services, et la révolution des matériaux de ces dernières décennies a permis quantité d'améliorations pour tout ce qui concerne notre vie quotidienne, même si leur utilité peut parfois être contestable. Mais je développe un comportement paradoxal en pensant parfois que je pourrais tout à fait me passer de tout cela. J'ai longtemps rêvé d'un long séjour sur une île déserte et j'ai souvent dit à mes amis et aux gens que je fréquente que j'y finirai probablement mes jours. Parfois sur le ton de la plaisanterie, mais pas toujours. Peut-être ce goût de la solitude, cette envie de découvrir autre chose, de vivre différemment m'incitèrent, le surlendemain, après une nuit plus calme, à considérer que ma candidature était sérieuse et à remplir avec infiniment de soins le formulaire qui m'avait été remis.

    Aucune pièce justificative n'était demandée mais je devais joindre une autorisation de consultation du Fichier Central de Renseignements et on m'imposait une signature magnétique. Trois jours plus tard, je fis parvenir le tout à l'adresse indiquée au verso du dernier feuillet, directement à Houston. L'expédition par réseau télématique express était vivement recommandée et je suivis ce conseil.

    Il ne me restait plus qu'à attendre.

    Chapitre 2

    L'immense tour de verre et de matériaux composites, vestige de modèles architecturaux aujourd'hui abandonnés, était déjà en elle-même très impressionnante, mais la vue sur la ville depuis le quarante deuxième étage l'était encore davantage. La salle de conférences était pleine à craquer, et dans un intense brouhaha, chacun essayait de trouver une place. Il n'y en eut pas pour tout le monde et quelques journalistes durent se contenter de rester debout.

    Sur l'estrade, surplombant la salle, elle-même dominée par un écran géant, quinze personnalités étaient assises derrière un support lumineux indiquant respectivement leurs noms. Le général Stephen Lloyd-March, qui occupait la place du milieu, était encore debout. Il tapota légèrement son micro du bout du doigt, et après avoir constaté qu'il fonctionnait déclara :

    – Mesdames et messieurs, nous allons pouvoir commencer.

    Il fallut un certain temps pour que le volume du bruit ambiant diminue jusqu'à un calme que le général apprécia comme suffisant pour pouvoir parler.

    – Mesdames et messieurs, permettez-moi tout d'abord, au nom du gouvernement des États-Unis d'Amérique, que je représente aujourd'hui, de vous remercier de votre présence et de l'intérêt que vos organismes respectifs portent à notre projet.

    Il s'assit, ouvrit un imposant dossier composé de feuillets de couleur différentes et s'éclaircit la voix.

    – Nous célébrons aujourd'hui, jour pour jour, le dixième anniversaire de la naissance du projet « Galaxy ». Je ne saurais vous dire combien de persévérance, d'abnégation et de courage ont été nécessaires pour le mener à terme. Les difficultés ont été nombreuses, de tous ordres, et particulièrement en ce qui a concerné le financement. Les premiers chiffrages ont bien failli décourager les quelques pays volontaires qui s'étaient engagés. Le consensus international n'a pas été une mince affaire. Deux années entières ont été consacrées à de difficiles négociations permettant d'aboutir à un accord final. Quarante deux nations y participent, à hauteur d'investissements correspondant à leur puissance économique et je tiens tout particulièrement à les en remercier.

    Il montra, d'un geste de la main, les premiers rangs où les représentants diplomatiques de tous ces pays avaient été invités à prendre place.

    Quelques applaudissements se firent entendre mais le général, toujours d'un geste de la main, signifia que ce n'était pas le moment.

    – Toutes les études ont été conduites par les plus grands spécialistes de ces pays. La SRA en a assuré la coordination, tous les centres de recherches ont été mis à contribution. L'ampleur et la teneur de l'opération ne nous permettaient aucun droit à l'erreur. Ces études ont duré quatre ans et je pense, vous aurez l'occasion de le constater par vous–mêmes tout à l'heure pendant la projection, que le résultat est à la hauteur de nos espérances et de nos ambitions.

    Quatre années au cours desquelles pas moins de cinq mille personnes ont fourni un travail intense qui va enfin pouvoir se concrétiser. Par la modélisation et la simulation sur nos supra-ordinateurs nous avons pu vérifier l'exactitude de nos hypothèses et la fiabilité des différents systèmes de propulsion, de navigation, de vie, et de survie. Tous ces tests et leurs multiplications nous ont permis de passer à l'étape suivante : la construction de l'ensemble du vaisseau.

    La salle était désormais dans un silence total, l'orateur ne lisait pas les documents qu'il avait devant lui. Désigné depuis l'origine pour mener à terme le projet, il n'avait aucunement besoin de notes pour en parler des heures et l'exposer à une assemblée de journalistes.

    – Le programme de construction aura été le plus difficile. Il vient de s'achever et nous allons entrer dans la phase la plus attendue, la plus critique, la plus délicate, mais aussi la plus passionnante. Cela nous a pris quatre années au cours desquelles, là aussi, tous les États participants ont été présents et actifs. L'ensemble a bénéficié des technologies les plus récentes dans tous les domaines. Rien n'a été laissé au hasard ni oublié. Nous sommes, dans ce dispositif, très proches de la qualité totale, et ceci n'est pas seulement mon point de vue mais celui de tous les experts qui ont contrôlé en permanence l'exécution et la réalisation de tous les éléments et de leur assemblage. Assemblage qui - mais je vous donnerai des détails plus tard si vous le souhaitez - a été réalisé en orbite. Orbite haute pour des raisons balistiques.

    Il se tourna vers son voisin, un civil - en tout cas on pouvait le penser - puisque les militaires étaient en uniforme.

    – Si vous souhaitez obtenir des informations précises plus techniques, mais je ne suis pas certain que cela intéresse la majorité du public, le docteur N'Guyen Trinh pourra vous répondre.

    Le docteur acquiesça et le général poursuivit son exposé.

    Nous diffuserons bientôt un mémo spécial donnant la constitution du vaisseau, les plans et des holophotographies. Ces informations seront disponibles sur le Réseau Télématique Universel, mais nous vous offrirons un exemplaire vidéo à l'issue de la conférence. Nous avons également prévu une projection tridimensionnelle à votre intention.

    La construction du vaisseau est donc maintenant achevée depuis trois mois. Tous les tests de fonctionnement de tous les organes en grandeur réelle, à part bien entendu le propulseur, ont été positivement validés.

    Il prit un temps de repos, croisa les mains sur les feuilles de papier devant lui.

    – Mais vous vous doutez bien que cet immense assemblage de matériaux et de technologie n'a de raison d'être que s'il est servi par un équipage. Malgré les performances sans cesse améliorées de nos systèmes informatiques, nous ne pourrons nous passer d'un équipage humain... À la vérité nous aurions pu le faire, mais l'objectif de la mission et sa nature n'auraient plus eu alors, aucun sens.

    La durée du voyage, les contraintes de vie à bord et différents autres paramètres nous ont conduit à définir que le nombre optimal de personnes embarquées serait limité à dix. Les techniques de navigation et les conditions de vie dans le vaisseau ne nécessitant pas une formation de spationautes, nous avons recruté, et cela n'a pas été le plus facile, des techniciens hautement qualifiés dans tous les domaines nécessaires.

    Vous observerez que l'inventaire de leurs professions ressemble à ce que des scénaristes en panne d'inspiration rassemblaient autrefois dans des films relatant tous les ennuis possibles d'un avion en perdition - il esquissa un sourire - mais nous espérons que l'inévitable psychopathe sera absent de la distribution.

    Comment, en effet, se passer des services d'un médecin, d'un informaticien, d'un radionavigant, d'un spécialiste de la nutrition, d'un psychologue... - cette fois, ce furent certains auditeurs qui esquissèrent un sourire - vous trouverez dans la revue la liste nominative et la fonction des membres de l'équipage.

    Nous pensons, nous espérons, que les critères de sélection extrêmement sévères permettront l'accomplissement et la réussite, dans les meilleures conditions, de la mission qui va leur être confiée.

    Je crois que le moment est maintenant venu, si vous n'y voyez pas d'inconvénient, de vous présenter notre vidéo résumé.

    L'écran à plasma n'était pas d'une luminosité exceptionnelle, l'obscurité se fit dans la salle, le niveau de bruit remonta légèrement, mais le système sonore multi sources, un peu envahissant, couvrit le tout rapidement. Il était difficile de savoir s'il s'agissait d'images de synthèse ou de vues réelles de la station, mais la taille de l'engin impressionna l'assemblée.

    Le commentaire, encore plus emphatique, glorifiait la technologie en général et la technologie américaine en particulier, tout en saluant l'effort et le courage des plus modestes. Le Pakistan et la République Israélienne furent largement cités. Une avalanche de chiffres déclina les caractéristiques du vaisseau et la récente généralisation du système métrique n'en facilita pas la compréhension immédiate pour la majorité des journalistes présents.

    L'ensemble avait la forme traditionnelle de n'importe quel vaisseau telle que l'avait maintes fois représenté le cinéma du siècle dernier. Dans la propulsion spatiale, l'aérodynamique n'a aucune importance, seule compte la fonctionnalité et le « Galaxy » était composé d'un module de propulsion énorme et disproportionné par rapport à l'ensemble, dont la raison allait bientôt en être donnée. Ce module était précédé, ou suivi selon le sens de vision, d'un ensemble dit « de vie » réparti sur plusieurs compartiments et plusieurs étages, le tout non pas de section circulaire, mais rectangulaire. Les spectateurs apprirent que le module, assemblé sur une orbite de trois cents kilomètres d'altitude, comme l'avait précisé le général Lloyd-March, était essentiellement en matériaux composites à base de polypropylènes, expansés, moulés et soudés sur place, les navettes amenant le produit sous forme de granulés.

    La très haute tenue en température de ces matériaux, bien supérieure aux céramiques, avait permis la réalisation de ce propulseur à qui on allait demander des performances encore jamais atteintes. Malgré les prodiges des nouveaux réacteurs à plasma, la durée de poussée prévue était telle que l'étage propulseur, de forme cylindrique, ne mesurait pas moins de cent mètres de long par quinze de diamètre.

    La cellule de vie, comprenant le poste central de commande et toutes les annexes, très nombreuses, de section rectangulaire, composait un ensemble de dix étages peu harmonieux et inesthétique avec ses quarante mètres de longueur, soixante mètres de largeur et trente de hauteur.

    Ce bloc prismatique était raccordé au propulseur par l'intermédiaire d'un grand volume que l'on devinait sphérique. Ainsi assemblés, les trois éléments semblaient emboîtés les uns dans les autres et le raccordement des volumes assouplissait un peu la dureté et la froideur des lignes angulaires.

    Le tout était assez curieusement décoré, si ce terme peut s'appliquer à un revêtement de couleurs criardes représentant un ensemble d'emblèmes nationaux sur fond de bannière étoilée. Les télévisions du monde entier, dont on se doutait bien qu'elles retransmettaient des images le moment venu, n'avaient pas besoin d'un tel éclat. Le vaisseau pouvait difficilement passer inaperçu !

    La séance dura un peu plus de trente minutes et lorsque les projecteurs se rallumèrent progressivement, ce fut le docteur N'Guyen Trinh qui prit la parole. Son physique et son nom laissaient deviner une origine asiatique, son accent le confirma.

    – Je vous suggère maintenant que nous consacrions quelques temps à répondre à vos questions, je vous remercie de bien vouloir vous lever, vous présenter et citer l'organisme dont vous dépendez.

    Ils furent bien une vingtaine à se dresser brusquement en levant la main, posant leurs questions simultanément et le général tenta de rétablir l'ordre, tâche qui devait lui être familière. Il désigna au hasard une grande dame brune aux environs du troisième rang.

    – Laurence Collins du « Chicago Independant ». Pouvez-vous nous donner quelques précisions sur l'équipage ? Sera-t-il exclusivement composé de militaires ? Y aura-t-il des représentants de plusieurs pays ? Et enfin, sera-t-il mixte ?

    Tous n'avaient pas bien entendu la question, le docteur N'Guyen la reformula et y répondit après avoir conseillé à son interlocutrice de parler plus près de son traducteur-micro.

    – Lorsque nous avons décidé que la mission embarquerait dix membres d'équipage, nous avons longuement réfléchi et envisagé plusieurs hypothèses. L'internationalité n'est pas un problème, bien au contraire, et les critères de qualification technique ont été déterminants, mais la sélection aurait pu nous conduire à recruter des personnels masculins et féminins. Au risque de vous décevoir, madame, nous avons opté pour un équipage exclusivement masculin et, très honnêtement, je ne suis pas en mesure de vous dévoiler tous les éléments qui nous ont conduits à cette décision. Je vous demande simplement de n'y voir aucune espèce de discrimination.

    Ce ne fut pas l'avis des nombreuses auditrices qui le firent savoir bruyamment. Le représentant du réseau européen de communication « Eurocom » Benoît Friedman prit la parole sans qu'on la lui ait donnée pour protester.

    – Les conditions de la mission vont être très difficiles - rajouta le docteur - et il est possible que la résistance physique des passagers soit mise à rude épreuve, mais, pour ce que je peux en dire, c'est essentiellement la durée du voyage qui a guidé notre choix.

    – Youri Denoff, « Tribune de Moscou ». Justement, à propos de la durée de la mission, vous ne nous avez rien dit, pas plus que sur la destination du « Galaxy ».

    – Aunis Mac-Leod du « Net Irish ». Qui va prendre le commandement de l'opération ?

    – Pas tous à la fois s'il vous plaît – recommanda le général – en ce qui concerne la durée de la mission, les seules informations que nous pouvons vous donner, c'est qu'elle sera très longue – il marqua un nouveau temps – ...très, très longue. Pour répondre à la question de mademoiselle Mac-Leod, je vous informe que j'aurai l'honneur et la fierté de prendre le commandement du vaisseau.

    – J.F. Cornell, Herald UK. Vous n'avez pas répondu sur la destination, et a-t-on une idée de la date du départ ?

    Ce fut N'Guyen Trinh qui intervint.

    – L'équipage sera à bord à partir du 28 juin 2046. Il sera accompagné pendant une semaine par les ingénieurs, les opérateurs et les techniciens qui ont construit l'ensemble.

    Le départ de l'orbite terrestre est fixé au 4 juillet à 6 heures p.m. en Temps Universel Coordonné.

    – J.H. Kennet, « Réseau Numérique Sud-africain ». À ce propos, vous avez parlé d'orbite haute, pourquoi avoir contraint les navettes à monter aussi haut alors que nous avons une multitude de satellites que nous pouvons presque apercevoir à vue d'œil ?

    – C'est tout simplement un problème de poids. Un satellite, si volumineux soit-il, n'a rien de comparable au « Galaxy ». Et, même à très haute altitude, vous savez tous que les masses n'échappent pas aux forces de gravité. Sachant que quatre années nous étaient nécessaires pour assembler le tout, nous avons calculé que, pendant ce laps de temps, il redescendrait, de plus en plus vite au fur et à mesure qu'il s'alourdissait, de plusieurs dizaines de kilomètres. Comme nous ne

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1