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Défricheurs d'Infini
Défricheurs d'Infini
Défricheurs d'Infini
Livre électronique586 pages7 heures

Défricheurs d'Infini

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À propos de ce livre électronique

L’Univers est infini.
Et le rêve parfois nous permet de mieux l’appréhender.
Le rêve d’Absolu.
Un rêve que partagent tous les aventuriers de ce livre : les Défricheurs d’Infini.
LangueFrançais
Date de sortie13 nov. 2023
ISBN9782312140759
Défricheurs d'Infini

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    Aperçu du livre

    Défricheurs d'Infini - John Falco

    Chapitre 1

    Saison des pluies 2019. Dans une contrée retirée du Costa Rica.

    Déserte était la route. Ou plutôt la piste.

    Qui déroulait son étroite bande rouge de lourde latérite, à travers l’immensurable jungle fumante.

    Une transfusion de sang nouveau. À l’intérieur des veines bleuâtres de la nébuleuse forêt pluviale.

    Un bouquet d’aras hyacinthe distillait, très haut au-dessus des frondaisons ouvertes, son infime parfum de plumes tièdes.

    Cachés sous le tapis des feuilles mortes, les anolis fouissaient la litière humide.

    Ces lézards étaient toujours à la recherche de quelque minuscule coléoptère succulent.

    Voire de ces longs lombrics gavés de sève organique et ruisselante, qu’ils avalaient d’une seule traite.

    Tom Markham appuya brutalement sur la pédale de frein du vieux Land Rover.

    Il ne voulait surtout pas écraser une vipère immobile, qui s’étirait devant le tout-terrain, dans une aréole de soleil.

    L’animal scindait de presque toute sa longueur la maigre piste boueuse.

    Il fallait bien que l’insidieux serpent s’abreuve de tout son saoul à ce mirage éphémère et luminescent. Parce que l’ondée n’allait plus tarder désormais à refaire son inflexible apparition dans le ciel vaporeux.

    Un ciel qui avait jeté son linceul de fantôme par-delà les canopées vertes.

    – Allez, dégage mon grand, lui lança l’impétueux chauffard. Si tu ne veux pas ressembler sans tarder à une vulgaire tagliatelle géante !

    L’ophidien, dans lequel il reconnut grâce à sa taille considérable, à ses truculentes arabesques, et surtout sous son vilain nez retroussé de vipéridé, l’identité d’un pernicieux fer-de-lance, ne broncha pas d’une écaille.

    – Vade retro, Satana, grommela-t-il de plus belle, à l’adresse de la guivre récalcitrante. Et tout en abaissant la vitre à passager, dans l’espoir de mieux se faire entendre.

    Un remugle de cadavre, suivi aussitôt par l’aspect inerte et ratatiné du serpent, eurent vite raison de sa véhémence.

    Tom Markham se rendit rapidement à l’évidence que le monstrueux reptile avait expiré, peu de temps auparavant certainement, son dernier souffle. Laminé sans aucun doute par un précédent véhicule aux pneus crantés.

    Le grage grands-carreaux avait donc subi, de façon plutôt grotesque, comme un excès de gravures, qui l’avait instantanément expédié ad patres. Il était mort depuis suffisamment de temps, en tout cas, un jour entier tout au plus, pour que l’insidieuse décomposition exhale déjà dans l’air ambiant ses miasmes ammoniaqués.

    Mais insuffisamment de temps néanmoins, pour n’avoir pas encore réussi à attiser la rapacité des urubus faméliques.

    Tom revérifia par conséquent le bon verrouillage de sa boîte de transfert. Celle-ci était bien restée en grande vitesse.

    Dans la foulée, il embraya la première.

    Et ainsi de suite jusqu’en quatrième. Il se ravisa pourtant. Et finit tout de même par rétrograder en troisième. Son intention était de conserver, un tant soit peu, la vitesse réglementaire des cinquante kilomètres par heure.

    Son pare-brise était déjà constellé de grosses gouttes ambrées. Qui dessinèrent sans attendre des ocelles irisées, se transmutant aussitôt en de majestueuses arborescences.

    La piste auparavant détrempée risquait fort de se transformer bientôt en une terrifiante pataugeoire. Voire en un tyrannique bourbier.

    Au bout d’une bonne vingtaine de minutes néanmoins, le Discovery, possédé dans son habitacle vibrant, par une version génialement remixée du Sirius Project d’Alan Parsons, était tout de même parvenu à se faufiler entre les laminoirs des troncs dégoulinants de pluie glaireuse et glauque. Pour franchir sans encombre la dernière fosse fangeuse.

    Celle là même qui signalait l’ultime ligne droite et cahoteuse, d’une longueur de deux kilomètres, qui conduisait au centre d’observation radio-astronomique.

    – Pourvu que je ne sois pas en retard au rendez-vous, songea très profondément le planétologue, dernier représentant d’un programme de recherche de vie extra-terrestre.

    Et tout en écoutant le métronome de son cœur se mettre au diapason de la transcendantale rythmique d’Alan Parsons, et surtout à celui du miraculeux événement à venir, celui qui promettait, sans aucun doute, si son observation s’avérait justifiée, de défrayer les chroniques scientifiques internationales, le professeur Markham rivait ses iris en mydriase, sur la route scabreuse et glissante.

    – Inutile toutefois d’aller plus vite que la musique, se répétait-il en son for. Si je ne veux pas offrir, comme cet animal de mauvais augure, ma dernière mue à la fatalité.

    Car il y a loin de la coupe aux lèvres, comme le rappelait l’immense Homère à bon escient ! Cela ne tâchons surtout pas de l’oublier !

    L’image de son propre macchabée, allongé laminé au beau milieu de la piste scintillante de gouttes d’or de feuillages jadescents, telle une répugnante barrière à sa glorieuse destinée, s’imprima brièvement dans son esprit angoissé.

    Il leva donc cauteleusement le pied de l’accélérateur.

    Encore vingt minutes supplémentaires, et il fut propulsé malgré lui, sans ambages, par son char archaïque, sur le parking à demi-noyé du radio-télescope géant d’Arecibo.

    Où il claqua vigoureusement la portière, afin de se rendre jusqu’au laboratoire du professeur Michael Viso.

    Sous une pluie tellement battante, qu’il n’eut pas même le temps de se délecter de son calembour récurrent et stérile d’esthète incompris :

    « Mais quel arrêt si beau ! ».

    ***

    – Vous aviez pourtant ostensiblement raison, Tom ! Je m’excuse de n’avoir pu corroborer plus tôt le résultat prodigieux de votre géniale observation !

    Et c’est à la façon dont le professeur Viso, radio-astronome en chef du complexe d’Arecibo, lui expédia sa sentence, étayée de concert par un regard sagace, à la frontière de la folie, que Tom Markham comprit que sa brillante découverte venait d’être entérinée par l’une des plus hautes instances qui soient.

    Une trouvaille qui s’érigeait dorénavant jusqu’à l’acmé des plus grandes révolutions cognitives de l’histoire.

    – On a de nouveau capté son signal, Tom. Incontestablement ! Cela est tellement stupéfiant, que toute votre révélation semble relever de la pure science-fiction !

    – Ne soyez pas trop péjoratif envers ce type de littérature, Professeur ! N’oublions pas que la plupart des derniers prophètes, qui nous auront permis d’écarquiller nos yeux sur les champs du possible, se sont abrités eux-mêmes au sein de cette école de pensée hétérodoxe.

    Mais que vous avais-je donc allégué à ce sujet, Michael ? Et tout ceci lors de sa dernière libration, n’est-ce pas ?

    – Effectivement Tom. Cela s’avère on ne peut plus exact. C’est pourquoi je viens vous rendre mon mea-culpa !

    La pluie frappait, à grands coups de marteau, la coupole en verre qui leur servait de toiture. Tom se remémora subitement qu’il avait omis de remonter la vitre à passager du pick-up. Celle-là même où il s’était mis à héler vainement le feu messager du Diable.

    Mais c’est afin de mieux rafraîchir sa cervelle en ébullition, qu’il avait excipé de sa sortie, sous la cataracte crépusculaire, en direction du tout-terrain, tout en dédaignant le large parapluie rouge que lui brandissait vaillamment le prévoyant professeur.

    La cacophonie des coquilles se faisait entendre hardiment, d’en-dessous du dôme concave du récepteur, accusant un diamètre de trois-cents mètres.

    Les coquilles se définissaient par ces tendres petites grenouilles, qui avaient emprunté leur ravissant dénominatif à une triviale onomatopée.

    Ces menues dernières s’agglutinaient, en bon millier, parmi les fougères aigles et arborescentes, protégées du martèlement aqueux par le patchwork épais de la hyaline coupole. Où un torrent tonitruait en son puisard central. Dans un glougloutement fantasmagorique de dragon diaphane.

    Tom Markham regagna le ressui du dôme de verre, totalement frigorifié par la pluie assombrie davantage dans le jour tombant.

    Le professeur Viso s’accrochait toujours au manche du parapluie vermeil qu’il avait tenté désespérément de lui tendre.

    Et ce ne fut qu’après avoir vu le planétologue accepter tout de même sa serviette réconfortante, ainsi qu’une brûlante tisane au guarana, que le radio-astronome en chef s’empressa de renchérir :

    – La Planète Invisible, Tom ! Et dire qu’elle existe bel et bien ! Depuis toujours masquée sous le joug despotique de notre Soleil. Résidant de tout temps dans la gloire de l’Étoile Jaune.

    – Aussi ne devrions-nous pas plutôt la désigner autrement, Professeur ? Afin d’échapper fort justement, une bonne fois pour toutes, à tous ces clichés ésotériques et antédiluviens ?

    – Et que pensez-vous donc de ce doux nom d’Empyréa, monsieur le planétologue ?

    – Va pour Empyréa ! Cette poésie lui sied à merveille. Mais seulement dites-moi donc, Michael, qui a bien pu en émettre le signal ?

    ***

    L’année 2179.

    Autrement dit cent cinquante ans plus tard exactement, mais au large d’Arcania. Une planète phénicienne semblable à une grande Terre, qui tourne avec ses cinq sœurs autour de l’étoile géante orange : Lucifer.

    Le Phaéton file à travers le vide sidéral. Pareil à une comète folle, il répand son linceul de glace.

    Le commandant Juan Rommez et son second : John Draco, s’interrogent encore au sujet de cette immense planète, résidant à la même distance qu’Arcania de leur étoile commune. Exactement aux antipodes. Et décrivant avec sa sœur une ronde synchrone. Comme un authentique leurre spéculaire. Une bizarrerie stellaire.

    – Cela m’étonne encore, Juan ! Que depuis toujours, cette jumelle d’Arcania ait vécu submergée par l’aura de Lucifer ! Mais que tout au long de l’histoire, les Arcaniens aient tout de même subodoré sa présence !

    – Il faut seulement comprendre, John, ce que ressentent éperdument les jumelles, à propos de leurs sœurs disparues, parfois séparées dès la naissance !

    – Mais pourquoi donc la prolifération du vivant lui aura-t-elle accordée cette apparence si divergente de notre planète bleue ? Un ciel vert, un océan de neige, des forêts azurées ? Et surtout cette absence totale d’architecture humanoïde ?

    – Je doute que ni nos orbiters et ni nos landers, pas même nos légions de drones d’observation, ne nous aient délivrés, dans le courant de cette dernière décennie, un inventaire circonstancié sur l’étendue de ses espèces !

    – Il est vrai, Juan, que l’exploration arcanienne elle-même est encore loin d’avoir atteint son seuil de saturation !

    – Et c’est bien la raison qui explique, que nous nous retrouvions à bord de cette hypernef ! Cinq mutants en marche, pour une première incursion humanoïde !

    – Correction ! Tu voulais plutôt dire trois mutants ! Pour rappel, Algol et Norak ne sont rien d’autres que des frères cyborgs !

    Sabre est certes une tigresse psychotrienne, à squelette d’incarnadium. Mais au niveau mutation, il est vrai qu’on aurait résolument du mal à concocter de meilleur spécimen !

    En entendant son nom, la tigresse géante originaire des glaces de Psychotria, aux canines hypertrophiées de métal-vivant, émet un puissant bâillement.

    Elle laisse ainsi scintiller, dans la lumière artificielle environnante, ses deux poignards azurés d’une aune de longueur. Son dernier combat, contre les Bathorines d’un satellite de Saturnia, n’a fait semble-t-il qu’aiguiser davantage ses invincibles armes létales. Parfaitement affûtées désormais, pour cette prospection programmée dans les sylves inextricables d’Empyréa.

    En refermant tranquillement ses yeux riboulants d’étoiles, Sabre se remémore ses souvenirs saupoudrés de glace. Et le sel des Sirènes d’Encelade.

    ***

    – Ton katana John ?

    – Parfaitement Juan, mon katana !

    – Un katana ? Et moi qui pensais qu’un grand gaillard comme toi se préoccuperait avant tout de sa pitance ?

    – Eh bien, j’attends toujours, quant à moi, ton unique choix ! À savoir, pour quel artefact tu opterais sur notre île déserte ?

    Le commandant Juan Rommez adressa à son second un sourire ravisseur, comme afin de mieux étayer sa répartie :

    – Oh disons que j’hésite encore entre la scie et la hache ! Le harpon ou alors le fusil ! La machette m’apparaît également un assez bon compromis !

    Mais c’est toutefois sur la hachette que tu m’as offerte, que je jetterais au bout du compte mon ultime dévolu, mon cher John Draco !

    Un soleil palot, pas plus chaleureux qu’une vieille led sous un plafond fuligineux, parvenait à peine à réchauffer l’intérieur de la passerelle du tunnelier-brise-glace. Où se dressaient nos deux officiers, en compagnie de leur grosse chatte.

    Les deux colosses arcaniens, y compris leur smilodon de combat, avaient en charge de convoyer toute une horde de repris de justice, vers un internement sans retour : l’Armatraz.

    À bord du Blackhole, cette phalange de dégénérés était encadrée par deux matons cyborguisés. Arcaniens également, ces deux frères répondaient consécutivement aux uniques dénominatifs d’Algol et de Norak.

    Deux androïdes, assistés la majeure partie de leur convoyage par Sabre : la tigresse psychotrienne à canines d’incarnadium.

    ***

    À la surface blafarde et âpre de l’astre, le Blackhole ne se réduisait plus qu’à un vulgaire petit point noir.

    Un demodex insignifiant, qui traçait ses traits d’union argentés de limace. Au travers des banquises d’albâtre, des plaques de congères, des packs et des séracs d’un paysage ultragelé et chaotique.

    Celui d’un satellite naturel, conquis voilà deux décennies déjà par les humanoïdes d’Arcania.

    Cette grosse ampoule crayeuse, cratérisée et lacérée de marbrures étranges, au large de laquelle une comète ivre déployait son vol éthylique de papillon phosphorescent, était devenue en 2174 un nouveau bagne en quelque sorte.

    Où quelques légions de desperados, semblables à des spectres déportés, s’échinaient tant bien que mal, à terraformer pour leur survie cette boursouflure de Saturnia : Encelade.

    Tandis que le Blackhole poursuivait inlassablement son entreprise de démolition, à travers le roc immaculé, nos deux hommes reprirent leur vaine conversation.

    Rommez porta la main à la poignée d’un tiroir à glissières, située juste en-dessous du tableau de commande. Il en fit jaillir son outil de prédilection, archaïque déjà, avant d’épiloguer :

    – Celle-là même que je t’avais réclamée, frérot ! Il y a désormais cinq années arcaniennes ! Pour mon quarantième anniversaire, mes noces d’émeraude avec la vie !

    – Ravi d’observer que tu la possèdes toujours ! Son manche en bois-de-serpent, et son fer d’arcanium, m’auront valu un sacré paquet de soleils verts, crois-moi mon pote !

    – Attends donc, salopard ! Le sabre que je t’ai offert en retour m’aura bien coûté un bras aussi ! Je me rappelle qu’il y a deux ans, pour la même célébration : tes quarante ans, j’avais dû remuer tous les antiquaires de la Métroplanète ! Afin de te dénicher ce collector de tarlouze ! Une lame d’incarnadium pur, polie par le maître Ueshiba lui-même ! Et surtout enchâssée dans un tsuka de carbonado ! Sculpté dans une météorite d’origine inconnue !

    – Ce doux joujou t’aura peut-être amputé d’un bras, Juan ! Mais cela me fait toujours une belle jambe, crois-moi ! Surtout avec une lame de plus d’une aune de longueur !

    Après avoir épuisé son rire stérile, à l’image de son lamentable calembour, John Draco s’empara à son tour de son talisman personnel. Suspendu tout bonnement dans un fourreau dorsal en peau de yack arcanien, empestant l’acide de la sueur.

    La lame azurine flamboyait à présent, dans la lumière anthracite de Saturnia, médusant tous les regards. Mais un bruit dominant vint mettre en alerte le duo de mutants : le feulement monstrueux de Sabre.

    Et le plus intrigant était que ce geignement rauque s’élevait solitaire, au milieu des grands panaches de l’espace glacé d’Encelade.

    Et le brusque black-out du tunnelier-brise-glace…

    ***

    De gros ventilateurs industriels barattaient le beurre de la chaleur, engendrée par le cœur du tokamak nucléaire du Blackhole.

    C’était à cet étage du pont inférieur, qu’on maintenait sous très haute sécurité nos sept assassins.

    Et survenue l’heure du déjeuner, il était donc grand temps de passer en revue la liste noire de ce septuor de l’enfer.

    Pour la terraformation d’Encelade, il s’avérait toutefois inutile, en ces temps de pauvre avancée d’une technologie scientifique toujours budgétisée au lance-pierre, de compter sur un hypothétique surnombre.

    Car même dans le Pôle Sud du petit satellite, accusant pour moitié la surface de Sélénia : l’unique lune arcanienne, où avait été érigée la forteresse de l’Armatraz au sommet d’un cryovolcan éteint, où les températures excédaient de presque cent degrés Celsius celles de la majeure partie de l’albe sphère, la vie exobiologique devait pouvoir supporter encore des froidures avoisinant les cent degrés en-dessous du zéro.

    Voilà par conséquent les redoutables raisons pour lesquelles nos sept criminels, à l’instar de leurs cinq matons, mais aussi l’intégralité des membres de la petite colonie de bagnards, qui avait entamé la terraformation d’Encelade depuis deux siècles désormais, ne possédaient plus grand chose en commun avec l’homo-consumeris arcanien contemporain.

    Les uns provenaient des camps de spéciation d’Alaskae. Les autres de ceux de Sibéria. Les derniers enfin, du cœur le plus algide des pôles de la Planète de Saphir.

    Tous cependant avaient subi un même traitement mutagénétique, suite à une préalable séquestration. En vue de leur affectation forcée, sur les lunes périphériques du Système Luciférien.

    De longs sévices infligés par des scientifiques militarisés, qui avaient consisté à transmuter leur sang en une sorte d’antigel lymphatique. Une transfusion cellulaire, extraite d’animaux extrémophiles.

    Telles que les lanternes des glaces. Enclines tout bonnement, pour leur hibernation, à une involution dans le sein inhospitalier des banquises elles-mêmes. En état de diapause ultime.

    Établissant à l’intérieur de leur organisme comme un circuit ouvert d’antigel liquide. Maintenu grâce à une minuscule pompe cardio-vasculaire. Fonctionnant à l’absolu ralenti.

    Quant à leur cerveau, celui-ci avait fini enrobé d’une boîte crânienne de néométal. Elle trônait au vertex d’un squelette composé d’un même minerai. À la densité dix fois supérieure à celle des os arcaniens.

    Un mutant enceladien ne pesait pas moins d’une tonne sur Arcania.

    Raison qui justifiait amplement qu’un exosquelette personnalisé d’arcanium : un ultramétal qui agissait comme bouclier face aux radiations lucifériennes, et équipé de propulseurs au thorium, leur avait été attribué.

    Tout ceci afin de leur permettre, à tout instant, de solliciter une vitesse de libération à la gravité. Vingt fois plus faible tout de même, que celle présente sur la Métroplanète.

    Mais n’allons pas nous imaginer toutefois, que des prisonniers auraient eu l’opportunité, par ce truchement irréfléchi, de se faire la belle.

    L’Armatraz ne possédait pas de réelles murailles à proprement dites.

    Ces armures vitales pouvaient à n’importe quel moment être désactivées, instantanément par des ondes lictrices.

    Dès qu’un pensionnaire, autrement dit un matricule, parvenait à déclencher les alarmes de l’écran d’intégrité de la forteresse magnétique.

    De maigres résultats, toutefois concluants, avaient réussi à engendrer des mutants spécialisés dans la conquête des satellites de Jovius ou de Saturnia. De type solide et glaciaire.

    Le nombre de ces hybrides, dont faisaient partie John Draco et Juan Rommez, était néanmoins infinitésimal.

    En comparaison d’une échelle arcanienne de démographie moyenne, le peuplement timide d’Encelade n’était encore que de l’ordre d’un habitant pour mille kilomètres carrés.

    À la surface de la sphère liliale, avoisinant les 800 000 km², la population actuelle concentrée sur le dôme du cryovolcan éteint, où avait été édifiée la forteresse de l’Armatraz, ne se réduisait en définitive qu’à 800 âmes.

    Toutes condamnées déjà à l’enfer blanc inviolable d’Encelade. Mais suffisait-il seulement de le rappeler ?

    En un peu moins de deux siècles, et ce grâce à l’apport des vaisseaux d’ensemencement, qui étaient parvenus – après avoir sillonné tout de même, depuis Sélénia : la lune arcanienne, plus de mille cinq cents millions de kilomètres, soit dix bonnes Unités Astronomiques exactement, dans l’amnios fuligineux de l’Espace – le visage enceladien avait déjà subi, par corollaire, le résultat prometteur d’une chirurgie nouvelle.

    D’immenses pistes transenceladiennes serpentaient aujourd’hui, telles des larmes scintillantes d’espoir, la surface de ses joues froides.

    De vastes taïgas d’arbres biogéniques, dont les graines fossiles et antédiluviennes avaient été dénichées dans les calottes arcaniennes, hérissaient à présent cette lactescente île sphérique.

    Comme une barbe de plusieurs décennies déjà. Et qui se moussait de surcroît d’un soupçon d’atmosphère juvénile.

    Mais les températures en dépit ne s’érigeaient pas au-dessus du seuil des moins-cent degrés.

    Et nos sept spadassins, inféodés malgré eux aux rudesses des froids extrêmes, éprouvaient de plus en plus de mal à contenir leur nervosité, au milieu de la canicule ambiante du pont inférieur. À laquelle il leur était devenue impossible de s’accoutumer.

    Dans leur cage, tramée uniquement de rayons lasers incandescents, on parvenait à entendre s’entrechoquer leurs violents muscles maxillaires.

    Ils étaient parfaitement semblables à d’agressifs chiens de combat.

    Algol et Norak s’apprêtaient à faire ripper le premier plateau fumant de viande rouge et de légumes réhydratés, sous la barrière incarnadine du moins dangereux d’entre eux : Skunk le solitaire, qu’on appelait plus vulgairement la moufette.

    Lorsque surgit le black-out…

    ***

    Le premier portrait correspondait à celui d’un grand rouquin maigrichon.

    Il s’agissait bien d’un escogriffe, au visage dévoré par une barbe hirsute. Les yeux noirs révulsés. À l’éclat paranoïaque.

    – Algol : Skunk, le solitaire ! On le surnomme la moufette ! Ce terroriste à la petite semaine se servait de gaz neurotoxique, dans l’unique but de décimer des foules innocentes.

    Son leitmotiv : une injustice militaire, qui l’aurait écarté, croyait-il, d’un carriérisme prometteur !

    – Norak : En quelque sorte, si je puis me permettre de le résumer ainsi : il s’agirait seulement d’un rouquin complètement marteau !

    – Rommez : Nous te remercions grandement Norak, pour cette perle hilarante ! Et ces deux tourtereaux là, au portrait particulièrement lugubre ?

    – Algol : Strigx la chouette ! Accompagnée de Moloch son comparse : un dévot de Satan, et qui plus est un pédophile !

    Strigx était un gourou du darknet. Cette ravissante brunette, adepte du néogothique, se chargeait d’achalander en prosélytes l’église sataniste de son conjoint : Moloch, qui se fait aussi surnommer le lézard !

    Lorsqu’on réalise que Skunk, à l’aide de ses satanées bombes puantes, ne compte pas moins de neuf victimes à son tableau de chasse, il est tout de même de bon augure de préciser que les sacrifices de ces deux satanistes du dimanche ont par-dessus tout occasionné la mort de seize agneaux, à peine pubères !

    – Draco : Par le diable Algol ! Puisqu’il ne s’agissait jusqu’à présent que du deuxième degré de pernicité, qu’en sera-t-il donc du couple suivant ?

    – Algol : Eh bien, en ce qui concerne les prochains tourtereaux, il s’agit bel et bien d’une figure classique de la criminologie !

    Lovo était un loup de la mafia, qui s’est servi de Locus : la sauterelle, afin de courtiser, et à chaque fois sous un travestissement différent d’irrésistible séductrice, ses concurrents malchanceux. Tous empoisonnés finalement à tour de bras ! On peut en dénombrer vingt-quatre reconnus au total !

    Mais ce n’est cependant pas encore terminé, en ce qui concerne la cruauté suprême ! Car il nous reste toujours la cerise sur le gâteau ! Et quelle sacrée griotte celle-là !

    Musca surnommée la mouche, amante du cher juge Snaker : le serpent. Tous deux issus de la pire des races de passeurs de drogue !

    Snaker, qui fut un juge éminent, mais aussi éminemment corrompu, s’est chargé de supprimer pas moins de cinquante-six témoins embarrassants. Toujours suite à leur prime déclaration, en son tyrannique tribunal !

    Sur ces cinquante-six témoins, cinquante furent rapatriés, dans une autre morgue située hors-frontières. Mais c’est surtout sa maîtresse : un médecin-légiste, qui s’est occupée de bourrer cette demi-centaine de macchabées, de toute une cargaison de sacs de cocaïne !

    Dont la modique somme s’élevait à plus d’une tonne de cargaison !

    – Norak : Comprenez surtout, qu’en définitive, commandant Rommez, c’est à présent cette charmante engeance de sept démons, que nous détenions sous haute sécurité à bord du Blackhole, qui vient de profiter du black-out afin de prendre la tangente d’Encelade !

    – Draco : Et de surcroît montée sur les quatre seuls fers à repasser, que nous employions pour nos parties de chasse seigneuriales !

    – Rommez : Le paradoxe, c’est qu’ils n’auront pas réussi à mettre la main sur leur exosquelette attitré ! Nous abandonnerons par conséquent l’idée de les disjoncter à distance ! Il nous reste à l’encontre à nous munir des nôtres : les dragons verts, chargés au thorium.

    Allons, je pars déterrer ma hache de guerre !

    Ne perds pas ton sabre en route, mon ami !

    Algol et Norak, vous allez nous servir de porteurs ! Veuillez transbahuter uniquement et sur-le-champ le nécessaire de chasse ! Ainsi que nos visières opacifiantes, contre l’ophtalmie des neiges !

    Et aussitôt que vous nous donnerez le feu vert, nous demanderons à notre meilleur limier de nous ouvrir cette piste on ne peut plus pestilente ! Car Skunk fait, malheureusement pour eux, partie des évadés !

    Un peu de patience tout de même, Sabre ! Concède-toi donc ces dernières minutes de préparation, afin d’affûter tes canines de néométal !

    Cependant, je t’ordonne formellement de ne les trucider aucunement ! Car l’Armatraz a déjà réglé, rubis sur l’ongle, sa marchandise de fortune ! Dont je vous le rappelle, mes amis, nous ne sommes que les modestes convoyeurs !

    ***

    C’est à la lisière des grands arbres transgéniques, qu’ils épinglèrent le premier indice.

    Au-dessus de leur tête, et jusque dans la prunelle de la tigresse des neiges, resplendissait l’invraisemblable Saturnia. Dont les innombrables anneaux, camaïeux et luminescents, s’apparentaient à quelque cosmodrome démesuré.

    Tout au bout de la forêt de pins glaciaires, piquetée de gigantesques mancenilliers génétiquement modifiés, parmi les miroitants suncups et les stingys : ces labyrinthes formés par les pénitents des neiges, la relaxation de la glace alimentait, par d’imposants geysers, l’anneau externe et subtil de la planète gazeuse.

    C’était en quelque sorte un voile sacré, qu’il s’agissait de ne pas approcher de trop près. Surtout au jusant de la lumière luciférienne. À défaut de finir disloqué, par les éruptions formidables des monstrueuses fontaines pétrifiantes.

    L’indice fut rapidement identifié, sur la poudreuse étincelante, comme un long serpent fauve et filiforme, qui frétillait presque dans le soupçon de vent engendré par l’atmosphère juvénile.

    Un soupir qui animait également le cliquetis des aiguilles caoutchouteuses, des grands pins bleus sempervirents.

    Le capitaine Draco releva son sabre de métal-vivant, devant les yeux inquisiteurs de la tigresse des glaces, et sa large truffe récalcitrante.

    Avant de délivrer oralement le résultat probant de son expertise :

    – Un poil de barbe, de cette envergure ? Et rubigineux de surcroît ? Élémentaire, ma chère Sabre ! La moufette a déjà marqué son territoire !

    – Je comprends mieux le dédain du félin à présent ! argumenta Rommez, en leur tendant un sourire en lame de couteau.

    – Il semblerait que leurs traces s’oblitèrent rapidement, surtout sous ces lourds paquets de neige, qui tombent au ralenti des hautes ramées !

    Ne serait-il pas dès lors préférable, poursuivit Algol, de basculer tout de suite nos visières en mode infrarouge ? Afin de pouvoir détecter, plus aisément, les résidus de chaleur émis par ces dernières ?

    – N’y pense même pas mon frère ! intervint Norak. La surface du satellite est par bien trop froide ! Mon capteur thermique indique moins cent sept degrés ! À cette température, sûr que les émissions de chaleur, générées par un corps de mutant, se volatilisent presque instantanément !

    – Mais nous pouvons toutefois, surenchérit le commandant, avec le même sourire assassin, compter fort heureusement sur le pouvoir de discrimination centuplé, du flair hors pair du smilodon !

    L’avantage d’une excellente acuité olfactive, c’est que rien ne lui fait obstacle ! Pas même une épaisse couche de neige ! Ce qui nous laisse bon espoir, de débusquer n’importe quel fugitif ! Même planqué au plus profond d’une tanière.

    Mais regardez, on dirait que la chatte vient de flairer un fantôme !

    ***

    Une série de crépitements, sur une plaque de congère, indiquait une présence en déplacement. Aussitôt menacée par un grognement rupestre : celui de la tigresse à canines d’incarnadium.

    Le capitaine Draco, son maître, la retint d’un geste hiératique et silencieux.

    Une sorte de gros museau en trompette précéda l’apparition d’un animal insolite. Un ourson glabre, ou plutôt une espèce de taupe éléphantesque, au cuir incroyablement épais, cannelé d’adipeux bourrelets.

    – Un grand tardigrade ! lança Draco.

    Je suis bien certain que tu n’en ferais qu’une modique bouchée, ma blanchette ! Malgré son caparaçon épais ! Mais si on te laisse répondre à ton insatiable appétit, tu aurais tôt fait de décimer le maigre cheptel de spécimens d’extrémophiles géants ! Que Arcania aura ardûment réussi à introduire ! Sur cette boule de glace en déroute ! Dans les confins du Système Luciférien.

    – Ton maître a amplement raison, Sabre !

    En revanche, rien ne t’empêchera de planter tes crocs de morfale, dans le mollet blême d’un de ces satanés démons ! Aussitôt que nous parviendrons à les crocheter par leurs jupons !

    Allons mes braves, avant de finir en glaçons !

    Je vous rappelle tout de même, que nous tenons à présent une fameuse piste ! Et non des moindres ! souligna le commandant.

    Car elle se révèle être la plus repoussante qui soit ! Le pestilent miasme de ce diable roux de Skunk lui-même !

    ***

    Un rond de sorcière sur la neige ?

    Rien de très surprenant dans tout cela, non ?

    Dans les clairières printanières de la vieille Métroplanète, sujette aux éveils boréals, ce sont les perce-neige, les fleurs à safran, ou encore les edelweiss qui parviennent à saillir les premiers, le vieil hymen de la croûte vernale.

    Hors, ce cercle de sorcière qu’entrapercevaient nos cinq traqueurs, sur l’aveuglant tapis blanc, était exclusivement constitué de corolles écarlates !

    Draco : Insolite, n’est-il pas messieurs ? Car il s’agit bel et bien là, de la seconde fois de notre existence uniquement, que je constate l’émergence de ces fleurs rouges ! Et ce, toujours en plein printemps enceladien !

    Rommez : Fais-moi donc voir ces calices, John ! Je voudrais tant mesurer à mon tour leur résurgence printanière !

    Norak : Voilà donc la raison pour laquelle, tout ce joli parterre s’organise autour de cette délicate concavité dans le sol ! Et aussi pourquoi, toutes ces corolles ne tremblent aucunement, tels des coquelicots sous la bise !

    Le commandant transmit son analyse aux deux frères cyborgs. Dans l’intention de confirmer brièvement, de par leur pouvoir de discrimination, l’ardente vision qui avait ravivé déjà un virulent souvenir. Dans les deux cerveaux mutagénétiques. Et ceux bio-informatiques des quatre chasseurs de primes.

    Mais ce fut une fois encore le flair affûté du smilodon – pour qui l’apparition était également une récidive – qui leur certifia, par un grognement proche du gargarisme, l’essence intrinsèque de cette illusion florale.

    Après avoir humé profondément le silence blanc de l’espace, l’immense félin aux sabres de métal-vivant émit un second feulement rupestre.

    Algol : La tigresse a bien détecté sur la glace la présence du sang !

    Précautionneusement, le quatuor se rapprocha du petit volcan de tâches pourpres évanescentes, qui puisait son épicentre dans la concavité hyaloïde.

    Draco : Nul doute, une sirène des glaces a entamé ici la chair d’un truculent repas ! L’opercule qui recouvre sa goulotte d’immersion n’a pas totalement recouvré son épaisseur naturelle.

    Rommez : Il est vrai que ces spécimens indigènes ont réussi rondement à améliorer l’ordinaire de leur régime carnassier ! Grâce à l’apport exotique du récent peuplement anthropique !

    Peux-tu donc analyser, John, lequel de nos fugitifs aura servi en premier d’en-cas, à nos Bathorines ?

    Les Bathorines étaient en quelque sorte les cousines enceladiennes des légendaires sirènes de la Métroplanète. Leur silhouette allongée de léopard marin était étrangement humanoïde.

    On les avait taxonomisées dans le nouvel ordre des extra-siréniens. Elles ne mesuraient pas moins de trois mètres, concernant les plus gros spécimens, pour un poids d’à peine un quintal. Leur similitude avec les fabuleuses sirènes s’enorgueillissait même d’une longue crinière rousse, quasi-féminine.

    Leur nom carnassier dérivait étymologiquement de celui d’un personnage historique du passé d’Arcania, qu’on surnommait fort justement l’ogresse sanglante : Erzabeth Bathory.

    Cette dernière identité avait été finalement attribuée à leur reine, qui venait de conquérir Empyréa.

    ***

    – Draco : Il leur est impossible de creuser la calotte gelée du dessus, lorsqu’elles s’attardent plus d’une vingtaine de minutes à leur curée ! Elles sont contraintes d’attendre alors, que l’une de leurs sœurs les délivre d’en-dessous !

    – Rommez : Et quel indice te laisse prétendre que certaines d’entre elles se sont déjà installées en terrasse ?

    – Draco : Leur piste olfactive répand des effluves de puissantes phéromones, qui engourdissent progressivement l’esprit de leurs proies potentielles. Regarde par toi-même, Juan ! Sabre s’est déjà engagée, malgré elle, sur la trace encensée de ce leurre létal !

    – Algol : Je suggère à ces messieurs, que nous mettions sans plus attendre à profit nos propulseurs au thorium ! Afin de nous maintenir judicieusement, hors de portée de ces ogresses !

    La tigresse a déjà royalement fait ses preuves contre elles la fois d’avant. Car confrontée à une bonne trentaine de ces lamies, rappelez-vous qu’elle en est sortie tout de même remarquablement triomphante !

    – Norak : Après avoir néanmoins oscillé entre la vie et la mort ! Et avoir bénéficié de soins intensifs plus d’un mois durant ! Un traitement de force, au cours duquel on lui aura transplantée de nouveaux organes vitaux, prélevés en urgence sur les cadavres surgelés des Bathorines ! Et renforcé la structure de son épiderme, d’une couche supplémentaire de tissu de Némée !

    – Rommez : Algol a entièrement raison ! Nous allons paramétrer notre déplacement à hauteur des plus hautes frondaisons ! Autrement dit à quarante mètres !

    Le printemps est de retour et l’épaisseur de la glace s’est considérablement amoindrie !

    La population des Bathorines couvre toute la strate circumenceladienne inférieure du manteau lacustre souterrain.

    Seulement hors de question de laisser Sabre réitérer son précédent exploit ! On sait que la plupart du temps nos lamies se rassemblent en meutes considérables ! Pour leur sanglante chasse en surface ! Exhortées par celle qu’on a dénommée Hylas : leur princesse enceladienne !

    Et comme elles ne peuvent guère longtemps résister à ces extrêmes températures externes, elles sont toutes condamnées à rejoindre, compendieusement, leur matrice aqueuse.

    – Draco : C’est certain ! Il ne suffirait pas davantage qu’une horde d’une centaine de sirènes des glaces ! Pour emporter le chaton ! Dans le vertige sans fond de leur abîme.

    Cependant le règlement de l’Armatraz nous oblige à identifier chaque brebis qui vient à manquer à l’appel. Afin de les classer au registre des disparus ! Algol et Norak, il est donc de votre ressort de vous occuper de l’échantillon !

    Nous ne partirons pas, avant d’avoir réussi à prélever, ne serait-ce que le plus infime pétale de ces belles fleurs rouges ! Car je redoute, comme on le dit sur le Glaçon, que la petite récréation de nos forcenés ne finisse bel et bien en salade.

    Un grand rire général retentit, dans la froideur vibrante de l’espace glacé d’Encelade.

    Et peut-être jusqu’aux subtils anneaux de Saturnia. Pour y éveiller un frémissement futile.

    Il est vrai que la paronymie avait forgé, dès les débuts de la colonisation, dans les connexions étriquées des cervelles congelées des colons, l’évidence de ce calembour :

    Sur Encelade tout finira en salade !

    À moins cent degrés Celsius, il s’avérait tout de même salvateur d’en rire.

    À ce point que même un snobinard d’aristocrate académicien se serait joint à l’hilarité insane et dérisoire de notre lamentable quatuor de givrés.

    ***

    – Nous avons été disjonctés !

    Le commandant Rommez se redressa douloureusement, après son atterrissage vertical et forcé de quarante mètres.

    Son armure court-circuitée était devenue aussi inutile qu’une carapace inerte et frigorifiée.

    Et tous furent consternés de constater qu’aucune commande ne répondait plus aux besoins locomoteurs.

    – Nous obtenons, d’ores et déjà, la preuve formelle que l’Armatraz est clairement au courant de l’évasion ! Un satellite de surveillance a sûrement dû débusqué notre petit manège !

    – Draco : Si notre coterie de saltimbanques a été localisée, c’est certain qu’elle a dû être rapidement interceptée par un sous-marin d’intervention ! Et qu’elle se retrouve désormais à moisir ! Dans une cellule de haute détention de la Forteresse !

    – Norak : Mais l’heure n’est plus de se soucier du sort de ces démons ! Devrais-je vous rappeler à tous, que nous sommes contraints de nous délester, ici-même, de nos impedimenta d’exosquelettes ? Et que la nuit qui tombera dans moins de trois heures, risque fort de faire chuter les températures ! À plus de cent cinquante degrés négatifs !

    – Algol : Mon frère a entièrement raison ! Nous devrions rentrer au plus vite, au Blackhole !

    Il est évident qu’à cette température immodérée, nous n’éprouverons aucune peine à nous transformer en de vulgaires bonhommes de neige !

    – Rommez : Négatif à tous ! Nous ne prendrons pas le risque de nous exposer, par ces froidures excessives sur une piste de glace ! Et a fortiori dans l’obscurité totale !

    Lorsque nous savons tous, sans exception, et par-dessus tout la blanchette, que les Bathorines préfèrent lancer leurs attaques à la faveur de la nuit !

    Et je ne voudrais surtout pas me mêler à leur cabale orgiastique ! Entre l’écorce et l’arbre, il faut éviter de mettre le doigt, comme on dit !

    Nous voilà rendus à plus de quatre heures de marche, de notre géant de tunnelier !

    Je suggère donc d’abattre, sans plus attendre, deux ou trois de ces grands baliveaux faméliques, avant le coucher de Saturnia ! Afin de nous édifier un abri de fortune, avant le jusant de ses rayons ! John, tu te chargeras du feu ! Comme à ton habitude !

    – Draco : Les aiguilles de ces cèdres glaciaires sont saturées de résine hautement inflammable ! Nous utiliserons en conséquence les pastilles d’oxygène de survie, afin d’alimenter le brasier ! Il ne nous restera plus, par la suite, qu’à converger les derniers rayons de Saturnia ! À travers ma lame de métal-vivant ! Afin d’insuffler vie à un foyer !

    Un nid de flammes, auprès duquel Sabre pourra élégamment monter la garde ! Afin de nous signaler toute présence capiteuse de nos monstrueuses sirènes !

    ***

    Il n’y eut fortuitement guère d’attaque cette courte nuit là. Et donc aucune perte au sein du petit groupe de mutants.

    Au lever de Saturnia, puis de la souveraine étoile lointaine, ils demeuraient tous unis tels les cinq doigts de la main.

    Une main froide, qui s’agrippa bientôt à la première piste de poudreuse. Pour une longue et éprouvante marche, sous les innombrables lunes d’un ciel mitraillé d’étoiles. À demi envahi par le gros cerceau de hula-hoop, de la danseuse rondouillarde qu’était la grande Saturnia.

    Quatre heures plus tard, grâce au flair infaillible de la tigresse à dents de sabres, et à l’urgence de réparer leurs gelures, ils retrouvèrent le Blackhole.

    Le tunnelier-brise-glace, monstre noir et verni d’une pellicule ruisselante, n’était plus le seul à transcender le suaire immaculé de la banquise.

    Comme autour d’un rorqual de néométal, une demi-douzaine d’extrémobiles, semblables à des épaulards fuligineux, avait entamé une silencieuse et cabalistique curée.

    En apparence ils étaient sauvés ! L’Armatraz leur avait manifestement expédiés ses redoutables patrouilleurs.

    Mais ce ne fut là que le leurre d’un autre mirage. Qu’une lugubre nouvelle, brièvement colportée par le colonel Garros : le chef de l’expédition, vint lamentablement révéler.

    L’Armatraz venait de sombrer, sous l’assaut conjugué des Bathorines, mené par leur matriarche elle-même : la majestueuse et sanguinaire princesse Hylas.

    L’inexpugnable forteresse, vulgaire termitière éventrée à présent, s’était effondrée. Disséminant, à travers les vastes plaines permagelées d’Encelade, son flot de démons. Réduits à l’état de vulnérables proies, consacrées aux implacables furies et aux griffes lacérantes du froid.

    – Garros : Leur armée a profité de l’éveil vernal de ces immenses geysers du sud : Les Rayures de Tigre ! Chacune des Bathorines se sera servie de son large patagium dorsal ! Comme d’une combinaison naturelle de wingsuit ! Afin de se poser en douceur au sommet du cryovolcan !

    L’assaut s’est déroulé de nuit ! Et lorsque nous avons fini par déceler leur présence létale, dans l’espace aérien, il était déjà trop tard pour contrecarrer l’attaque-surprise et leur surnombre !

    – Combien de victimes avez-vous à déplorer, au sein de vos troupes mon

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